PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Monsieur le ministre, je veux vous poser une question. La réciprocité et le communautarisme sont des thèmes éculés. Quand bien même vous en parlez, il n’y aura pas plus de communautarisme demain qu’il n’y en a maintenant !
M. Roger Karoutchi. Si !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Je tiens d’ailleurs à rappeler à M. Béchu certains de ses propos, qui sont consignés dans mon rapport. Lors de l'examen du texte en commission, voici ce qu’il avait déclaré : « Ne prêtez pas au vote des étrangers des vertus qu’il n’a pas et évitons les phantasmes ! Il n’ouvre pas la porte à tous les communautarismes, pas plus qu’il n’est en soi un moyen d’intégration ».
Je m’aperçois que la droite change d’avis suivant les circonstances. (M. Christophe Béchu fait un signe de dénégation.) La commission s’est réunie il y a dix jours à peine ! Quoi qu’il en soit, je me refuse à répondre à tous ceux qui reprennent ces thèmes éculés, notamment celui de la réciprocité.
M. Roger Karoutchi. Il y a un règlement, monsieur le président !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Monsieur Gérard Larcher, je vous ai écouté, laissez-moi parler ! (Il n’a pas parlé ! et exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) Disons que je vous ai entendu maintenant ! (Sourires.) Franchement, on se croirait dans une cour de récréation !
Monsieur le ministre, vous ne cessez de répéter que ce n’est pas le moment de discuter du droit de vote des étrangers, au prétexte que la France aurait de nombreux problèmes à affronter. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) Monsieur Karoutchi, vous, je vous ai entendu (Nouveaux sourires.), laissez-moi parler, je vous prie !
M. le président. Madame le rapporteur, vous avez la parole.
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Monsieur le ministre, vous nous renvoyez sans arrêt à la loi Ciotti : elle n’est pas sitôt repartie qu’elle nous revient déjà ! Que je sache, 166 mômes que l’on va placer dans les EPIDE, en quoi est-ce le grand problème de la France ? Ce n’est qu’une loi d’affichage !
En revanche, répondez à ma question : pourquoi avez-vous changé d’avis ? Comme le disait la droite voilà trois ou quatre ans à peine, vous avez vous-même affirmé récemment, à l’occasion d’un déplacement à Milan, que vous n’étiez pas contre ce droit de vote, mais que la France n’était pas mûre.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Maintenant, la France l’est puisque 61 % des Français sont d’accord ! (M. Jean-Pierre Michel et Mme Odette Duriez applaudissent. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Dallier. Référendum !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Répondez à ma question, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Madame la rapporteure, je ne vous répondrai que sur un seul point. Je m’inscris totalement en faux contre ce que vous avez dit : non, le communautarisme n’est pas un thème éculé ; oui, il faut avoir cette réflexion à l’esprit, car ce thème reste pleinement d’actualité tant il est grave et lourd de sens pour notre communauté nationale.
Vous avez sans doute lu, puisque vous vous passionnez pour ces questions – à juste titre, parce qu’elles sont tout à fait passionnantes –, le rapport piloté par Gilles Kepel sur la situation de deux communes en Seine-Saint-Denis.
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. Claude Guéant, ministre. Je trouve qu’il est extrêmement grave que, dans notre République, puisse poindre le spectre de collectivités qui n’obéissent plus aux lois de la République,…
Mme Christiane Demontès. Et quand le Président de la République parle de Kärcher ?
M. Claude Guéant, ministre. … qui préfèrent être régies par leurs propres lois ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. Nous passons à la discussion des motions.
M. Christophe Béchu. Je demande la parole, monsieur le président.
M. le président. Monsieur Béchu, je vous donnerai la parole tout à l’heure.
M. Christophe Béchu. J’ai été mis en cause, monsieur le président !
M. le président. Les prises de parole pour fait personnel ont lieu en fin de séance, monsieur Béchu. J’ai bien noté votre demande.
Mlle Sophie Joissains. L’attaque a été publique !
M. Christophe Béchu. Je ne demande qu’une minute, monsieur le président.
M. le président. Même pour une minute, je ne puis vous donner la parole en cet instant, mon cher collègue. Le problème, dans ce genre de débats, c’est que les minutes ont facilement tendance à s’accumuler !
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 143, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, auteur de la motion.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si, bien entendu, cette proposition de loi constitutionnelle a peu de chances d’aboutir,…
M. Gérard Larcher. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. … dans l’immédiat tout du moins,…
M. Éric Doligé. On l’espère !
M. Jean-Jacques Hyest. … et même dans un proche avenir, est-ce bien l'objectif recherché par ses auteurs ?
Mme Christiane Demontès. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Rien n’empêche de débattre de la question ! C’est d’ailleurs ce que nous faisons depuis de nombreuses années.
