M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons savoir raison garder et ne pas nous laisser instrumentaliser.
Il est acquis depuis longtemps que le Gouvernement a opté pour une politique d’immigration « choisie ». Cela implique tout d’abord de maîtriser les flux d’immigration du travail, a fortiori dans un contexte de crise économique et de fort chômage que personne ne conteste.
Mais, au cas où cette maîtrise ne suffirait pas, la loi et la circulaire du 31 mai 2011 prévoient d’aller plus loin. Faut-il rappeler que, avant d’embaucher un travailleur migrant, une entreprise doit normalement prospecter auprès de Pôle emploi, sauf dans le cas de métiers « en tension », qui sont clairement définis par nos textes ? Elle ne sera en principe autorisée à recruter un nouveau travailleur que si elle ne trouve pas le profil désiré.
Ensuite, le fait d’attirer dans notre pays les meilleurs étudiants et salariés du monde entier ne pose évidemment aucune difficulté, et n’en a d’ailleurs jamais posé. Nous avons besoin de ces compétences, parce que nous sommes aujourd’hui en concurrence avec les autres États. Le Premier ministre a clairement rappelé cet objectif d’attractivité et de compétitivité dans le courrier qu’il a adressé aux présidents des grandes conférences en novembre dernier.
En réalité, que s’est-il passé sur le terrain ? Des diplômés hautement qualifiés, disposant d’une compétence particulière ou ayant des liens privilégiés avec une entreprise – notamment parce qu’ils y avaient effectué leur stage de fin d’études – n’ont pu obtenir un titre de séjour en raison d’une application sans doute trop extensive de la circulaire de 2011, laquelle au demeurant ne traite pas spécifiquement de cette question. À l’évidence, ces diplômés ne font pas concurrence à des demandeurs d’emploi présents sur le marché du travail et il paraît légitime d’autoriser nos entreprises à recruter ces personnes dotées d’un haut niveau de qualification. La nouvelle circulaire du 12 janvier 2012, citée à l’instant par notre collègue Françoise Laborde, est centrée précisément sur le cas de ces diplômés dont la France a besoin.
Cette circulaire a fait l’objet d’une étroite concertation avec les grandes conférences et le texte leur donne entière satisfaction.
Voilà la réalité des choses, mais il ne faut pas non plus se cacher certaines situations et ne pas regarder la vérité en face. Il est clair que toutes les personnes qui viennent étudier en France ne sont pas susceptibles de rester sur le territoire national.
M. David Assouline. Ils sont bac+5 !
M. François-Noël Buffet. Il est aussi utile de rappeler – vous le lirez dans les rapports publiés chaque année sur l’immigration – que l’on s’interroge parfois sur la réalité de ces études et du but poursuivi. Ce n’est pas scandaleux de le dire, c’est simplement la vérité.
Une fois de plus, certains ont pu vouloir instrumentaliser cette circulaire ou en faire une interprétation extensive (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.). Je reconnais toutefois que le propos de Mme Khiari a été tout à fait clair et modéré.
Mme Dominique Gillot. Alors ?
M. François-Noël Buffet. Je tenais malgré tout à rétablir la réalité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à remercier notre collègue Bariza Khiari d’avoir été à l’initiative de la présente proposition de résolution.
La France est effectivement en train de « perdre son excellence dans le domaine de l’intelligence » ! Non seulement, elle ne sait pas conserver les très bons étudiants étrangers qu’elle a formés au sein de ses universités ou de ses grandes écoles, mais, au-delà, les meilleurs de ses propres étudiants s’en vont continuer leurs études à l’étranger et, pour beaucoup, aux États-Unis. Entre 1991 et 2000, 1,3 % de la population totale des chercheurs français s’y est expatriée.
Environ un tiers des docteurs formés en France chaque année poursuivent une formation en post-doctorat aux États-Unis ou dans les pays de l’Union européenne, entraînant ainsi une perte importante de capital intellectuel pour notre pays. Selon une enquête de 2005, 17,5 % des post-doctorants partis aux États-Unis ne rentrent pas, y ayant trouvé un emploi.
Si je me permets de souligner le cas de l’expatriation aux États-Unis, c’est parce que le système universitaire américain a la réputation d’être l’un des meilleurs au monde et qu’il offre, hélas ! un singulier contraste avec le nôtre. Voilà donc autant de jeunes talents qui ne contribueront pas à la compétitivité de l’enseignement supérieur français !
