M. le président. La parole est à M. François Pillet.
M. François Pillet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en ma qualité de co-président de la mission commune d’information sur les toxicomanies, que nous avons menée au début de l’année 2011 avec nos collègues députés, et dont notre collègue Gilbert Barbier fut le corapporteur, il n’a heureusement échappé à personne que le sujet abordé aujourd’hui est très préoccupant. Nous avons tous partagé le constat selon lequel les toxicomanies d’aujourd’hui ne peuvent être comparées à celles d’il y a trente ans ou quarante ans.
La toxicité des drogues s’est fortement accrue ; la polytoxicomanie s’est répandue ; les réseaux de trafic se sont « professionnalisés ».
Les toxicomanies sont plurielles et connaissent une progression alarmante, pour ce qui concerne tant les produits consommés que les pratiques des usagers de drogues.
En 2003, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites évoquait « l’explosion des drogues » et faisait part d’un « constat très préoccupant ».
Huit ans plus tard, la situation est tout aussi inquiétante pour notre pays, du fait de l’évolution des produits psychotropes et des trafics associés, autant que de la transformation des comportements toxicomanes et de l’augmentation des risques de toute nature qui en résultent.
Le marché de la drogue est international. Les zones de production, souvent éloignées des marchés de consommation, tendent toutefois à s’en rapprocher. La transformation de la matière brute en produits plus ou moins élaborés s’effectue dans des laboratoires clandestins, situés au départ ou, de plus en plus, vers la fin de la filière, sur notre propre territoire.
Parallèlement à l’évolution des produits stupéfiants, on assiste à une modification de la demande touchant aussi bien les volumes de consommation de chaque type de produits que les modes de consommation, le tout provoquant une adaptation des trafics en vue de « coller » le plus possible aux nouveaux marchés de la drogue.
Dans notre rapport, nous faisions remarquer que, pour lutter contre ce phénomène inquiétant, trois politiques complémentaires doivent en réalité être confortées : la prévention dès le plus jeune âge ; une offre de soins abondante et adaptée, car le défaitisme ne peut être une solution ; une réduction des risques encourus par les toxicomanes du fait de leur consommation de drogues, selon une démarche équilibrée et responsable.
La première des réponses à ces fléaux modernes est à mon sens la prévention, dès le plus jeune âge. Les raisons en sont simples.
Autrefois le seul fait de quelques initiés ou marginaux, l’usage de la drogue s’est très largement développé. Comme nous l’a dit Alain Morel, de l’association Oppelia, qui aide les usagers de substances psychotropes : « On a assisté à une très importante diffusion des pratiques de consommation dans toutes les couches de la société. On peut le regretter et le dénoncer, mais c’est une réalité partagée par tous les pays développés. »
Les pratiques majoritaires sont aujourd’hui à la consommation de plusieurs produits et au détournement d’usage de produits non illicites. Il est également à noter que la dangerosité de la consommation de drogues pèse non seulement sur les usagers pris individuellement, mais aussi sur les relations qu’ils entretiennent entre eux.
Au cours de nos auditions, il nous a été démontré que les effets néfastes des drogues sur l’organisme sont d’autant plus importants que la première expérimentation se fait jeune et qu’elle laisse place à une consommation régulière et soutenue.
Outre les effets physiologiques, les effets sur le psychisme des consommateurs de stupéfiants peuvent être considérables : modification de l’humeur, anxiété, crises d’angoisse et de panique, bouffées délirantes, troubles de la personnalité, dépressions... S’ils sont répétés, ces troubles deviennent durables et peuvent conduire à des affections psychiatriques chroniques : psychose, paranoïa ou schizophrénie. Nul ne l’ignore, le risque social majeur pour les usagers de drogues réside dans une marginalisation progressive, dans une mise au ban de la société, une auto-exclusion.
Face aux enjeux, il est nécessaire, pour ne pas dire fondamental, que tous et, en particulier, les pouvoirs publics, tiennent un discours clair et univoque, réaffirmant la dangerosité des drogues et le caractère illicite de leur consommation. Il ne peut donc être envisagé de dépénaliser leur usage, car cela constituerait une impasse éthique et juridique ; il convient, au contraire, d’organiser et de garantir une réponse pénale plus immédiate, donc plus efficace.
