Mme Éliane Assassi. Mais il y a des pays où les étrangers ont le droit de vote !
M. Roger Karoutchi. … et qui a le plus vocation à intégrer.
Il y a bien sûr des difficultés, et je ne confonds pas intégration et respect de l’étranger qui travaille et vit ici, mais il faut qu’il y ait un vrai débat sur notre système d’intégration. Voyons pourquoi le modèle social, le modèle républicain n’intègre plus aussi bien que par le passé. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV. – Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Samia Ghali. La faute à qui ?
M. Roger Karoutchi. Je vous le dis, vous vous trompez de combat ! Posons-nous les bonnes questions : comment mieux intégrer et profiter de l’apport de toutes celles et ceux qui pourraient devenir Français ? En défendant le droit de vote des étrangers, vous donnez au contraire le sentiment qu’il n’y a pas besoin d’intégrer la nation française pour en être partie prenante. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
C’est une erreur ! La nation, je vous le rappelle, mes chers collègues, était une idée de gauche. J’ai entendu beaucoup parler du XIXe et du XXe siècle, mais qui a dit que c’était la nation qui était souveraine ? Les révolutionnaires !
M. Bruno Retailleau. Et Jaurès !
M. Roger Karoutchi. Les monarques, eux, niaient la nation pour mettre en avant leur légitimité divine.
Une nation existe, et c’est cette nation qui est le creuset de la République et fait la force de la France. Croyez-vous sincèrement que ce moment de doute, où la légitimité de chacun de nos actes est une véritable interrogation, soit un moment bien choisi pour remettre en cause le droit de vote ?
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste-EELV. C’est le moment pour cette loi !
M. Roger Karoutchi. C’est plutôt le moment de rassembler la nation !
Le droit de vote, c’est le droit de voter à toutes les élections et d’être un Français à part entière, parce qu’il n’y a pas de nationalité de deuxième ordre dans une véritable nation.
D’aucuns s’étonnaient tout à l’heure d’un ton léger que certains votent et d’autres non. Mais aucune nation n’est supérieure aux autres ! C’est un honneur que les Tunisiens qui vivent en France aient participé aux élections législatives qui se sont déroulées en Tunisie : c’est bien !
Mme Éliane Assassi. Ne mélangeons pas tout !
M. Roger Karoutchi. À quel titre pouvons-nous réclamer qu’ils soient dans la nation française ou de nationalité française ? La nation, c’est quelque chose qui appartient à chaque peuple et ce peuple a le droit d’intégrer, de s’ouvrir, d’être tolérant, d’être respectueux.
Je vous le dis : c’est un mauvais débat, c’est un mauvais combat. La République vaut mieux que cela ! (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, allais-je dire, mais il est parti, monsieur le ministre, vous qui êtes resté,…
M. Pierre Charon. On n’est pas au Club Med !
M. Jean-Vincent Placé. … madame la rapporteure et chère Esther, mes chers collègues, il était temps ! Le droit de vote des étrangers aux élections locales, les écologistes le défendent, sans failles, depuis longtemps. Déjà, en 2000, mon ami Noël Mamère était le rapporteur de ce texte à l'Assemblée nationale.
M. Éric Doligé. Quelle référence ! Quel souvenir !
M. Jean-Vincent Placé. Aujourd’hui, c’est Esther Benbassa qui assume cette fonction au Sénat. Je salue le travail remarquable qu’elle a accompli avec culture,…
M. Éric Doligé. Culture OGM !
M. Jean-Vincent Placé. … conviction, dignité, enthousiasme.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et cœur !
M. Jean-Vincent Placé. C’est avec une grande fierté que je soutiens aujourd’hui, au nom de l’ensemble des écologistes, cette proposition de loi constitutionnelle hautement symbolique, qui s’inscrit dans l’histoire de notre pays.
Après le droit de vote des femmes,...
Mme Catherine Troendle et M. Roger Karoutchi. C’est de Gaulle !
M. Jean-Vincent Placé. ... qui a été fortement critiqué et ralenti au Sénat – certes, ce n’étaient pas les mêmes sénateurs qui siégeaient et les intentions politiques étaient différentes, mais la dimension religieuse y avait une grande part –, après le droit de vote des citoyens intracommunautaires, nous avons enfin l’opportunité d’accorder le droit de vote aux étrangers résidant en France, comme le rappelait ma collègue Samia Ghali, pour qu’enfin il n’existe plus, en France, de citoyens de « seconde zone ».
