M. Yvon Collin. Très bien !
M. Joël Labbé. Je ne suis ni intégriste ni passéiste, pour employer les qualificatifs dont on nous affuble. En revanche, je suis utopiste, j’en conviens, car l’utopie est devenue nécessaire par les temps qui courent.
Mes chers collègues, nous devons assumer nos responsabilités en tant que politiques, en faisant preuve de lucidité face à la situation présente.
En effet, la société dans son ensemble subit de nombreuses évolutions, qui touchent particulièrement l’agriculture. Or, personnellement, je ne crois plus au modèle agricole actuel, comme beaucoup de Françaises et de Français, en particulier parmi les jeunes.
Face à la pensée encore dominante, une résistance active s’organise peu à peu pour défendre le droit de vivre autrement, de penser autrement, de produire autrement. Nous ne pouvons que nous réjouir qu’elle soit désormais représentée et que sa voix puisse être entendue dans cette assemblée.
Mes chers collègues, je vous exprime mes convictions profondes, avec ces armes pacifiques dont Léo Ferré disait qu’elles savent « mettre de la poésie dans les discours ».
On évoque souvent les neuf milliards d’êtres humains que le monde comptera bientôt. Affirmer que la productivité française devra augmenter, en conséquence, de 70 % à 100 % nous semble toutefois impensable ; de fait, alors que nous continuons d’appauvrir les pays tiers, la France ne peut pas indéfiniment augmenter ses exportations ! Le cas du Brésil l’illustre : au sein de ce grand pays exportateur, douze millions de paysans sont contraints de vivre dans les favelas.
Monsieur le ministre, vous soulignez que ce budget apporte des réponses structurelles aux besoins de l’agriculture française pour « relever le défi agricole mondial ». Vos ambitions sont claires : l’augmentation de la production et la compétitivité sur les marchés mondiaux.
Des conceptions différentes de l’agriculture et de sa place dans la société s’affrontent aujourd’hui, dont l’une, véritablement dominante, dans laquelle la part consacrée à une agriculture ultra-spécialisée, prête à conquérir les marchés mondiaux, est de plus en plus importante.
En 2010, le revenu moyen de la profession agricole s’élevait à 24 300 euros par an. Néanmoins, ce chiffre cache de grandes disparités entre les filières et entre les régions.
Mes chers collègues, le monde agricole va mal, très mal, à l’exception d’une minorité qui vit très bien. À l’heure actuelle, 25 % des paysans perçoivent un revenu inférieur au RMI, 40 % d’entre eux ne gagnent pas même le SMIC. De fait, le secteur agricole n’a pas vu ses revenus progresser depuis le début des années quatre-vingt.
Le système agricole qui reste le nôtre est à bout de souffle et les agriculteurs en sont les premières victimes. Les précédents orateurs l’ont déjà souligné : le nombre d’exploitations agricoles a encore chuté de 26 % ces dix dernières années. Plus d’un quart d’entre elles !
Les petites et moyennes exploitations de polyculture et élevage sont les grandes victimes de ce système productiviste qui fournit des aliments de qualité très moyenne et sacrifie l’emploi dans les campagnes. Ce processus est inquiétant car, contrairement à la monoculture, la polyculture garantit la rotation des terres et donc leur fertilité pérenne, préservant ainsi la biodiversité agricole.
Face à la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effets de serre, c’est bien le développement de petites et moyennes exploitations de proximité – destinées à nourrir les hommes là où ils vivent – qui fera sens.
Certes, il faut préserver notre souveraineté alimentaire, mais en défendant une agriculture paysanne d’avenir, moderne et mécanisée sans excès. Cet objectif induit le développement de circuits courts de commercialisation – ce mouvement est d’ores et déjà engagé, il doit encore prendre de l’ampleur –, la protection des semences paysannes, l’accès à la terre et à l’eau. Il faut constituer des réserves alimentaires physiques et diversifiées pour stabiliser les prix et gérer les risques en cas d’urgence et de catastrophes naturelles ; il faut aussi, bien sûr, prendre des mesures pour interdire la spéculation sur les aliments.