Personnellement, je déplore l’instrumentalisation de cette question par la majorité de notre assemblée.
Mme Éliane Assassi. Cela a déjà été dit maintes fois !
M. Jean-Jacques Hyest. Oui, mais j’ai le droit de le dire aussi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh que oui ! Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Nous pouvons d’ailleurs nous interroger.
Le clivage entre les opinions diverses n’est pas aussi simple qu’il y paraît.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. En effet, certaines personnalités ont dit qu’elles étaient favorables à ce vote, tandis que d’autres faisaient savoir qu’elles ne l’étaient pas. Personnellement, j’y ai toujours été défavorable, je vous expliquerai tout à l’heure pourquoi.
Mon cher collègue Placé,…
M. Gérard Larcher. Il est parti !
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Il est à la télé !
M. Jean-Jacques Hyest. Je crois vraiment que M. Placé a mal lu l’ouvrage de Bernard Stasi dont je m’honore d’avoir été l’ami fidèle.
Je pense qu’on ne peut pas utiliser des arguments faux, car Bernard Stasi était partisan de favoriser l’acquisition de la nationalité française, et certainement pas pour faire des étrangers des citoyens de seconde zone ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. David Assouline. C’est vrai !
Mme Marie-France Beaufils. Personne n’a parlé de Bernard Stasi !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est M. Placé qui l’a cité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On pourrait parler de Philippe Séguin !
M. Jean-Jacques Hyest. Comme beaucoup d’entre vous, je me suis replongé dans une lecture extrêmement intéressante, celle des débats sur l’actuel article 88–3 de la Constitution en 1992, lequel n’a donné lieu à une loi organique d’application qu’en 1998. C’est assez dire que le temps médiatique ne s’accorde pas souvent avec le temps législatif. J’ajoute, bien entendu, qu’aucune proposition de loi constitutionnelle n’a jamais abouti. Aucune ! Cela signifie bien qu’on est dans un autre débat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
On pourrait m’objecter que l’exception d’irrecevabilité n’est pas pertinente. M. le président de la commission des lois ne m’a pas encore dit : où est l’inconstitutionnalité ? Mais il va bientôt le faire !
S’agissant d’une proposition de loi constitutionnelle, l’exception d’irrecevabilité n’est pas pertinente.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Voilà ! Vous avez tout dit !
M. Jean-Jacques Hyest. Attendez ! Et même si le juge constitutionnel n’a pas à se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une norme constitutionnelle,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. … il doit le faire obligatoirement sur les lois organiques.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous n’en sommes pas là !
M. Jean-Jacques Hyest. D’où l’importance d’une rédaction précise et claire des dispositions constitutionnelles, sauf à rendre impossible le contrôle par le juge constitutionnel.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. Rien n’empêche, ne vous en déplaise, monsieur le président Sueur, de relever les contradictions qui existent entre la proposition de loi et les autres dispositions constitutionnelles concernant la citoyenneté et le droit de vote.
La règle essentielle dans ce domaine est inscrite à l’article 3 de la Constitution qui précise, dois-je vous le rappeler, que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. » Plus loin, dans ce même article, on lit surtout que « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. » On fait ici référence à ce que les anglo-saxons appelleraient les « droits civiques ».
Il apparaît clairement que votre texte, renvoyant, certes, à une loi organique, n’a pas la même exigence que ce qui fait la règle générale pour avoir la qualité d’électeur, ce qui est paradoxal, mais en vous étant calqué sur l’article 88–3, vous n’avez pas défini les règles essentielles et constitutionnelles pour les électeurs étrangers, qui sont imposées pour les citoyens français.
Par ailleurs, et c’est sûrement ce qui nous différencie de votre approche, – vous l’avez très bien rappelé tout à l’heure, monsieur le ministre – c’est la différence existant entre les ressortissants de l’Union européenne et les étrangers – au moins en situation régulière et dont la durée de séjour est suffisante. Car il existe une véritable citoyenneté européenne qui confère à ceux-ci des droits spécifiques et politiques. Madame le rapporteur, vous avez bien cité la décision de 1992.
Il ne s’agit pas seulement de la participation des citoyens européens aux élections municipales, il s’agit, surtout, et je crois que c’est le plus important, de leur participation aux élections au Parlement européen. Je vous renvoie, d’ailleurs, à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en ses articles 39 et 40, qui précisent le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen des citoyens de l’Union européenne : « dans les mêmes conditions » que les ressortissants de l’État membre où il réside. On exige les mêmes conditions !