Certaines et certains n’hésitent pas à instrumentaliser ce débat à des fins bassement politiciennes (Rires sur les travées de l’UMP.),...
M. Éric Doligé. C’est un comique !
M. Jean-Vincent Placé. ... n’hésitant pas à stigmatiser nombre de nos concitoyennes et concitoyens. À croire que, pour eux, et manifestement pour certains d’entre vous, mes chers collègues de l’opposition, les étrangers n’ont qu’un droit, celui d’avoir des devoirs. (Oh non ! sur les mêmes travées.)
Mme Catherine Troendle. Absolument pas !
Mlle Sophie Joissains. C’est scandaleux !
M. Jean-Vincent Placé. Je n’en dirai pas davantage. La « préférence nationale », nous la laissons à d’autres, notamment à Mme Le Pen qui vous a fait le plaisir de venir vous soutenir dans votre opposition devant la Haute Assemblée tout à l’heure ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
Un sénateur de l’UMP. Caricature !
M. Éric Doligé. C’est un mauvais début !
M. Jean-Vincent Placé. Attendez la fin !
Profondément attachés à la lutte contre les discriminations, les écologistes estiment qu’il est urgent de mettre un terme à cet apartheid politique. (Mlle Sophie Joissains s’exclame.)
Toutes ces femmes et ces hommes vivent en France, contribuent à créer la richesse nationale, s’acquittent de leurs impôts, participent à la vie locale, comblent le trou de la sécurité sociale que vous contribuez à creuser encore et encore.
Mlle Sophie Joissains. C’est le retour du vote censitaire !
M. Jean-Vincent Placé. Peut-on encore avoir, en France, des « sous-citoyens » honteusement écartés des urnes, alors que, comme l’ont rappelé le président Rebsamen et plusieurs orateurs, ils sont membres des conseils d’école, délégués du personnel ou encore investis dans un syndicat ou une association, et même comptabilisés pour déterminer le nombre de conseillers municipaux de leur mairie ?
M. Bruno Retailleau. Il faut leur donner le droit de vote national, alors !
M. Jean-Vincent Placé. En 2011, c’est tout simplement injuste et absurde ! Nous sommes l’un des derniers pays en Europe à n’accorder aucun droit politique aux ressortissants non communautaires. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Rémy Pointereau. C’est faux !
M. David Assouline. Si, c’est vrai !
M. Jean-Vincent Placé. Ce sujet mérite amplement d’être envisagé avec un peu de hauteur – et non pas… avec bassesse, allais-je dire, mais c’eût été excessif – car il dépasse tous les clivages et fait appel, avant tout, à notre amour de la République et des valeurs de la France des droits de l’homme et du citoyen qu’en tant que sénatrices et sénateurs nous défendons tous ici.
Au-delà des valeurs d’intégration sociale et d’égalité partagées par l’ensemble de la gauche, les écologistes sont favorables au droit de vote des étrangers, car il favorisera la démocratie locale, à laquelle nous sommes extrêmement attachés comme outil indispensable du développement durable.
M. Jean-Vincent Placé. À vrai dire, pour aller jusqu’au bout de mon raisonnement, M. Karoutchi le sait, je souhaite même que nous allions plus loin et que, à terme, nous étendions le droit de vote aux étrangers à toutes les élections locales, comme le proposait Nicolas Sarkozy en 2005,…
M. Éric Doligé. Il n’a pas dit cela !
M. Bruno Retailleau. Et aux élections nationales ?
M. Jean-Vincent Placé. … et nous aurons, je l’espère, l’occasion d’en reparler dans les années à venir.
Ce texte représente donc un premier pas positif et ambitieux.
M. Bruno Retailleau. Pourquoi pas aux élections nationales ?
M. David Assouline. On va en parler !
M. Jean-Vincent Placé. Pour conclure, mes chers collègues, pour le jeune parlementaire que je suis, c’est une très grande fierté et un immense honneur de vivre ce moment important. Vous le voyez peut-être, je ne suis ni Coréen ni national.
M. Francis Delattre. Ni modeste ! (Plusieurs sénateurs de l’UMP s’esclaffent.)
M. Jean-Vincent Placé. Je ne l’ai jamais revendiqué, cher ami ! (Sourires.)
Je suis Français, patriote et fier de l’être.