Notre pays doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour conserver les élites qu’il a formées, au nombre desquelles figurent, bien sûr, les étudiants étrangers ayant suivi un cursus dans nos universités, nos laboratoires de recherches, nos grandes écoles, y apportant un souffle d’oxygène et une mixité essentiels.
Les étudiants étrangers, une fois leurs études terminées, deviennent autant de représentants de l’enseignement supérieur français, nous aidant à nous implanter plus facilement dans certains secteurs à l’international.
Lors du dépôt du texte qui nous réunit, les étudiants étrangers tombaient sous le couperet de votre circulaire du 31 mai 2011, monsieur le ministre, laquelle avait réduit comme une peau de chagrin les autorisations de travail dont ils pouvaient bénéficier.
Fort heureusement, la mobilisation du monde universitaire et de la recherche a, cette fois, porté quelques fruits. On nous annonce une nouvelle circulaire, signée le 12 janvier dernier, qui rétablirait en partie les dispositions instaurées par la loi du 24 juillet 2006 et ne viendrait plus contredire la lettre de l’article L. 311-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA. On y fait également état d’un assouplissement du traitement des demandes de changement de statut, ainsi que d’un réexamen des dossiers des étudiants ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français après le 1er juin 2011, à la condition toutefois que les demandes soient redéposées.
Au regard du courriel que j’ai reçu ce matin de la part d’un chef d’entreprise, il semblerait que, dans la réalité, monsieur le ministre, les événements se déroulent malheureusement autrement… Je vais vous donner lecture de ce mail.
« Je suis chef d’entreprise d’une PME de transport routier de marchandises sur Toulouse. J’emploie actuellement quatorze salariés pour mon activité. J’ai voulu recruter une jeune étudiante diplômée d’un master en économie et gestion mention « marketing et vente ». J’ai procédé à son recrutement en mars 2010, mais son titre de séjour a expiré et j’ai dû la licencier. Durant son recrutement, j’ai financé une formation spécifique aux transports afin qu’elle soit plus performante. Le développement de ma société passait par ses compétences et l’ouverture de nouveaux marchés. Entre-temps, nous avons déposé un dossier de changement de statut. Ce dernier lui a été refusé par la préfecture de Toulouse et une obligation de quitter le territoire français lui a été délivrée en juillet 2011. Elle a déposé un recours contentieux auprès du tribunal administratif car la décision du préfet était entachée d’irrégularités.
« Une première audience a eu lieu le 4 janvier permettant la contradiction des parties. La décision du tribunal administratif devait être connue le 20 janvier prochain. Malheureusement, ce matin, des policiers se sont présentés au domicile de la personne et ont procédé à son arrestation. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Besson. C’est incroyable !
Mme Esther Benbassa. « Je vous interpelle sur son cas car cette personne est essentielle pour le développement de ma société. Durant sa période parmi nous, elle avait développé le portefeuille clients et nous avions comme projet, avec une entreprise reconnue sur Toulouse, d’ouvrir une succursale en Algérie. »
Ce courrier est arrivé ce matin avant neuf heures.
Permettez-moi tout de même de m’interroger sur la façon dont seront, en pratique, traitées ces nouvelles demandes.
Rappelons-nous, pour finir, que nombre d’étudiants étrangers venus s’installer dans notre pays ont fait, hier, la gloire de la France et qu’ils la feront probablement demain.
Certes, tous les étudiants qui choisissent la France ne sont peut-être pas dignes d’une telle attention, mais misons sans rechigner sur ceux d’entre eux qui, indéniablement, la méritent. Misons sur l’avenir ! Ne dilapidons pas ce réservoir de compétences et d’intelligences, nous en avons besoin !
Pour toutes ces raisons, les sénatrices et les sénateurs du groupe écologiste voteront évidemment pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, il faut se féliciter que, à la veille de l’examen par le Sénat d’une proposition de résolution sur l’accueil des étudiants étrangers, vous ayez considéré nécessaire de modifier, sous la pression de vos collègues, la circulaire relative aux conditions d’insertion professionnelle des étrangers venant de terminer avec succès leurs études en France.
Malheureusement, les précisions apportées sont cosmétiques car rien ne change sur le fond. Cette affaire reflète bien la contradiction entre votre politique d’immigration et les intérêts de la France.