Je souhaiterais revenir un instant sur la « théorie de la porte d’entrée », selon laquelle le fait de rechercher un produit interdit pousserait à fréquenter des milieux marginaux : la délinquance, la criminalité, le banditisme. S’il n’a pas été démontré que l’usage de drogues était en lui-même de nature à provoquer une infraction, ni que la délinquance conduisait nécessairement à l’usage de drogues, il me semble que ce risque de dérive requiert la plus grande vigilance de notre part.
En revanche, ce qui est confirmé, c’est que plus le consommateur est jeune, plus il s’expose à la délinquance. Comme nous l’a indiqué le professeur Jean Costentin : « La déscolarisation est, dans 95 % des cas, due à la consommation de cannabis, qui conduit rapidement à un besoin, lequel va entraîner un début de délinquance car il faut de l’argent pour se procurer le produit ».
Le problème est par conséquent social plus que moral.
Si l’on s’intéresse à présent aux lieux de particulière vulnérabilité – les élus que nous sommes sont extrêmement sensibles à ces sujets –, nous constatons que les villes restent plus touchées que les campagnes par les trafics et la consommation, du fait de l’anonymat qu’offrent les milieux urbains. Pour autant, la diffusion de la drogue dans les zones rurales augmente très dangereusement, le public le plus vulnérable, à savoir les adolescents, étant particulièrement exposé.
Selon le professeur Daniel Bailly, ce serait même durant l’enfance que les comportements déviants « cristalliseraient » une fragilité que l’enfant porte en lui.
En conséquence, l’axe principal de nos efforts doit porter sur la prévention. Celle-ci commence par la limitation de l’offre de stupéfiants, c’est-à-dire par l’interdiction de l’usage des drogues illégales, la répression de leur détention, de leur production et de leur commerce. J’y insiste, le maintien de la pénalisation de l’usage est donc un volet essentiel de la politique de prévention.
En amont, il est indispensable d’informer. Dès l’école primaire, il faut mener des actions centrées sur la promotion de la santé et de l’estime de soi, pour apprendre aux enfants à résister à la pression. Seule l’acquisition de comportements faisant obstacle aux risques de troubles peut être efficace. Il convient donc de donner à l’élève les moyens de connaître les produits et d’appréhender la loi, car il n’y a pas d’éducation sans loi.
Comme nous le constatons, la prévention ne vise pas un produit ou une catégorie de produits ; elle tend à renforcer la capacité des personnes à se protéger et à s’assumer pleinement.
C’est dire que la prévention doit être à la fois collective et individuelle, couvrir une très large gamme d’actions, depuis le message diffusé par les médias jusqu’à l’offre de soins variée et renforcée, qui doit s’appuyer sur l’expérience du personnel médical, la sensibilisation et la formation des personnes encadrant les jeunes et l’association des familles.
Nous l’avons dit, la construction d’une société qui rejette la fatalité est un objectif mobilisateur. Elle implique la mise en œuvre de l’ensemble des outils identifiés de la politique de lutte contre les toxicomanies, qui doit allier la prohibition de l’usage des drogues illicites, la prévention et la réduction des risques, sans oublier d’apporter des réponses appropriées aux victimes.
Dans ce cadre, se pose la question de l’efficacité de la sanction.
L’un des maîtres mots dans ce domaine est sans doute la modulation. Il faut moduler la sanction de l’usage afin qu’elle frappe avec discernement et atteigne son but, qui est de dissuader les débutants et, s’agissant des usagers problématiques, de favoriser les conditions d’une sortie de la toxicomanie.
Cette modulation est aujourd’hui, selon moi, insuffisante. Il faut redoubler d’efforts en la matière.
Le rapport établi en juin dernier montre que, entre 2001 et 2008, le volume d’affaires d’usage de stupéfiants traitées par les parquets est passé de 10 261 à 17 553. La part des classements sans suite et des affaires jugées non poursuivables a diminué de 29,3 % à 8,5 %.
Ces statistiques semblent témoigner du souci de la justice de maximiser la réponse pénale à l’usage de drogues illicites ; elle doit poursuivre en ce sens.