M. Éric Doligé. Et alors ?
M. Pierre-Yves Collombat. C’est un peu ringard, non ?
M. Jean-Vincent Placé. Je m’inscris à cet égard dans les principes et valeurs portés par un grand ministre centriste,…
M. Rémy Pointereau. Edgar Faure !
M. Jean-Vincent Placé. … républicain et humaniste, qui a écrit en 1984 un magnifique ouvrage…
M. Yves Pozzo di Borgo. … Bernard Stasi !
M. Jean-Vincent Placé. … L’Immigration, une chance pour la France.
M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait !
M. Jean-Vincent Placé. C’est pour cela que, au-delà de la majorité sénatoriale que je sais unie et rassemblée – j’ai aussi apprécié, avec quelques nuances, l’excellent discours de Jacques Mézard (Sourires sur les travées de l’UMP.), je lance un appel sincère, amical et franc à nos collègues démocrates, centristes, radicaux, républicains, mais aussi gaullistes sociaux – vous le savez, monsieur Karoutchi, le Premier ministre et vous-même en faisiez partie avec Philippe Séguin – : inscrivez-vous dans la belle tradition humaniste de Bernard Stasi.
Je vous invite au courage de la liberté et de la conviction. Ayez le courage non pas de dire oui à la majorité sénatoriale, mais de dire oui à une conception qui, j’en suis sûr, nous est commune, celle de la France éternelle,...
M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas de France éternelle !
M. Jean-Vincent Placé. ... belle, généreuse et accueillante, et donc plus forte et plus rayonnante.
Mes chers collègues, vive la France et vive la République ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV. – Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, monsieur le ministre, chère Esther, mes chers collègues, je crois que la France n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle porte la tête haute en assumant sa diversité, comme nous avons pu le voir aujourd'hui à cette tribune.
Je suis fière de notre pays, quand il est capable de porter au plus haut sommet de l’État des hommes dont le nom à consonance étrangère rappelle leur origine diverse. Mais, ces dernières années, notre grand pays a eu tendance à se replier sur lui-même, à avoir peur de l’autre, à oublier tous les fils des autres nations qu’il avait accueillis. On pensera ici à Pablo Picasso, Jorge Semprun ou Romain Gary, qui ont su mieux que quiconque contribuer au rayonnement de la France, ou encore à Émile Zola, Robert Badinter, Françoise Giroud, Serge Gainsbourg et Coluche : ils sont la France. (Plusieurs sénateurs de l’UMP s’exclament.)
M. Éric Doligé. Ils sont Français !
Mme Frédérique Espagnac. Ne vous inquiétez pas, messieurs, j’y viens !
On pensera aussi, plus modestement, aux gens que l’on croise dans nos cités, sur les chantiers, dans les usines, dont certains ont, comme mon arrière-grand-père, fui des régimes autoritaires et trouvé en France une terre d’accueil.
La question du droit de vote des étrangers aux élections municipales est intimement liée à notre histoire, à nos paradoxes. C’est un sujet que les forces progressistes revendiquent collectivement depuis 1981. Il n’était que temps d’inscrire cette proposition de loi constitutionnelle à l’ordre du jour d’un Sénat de gauche, cher monsieur Mézard.
Face aux critiques et caricatures lancinantes, nous devons aujourd’hui affirmer qu’accorder le droit de vote des étrangers aux élections municipales, c’est avoir conscience que l’épanouissement de chacun est lié à la promotion du groupe. Nous vivons actuellement sous le règne d’une défiance généralisée : peur de l’avenir économique, social, peur de l’autre, de la différence. Il est grand temps de « refaire société » comme le dit Pierre Rosanvallon.
Le droit de vote des étrangers, qui place l’égalité comme condition première de notre « vivre ensemble », s’inscrit dans ce mouvement inéluctable de justice contre lequel il sera difficile de lutter plus longtemps. En participant à la vie de tous les jours, en payant les charges qui leur incombent, ces « étrangers » sont déjà des citoyens auxquels ce statut est dénié. Or, nous le savons, l’inscription dans la cité présuppose l’égalité.