Des centaines de jeunes étrangers ayant terminé leurs études étaient prêts à travailler dans nos entreprises, nos centres de recherche. Ils avaient des promesses d’embauche. Pourtant, ils se sont souvent vu refuser par les préfectures les autorisations de travail qu’ils demandaient.
Depuis, nombreux sont ceux qui ont quitté notre territoire. D’autres sont partis par dépit. Après avoir demandé un rendez-vous en préfecture, ils ont préféré d’autres cieux bien plus accueillants. Ceux qui sont partis sont souvent ceux qui avaient déjà de belles opportunités ailleurs.
Pour les établissements d’enseignement supérieur, nos centres de recherche, ce sont leurs accords internationaux qui sont remis en cause, leur capacité d’accueillir des chercheurs et de publier qui sont menacés. Quoi que l’on pense du classement de Shanghai, c’est la capacité de nos établissements à se positionner au sommet de ce type de classement qui a été affaiblie par votre politique.
Pour nos entreprises, ce sont des compétences irremplaçables pour aborder de nouveaux marchés et renforcer leur capacité d’innovation qui leur ont été arrachées.
Triste circulaire, signée au moment du centième anniversaire du premier prix Nobel de Maria Sklodowska-Curie, qui souligne la différence entre, d’une part, la politique traditionnelle de la France, celle qui lui a permis au cours des siècles d’accueillir et de bénéficier du concours de nombreux étrangers venus en France pour étudier et qui ont ensuite contribué au progrès scientifique, industriel et humain de notre nation, et, d’autre part, votre politique qui renvoie les talents hors de nos frontières...
Pourquoi avoir pris de telles dispositions ? Pour satisfaire votre politique du chiffre.
Peu vous importe le coût financier, la perte en compétences, la dégradation de l’image de notre pays. Il faut servir votre politique du chiffre censée vous permettre de récupérer des voix au Front national. Pourtant, vous le voyez aujourd’hui et vous le subirez demain, à crédibiliser cette idéologie d’exclusion, à exacerber les peurs, à stigmatiser les différences, vous devenez le complice, l’agent de ceux que vous prétendez combattre.
Interpellés depuis plusieurs mois sur cette circulaire, les membres du Gouvernement minimisaient la mobilisation des étudiants, des universités, des grandes écoles, voire du patronat. La France était l’une des destinations favorites des étudiants nous disait-on. C’était exact, en tout cas jusqu’à ces derniers mois. Mais, si l’on souhaite conserver son attractivité, il convient d’observer les grandes tendances et de souligner ce que votre circulaire a et aura comme conséquences malheureuses et irréversibles.
Ainsi, au milieu des années soixante-dix, la France était la destination privilégiée des jeunes souhaitant étudier hors de leur pays d’origine. Ils étaient 107 000 chez nous, rapportés au nombre, à l’époque faible, de moins de 800 000 pour l’ensemble du monde.
Aujourd’hui, le nombre de jeunes étudiants hors de leur pays d’origine a été multiplié par quatre, plus de 3,5 millions ; la France est derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Notre part de marché baisse régulièrement. Nous pourrions même prochainement être dépassés par d’autres pays, en particulier l’Australie.
Dans notre enseignement supérieur, la proportion d’étudiants étrangers s’inscrit en baisse de plusieurs points. Longtemps stable à 15 % environ jusqu’en 1984, elle est passée à un peu moins de 10 % avant que le gouvernement de Lionel Jospin ne développe une politique volontariste en la matière, politique abandonnée depuis plusieurs années. Nous en sommes aujourd'hui à 11 %.
Comment votre circulaire participe-t-elle à ces effets désastreux ?
En pesant, d’abord, sur les perspectives concrètes d’insertion professionnelle des étudiants en France. Ils constatent maintenant que les entreprises rechignent à leur accorder des stages de fin d’études en raison de l’impossibilité d’avoir la certitude de pouvoir les recruter après leurs études. Cela aura vite des conséquences sur l’attractivité et le classement de nos universités et grandes écoles si les étrangers ne sont plus embauchés à la sortie.