L’article 40 répond aux mêmes exigences. La combinaison de la conformité du droit de vote des étrangers européens à celui des nationaux constituant une exception – d’où le terme « seuls » que vous souhaitez supprimer à l’article 88–3 – au principe de l’article 3, et sous réserve de réciprocité, reconnaît donc bien la spécificité de la citoyenneté européenne, dont les traités successifs ont d’ailleurs affirmé l’existence de droits civils particuliers ; je pense, par exemple, à la liberté de circulation, à la liberté d’installation. Les citoyens européens ont des droits que n’ont pas les autres étrangers. Souhaitez-vous que ces mêmes principes s’appliquent à tous les étrangers, c’est-à-dire qu’ils puissent circuler librement et passer à leur gré toutes les frontières ?
Rien dans votre texte ne précise les mêmes conditions pour être électeur que les citoyens français ou européens, et il nous semble que la loi organique n’est pas la garantie de règles en matière de droit de vote, même s’il s’agit d’élections locales.
Pas d’exigence d’avoir des droits civils et politiques – comment les vérifier, d’ailleurs ? –, pas de réciprocité, même pas la condition de majorité civile, ce qui, vous en conviendrez, est paradoxal !
Je me suis posé une question. L’article 88–3 fait mention d’« une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. » En effet, cette loi concerne le Sénat en ce sens que, indirectement, même si c’est négativement, cela concerne l’élection des délégués sénatoriaux.
M. Claude Léonard. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Et nous sommes très attachés, du moins je l’espère, à nos prérogatives. Ce qui a été fait pour le texte de 1992 aurait dû être étendu, au nom du parallélisme, puisque votre texte pose les mêmes conditions.
C’est pourquoi, sur le plan de la logique juridique et de la cohérence des dispositions constitutionnelles, votre texte est contradictoire et inapplicable. Mais vous n’en avez sans doute cure.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pas du tout !
M. Jean-Jacques Hyest. En effet, votre objectif n’est pas là puisqu’il est uniquement politicien. (M. Éric Doligé opine et Mlle Sophie Joissains applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non ! Ce n’est pas très relevé, comme argument !
M. Jean-Jacques Hyest. Reste une question fondamentale que le rapport de Mme Benbassa étudie un peu, en citant quelques constitutions anciennes alors que la tradition constante de notre pays est de lier citoyenneté et droit de vote. Parmi ces constitutions, il en est qu’il ne faut pas lire complètement, la Constitution votée par la Convention, par exemple. Je le dis, franchement, chaque fois que je la lis, j’en ai froid dans le dos !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je sais !
M. Jean-Pierre Michel. Kaput !
M. Jean-Jacques Hyest. Je vous la lirai, monsieur Michel ! (M. Jean-Pierre Michel s’exclame.) On y disait aussi qu’on pouvait tout de suite, sans jugement, « zigouiller » les hommes libres !
M. Bruno Retailleau. Formidable !
M. Jean-Jacques Hyest. Une période formidable, en effet !
D’aucuns ont fait allusion à quelque chose de très intéressant : tous ceux qui venaient en France et qui s’associaient parce qu’il s’agissait de gens remarquables – il y en a eu heureusement beaucoup dans l’Histoire ! – devenaient automatiquement citoyens français. Je suis tout à fait d’accord pour qu’un grand prix Nobel, désireux de s’installer en France, se voie accorder la nationalité. Cela ne me choque pas du tout ! Telle est en effet notre caractéristique.
La distinction entre les Droits de l’homme et du citoyen que fait le préambule de 1789 implique à la fois le respect de toute personne dans ses droits fondamentaux, mais réserve le droit de vote aux citoyens, détenteurs seuls de la souveraineté, ce que rappelle l’article 3 de notre constitution, après beaucoup d’autres, depuis près de deux siècles.
M. Bruno Retailleau. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest. L’argument pour accorder le droit de vote aux étrangers résidant en France, parce qu’ils paient des impôts et que leurs enfants vont à l’école, ne tient pas.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est vous qui le dites !
M. Jean-Jacques Hyest. Car il peut y avoir des citoyens français qui ne paient pas d’impôts…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les citoyens du Lac Léman, par exemple !