À ce titre, l’adoption conforme par l’Assemblée nationale, lundi dernier, de la proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale qui crée un nouveau type de brevetage du vivant, le « droit de propriété intellectuelle original », est inadmissible : de fait, ce texte porte une atteinte grave aux droits fondamentaux des agriculteurs, celui de prendre part à la protection de la biodiversité. Il porte également atteinte à leur indépendance, pourtant si nécessaire face aux lobbies des semenciers.
Mes chers collègues, j’espère que, dans un avenir proche, l’abrogation de cette loi scélérate deviendra une priorité nationale.
Pour sortir le secteur agricole de la crise où il est plongé, la principale stratégie du Gouvernement consiste à réduire le coût du travail. Ainsi, des coupes drastiques ont été opérées, à hauteur de 11 % pour la modernisation des exploitations, et de 39 % pour l’action Gestion des crises et des aléas de production.
Par ailleurs, le présent projet de loi de finances ne met pas l’accent sur la qualité sanitaire des aliments. Je citerai deux exemples à ce propos.
Premièrement, qu’a fait l’actuelle majorité gouvernementale contre les pesticides qui empoisonnent non seulement les agriculteurs mais aussi notre alimentation ? Le Sénat a logiquement voté une hausse de la TVA pour les produits phytosanitaires, portée de 5,5 % à 19,60 %. J’ose espérer qu’on ne reviendra pas sur cette mesure.
Monsieur le ministre, un récent rapport du Centre d’analyse stratégique, rédigé à la demande du ministère, plaide en faveur de l’arrêt des aides publiques dommageables à la biodiversité. Vous feriez bien de vous en inspirer !
Deuxièmement, le Gouvernement persiste à subventionner de fait les agro-carburants, alors que leurs effets néfastes sont connus. Ainsi, en juin 2011, sept banques se sont regroupées pour cultiver 10 000 hectares de terres en Sierra Leone et produire, d’ici à 2014, près de 90 000 mètres cubes d’éthanol carburant.
Cette production nécessite de vastes monocultures qui s’étendent au détriment des productions vivrières. Elle est destinée aux pays riches, qui font face à des difficultés énergétiques depuis la fin du pétrole bon marché et qui ont à cœur de « verdir » leur image. L’alimentation des populations locales est donc mise en péril, les dégâts sont importants : on évoque souvent neuf milliards d’êtres humains à nourrir, commençons par cela et cessons de les piller !
La surface globale mondiale consacrée aux agro-carburants est passée de 13,8 millions d’hectares en 2004 à 37,5 millions d’hectares en 2008, soit deux fois la surface cultivable de la France.
Le Sénat a voté la suppression de l’exonération de la taxe intérieure de consommation pour les agro-carburants, et j’espère que l’on n’osera pas revenir sur cette décision.
Monsieur le ministre, résisterez-vous aux arguments de M. Beulin, par hasard président de la FNSEA, mais également P-DG du groupe industriel Sofiproteol, spécialisé dans la production d’agro-carburants et dans l’importation de soja transgénique, via sa filiale Glon-Sanders ?
Comment justifier aussi la baisse de 7,5 % du budget de l’administration et des établissements publics, notamment de l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail ?
Le sort fait à l’agriculture biologique dans ce budget est également révélateur : le crédit d’impôt en faveur des entreprises agricoles utilisant le mode de production biologique est divisé par deux pour 2012.
À la fin du mois de juillet 2010, seulement 2,46 % de la surface agricole utile était en agriculture biologique. À ce rythme, l’objectif de passer à 6 % de la surface agricole utile en 2012 et à 20 % en 2020 ne sera pas atteint. Pourtant, à condition de s’en donner les moyens, on peut – et on doit ! – atteindre cet objectif, d’autant qu’un récent rapport scientifique international atteste qu’une agriculture biologique moderne, mécanisée sans l’être à l’excès, peut très bien nourrir la planète.
Il est vraiment temps de mettre un terme à certaines incohérences et à certains dysfonctionnements.
