Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Daudigny, Mme David, M. Kerdraon, Mmes Pasquet et Demontès et M. Godefroy, au nom de la commission, d'une motion n° 7.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
Considérant que la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, relative aux comptes de 2010, demande l’approbation d’un montant de déficits sans précédent, soit 28 milliards d’euros au titre du régime général et du fonds de solidarité vieillesse ;
Considérant que, nonobstant la certification des comptes de 2010 par la Cour des comptes, ce montant traduit une politique de fuite en avant dans l’accumulation des déficits portant gravement atteinte à la pérennité du système de protection sociale ;
Considérant que l’absence de mesures de redressement a entraîné à nouveau un montant de déficit excessivement élevé en 2011 : 22 milliards d’euros pour le régime général et le fonds de solidarité vieillesse ;
Considérant que la loi de financement pour 2011 avait prévu le transfert de 130 milliards de dettes à la CADES, dont 65 milliards en 2011, soit un doublement de la dette sociale jusque là portée par cette caisse ;
Considérant que les mesures de gestion de la dette adoptées parallèlement à ce transfert ont conduit à un allongement de quatre ans de la durée de vie de la CADES et au choix clairement affirmé du report des déficits actuels sur les générations futures ;
Considérant que cette politique se poursuit en 2012 avec le maintien d’un déficit encore largement supérieur à ce qu’il était avant la crise, soit 14,6 milliards d’euros pour le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse ;
Considérant que, pour la couverture de ces déficits, aucune mesure n’est prévue en ce qui concerne les branches maladie et famille, soit 8,2 milliards d’euros qu’il conviendra pourtant de financer avant la fin 2012 ;
Considérant également que, pour la branche vieillesse du régime des exploitants agricoles, seule une partie de la dette accumulée est transférée à la CADES tandis que, par le biais d’un prélèvement sur les recettes de la CNAM, le nouveau financement qu’elle se voit attribuer ne lui permettra de couvrir qu’un tiers de son déficit en 2012 ;
Considérant que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 a été élaboré sur la base d’un cadrage macroéconomique irréaliste, avec une prévision de croissance du PIB de 1,75 % et une progression de la masse salariale de 3,7 % ;
Considérant que malgré la rectification de cette prévision en cours d’examen du projet de loi, le Gouvernement retient des hypothèses encore très élevées, soit un taux de croissance du PIB de 1 % et un taux d’augmentation de la masse salariale de 3 %, en contradiction avec les dernières prévisions économiques indépendantes, provoquant ainsi les remarques de nos principaux partenaires européens sur le caractère systématiquement trop optimiste des prévisions gouvernementales françaises ;
Considérant en outre que le Gouvernement ne modifie pas les hypothèses de croissance du PIB et de la masse salariale pour 2013, 2014 et 2015, ce qui rend d’ores et déjà irréaliste la trajectoire envisagée pour la réduction des déficits au cours de ces trois années ;
Considérant qu’en dépit de ce cadrage caduc, au terme de la période, comme le montre l’annexe B, le régime général et le fonds de solidarité vieillesse afficheront encore un déficit global supérieur à 10 milliards d’euros ; qu’il en résulte un véritable abandon de l’objectif d’équilibre des comptes sociaux ;
Considérant que, dans ce contexte, le Gouvernement s’est de façon systématique opposé à l’attitude responsable du Sénat qui a voté une réduction du déficit proche de 4 milliards d’euros pour 2012 ;
Considérant que, pour parvenir à cet objectif, le Sénat a essentiellement cherché à réduire les niches sociales existantes, contrairement au Gouvernement qui a créé vingt-trois nouvelles taxes au cours des derniers exercices ;
Considérant que le Sénat a choisi de répartir plus équitablement les prélèvements qu’il a mobilisés ;
Considérant que malgré plusieurs évaluations convergentes récemment effectuées sur le dispositif d’exonérations fiscales et sociales applicable aux heures supplémentaires, le Gouvernement persiste à ne pas reconnaître le caractère excessivement coûteux de cette mesure - 4,9 milliards d’euros - au regard de son efficacité ;
Considérant que l’Assemblée nationale est revenue sur la totalité des mesures proposées par le Sénat en termes de recettes, à la fois celles qui visent à un meilleur ciblage des allégements généraux de cotisations sociales, et celles qui tendent à renforcer la taxation de catégories de revenus très spécifiques et dérogatoires au droit commun des rémunérations : stock options, attributions gratuites d’actions, retraites chapeau, bonus des traders ;