L’arsenal juridique existe déjà. Je reprendrai le propos de Mme Françoise Baïssus, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l’environnement du ministère de la justice, auditionnée dans le cadre de la mission d’information sur les toxicomanies. À l’idée d’une « légalisation contrôlée », il faut préférer celle d’une « pénalisation contrôlée ». La législation de l’usage des stupéfiants figure non pas dans le code pénal, mais dans le code de la santé publique, ce qui sous-entend que, même s’il s’agit d’un délit puni d’emprisonnement et d’une peine d’amende, la réponse n’est pas uniquement pénale.
La loi de 2007 relative à la prévention de la délinquance a introduit de nouvelles mesures, qui prennent en considération l’usage des stupéfiants, soit comme circonstance aggravante, afin de protéger les victimes potentielles, soit comme révélateur d’un danger pour le consommateur lui-même. Elle a par ailleurs innové en créant le stage de sensibilisation aux dangers de cet usage. Les enfants de treize ans y ont accès.
Ensuite, la circulaire du 9 mai 2008, dont l’objectif est d’éviter la banalisation de la consommation des drogues, est parfaitement claire. Les réponses doivent être à la fois individualisées, appropriées et systématiques, notamment lorsqu’il s’agit de mineurs.
Le sujet qui nous intéresse particulièrement est celui des primo-usagers.
Il s’agit de dissuader l’usager débutant – surtout le jeune –, tout en continuant, bien sûr, d’orienter l’usager problématique vers la prise en charge thérapeutique et sociale décrite dans la deuxième partie du rapport.
L’interdit pesant sur l’usage illicite des stupéfiants est aujourd’hui sanctionné par une peine d’emprisonnement et une amende importante. Or ces sanctions ne sont pas effectives, puisqu’elles sont peu ou pas appliquées.
Vous proposez, mon cher collègue, de sanctionner la première consommation constatée de toute drogue illicite par une amende contraventionnelle, qui remplacerait le régime délictuel actuellement en vigueur. Ce nouvel outil juridique est l’une des mesures que nous avons préconisées dans notre rapport. Il emporte naturellement mon adhésion.
Plusieurs de mes collègues se posent néanmoins un certain nombre de questions tout à fait légitimes. La contraventionnalisation est-elle la bonne solution ? M. le ministre nous l’a rappelé tout à l’heure, il est extrêmement complexe de distinguer un premier usage d’un second. S’agissant des mineurs, quel sera l’impact réel d’une telle mesure ? Sera-t-elle dissuasive ou, au contraire, permettra-t-elle de minimiser l’impact de la consommation de drogue ? Autrement dit, cette sanction conduira-t-elle l’usager novice à se sentir délinquant ? Nous n’ignorons pas que la difficulté réside plutôt dans l’ignorance volontaire du droit et la désinvolture face à un danger par trop vague.
Du fait de ces interrogations, le groupe UMP votera contre cette proposition de loi, avec, toutefois, l’espoir que notre société pourra enrayer le fléau des toxicomanies en tirant pleinement profit de l’arsenal existant et en axant ses efforts sur une bonne mise en œuvre de celui-ci.
Quant à moi, je serai toujours hostile à la légalisation de la moindre drogue, et je considère que ce texte ne nuit nullement aux deux objectifs du législateur : la protection des usagers, ainsi que celle des victimes de l’usager.
En conséquence, à titre personnel, je voterai cette proposition de loi : si elle ne résout pas tous les problèmes, elle a au moins le mérite de mettre un coup d’arrêt à des tentations irresponsables. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en 2003, le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites évoquait « l’explosion des drogues » et faisait part d’un « constat très préoccupant ».
Huit ans plus tard, la mission commune d’information sur les toxicomanies, qui rendait ses conclusions le 30 juin dernier, constatait « que la situation est tout aussi inquiétante pour notre pays, et cela du fait tant de l’évolution des produits psychotropes et des trafics associés que de la transformation des comportements toxicomanes et de l’augmentation des risques de toute nature qui en découlent ».
Il n’est donc pas question ici de minimiser le problème de société dont nous débattons. Si j’en crois l’introduction du rapport de notre collègue Jacques Mézard, « ce texte ne constitue en aucune manière un premier pas vers la dépénalisation de l’usage des stupéfiants ». Nous prenons acte de ces déclarations.
Par ce texte, il s’agit bel et bien de proposer un allégement très significatif de la peine encourue pour un comportement donné : la première consommation de stupéfiants. Cela a été rappelé, on passerait d’une peine encourue d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende à une simple amende de 68 euros.