En ce qui concerne la gestion des pêches et de l’aquaculture, cette action ne représente que 3 % du budget de la mission. C’est principalement l’agence FranceAgriMer qui met en œuvre les engagements budgétaires, un organisme dont le budget avait sévèrement été amputé lors de la précédente loi de finances. Selon la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique, les quotas individuels attribués à chaque navire par les gouvernements nationaux sont supérieurs à la capacité de capture de ces navires, ce qui encourage de fait la surpêche, alors même que 88 % des stocks de poissons sont surexploités en Europe. En la matière, la France n’est pas exemplaire.
À l’heure actuelle, les permis de pêcher sont attribués en fonction des volumes capturés antérieurement : cela épuise les ressources halieutiques et avantage les plus grosses compagnies, qui n’ont pas nécessairement pour objectif l’intérêt général, et qui s’accaparent les ressources. Pour nous, écologistes, le droit de pêcher devrait être conditionné au respect de critères environnementaux et sociaux.
En conclusion, nous ne voterons pas le budget de cette mission. Nous ne nous résignerons pas face à cette mort annoncée et programmée d’une certaine agriculture française et de ceux qui la font vivre.
Nous défendons au contraire le droit des agriculteurs à faire une agriculture de qualité et à pouvoir vivre de leur production. La terre nourricière doit être de nouveau considérée comme un bien commun, et le métier de paysan comme un métier d’utilité publique. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’exprimerai sur le programme 149 « Forêt ».
Cette année internationale de la forêt aura été marquée en France par la difficile renégociation du contrat de plan État-ONF pour la période 2012–2016 et par un certain nombre de modifications structurelles affectant le programme 149.
Je tiens d’abord à rappeler un certain nombre de principes qui, je crois, devraient guider toute réflexion en matière forestière.
Au fond, qu’est-ce qui est important lorsqu’on parle de forêt ? Il convient de ne jamais perdre de vue la forêt comme écosystème, la forêt comme garantie d’une eau de qualité, la forêt comme processus de fixation du carbone atmosphérique, la forêt comme lieu d’accueil du public et donc comme espace de convivialité où s’exercent des droits obtenus à la Révolution.
La forêt s’inscrit par ailleurs dans un temps long et symbolise en cela, mieux que toute autre chose, ce que peut être le développement durable, concept de plus en plus galvaudé. C’est pourquoi elle nécessite la préservation des savoir-faire des forestiers ainsi qu’un engagement continu et une vision de long terme, que seul l’État, au moyen d’un service public, peut garantir. Et je rappelle ici deux principes de ce service public : la continuité du service et l’égalité devant celui-ci.
Avec l’affichage par le Président de la République d’une ambition forte pour la forêt française, on pouvait donc s’attendre à ce que la période qui s’ouvre soit marquée par un nouvel engagement fort de l’État dans ce domaine.
Or qu’observe-t-on ? Le Gouvernement veut accroître la part de l’effort qui incombe aux collectivités – 9 % en 2010, 11 % en 2011 et plus de 15 % en 2012 – pour réduire celle de l’État. Ainsi, il a proposé à l’Assemblée nationale d’augmenter les frais de garderie en en élargissant l’assiette et en proposant une contribution forfaitaire à l’hectare de deux euros, qui n’est pas compensée par une baisse du taux de 12 % et qui impactera donc toutes les communes forestières, en particulier les communes propriétaires de forêts peu productives, notamment dans le sud de la France.
Cette nouvelle version des frais de garderie est-elle compatible avec la philosophie du régime forestier, qui a toujours constitué un outil de péréquation et permis une même qualité de gestion en tous points du territoire ? Nous en doutons et nous reviendrons sur ce point lors de l’examen de l’article 48.