Considérant qu’au mépris de l’objectif consistant à favoriser un meilleur accès aux soins, l’Assemblée nationale a rétabli le doublement de la taxe sur les contrats responsables et solidaires des assurances complémentaire santé, ce qui aura pour effet certain de renchérir le coût de la protection complémentaire pour un très grand nombre d’assurés ; qu’elle a également supprimé l’exonération de taxe votée par le Sénat au profit des contrats destinés aux étudiants ;
Considérant que l’Assemblée nationale a rétabli la création d’une ébauche de secteur optionnel, mesure à laquelle la majorité du Sénat a clairement manifesté son opposition car un tel dispositif ne réglera en rien la question, plus aiguë que jamais, des dépassements d’honoraires mais risque, à l’inverse, de les légitimer ;
Considérant qu’aucune disposition ne vise à remédier à l’inégale répartition des praticiens sur le territoire, alors que la récente convention médicale, signée le 26 juillet, reste elle-même en retrait sur cette question ;
Considérant que rien n’est prévu pour favoriser le renforcement du secteur hospitalier, qui sera même pénalisé par l’arrêt brutal du plan Hôpital 2012 décidé unilatéralement dans le cadre des mesures de rigueur annoncées le 7 novembre, et que le processus de convergence tarifaire entre les secteurs public et privé est poursuivi sans prise en compte suffisante des spécificités du secteur public ;
Considérant que l’Assemblée nationale est revenue sur l’inscription dans la loi des règles aujourd’hui applicables pour le calcul des indemnités journalières maladie ;
Considérant que l’Assemblée nationale a refusé, au mépris des droits du Parlement, d’appliquer les règles habituelles de transparence pour le nouveau fonds d’intervention régional, FIR, en n’inscrivant pas que ses crédits seront votés en loi de financement ;
Considérant que, dans le prolongement des précédents, ce projet de loi de financement n’engage pas de modifications profondes du système de santé : il fixe l’ONDAM soins de ville et hospitalier à 2,7 %, taux revu à la baisse par le Gouvernement à 2,5 %, mais la sincérité de cet objectif est pour le moins incertaine ; le respect de ce plafond est en effet conditionné à la politique de baisse de prix de produits de santé, à la maîtrise médicalisée des dépenses et au désengagement des investissements hospitaliers ;
Considérant que le Gouvernement a renoncé à une réforme de la dépendance, pourtant jugée prioritaire et annoncée comme telle par le Président de la République, et laisse ainsi s’alourdir les charges pesant sur les personnes âgées en perte d’autonomie, sur leurs familles et sur l’aide sociale départementale ; que les enveloppes prévues pour assurer le financement des établissements qui accueillent des personnes âgées et des personnes handicapées ne permettront pas de rattraper le retard pris par rapport aux objectifs de création de places et de médicalisation des établissements ;
Considérant que l’Assemblée nationale n’a pas jugé utile d’améliorer la reconnaissance des maladies professionnelles ;
Considérant qu’en matière d’assurance vieillesse, le Sénat est mis devant le fait accompli des mesures nouvelles du Gouvernement, que l’anticipation d’un an du terme de la réforme n’est pas justifiée et qu’elle ne permet, pas davantage que la réforme votée voici un an, de parvenir à un équilibre des comptes de la branche en 2018 ; que l'hypothèse d'un rétablissement financier reposant sur la réduction du taux de chômage est parfaitement irréaliste ;
Considérant que la réflexion demandée par le Sénat sur le versement de la pension de réversion au partenaire d’un PACS et sur l’amélioration des droits à la retraite des apprentis a reçu une fin de non recevoir de l’Assemblée nationale ;
Considérant que le Sénat s’est opposé à la mesure votée à l’Assemblée nationale en première lecture du report de trois mois de la revalorisation des prestations familiales, en raison du caractère vital de celles-ci pour de nombreux ménages aux ressources faibles ainsi que pour certains de nos concitoyens les plus fragiles et qu’il rejetterait de la même manière la mesure consistant à ne revaloriser ces prestations que de 1 % au lieu de 2,3 % en 2012 ;
Considérant qu’au total, le projet de loi n’apporte pas les solutions nécessaires à la sauvegarde du système de sécurité sociale ;
Considérant que le Gouvernement comme l’Assemblée nationale ont clairement signifié au Sénat qu’ils entendaient ignorer, par principe, sa contribution sur ce projet de loi ;
Décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 124, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 est un mauvais projet.