J’entends bien les arguments de notre rapporteur : la peine délictuelle actuellement en vigueur n’est jamais appliquée ; elle n’a donc plus de sens ; remplaçons-la par une peine qui, elle, sera appliquée systématiquement. Toutefois, je pense que l’on prend le problème à l’envers.
La question n’est pas de savoir si cette peine n’est pas appliquée ; elle est de savoir si elle est justifiée.
Or ce n’est pas par hasard que nous sommes en présence d’une lourde peine, et cela dès la première infraction. En effet, on ne saurait exclure le caractère dissuasif d’une peine suffisamment sévère. À l’inverse, annoncer demain aux Français que le premier usage de drogue ne sera puni que d’une amende de 68 euros reviendrait, selon moi, à envoyer un signal désastreux, notamment aux jeunes.
Je suis navré de vous le dire, mais expliquer que l’instauration d’une amende de 68 euros ne constitue pas un relâchement de la répression n’est pas simple ! Nos concitoyens ne le comprendront pas. Croire le contraire, c’est faire preuve d’une certaine naïveté sur un sujet de santé publique et de sécurité particulièrement grave.
On a beaucoup entendu parler, en commission, de l’échelle des peines et de la nécessité de la rendre plus cohérente. Or mettre quasiment sur le même plan une infraction de stationnement et un usage de stupéfiants ne me semble pas précisément de nature à renforcer la cohérence de notre échelle des peines.
Plus largement, ce basculement vers une contravention présente un autre inconvénient, sans doute plus grave : celui de faire totalement disparaître l’éventail de solutions variées et adaptées dont dispose aujourd’hui l’institution judicaire.
Depuis de nombreuses années déjà, les circulaires de la Chancellerie relatives à cette problématique préconisent une réponse pénale graduée en fonction du type de consommation et de la nature des usagers ; je ne reviendrai pas sur cette graduation bien connue de nous tous ici.
L’éventail des solutions existantes est très large. Fort de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites, le parquet peut aujourd'hui choisir la voie qui lui paraît la mieux adaptée à la situation de l’intéressé.
Le problème dont il est ici question est un problème de politique pénale bien plus que de peine encourue.
Cela a été rappelé par de nombreux sénateurs en commission des lois : la réponse pénale apportée au premier usage de stupéfiant est très différente selon les territoires concernés. À cet égard, je suis d’accord pour reconnaître que, dans certains territoires, la répression d’un tel acte est soit très insuffisante, soit inadaptée. Néanmoins, ce n’est sûrement pas la modification ici proposée qui résoudra le problème ! En effet, ce texte priverait l’institution judicaire d’un certain nombre de moyens d’actions dont elle dispose aujourd’hui, comme l’injonction thérapeutique.
D’ailleurs, comment parler de lutte contre l’usage et le trafic de stupéfiants sans évoquer l’action des forces de police et de gendarmerie ?
Là encore, il est intéressant de se reporter aux nombreuses auditions réalisées par la mission d’information commune sur les toxicomanies, ainsi qu’à celles qui ont été conduites par notre rapporteur.
De nombreux responsables de la sécurité – magistrats, gendarmes, préfets, le chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants – ont été entendus, et le constat est simple : l’enquête policière et la garde à vue offrent l’occasion de remonter les filières à partir des informations livrées par les consommateurs interpellés.
Demain, pouvons-nous nous priver de cet échange entre le consommateur et le policier, qui permet souvent d’amorcer, ou d’accélérer, des investigations de grande ampleur en matière de stupéfiants ? Je pense raisonnablement que non.
Par ailleurs, vous écrivez, monsieur le rapporteur, qu’il peut « paraître choquant que la garde à vue soit aujourd’hui théoriquement possible pour un premier usage ».
À titre personnel, cela ne me choque pas : d’une part, c’est en cohérence avec la peine d’emprisonnement actuellement encourue, et, d’autre part, cela permet d’interroger le consommateur, ce qui est, je l’ai dit, particulièrement utile pour remonter les filières au moins jusqu’aux trafiquants de proximité.