Toutefois, comme je l’ai indiqué, cette hausse des frais de garderie est aussi un bon moyen pour l’État de se désengager. Monsieur le ministre, vous nous aviez dit vouloir maintenir le versement compensateur et, de fait, il est maintenu au même niveau en valeur nominale. Mais, en euros constants, cela veut dire la poursuite de la baisse continue amorcée depuis de nombreuses années. Par ailleurs, l’apport de l’État s’inscrit en augmentation grâce à la contribution exceptionnelle de 46 millions d’euros pour ce contrat et à la hausse de la dotation pour les missions d’intérêt général. C’est une bonne chose.
Cependant, la question reste posée de savoir si ces nouveaux moyens financiers seront pérennisés. En outre, seront-ils suffisants, sachant qu’une partie sera consacrée à l’augmentation de la contribution aux retraites des fonctionnaires ? Enfin, pourquoi prévoir la suppression de 693 postes de fonctionnaires équivalents temps plein, dont 77 en Lorraine, ma région, pour autoriser dans le même temps le recrutement de 80 équivalents temps plein adossés à des contrats de droit privé ? À quand une gestion des ressources humaines et des compétences digne de ce nom ?
Pour en revenir aux objectifs en termes d’exploitation, la répartition de l’effort demeure insatisfaisante. On veut toujours demander plus à la forêt publique, quand l’essentiel des gisements est en forêt privée. Or, il suffit de regarder les dotations du Centre national de la propriété forestière, le CNPF, pour constater les hésitations de l’État en la matière.
La restructuration de l’ancien centre national et des dix-huit centres régionaux est a priori louable, car elle permet une mutualisation pertinente des moyens sans pour autant remettre en cause l’autonomie de gestion des anciens centres régionaux.
Malheureusement, le compte n’y est pas sur le plan des crédits de fonctionnement, puisqu’ils ont été réduits de près de 22 % en 2011, pour n’être augmentés que de 18 % pour l’année à venir, alors même que la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de 2010 a généralisé l’obligation faite aux propriétés forestières de plus de 25 hectares de se doter d’un plan simple de gestion, que celles-ci soient ou non d’un seul tenant, ce qui multiplie généralement par deux le nombre de plans simples de gestion à instruire pour les centres régionaux.
En dépit de toutes les assurances que vous avez pu nous donner à l’occasion du débat de mai dernier sur la politique forestière et la filière bois, permettez-moi, monsieur le ministre, d’émettre des doutes quant à l’adéquation des moyens avec les objectifs poursuivis, et des craintes à l’égard de l’avenir de l’ONF et du régime forestier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je vous annonce d’emblée que, à l’instar de la grande majorité de mes collègues du groupe du RDSE, je ne voterai pas ce budget.
Pour un ministre d’envergure comme vous, monsieur Le Maire, qui conseille le premier personnage de l’État sur son futur programme de campagne (Sourires.), je trouve que ce budget manque d’ambition.
Au regard de l’importance de l’agriculture pour notre pays – l’élevage est présent sur 60 % de notre territoire, l’agriculture sur 100 % de celui-ci –, je dirais même qu’il manque d’âme.
Dans une période difficile, il manque aussi d’agressivité. Vous avez parlé de 5, 6, 7, 8 ou 9 milliards de personnes à nourrir : nous sommes déjà excédentaires à l’exportation, mais pourquoi ne pas envisager demain de produire et d’exporter davantage, si on le fait dans de bonnes conditions ?
Il est vrai que les agriculteurs sont des gens vaillants, durs au mal. Mais j’ai assisté récemment aux congrès des différents syndicats qui composent notre monde agricole, et je trouve que ce budget n’envoie pas de signes assez forts à la profession.
La légère baisse des crédits que l’on observe n’est pas un bon signal. Je ferai pour ma part des propositions pour augmenter ces derniers, mais, au préalable, il faut oser dire que cette diminution est le fruit d’un arbitrage. Le Gouvernement a fait le choix de réduire les déficits publics, mais aussi de se priver de nombreuses recettes qui auraient permis de financer certaines actions. Le rétablissement de la progressivité de l’impôt sur tous les revenus rapporterait ainsi de 10 à 20 milliards d’euros supplémentaires par an.