Nous l’avons déjà largement démontré en première lecture : ce texte ne règle aucun des problèmes auxquels nos concitoyennes et nos concitoyens sont quotidiennement confrontés, notamment pour l’accès aux soins.
Il n’engage aucune des réformes structurelles indispensables pour assurer un haut niveau de protection sociale à toutes et à tous.
Il ne comporte aucune mesure de justice pour garantir une meilleure répartition des prélèvements.
Enfin, il continue de laisser filer les déficits et met gravement en péril l’ensemble de notre système de protection sociale.
Nous pensons qu’un autre budget est possible pour la sécurité sociale : un budget plus juste, plus adapté aux besoins de santé de la population, aux besoins des familles et à ceux des retraités. Nous le répétons chaque année : c’est avant tout une affaire de volonté politique.
Or, depuis cinq ans, la volonté ne s’est pas exprimée dans la direction que nous préconisons : aucune réforme structurelle de nature à résoudre les difficultés de notre système n’a été menée à bien.
Bien entendu, vous allez nous dire que la loi sur les retraites, votée l’an dernier, était une réforme structurelle… Eh bien non ! Cette réforme n’apporte aucune solution au déficit de l’assurance vieillesse, qui existera toujours en 2018. Elle ne fait que renforcer les inégalités !
Les femmes, en particulier, sont les principales victimes du recul de l’âge légal de départ en retraite. Les seniors aussi sont touchés : contrairement à ce que vous nous aviez annoncé l’année dernière, leur taux d’emploi ne progresse pas vraiment.
Et que dire de la fameuse prise en compte de la pénibilité ? C’est une prise en compte a minima, bien éloignée des intentions du législateur. En vérité, telle que vous l’avez définie, la pénibilité s’apparente à de l’invalidité.
Or, lorsque nous vous proposons de renforcer la taxation sur les retraites chapeaux afin, par exemple, d’améliorer la prise en compte de la pénibilité ou de réduire le déficit, devenu entièrement structurel, du Fonds de solidarité vieillesse, vous nous opposez une fin de non-recevoir… C’est un paradoxe incompréhensible ! Quelle est donc votre logique, madame la ministre ?
Le Gouvernement est-il réellement soucieux de la sauvegarde de notre système de protection sociale ? Nous en doutons parfois.
Ce système est un acquis que nous devons à ceux qui nous ont précédés sur ces bancs ; en ce qui nous concerne, nous pensons avoir le devoir de tout faire pour le préserver.
La nouvelle majorité sénatoriale a voulu montrer que c’était possible. Elle s’est donc appliquée à construire un autre budget pour la sécurité sociale.
Elle l’a fait autant qu’il était possible dans le cadre extrêmement contraignant tracé tant par les règles constitutionnelles, notamment l’article 40, que les règles organiques fixées par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
Ces règles nous empêchant de proposer une véritable alternative, c’est seulement grâce à l’adoption de quelques mesures fortes, solides et responsables, que nous avons pu esquisser cette autre politique.
L’Assemblée nationale n’a même pas voulu chercher à en comprendre la logique et à en mesurer les effets. Elle s’est contentée de tout rejeter pour rétablir la version du projet de loi de financement de la sécurité sociale qu’elle avait adoptée en première lecture, fort peu éloignée du texte initial du Gouvernement.
Elle n’a pas même conservé les quelques amendements adoptés au Sénat sur l’initiative des sénatrices et sénateurs de la majorité gouvernementale, de votre majorité, madame la ministre !
C’est ainsi que l’amendement relatif aux produits cosmétiques, que notre collègue Alain Milon avait déposé, n’a pas résisté à l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale par l’Assemblée nationale. (M. Alain Milon fait des signes de dénégation.)