Alors qu’est donnée aux étrangers communautaires la possibilité de voter, ceux qui ont tant donné à la France en sont privés ! M. le Premier ministre a avancé l’argument selon lequel la nationalité serait la condition sine qua non de la citoyenneté. Or, en effet, monsieur Karoutchi , depuis le traité de Maastricht de 1992, qui a institué une citoyenneté de l’Union européenne avec un droit de vote municipal et européen pour les ressortissants des États membres, une rupture entre la nationalité et la citoyenneté s’est opérée.
Mme Christiane Demontès. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Frédérique Espagnac. Les pourfendeurs du droit de vote des étrangers se trompent de débat et d’époque : ils devraient avoir en mémoire que les femmes de nationalité française n’étaient pas des citoyennes de 1848 à 1944.
Un sénateur de l’UMP. Ça n’a rien à voir !
Mme Frédérique Espagnac. On ne peut plus continuer à soutenir que ne sont citoyens que ceux qui font allégeance pleine et entière en acquérant la nationalité, sans risquer de paraître bien loin de la réalité quotidienne de nos territoires.
Certains pensent que les Français ne seraient pas prêts, M. Accoyer l’affirmait voilà peu. Pourtant, ils sont 61 % à le vouloir et 75 % des jeunes y sont favorables. Il est grand temps que les élus de la nation que nous sommes et surtout le Gouvernement se remettent à prêter attention à ce que cherche à nous dire le peuple français. Ne pensez-vous pas que les descendants d’étrangers se sentiraient enfin pris en compte si le droit de vote était accordé à leurs parents, si la République leur donnait la place qu’ils méritent, en leur disant que, demain, ils pourront aller s’inscrire sur les listes électorales et que leur voix sera enfin écoutée ?
Le coup de semonce de l’automne 2005 n’aura donc pas servi. Depuis dix ans, ces gouvernements attisent les haines en faisant régner la peur entre les différentes catégories de population. Ils se permettent de penser qu’il suffirait d’un kärcher pour régler des décennies de frustration. Selon moi, le mal est plus profond et le droit de vote serait un élément de réponse au ressentiment d’une partie de notre population à l’égard d’une société qui semble ne pas lui offrir les moyens de construire son existence. Je crois profondément que, dans certaines parties de notre territoire, un bulletin de vote serait bien plus efficace qu’un escadron de CRS. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) J’assume !
Entre les stigmates d’une mondialisation démesurée, d’un côté, et la difficile construction européenne, de l’autre, il reste un espace : celui du local. Cette notion, aux contours imprécis, est un univers concret, un territoire de possibilités. C’est l’espace du quotidien et du cadre de vie. C’est un lieu de carrefour, de rencontres, de circulations d’idées. La démocratie locale est propice à la cohésion sociale : le logement, l’école, les équipements collectifs sont autant de problèmes concrets, partagés par tous les habitants, quelle que soit leur nationalité.
Certains s’y opposent en agitant les chiffons rouges du communautarisme, du fondamentalisme. Cependant, loin des constructions symboliques et autres fantasmes identitaires, cette proposition de loi constitutionnelle ne souhaite qu’une chose : donner la possibilité aux étrangers résidant en France depuis plusieurs années de pouvoir voter aux élections municipales. Elle exclut l’accès des étrangers aux fonctions de maire ou d’adjoint ainsi que leur participation à d’autres élections pour l’instant. En rien, le droit de vote ne s’apparenterait à un repli identitaire, au contraire !
Ces gens participent déjà, comme le disait Jean-Vincent Placé, aux élections des comités d’entreprise, aux élections prud’homales, aux élections de parents d’élèves ; ils siègent aux conseils d’administration des caisses de sécurité sociale, des offices d’HLM, etc. Certaines municipalités ont même commencé à associer la population étrangère à la vie politique locale par le biais de différentes structures à caractère consultatif. Le succès que rencontrent ces dispositifs souligne la volonté des étrangers de prendre part à la cité. Il y a donc là une forme d’hypocrisie dont nous nous rendons coupables en refusant d’y remédier.
Ne nous y trompons pas : cette question n’est pas un enjeu électoral pour le parti socialiste (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.),…
M. Philippe Dallier. Mais non, voyons !
Mme Catherine Procaccia. C’est quoi, alors ?
Mme Frédérique Espagnac. … qui proclame ce droit depuis des décennies. Mais elle l’est bel et bien pour le Gouvernement, qui se doit de ratisser des voix à la droite des contours de la majorité gouvernementale. Il y a ceux qui n’ont pas voulu voir depuis de nombreuses décennies que la France avait évolué. Et il y a ceux qui se battent pour la promotion d’une intégration aboutie et accomplie. Je préfère faire partie de ceux-là.