On compte un quart d’exploitations de moins qu’en 2000, et de nombreux agriculteurs rencontrent des difficultés financières, alors que la grande distribution ou les filières situées en aval accumulent les bénéfices.
Les prix des produits agricoles sont élevés et il ne fait pas de doute que nos concitoyens mangeraient beaucoup plus de viande, de fruits ou fromages si ces produits étaient plus abordables.
Les syndicalistes ont dû également attirer votre attention sur le maquis administratif auquel les agriculteurs sont confrontés, monsieur le ministre. Nous devons continuer à agir dans le sens d’une simplification.
Les problèmes ne manquent pas : un agriculteur retraité du bas de l’échelle touche 680 euros par mois pour une carrière complète, tandis que certains actifs ont des revenus inférieurs au SMIC ; le système d’assurances ne fonctionne pas très bien et le Fonds de garantie des risques s’avère inadapté ; les mesures de régulation des marchés sont homéopathiques…
La sécheresse du printemps dernier a également été terrible pour l’élevage. Vous avez certes fait des efforts, monsieur le ministre, en faisant le choix de privilégier la recherche de solutions structurelles d’avenir plutôt que le versement d’un deuxième acompte. Il n’en demeure pas moins que certaines trésoreries sont exsangues : dans le Massif central, nous redoutons des catastrophes humaines. Les préfets et les directions des territoires sont là pour accompagner les éleveurs, mais le ministère de l’agriculture reconnaît que certaines exploitations ont subi jusqu’à 70 % de pertes – autant dire une catastrophe.
Il me semble d’ailleurs que ce budget ne réserve pas une place suffisante à l’élevage, ni plus d’ailleurs qu’à l’aménagement du territoire. Lors des travaux en commission de l’économie, nous n’avons pas suffisamment insisté sur le rôle d’aménageur du territoire de l’agriculteur et sur le fait que le fonds commun de la République, c’est la mairie, l’Église pour certains, mais aussi l’agriculture. Elle occupe notre espace et fait vivre nos campagnes !
La plus grande ville de France, ce n’est pas Paris, monsieur le ministre, c’est l’ensemble des villages de notre pays, qui tous sont attachés à l’agriculture.
En ce qui concerne les aides, je suis pour la paix syndicale, mais je ne comprends pas qu’un gouvernement qui compte un homme de votre qualité et de votre poids ne prenne pas la responsabilité de commencer à rebattre les cartes, monsieur le ministre, notamment entre les céréaliers et les autres producteurs. Tout le monde sait que 10 % des exploitations touchent 50 % des aides, et qu’un autre groupe de 30 % des agriculteurs touchent 2,5 % des aides.
Se pose aussi le problème du fossé entre les très grandes exploitations et les petites. Tout à l’heure, des chiffres ont été donnés par notre collègue Mme Bourzai. La réalité est bien plus dramatique que cela. En milieu très rural, on voit des exploitations d’élevage de 500, 700 ou 1000 hectares dont les agriculteurs ne peuvent plus faire le métier d’entretenir l’espace. Là aussi, vous avez manqué d’ambition, monsieur le ministre. Mais peut-être allez-vous faire preuve d’ambition, puisque tout peut changer.
Sur le dumping social, l’euro que vous retirez au coût horaire de la main-d’œuvre, c’est bien, c’est un signe, mais il faut trouver d’autres modalités : on ne peut pas laisser crever nos producteurs de pêches ou d’abricots face à la concurrence des produits qui viennent d’Espagne et sont vendus à des prix contre lesquels on ne peut pas lutter.
La question de l’hydraulique est importante. Nous savons tous que des programmes massifs vont être mis en œuvre. Dans la région Languedoc-Roussillon, nous avons un grand projet Aqua Domitia, avec conduite d’eau enterrée, pour 50 millions d’euros. Dans ce domaine, le budget prévoit 2 millions d’euros. Donc, je souhaite que nous fassions des efforts.
S’agissant du chiffre d’affaires, tout à l’heure un sénateur de cette partie de l’hémicycle (L’orateur montre les travées de la droite.) a dit : il faut faire du chiffre d’affaires, il faut nourrir les gens, c’est la première mission de l’agriculteur.