M. Jean-Jacques Hyest. … et qui n’ont pas d’enfants.
M. Éric Doligé. C’est juste ! Il faut les faire voter.
M. Jean-Jacques Hyest. Ceux-là ne votent pas. Qu’est-ce que cela signifie ? Pour être électeur, il ne suffit pas d’avoir des prestations ou de participer à un certain nombre de choses. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
La question pertinente est celle-ci : existe-t-il une citoyenneté locale différente de la citoyenneté ? Toute notre histoire politique a été, tout en admettant les diversités locales, de constituer une nation unique, dont les citoyens sont les acteurs.
On me donne souvent des comparaisons internationales en ce qui concerne le vote des étrangers aux élections locales. D’abord, il n’est pas aussi répandu que vous l’affirmez. Il a même fallu chercher des cantons suisses !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les cantons suisses, c’est très important !
M. Jean-Jacques Hyest. Ensuite, je vous rappellerai que, dans un certain nombre de pays, ce vote des étrangers aux élections locales – et j’en suis profondément troublé – a entraîné du communautarisme (Mme Éliane Assassi s’exclame.) et la montée des extrêmes droites !
M. Éric Doligé. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et en France, comment l’expliquez-vous, la montée de l’extrême droite ?
M. Jean-Jacques Hyest. Voulez-vous que je vous cite un certain nombre d’exemples en Europe ? (Oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Jean-Jacques Hyest. Les Pays-Bas,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et vous allez nous faire croire que la montée de l’extrême droite en France, c’est pour les mêmes raisons ?
M. Jean-Jacques Hyest. C’est pareil ! C’est le même processus !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela suffit ! On sait très bien comment s’explique la montée de l’extrême droite en France !
M. Jean-Jacques Hyest. Ne hurlez pas ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Si vous l’encouragez, cela va continuer à monter,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec vous, ça va monter, oui !
M. Jean-Jacques Hyest. … mais c’est peut-être ce que vous cherchez !
Bien souvent, cette participation des étrangers aux élections locales se fait sous réserve de réciprocité, excepté, bien entendu, dans les pays du Commonwealth, héritiers de la colonisation britannique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme s’il n’y avait pas eu de colonies françaises !
M. Jean-Jacques Hyest. Je le rappelle, nous connaissons bien ce cas spécifique, avec la réintégration de certaines personnes issues de pays antérieurement français dans la nationalité française.
Mme Éliane Assassi. Pas tous !
M. Jean-Jacques Hyest. Puisqu’on y a mis fin, vous le savez fort bien, madame Assassi, et, d’ailleurs, par des gouvernements de gauche ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Je parle de la réintégration ; c’était autre chose !
Mais ce qui nous différencie profondément d’autres États, c’est notre droit de nationalité.
M. Jean-Jacques Hyest. J’ai relu avec attention les travaux de la commission de la nationalité présidée par Marceau Long – je vous en conseille d’ailleurs la lecture –, parus en 1988, qui sont très éclairants pour notre sujet.
M. Bruno Retailleau. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Même si beaucoup d’États européens ont progressivement renoncé au seul « droit du sang », et même si l’opposition entre le droit du sol et le droit du sang n’a jamais été pertinente dans notre droit, il faut convenir que nous avons des conditions d’accès à la nationalité qui demeurent, à l’exception du cas particulier des États-Unis, les plus ouvertes en Europe. On pourra m’objecter que c’est de plus en plus compliqué. Parfois, je regrette la multiplication des obstacles. Il faut, bien sûr, éviter les fraudes mais je pense que notre pays devrait être plus offensif dans ce domaine pour acquérir la nationalité française. C’est toujours ce que j’ai défendu.
M. François Rebsamen. C’est bien !
M. Jean-Jacques Hyest. La nationalité est fondée essentiellement sur l’élection – beaucoup d’auteurs le disent, élire, c’est choisir. En une période où l’intégration des étrangers est plus difficile, pour des raisons sociales et économiques, faut-il renoncer à considérer que les étrangers installés durablement sur notre sol, pour devenir citoyens, peuvent le faire en devenant français ? On ne saucissonne pas la citoyenneté, comme le rappelait récemment le ministre Jean-Pierre Chevènement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le cas pour les Européens !
M. Jean-Jacques Hyest. J’ai expliqué que la citoyenneté européenne existe !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, elle n’existe pas !
M. Jean-Jacques Hyest. Ne créons pas, par une réforme mal conçue, une citoyenneté à deux vitesses, l’une purement utilitariste, l’autre, qui est la vraie spécificité de notre pays et sa grandeur depuis de nombreux siècles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. Bruno Retailleau. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, contre la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous les qualités de juriste de Jean-Jacques Hyest.