M. Éric Doligé. Vous avez dépassé votre temps de parole depuis déjà deux minutes !
Mme Frédérique Espagnac. À ceux qui nous accusent d’instrumentalisation – je pense à M. Zocchetto –, je répondrai en citant cette phrase prononcée en 1990 par François Mitterrand, qui n’a pourtant jamais franchi le pas de cette question essentielle.
M. Éric Doligé. À quelle heure terminez-vous ?
Mme Frédérique Espagnac. Un peu de respect, merci !
François Mitterrand disait ceci : « C’est comme si vous reprochiez aux socialistes du XIXe siècle et du XXe siècle d’avoir “agité en permanence” les droits de la femme, les droits de l’enfant, le droit à la retraite, le droit au repos, le droit à la sécurité sociale. Ils les ont agités, en effet, jusqu’au moment où ils ont eu gain de cause. » C’est ce que nous ferons !
Enfin, permettez-moi de souligner que le mot « vote » vient du latin votum, qui signifie « émettre un vœu ». Lorsque l’on ne peut plus émettre de vœu, que nous reste-t-il ? Trop peu de chose, en effet !
N’ayons plus peur de l’autre ! La France s’est toujours nourrie de ses différences, en les rassemblant puis en les sublimant, pour porter haut et fort un message de liberté, d’égalité et de fraternité.
C’est ce triptyque républicain qui fonde ma conviction.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. C’est fini !
Mme Frédérique Espagnac. Je salue le travail de ceux qui ont repris cette proposition de loi au Sénat.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Frédérique Espagnac. Je conclus, monsieur le président.
Le train de l’histoire de l’intégration est en marche !
Fille de France, petite-fille d’Espagne, je veux, dans cet hémicycle, être la porte-parole de la jeunesse et défendre ses aspirations.
Il nous faut faire le pari de l’avenir. M. le Premier ministre est parti, mais il parlait tout à l’heure de faire honneur à la France (Exclamations sur les travées de l’UMP.) : pour ma part, je ne comprends pas que le Président de la République se renie, en s’opposant aujourd’hui à un droit qu’il défendait hier. (Brouhaha sur les mêmes travées.)
M. Roger Karoutchi. C’est fini !
Mme Frédérique Espagnac. En cette période de crise, à chacun sa règle d’or pour la France ! Si la vôtre se dessine comme celle des marchés, la nôtre est celle des hommes ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Mmes Éliane Assassi et Marie-France Beaufils applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura donc fallu attendre dix longues années pour que la représentation nationale se saisisse de nouveau de la question fondamentale du droit de vote des résidents étrangers non communautaires aux élections municipales. Dix années pendant lesquelles ce droit n’a cessé de recueillir un assentiment toujours plus large parmi nos concitoyens. En effet, près de 61 % des Françaises et des Français sont favorables à ce droit.
Le choix que chacune et chacun d’entre nous, en conscience, va faire aujourd’hui peut engager le Sénat sur la voie de la modernité et faire honneur à notre universalisme démocratique.
L’ouverture du droit de vote des résidents étrangers non communautaires aux élections municipales, est un acte décisif dans le progrès des libertés individuelles. Notre pays est un creuset d’origines, de cultures et de destins,…
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Roger Madec. … que chaque habitant, qu’il soit ou non citoyen, porte en partage. C’est l’héritage de notre Révolution, c’est notre Histoire ! Ce doit être notre réalité aujourd’hui !
Les résidents étrangers participent à la création de notre richesse nationale, sans qu’il leur soit permis de rejoindre notre destin national. Comment admettre que l’on puisse payer l’impôt sans avoir le droit d’en contrôler l’usage ? Et comment pourrions-nous l’accepter ?
M. Roland Courteau. Très juste !
M. Roger Madec. Il est de nouveau temps, pour reprendre les mots de l’un de ses plus grands serviteurs, parlant de « millions d’hommes sur la terre », que la France soit « prête à leur parler le langage qu’ils ont appris à aimer d’elle ».
Il est dans la nature d’une grande nation de concevoir de grands desseins : n’est-il pas de plus noble devoir, pour l’habitant d’un pays, que de participer à l’élaboration de sa vie publique ?