Mais pour certains territoires, on pourrait, me semble-t-il, monsieur le ministre, substituer à la notion de compétitivité économique, à laquelle nous sommes tous attachés et qui reste le cœur du problème et le cœur de l’agriculture, la notion de compétitivité territoriale. Elle est certes beaucoup plus complexe, mais elle permettrait de prendre en compte le principe républicain d’aménagement du territoire et de solidarité territoriale, elle vise notamment la montagne.
Afin de respecter le temps de parole qui m’est imparti, je vais abréger mon propos.
En matière d’actualité, je trouve scandaleuse – quoi que l’on m’explique – cette loi par laquelle les semenciers privent les agriculteurs du réemploi de leurs semences alors que c’est quelque chose d’historique, de culturel, de patrimonial.
Mme Odette Herviaux. Tout à fait !
Mme Bernadette Bourzai. Bien sûr !
M. Alain Bertrand. Les agriculteurs qui ont fait ce pays doivent se retourner dans leur tombe !
Monsieur le ministre, faites quelque chose ! Revoyez également la copie sur le fioul, notamment la hausse de 1,54 euro de la taxe intérieure de consommation sur ce produit !
Monsieur le ministre, prenez en compte les parcours herbacés pour la montagne et pour l’élevage – cela va être fait dans le cadre de la PAC –, de telle manière que même les pâturages en sous-bois, qui ne sont pas exactement des prairies naturelles ou des prairies artificielles mais qui sont le cœur de l’élevage dans les zones de montagne, puissent être éligibles.
Un dernier mot pour vous dire qu’une mission sur la ruralité a été initiée par le Président de la République, au sein de laquelle siègent des députés, notamment celui de la Lozère. À cette mission, on dira que l’égalité doit être respectée entre les territoires. Or, les territoires ruraux ne connaissent pas cette égalité puisqu’ils sont en permanence l’objet d’une discrimination négative. Ainsi, nous n’avons pas d’université, pas de Zénith, pas d’opéra, pas de TGV, pas d’aéroport.
Monsieur Le Maire, vous qui êtes un ministre influent du Gouvernement, faites en sorte que l’égalité entre les territoires ne nous soit pas opposée et que cette discrimination devienne une discrimination positive pour la ruralité ! (Mmes Odette Herviaux et Renée Nicoux ainsi que M. Yvon Collin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, je vais essayer d’être un peu plus positif que les collègues qui m’ont précédé car, dans un contexte budgétaire rigoureux, vous avez réussi à maintenir vos crédits à un montant identique à 2010 – 5,5 milliards d’euros –, ce qui est déjà bien.
Je me réjouis, tout d’abord, de la pérennisation des dépenses d’intervention telles que – c’est important pour nous, vous le savez – l’installation des jeunes agriculteurs – 167 millions d’euros –, du développement des filières – 60 millions d’euros – et, surtout, des efforts faits pour l’élevage de montagne avec les 248 millions d’euros pour l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, l’ICHN – on sait que cela est capital – et la prime herbagère. Cela n’allait pas de soi dans le contexte actuel, on le sait bien.
Autre motif de satisfaction, la diminution de 1 euro par heure du coût du travail des salariés payés au SMIC. Selon moi, cette mesure est positive. J’ai entendu le contraire tout à l’heure, j’en suis surpris car je voulais demander que cet euro soit donné aux services de remplacement dans nos élevages, services qui réalisent un travail important. Je suis donc étonné de voir qu’une partie de l’hémicycle n’est pas favorable à la mise en œuvre d’une telle mesure.
Préserver notre compétitivité dans la concurrence européenne et mondiale est un vrai défi, surtout à l’heure où il va falloir nourrir – cela a été dit par nombre de collègues – déjà aujourd'hui 7 milliards d’hommes et où il va falloir rester productifs tout en préservant davantage notre environnement. Nourrir l’humanité, – cela a été dit également – c’est la belle mission des agriculteurs. Mais après avoir, pendant les années soixante et quatre-vingt, poussé les agriculteurs à une production intensive, l’enjeu est maintenant de conjuguer compétitivité économique et écologie en préservant les ressources naturelles, et en même temps de garantir, bien sûr, la sécurité alimentaire.