Enfin, si de nombreuses propositions de la mission commune d’information sont intéressantes, elles ne sont pas toutes pertinentes. À l’appui du passage à un régime contraventionnel pour le premier usage de stupéfiants, le rapport indique que « même fixée à un taux modeste, on peut penser que la contravention alertera les parents des mineurs sur les pratiques de leurs enfants et la nécessité de s’impliquer dans la prévention ».
Qui peut raisonnablement soutenir que des parents réagiraient à une amende de quelques dizaines d’euros, alors qu’ils ont souvent beaucoup de peine à le faire lorsque des sanctions bien plus lourdes sont prononcées ?
Enfin, ce texte présente un dernier inconvénient, qui n’est d’ailleurs pas occulté dans le rapport de notre commission ; je veux parler de l’absence d’inscription au casier judiciaire.
Je suis personnellement sensible aux arguments avancés par les représentants de l’Union syndicale des magistrats, qui ont rappelé, lors d’une audition, que « cette situation serait préjudiciable à une bonne individualisation des peines ultérieures en privant les juridictions qui auraient à connaître des nouveaux faits de délinquance de l’approche du passé toxicomane du prévenu, sauf s’il consent à le dévoiler lui-même ».
Selon notre rapporteur, l’inscription au casier judiciaire d’un premier usage créerait un « effet de stigmatisation ». Là encore, je ne suis pas convaincu par cet argument.
Enfin, il faut le souligner, cette proposition conduirait à ce que, pour les mineurs, ce soit le juge de proximité, et non plus le juge des enfants, comme l’a souligné tout à l'heure M. le garde des sceaux, qui soit compétent en la matière. Cela priverait ainsi l’autorité judiciaire de la possibilité de procéder à une évaluation de la situation socioéducative du mineur consommateur de stupéfiants.
En conclusion, on peut affirmer qu’une contraventionnalisation ne permettrait plus ni un traitement équilibré entre majeurs et mineurs ni un traitement adapté au profil récidiviste ou toxicodépendant de l’usager. Les possibilités de prise en charge sanitaire s’en trouveraient fortement diminuées. L’ensemble de la politique pénale et sanitaire serait alors bouleversé, sans bénéfice manifeste ni sur le plan judiciaire ni au regard de la santé publique. La lutte contre les trafics risquerait de s’en trouver également affectée, car ce dispositif priverait les enquêteurs de sources importantes d’informations.
C’est pourquoi le groupe de l’UCR n’apportera pas son soutien à cette proposition de loi, qui a été excellemment présentée par notre collègue Gilbert Barbier. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Gilbert Barbier et Jacques Mézard ont largement défendu la proposition de loi qui vous est proposée. Aussi, je n’ai pas l’intention de faire moi-même un long plaidoyer pour un texte que j’ai cosigné et que j’approuverai bien évidemment.
J’aimerais simplement formuler quelques observations.
Je constate qu’il a été jusqu’à présent impossible de mener, dans notre pays, un débat serein sur cette question, car les « princes de l’enfumage » en la matière sont légion : entre les uns qui banalisent l’usage du cannabis et les autres qui le diabolisent, entre ceux qui y voient une affaire d’ordre privé et ceux qui l’assimilent à un fléau de la société, il est très difficile d’y voir clair.
Monsieur le garde des sceaux, votre intervention avait peut-être pour objectif de m’éblouir, mais elle ne m’a pas pour autant éclairé ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Monsieur le garde des sceaux, je n’irai pas jusqu’à dire que vous êtes vous-même « un prince de l’enfumage » en la matière ! (Nouveaux sourires.)
Je crois qu’il faut surtout regarder les choses en face et avec pragmatisme. Pour ma part, je dresse plusieurs constats.
Premièrement, bien qu’il soit hors la loi, le cannabis n’en est pas moins un produit sinon de grande consommation, du moins de consommation courante.
L’auteur de la proposition de loi et le rapporteur l’ont rappelé, 3 millions de nos concitoyens fument un joint occasionnellement et plus de 1 million d’entre eux le font régulièrement. Il y a donc une banalisation de la pratique.
Ce phénomène touche particulièrement les jeunes de quinze à vingt-cinq ans, qui y voient un moyen de bien-être, de partage et de fête. Mais cela dépasse, à mon avis, le cadre des jeunes de banlieue au chômage ou des enfants issus de milieux aisés en quête de sensations. Toutes les générations et toutes les classes sociales y sont confrontées.