Nous ne pouvons, par rapport à nos voisins européens, supporter le moindre déficit démocratique. Rappelons que treize d’entre eux ont déjà accordé ce droit. Comment, demain, nos discours pourraient-ils être entendus si nous ne tranchons pas enfin la question ?
Nous ne pouvons tolérer que les résidents étrangers en France soient systématiquement masqués dans « l’angle mort » de notre démocratie. Ce sont environ 1,8 million d’hommes et de femmes qui, par leur présence, leur travail, leur culture, contribuent à façonner notre destin collectif. Chaque habitant de ce pays doit savoir ce qui le relie à la communauté nationale : un lien inaltérable et sacré, la République !
Par notre vote, nous permettrons à la France d’aller enfin à la rencontre de celles et ceux qui sont aussi ses enfants. Monsieur le ministre, vous avez osé affirmer que nous favoriserions ainsi un vote fondamentaliste ou, tout au moins, communautaire.
Un sénateur de l’UMP. C’est vrai !
M. Roger Madec. Comme j’ai beaucoup de respect pour votre fonction, je dirai que ces propos relèvent, au mieux, du fantasme, au pire, de la mauvaise foi !
Comme toujours, à l’heure des choix cruciaux, la droite joue sur les peurs (MM. Jacques Legendre et Roger Karoutchi s’exclament.), l’intolérance et la division. Tout est bon en cette période préélectorale pour séduire et pour flatter les instincts les plus vils.
M. Roger Karoutchi. C’est faux !
M. Philippe Dallier. Gardez vos leçons, merci !
M. Roger Madec. Ce qui sort du suffrage universel, c’est un mouvement puissant et souverain contre le communautarisme, puisqu’il associe chacun au destin de tous. Il s’agit d’un instrument d’ouverture, et non de repli.
Notre démocratie a construit, au fil des mandats et des législatures, une citoyenneté sociale pour les étrangers vivant en France. Cette citoyenneté n’a pas dévoyé le destin des comités d’entreprise, des directions syndicales, des conseils d’administration des collèges, des lycées, voire des conseils d’école, des CROUS, les centre régionaux des œuvres universitaires et scolaires, et des conseils d’administration des caisses d’assurance maladie : au contraire, elle l’a enrichi. (M. Jean-Vincent Placé opine.)
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Roger Madec. Je suis maire du XIXe arrondissement de Paris depuis plus de seize ans. Il s’agit d’une véritable ville de 187 000 habitants. Et je ne suis pas fier de constater que près de 50 000 personnes sont exclues des choix décisifs de la vie locale !
Vous pouvez continuer à retarder la reconnaissance de cette destinée commune. Ce n’est pas à votre honneur !
Le candidat Nicolas Sarkozy était favorable à ce droit de vote, mais, aujourd’hui, le Président de la République le refuse. Voilà encore une manifestation de votre incapacité à comprendre le pays et de votre volonté farouche de vous retrancher derrière vos préjugés.
M. François Rebsamen. Très bien !
M. Roger Madec. J’ai entendu les arguments sur le calendrier, qui ne serait pas approprié. Toutefois, mes chers collègues de l’opposition sénatoriale, c’est vous qui aviez la maîtrise du calendrier avant nous ! Pendant dix ans, vous aviez la majorité au Sénat et la logique démocratique aurait voulu que cette proposition de loi constitutionnelle soit inscrite à l’ordre du jour (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est fort juste !
Mme Christiane Demontès. Très bien !
M. Roger Madec. … même si vous étiez contre. Votre devoir était de l’inscrire à l’ordre du jour.
De grâce, ne nous opposez pas l’argument selon lequel les étrangers voulant voter n’ont qu’à se faire naturaliser (Mme Christiane Demontès s’exclame.), car nous voyons tous, dans nos permanences, des personnes le souhaitant qui n’y arrivent pas !
M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
M. Roger Madec. Monsieur le ministre, depuis que vous avez réformé cette procédure et confié ce pouvoir régalien au préfet, les choses sont encore plus compliquées. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Roger Madec. Si l’on n’est pas ingénieur ou informaticien, on a peu de chances d’être naturalisé dans un délai raisonnable. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
Aujourd’hui peut-être, demain à coup sûr, la communauté nationale, dont nous sommes les représentants, ouvrira bien grand les bras à toutes celles et tous ceux qui construisent avec nous le destin de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)