Cette observation est déjà connue des jeunes étrangers, candidats à des études en France, et aura des effets significatifs. L’Agence CampusFrance, créée pour les accompagner dans la définition de leur parcours au sein de notre système d’enseignement, voit son rôle complété par des missions consulaires, qui ne déchargent pas pour autant nos postes comme la vérification de l’exigence de ressources. Ainsi, un étudiant dont le profil ne convient pas à CampusFrance n’en est pas toujours averti. Il va de ce fait dans le mur en payant les taxes correspondant au dépôt d’une demande de visa dont il ne sait pas qu’elle est vouée à l’échec, alors qu’il a déjà payé une taxe à CampusFrance. Dans d’autres cas, l’avis de CampusFrance est positif, mais l’étudiant n’est pas averti qu’il ne remplit pas les conditions du consulat pour obtenir son visa étudiant. J’ai reçu récemment le ministre djiboutien de l’enseignement supérieur ; il me faisait part des difficultés rencontrées par des étudiants pourtant détenteurs de bourses d’excellence du gouvernement djiboutien qui, faute de visa, se sont retournés vers la Belgique... mais aussi vers la Chine !
Enfin, pour nos écoles françaises à l’étranger, dont les frais de scolarité sont chaque année plus discriminants pour les étrangers, le signal de l’absence de perspectives en France constitue un signal inquiétant susceptible de remettre en cause leur équilibre financier et pédagogique. Car pourquoi suivre une scolarité française à l’étranger si elle n’offre aucune perspective de continuation dans notre enseignement supérieur ?
Autre point : l’absence de fonctionnement unitaire de l’État et l’absence de respect de la loi dans les textes réglementaires...
Nous avions été nombreux lors de la discussion budgétaire à dénoncer les conditions dans lesquelles sont reçus les étrangers dans certaines préfectures, malgré les augmentations exponentielles des taxes qui leur sont imposées. Procédures et conditions d’accueil semblent sorties du XIXe siècle...
Surtout, les préfectures n’interprètent pas de la même façon l’article L. 311-11 du CESEDA et les décrets et circulaires pris en application. Certaines fonctionnent bien ; d’autres refusent de donner des récépissés, ceux-ci ne donnant d’ailleurs pas toujours les mêmes droits. On se heurte aussi parfois à des refus de dépôt liés à des quotas journaliers déjà atteints ou à des dizaines d’heures d’attente... Ces témoignages, le Collectif du 31 mai aurait pu vous les transmettre afin d’améliorer le fonctionnement de vos services. Vous ne les avez pas reçus...
Un principe mérite aussi d’être clarifié. La France a besoin d’être attractive, d’attirer des étudiants étrangers. C’est une condition de sa bonne insertion dans les échanges de savoir au XXIe siècle. Elle ne saurait, par la faute de votre politique, perdre une place qu’elle a toujours eue historiquement. C’est fondamental car l’ouverture internationale est un moteur du développement économique, un réservoir essentiel de croissance.
C’est aussi important pour les jeunes Français qui, partis étudier à l’étranger, risqueraient de se voir appliquer une « réciprocité Guéant» et pourraient ainsi se retrouver punis dans leur recherche de stage ou d’emploi à l’étranger. Voilà, mes chers collègues, comment votre gouvernement aborde l’intégration de notre pays dans le monde de demain !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Enfin, dans plusieurs de vos textes réglementaires, vous faites référence, monsieur le ministre, à un retour obligatoire des étudiants dans leur pays d’origine.
Concernant des talents formés en France, ce principe est une erreur. Bien sûr, la France peut décider de ne pas leur accorder de droit de séjour, et, dans ce cas, ils partiront ailleurs, dans un pays qui leur convient mieux pour développer leur projet de vie. Mais nous aurons alors perdu des talents, tout comme leur pays d’origine.
Si les pays d’origine ont besoin de talents sans en avoir la capacité d’emploi,…
M. le président. Je vous demande de conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. … les étudiants n’y retourneront pas. Ils iront là où leur développement personnel sera le plus favorisé.
Mme Catherine Procaccia. La conclusion !
M. Jean-Yves Leconte. S’ils peuvent apporter leurs compétences à notre pays, pourquoi les renvoyer ailleurs ? Pourquoi toujours les renvoyer dans leur pays d’origine ?
M. le président. Mon cher collègue, je vous demande instamment de conclure !
M. Jean-Yves Leconte. Je conclus, monsieur le président.
Traiter chaque personne de manière égale dans ses droits, voilà comment on lutte contre le communautarisme ! En procédant ainsi, on contribue à l’émergence de sociétés civiles et on promeut la stabilité dans les pays qui en manquent. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.) Mais pour revenir dans son pays d’origine, encore faut-il pouvoir y être accueilli et lui apporter quelque chose.