M. Bruno Retailleau. Elles sont évidentes !
M. Jean-Pierre Sueur. Et nous avons eu beaucoup de sympathie pour lui, en l’occurrence, car, comme il a commencé à dire, à très juste titre, qu’il n’y avait pas de fondement à déférer devant le Conseil constitutionnel une loi constitutionnelle, tout était dit au bout de la troisième minute si bien qu’après, naturellement, il fallait, en quelque sorte, meubler ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Il l’a fait avec sa conviction mais avec des arguments qui étaient quelque peu ébréchés par sa déclaration initiale.
Mes chers collègues, je vais revenir sur cette question, qui a traversé tout le débat, du rapport entre nationalité et citoyenneté, en redisant que dans les sources historiques de notre République, il y a des conceptions de la citoyenneté qui ne sont pas liées à la nationalité.
C’est évident : vous n’aimez pas, je l’ai bien compris, que l’on cite la constitution de l’An I (Mme Joëlle Garriaud-Maylam s’exclame.), qui fait pourtant partie de notre histoire. M. Bruno Retailleau ne l’aime pas non plus.
M. Bruno Retailleau. C’est vrai ! Je n’aime pas la Terreur !
M. Jean-Pierre Sueur Nous pourrions, si vous le voulez, monsieur Hyest, nous en tenir à la Constitution du 3 septembre 1791, qui, comme vous le savez, dispose dans son article 3 que « Ceux qui, nés hors du royaume de parents étrangers, résident en France, deviennent citoyens français, après cinq ans de domicile continu dans le royaume, s’ils y ont, en outre, acquis des immeubles ou épousé une Française […] »
Pour ma part, j’aurais plutôt inversé l’ordre, de sorte que l’on puisse lire : « épousé une Française ou acquis des immeubles » ! (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, monsieur Hyest, voici ce que M. Marceau Long, éminent vice-président du Conseil d’État que vous avez vous-même cité, écrit sur la nationalité : « Après 1791, la notion finit par être absorbée par celle de citoyenneté, tant est puissant l’idéal d’universalité et d’internationalisme de l’Assemblée législative ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Et Marceau Long ajoute : « Tout homme fidèle aux idées révolutionnaires, quelle que soit son origine, est digne d’être citoyen ».
M. Bruno Retailleau. C’est le sens de la naturalisation : adhérer à un projet collectif.
M. Jean-Pierre Sueur. La Constitution du 3 septembre 1791 est l’une des sources de notre histoire, de la même manière que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, dont vous savez qu’elle continue à faire partie de notre bloc de constitutionnalité.
Il est vrai, monsieur Hyest, que la proposition de loi constitutionnelle déroge aux articles 3, 24 et 72 de la Constitution, c’est une évidence. Mais vous n’ignorez pas que, dans sa décision du 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il est loisible au pouvoir constituant « d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée » et qu’« ainsi rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle », ajoutant que « cette dérogation peut être aussi bien expresse qu’implicite ».
Enfin, monsieur Hyest, puisque vous avez également fait allusion à l’alinéa 5 de l’article 89 de la Constitution…
M. Jean-Jacques Hyest. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Sueur. Il m’avait semblé… Disons donc que, dans l’hypothèse où vous vous seriez appuyé sur cette disposition, votre démarche aurait été vouée à l’échec. En effet, dans sa décision du 26 mars 2003, le Conseil constitutionnel a jugé que « le Conseil constitutionnel ne tient ni de l’article 61, ni de l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle. »
Pour finir tout à fait, mon cher collègue, j’observe que la dernière partie de votre argumentation portait sur une loi organique à venir… Ce n’est pas la question qui se pose aujourd’hui !
À la vérité, comme vous savez bien que rien ne permet de déclarer inconstitutionnelle la présente proposition de loi constitutionnelle, vous vous retranchez derrière une future et éventuelle loi organique… N’ayez crainte ! Comme loi organique, elle sera forcément soumise au Conseil constitutionnel : vos soins et vos soucis auront donc été des précautions inutiles !
Je considère donc, mes chers collègues, qu’il n’y a pas d’argument pour voter la motion de M. Jean-Jacques Hyest tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. Pouvons-nous considérer, monsieur le président de la commission des lois, que vous avez exprimé l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En quelque sorte, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Comme vient de le reconnaître M. Sueur, un problème de cohérence existe entre la mesure proposée et d’autres dispositions qui continueraient de figurer dans la Constitution, notamment son article 1er, qui dispose : « La France est une République indivisible ». La France n’est pas une mosaïque de communautés ! (M. David Assouline s’exclame.)
Je veux aussi citer l’article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Dans l’exercice de cette souveraineté, les élections locales ne sont pas distinguées des élections nationales.