Monsieur le ministre, que pensez-vous du volet environnement de la PAC d’après 2013 où 30 % des aides aux agriculteurs seraient conditionnées à de bonnes pratiques, impliquant la mise en espace environnemental de 7 % de la surface totale des terres ? Ces pourcentages me paraissent excessifs. Quand on dit qu’il faudra de la terre pour nourrir l’humanité, que pensez-vous de ce chiffre de 7 % ?
Le fameux « verdissement » de la PAC, déjà bien compliqué, ne doit pas pour autant devenir la quadrature du cercle pour les agriculteurs et je peux vous dire que beaucoup d’entre eux sont inquiets. Soyez vigilant, monsieur le ministre, pour tous nos labels, nos AOC, qui sont souvent les productions de régions particulièrement difficiles et qui ne pourraient être compétitives avec d’autres productions. Il faut aussi que la PAC accepte que ces productions soient l’équivalence des possibilités de commercialisation de ces produits de qualité.
J’en viens, bien sûr, à la question de l’élevage, sujet que je suis de près, comme vous le savez.
J’ai noté avec satisfaction l’augmentation du prix du lait et de la viande bovine ces derniers mois et je m’en réjouis car 2009 et 2010 ont été des années très difficiles. Il n’empêche que nous nous interrogions l’an dernier, monsieur le ministre, – vous vous en souvenez peut-être – sur la formation du prix du steak : acheté 3 euros le kilogramme à l’éleveur et revendu 17 euros le kilogramme au consommateur... Les choses ont-elles beaucoup évolué depuis ? L’Observatoire des prix et des marges a-t-il facilité la transparence au niveau de la distribution et des grandes et moyennes surfaces ? Les grandes et moyennes surfaces, les GMS, ont-elles enfin produit les éléments d’information qu’on leur demande ? La grande distribution respecte-t-elle l’accord sur la répercussion de l’augmentation des coûts de production ?
Voilà quelques instants, un orateur affirmait que les prix alimentaires étaient élevés. Cela m’ennuie de le contredire, mais quand on sait que, aujourd'hui, les gens ne dépensent plus que 12 % de leur budget pour l’alimentation et que 4 % seulement du produit va chez les agriculteurs, cela me fait mal d’entendre de tels propos à cette tribune. En effet, ce n’est quand même pas l’alimentation qui coûte cher. Sinon, il ne faut pas dire qu’il faut donner aux agriculteurs la possibilité d’augmenter leurs prix.
L’augmentation des prix agricoles est en partie due à vos nombreux efforts, monsieur le ministre, et notamment ceux qui ont facilité les actions en faveur de l’exportation. Je me réjouis de votre annonce de la constitution d’un groupement d’exportation de viande bovine française. C’est un instrument indispensable qui permettra une meilleure organisation de nos exportations, digne de notre pays qui est le premier exportateur de viande bovine en Europe. Nous avons là une filière d’excellence reconnue, où la demande est en forte augmentation hors d’Europe, et il n’y a aucune raison pour que nous nous laissions prendre ces marchés notamment par l’Argentine ou le Brésil !
Je souscris donc totalement à votre vision, monsieur le ministre, de conquête de parts de marché à l’exportation – je sais que vous y avez déjà beaucoup contribué. C’est comme cela que nous préserverons l’avenir de nos filières françaises.
Je ne veux pas achever mon propos sur le chapitre de l’élevage sans vous demander, monsieur le ministre, de la vigilance – c’est un dossier qui m’est cher – sur le niveau des aides aux bâtiments d’élevage, c’est important pour les éleveurs. Il faut également faire attention à toutes ces parcelles d’herbe qui sont retournées pour faire des céréales.