M. Alain Gournac. Le disque est rayé !
M. Jean-Yves Leconte. De quoi est-il aujourd'hui question ? Mes chers collègues, vous l’avez compris (Oui ! sur les travées de l’UMP.), il est question de la France, de la liberté, de l’homme et du progrès.
M. le président. Je vous en prie : concluez !
M. Jean-Yves Leconte. Bref, il y va de l’intérêt et des valeurs de la France, qui sont, chaque jour, piétinés et dégradés par la politique du Gouvernement. Or la France et ses amis ne peuvent plus supporter une telle décision. C’est pourquoi les étudiants du Collectif du 31 mai, comme des milliers de Français, sont aujourd’hui en résistance. Et le Sénat est à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande d’écourter votre intervention lorsque votre temps de parole est dépassé. Le non-respect de cette règle rompt l’équilibre politique.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France compte aujourd’hui 3 millions d’immigrés en situation régulière, dont 278 000 étudiants étrangers inscrits dans l’enseignement secondaire et supérieur pour l’année scolaire 2010-2011. C’est une richesse pour notre pays, et je dirais même que c’est un honneur que d’accueillir des jeunes qui choisissent notre territoire pour y étudier, voire y travailler.
Mais, au lieu de s’en féliciter, nos gouvernants, acclamés par la droite, mais aussi par l’extrême droite, brandissent le spectre de l’invasion supposée de hordes d’étrangers à nos frontières pour dire de concert leur satisfaction d’avoir augmenté en 2011, par rapport à 2010, le nombre d’étrangers expulsés, atteignant le chiffre record de 32 922.
Mes chers collègues, il y a des records qui font froid dans le dos.
Mme Gisèle Printz. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Mais, même si nous la combattons, nous avons désormais l’habitude de la batonnite gouvernementale pour durcir encore et encore sa politique d’immigration, comme d’ailleurs sa politique en matière de sécurité.
Au fil de lois plus liberticides les unes que les autres, le Gouvernement est passé de la lutte contre l’immigration irrégulière à celle de la réduction de l’immigration régulière. La politique de l’immigration « choisie » mise en place par la loi du 24 juillet 2006, dite loi Sarkozy II, déjà très contestable par la distinction qu’elle instaure entre bons et mauvais immigrés – et c’est peu de dire que je l’ai contestée ! –, semble désormais tendre vers la restriction de toute immigration, quelle qu’elle soit.
Pour reprendre les mots d’Omar Saghi, enseignant-chercheur à Sciences Po Paris, « parmi les nouveaux “malvenus” de la famille européenne, figure désormais le “polytechnicien marocain” aux côtés du “plombier polonais” ». La crise a bon dos et justifie tous les extrêmes, avec lesquels flirte dangereusement la désormais tristement célèbre circulaire du 31 mai 2011.
Cette dernière a pour objet la « maîtrise de l’immigration professionnelle ». Elle appelle à une « rigueur » accrue, arguant de « l’impact sur l’emploi de l’une des crises économiques les plus sévères de l’histoire » pour justifier d’une grande « rigueur » dans la « diminution du flux ». Et cette circulaire prône un « contrôle approfondi » sur les changements de statut liés aux demandes de titres de travail émanant d’étudiants étrangers et limite l’exception prévue pour les étudiants qui sollicitent une autorisation provisoire de séjour de six mois dans le cadre d’une recherche d’emploi.
À ce jour, elle a ainsi mis pas moins de 1 000 diplômés dans une situation inadmissible, aboutissant à des situations ubuesques telles que l’arrêt de chantiers urbains à cause de la non-reconduction du titre de travail d’anciens étudiants chargés dudit chantier. Sans possibilité de travailler malgré les promesses d’embauche et sans ressources financières, ces personnes sont soumises à l’obligation de quitter le territoire français : elles ne vont donc pas tarder à gonfler les chiffres des expulsions du territoire, dont vous vous félicitez, monsieur le ministre.
Honteuse, cette circulaire est en contradiction même avec la loi Sarkozy II relative à l’immigration, qui a notamment permis le séjour en France d’étudiants étrangers de niveau master 2 qui disposent de promesses d’embauche, sans que puisse leur être opposée la situation de l’emploi.