Quoi qu’il en soit, l’usage et la consommation du cannabis ne provoquent que rarement des réactions outrées ; il n’est qu’à voir l’intérêt que suscitent certains films à succès, et j’en veux pour preuve le film Intouchables, actuellement sur les écrans.
Mme Catherine Troendle. Je ne suis pas d’accord !
M. François Fortassin. Deuxièmement, au-delà de l’ivresse cannabique qui a fait les délices de certains poètes, une chose est sûre : fumer n’est pas sans risque. C’est peut-être bon, mais ça ne fait pas du bien.
Même s’il n’est pas scientifiquement prouvé que l’usage de cannabis réduise l’espérance de vie, il est clair qu’il provoque des effets physiologiques et psychiques qui, répétés, peuvent conduire à des troubles maniaco-dépressifs, notamment chez les moins de quinze ans, dont le cerveau est en pleine construction.
Troisièmement, nombre d’usagers parviennent à gérer leur consommation sans tomber dans l’addiction. Ce sont des usagers occasionnels qui décident librement de consommer tel ou tel produit dans un cadre privé et le plus souvent festif.
Au demeurant, on peut établir une comparaison avec l’alcool : les amateurs d’alcools forts et de qualité ne sont pas pour autant des alcooliques. Il en est de même pour la consommation du cannabis. De plus, il n’est qu’à voir le nombre de sportifs de haut niveau qui, parce qu’ils contreviennent à la loi, sont sanctionnés, alors qu’il a été prouvé que l’usage du cannabis n’a jamais amélioré la moindre performance sportive.
Quatrièmement, et enfin, la loi de 1970 semble avoir fait son temps. Elle a été conçue à l’époque où la consommation d’héroïne et les décès par surdose constituaient des phénomènes émergents suscitant l’effroi. Tous ceux qui préfèrent partir d’une analyse de la situation concrète plutôt que d’une grille idéologique s’accordent à reconnaître qu’un tel dispositif, englobant l’ensemble des substances classées comme stupéfiants, ne constitue pas une réponse adaptée à la situation des années deux mille.
En théorie, un fumeur de cannabis risque une amende de 3 750 euros – un montant très élevé – et un an d’emprisonnement. Mais c’est un épouvantail que l’on brandit là, car cette amende n’est pratiquement jamais ordonnée. Reconnaissez, monsieur le garde des sceaux, qu’elle est totalement inadaptée.
Il faut partir d’un principe simple : quelquefois, il faut autoriser ce que l’on ne peut interdire, sauf à prévoir des sanctions limitées, comme le propose M. Barbier. Celles-ci présentent au moins l’avantage de faire savoir aux parents, dès la première infraction, qui est certes minime, que leurs enfants fument la moquette ! Et ce n’est déjà pas mal !
M. Jean-Pierre Plancade. C’est vrai !
M. François Fortassin. En effet, beaucoup de parents aujourd’hui ne veulent pas reconnaître que leurs enfants s’adonnent à l’usage du cannabis. Rien que pour cela, je voterai cette proposition de loi.
Tout cela m’amène à dire qu’il faut changer la loi actuelle.
Ce texte vise justement à créer une contravention de troisième classe. Je n’insiste pas, car cela a été dit. La majorité présidentielle l’avait envisagée en 2004, mais elle s’est dérobée au dernier moment, pour des arguties d’ordre juridique. Une telle sanction me paraît pragmatique.
Enfin, je ne suis pas favorable à une dépénalisation complète, qui n’aurait aucun effet sur le business illégal de cannabis et sur la criminalité qui empoisonne la vie quotidienne des habitants de nombreuses communes.
Certains prônent la légalisation, qui autoriserait le commerce du haschisch contrôlé par l’État. La plupart envisagent la question sous un angle non pas idéologique, mais pragmatique. Leurs arguments méritent d’être pris en considération : ils ont au moins le mérite de faire débat.
Nous devons tenir compte d’un élément important : si cette proposition de loi est adoptée, ce que je souhaite, elle suscitera un débat au sein des familles. Cela permettra peut-être de faire réfléchir sur une réalité aujourd’hui pudiquement cachée, et, surtout, de ranger des peines très lourdes et jamais appliquées parmi les vieilleries du passé. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.