Je dirai quelques mots sur la forêt et la filière bois : c’est une filière importante pour notre pays, source d’emplois et de création de richesses, mais pas encore assez exploitée. Parmi nos handicaps, il y a le manque de dessertes forestières, surtout dans les massifs de montagne, et un morcellement trop important des parcelles qui nuit à une gestion et une exploitation rationnelle des bois.
J’avais présenté dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la LMAP, un amendement visant à instituer une obligation d’information du propriétaire de la parcelle – moins de 4 hectares – à ses voisins immédiats en cas de vente, afin de favoriser le regroupement foncier, car je ne doute pas que, à l’instar des remembrements fonciers, on va faire des remembrements dans nos forêts. Cette obligation d’information a été transformée en « droit de préférence » à l’Assemblée nationale, ce qui a entraîné un certain nombre d’incompréhensions et de difficultés, notamment pour les notaires. Ces derniers ont, semble-t-il, augmenté d’une façon significative leur rémunération pour les petites parcelles, autorisés en cela par un décret du 17 janvier 2011. C’est dommage car les prix des transactions chez les notaires vont être dissuasifs pour les acquéreurs et l’objectif de pouvoir acheter les petites parcelles contiguës risque d’être mis en cause. Monsieur le ministre, c’est un point qu’il faut absolument revoir car c’est important.
Quant à l’instauration de la cotisation de 2 euros à l’hectare pour les communes forestières, contrairement à la collègue qui s’est exprimée tout à l’heure, je ne suis pas choqué que l’on sollicite une cotisation à l’hectare car il faut aussi une certaine péréquation et l’État, cette année, a fait des efforts en augmentant sa participation au financement de l’ONF.
Je ne terminerai pas sans évoquer – cela a été dit par M. Collin voilà quelques instants – les retraites agricoles, qui sont bien en dessous des retraites des autres professions, en particulier pour les femmes d’exploitant, et dont le montant est souvent misérable après plus de quarante années de cotisations... Je suis bien conscient que des efforts ont été réalisés en matière de revalorisation des pensions, avec surtout, en 2009, la création d’un minimum de pension pour les retraités du régime non salarié agricole. Mais qui, en France, accepterait de partir, après une carrière complète, avec une retraite aussi dérisoire ? À titre d’exemple, en Franche-Comté, selon les chiffres qui viennent de m’être fournis, c’est 735 euros en moyenne pour les chefs d’exploitation retraités. Combien de couples qui ont travaillé toute leur vie dans leur ferme ont encore moins de 1 200 euros par mois ? La loi de 2010 portant réforme des retraites prévoyait une étude sur la faisabilité de l’application de la règle des vingt-cinq meilleures années, comme cela se fait pour les salariés du régime général. Avez-vous, monsieur le ministre, les conclusions de cette étude, qui pourrait nous faire espérer atteindre 85 % du SMIC, comme l’avait souhaité le Président de la République ? Pensez-vous que les retraités agricoles peuvent avoir quelques espoirs d’amélioration pour l’avenir, malgré les grandes difficultés financières de notre pays ?
Je dirai enfin un mot sur l’enseignement supérieur agricole, mon collègue Jean-Claude Carle ayant appelé mon attention sur ce sujet.
Les crédits qui lui sont consacrés relèvent du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais je souhaite profiter de votre attachement à ces filières, monsieur le ministre, pour connaître votre sentiment.
Sept écoles sont concernées, qui forment actuellement 50 % des ingénieurs français en agriculture. Dès 2003, l’État les a encouragées à développer leur activité de recherche, mais n’a pas intégralement versé les fonds nécessaires. Malgré l’adoption d’un décret le 23 juin 2009 concernant leur financement, les établissements sont encore aujourd'hui sous-dotés de 6,5 millions d’euros.
Considérant l’importance de l’enseignement supérieur, mon collègue Jean-Claude Carle et moi-même souhaitons avoir une réponse.
Je vous redis toute ma confiance, monsieur le ministre, pour tout ce que vous avez déjà entrepris et je voterai, bien sûr, ce budget. (MM. Jean-Claude Lenoir et Jean-Claude Carle applaudissent.)