Elle nuit également à l’image de la France à l’international, réduisant à néant les prétentions d’attractivité et de compétitivité internationale de la France au niveau de l’enseignement supérieur.
Les termes employés dans cette circulaire prêtent peu à confusion quant à ses objectifs : « Vous éviterez de donner une suite favorable au maintien dans un emploi [...] dès lors que cet emploi n’exige aucune qualification particulière et peut être pourvu soit par un demandeur d’emploi français ou étranger résidant régulièrement en France, soit par un autre étudiant. »
Cette circulaire est animée par une véritable volonté politique d’aligner la politique d’immigration sur le programme du Front national, qui s’incarne dans deux autres mesures.
La première mesure est le relèvement des ressources demandées pour étudier en France. Depuis le décret du 6 septembre 2011, les étudiants étrangers doivent justifier d’un revenu de 620 euros par mois, contre 460 euros précédemment, ce qui peut représenter, dans certains pays, une somme considérable.
La seconde mesure, introduite au début de cette année, concerne le relèvement, pour les étudiants étrangers diplômés, des frais liés à l’obtention de papiers pour entamer une carrière professionnelle. La taxe sur les titres de séjour pour étudiants, qui était auparavant comprise entre 55 euros et 70 euros, est alignée sur le régime commun et variera entre 280 euros et 385 euros.
Dans la droite ligne de la circulaire du 31 mai, ces dispositions visent à décourager fiscalement les diplômés étrangers à poursuivre leur carrière en France et, en amont, à décourager les étudiants étrangers de faire leurs études en France. Mais les politiques d’immigration xénophobes à visée électoraliste ont, sur ce point précis, rencontré fort heureusement de vives et légitimes oppositions, scandalisant l’opinion publique nationale et internationale.
Le Gouvernement est aujourd’hui amené à reculer sur cette mesure économiquement absurde, dommageable à l’image de la France et totalement inutile au regard du faible pourcentage que représentent ces étudiants parmi les demandes de titre de séjour.
Ainsi, le Gouvernement a tenté de mettre fin à la polémique avec une nouvelle circulaire en date du 12 janvier 2012. Celle-ci instaure un léger assouplissement, en rappelant que l’autorisation provisoire de séjour de six mois doit être accordée aux étudiants de master et prolongée pour ceux qui disposent d’un premier emploi ou d’une promesse d’embauche, sans être subordonné à l’examen préalable de la situation de l’emploi.
Cependant, cette autorisation de séjour reste provisoire, et la perspective doit rester à terme celle du retour dans le pays d’origine.
Quant aux autres changements de statut, ils restent soumis à « la nécessaire maîtrise de l’immigration professionnelle » et, s’il est rappelé qu’elle ne doit pas se faire « au détriment de l’attractivité de l’enseignement supérieur », l’autorisation est limitée aux étudiants à « haut potentiel » dans certains secteurs où « la connaissance approfondie d’un pays ou d’une culture étrangère peut constituer une compétence spécifique recherchée ».
Ces annonces ne sont pas satisfaisantes. La nouvelle circulaire ne lève l’opposabilité de l’emploi que dans un seul cas, celui auquel peu d’étudiants font appel car ils doivent s’engager par lettre dans une perspective de retour dans leur propre pays. Les « révisions » de cette circulaire ne réfutent donc pas le principe de la maîtrise de l’immigration régulière. Or c’est bien lui qui est en cause !
Assouplir la circulaire revient quoi qu’il en soit à limiter le droit des étudiants étrangers à travailler en France quelle que soit la situation de l’emploi en France. Les dommages causés sont graves, et la France doit faire un geste fort pour reconnaître la richesse que constitue la diversité de ses futurs travailleurs. Seul le retrait pur et simple de la circulaire permettrait de les réparer.
C’est pourquoi nous soutenons totalement la proposition de résolution qui nous est aujourd’hui présentée et nous continuerons de combattre l’existence de cette circulaire, révisée ou non.
En cette période encore propice aux vœux, j’en émets un : que la gauche sorte victorieuse des deux séquences électorales de mai et de juin prochains et que la nouvelle majorité de gauche à l'Assemblée nationale, avec celle qui a été élue ici en septembre dernier, abroge tous ces textes liberticides qui heurtent nos valeurs républicaines en portant atteinte à la dignité humaine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)