Cette attitude de principe nous paraît contraire à l’esprit du bicamérisme ; elle ignore le travail parlementaire et son rôle dans l’amélioration des projets de loi.
C’est sans doute avec le même état d’esprit que l’Assemblée nationale a adopté sans aucune modification les nouveaux amendements présentés par le Gouvernement pour adapter l’équilibre du projet de loi de financement de la sécurité sociale à la prévision de croissance révisée.
Justement, arrêtons-nous un instant sur la méthode du Gouvernement. Entendue, le 18 octobre dernier, par la commission des affaires sociales, madame la ministre, vous déclariez : « Le Premier ministre a décidé en août de ramener la perspective de croissance à 1,75 %. Il ne paraît pas nécessaire de la revoir à nouveau à la baisse ».
Nous en avions pris acte, tout en exprimant déjà les doutes les plus sérieux sur ces prévisions audacieuses.
Trois semaines plus tard, le 7 novembre, alors que s’ouvrait au Sénat la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement décidait de revoir à la baisse la prévision de croissance pour 2012, la ramenant à 1 %.
Au même moment, le Premier ministre présentait à la presse, avant même de l’avoir fait ici, une série de mesures d’économies pour un montant de 1,2 milliard d’euros en ce qui concerne le champ couvert par le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. Ronan Kerdraon. C’est la démocratie télévisuelle !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Qu’avez-vous fait alors, madame la ministre ? Arrivée quelques heures plus tard devant notre assemblée, vous nous avez présenté des amendements périmés depuis le matin même pour rectifier les prévisions de l’annexe B et les tableaux d’équilibre pour 2012. Et vous nous avez annoncé qu’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale serait déposé, à peine le projet de loi de financement de la sécurité sociale adopté, pour examiner les mesures nouvelles annoncées ce jour-là…
On nous assurait que seul le respect d’une telle procédure serait constitutionnel. Une fois de plus, nous en avons pris acte, mais avec le sentiment étrange de n’être pas pris aux sérieux… On nous demandait, à nous parlementaires, de nous prononcer sur des tableaux fictifs, dans l’attente d’un collectif social qui présenterait des chiffres exacts !
Ce soir, madame la ministre, vous nous dites que, après vérification, cela n’est pas du tout contraire à la Constitution… Vraiment, vous vous moquez des parlementaires que nous sommes, ici, au Sénat !
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Mais, une semaine plus tard, nouveau coup de théâtre !
À peine en effet la commission mixte paritaire était-elle terminée – devrais-je dire exécutée ? –, le Gouvernement indiquait qu’il renonçait à déposer un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale : il présenterait de nouveaux amendements à l’Assemblée nationale pour faire adopter les mesures d’économies annoncées par le Premier ministre et rectifier les tableaux d’équilibre, tout cela dans l’idée d’alléger le calendrier parlementaire, comme l’a rappelé notre collègue Alain Milon.
Pourquoi ne pas nous avoir écoutés, le 7 novembre, lorsque nous vous faisions cette proposition, en invoquant à la fois l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire et notre hostilité au fond même des mesures annoncées ?
Comment ne pas s’interroger sur une méthode aussi singulière ? Est-ce délibéré ? Je ne veux pas le croire, car cela témoignerait d’un grand mépris du Gouvernement pour le Parlement.
Serait-elle le résultat d’atermoiements, voire d’une forme d’amateurisme ?
M. Ronan Kerdraon. Les deux !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ce ne serait pas moins inquiétant.
C’est bien sûr pour des raisons de fond, mais aussi en raison de ces aléas de procédure, que notre commission a choisi d’opposer la question préalable.
Notre rapporteur général, Yves Daudigny, a déjà exposé les principaux motifs de notre désaccord sur le contenu du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Pour ma part, je veux insister, au nom de la commission des affaires sociales, sur les principales raisons qui motivent le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable.
La première raison tient au niveau des déficits : 28 milliards d’euros en 2010, 22 milliards d’euros en 2011 et 14,6 milliards d’euros en 2012 pour le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse.
Nous ne pouvons évidemment pas approuver ces 65 milliards d’euros supplémentaires de dette inscrits dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 !
Ils portent atteinte à la pérennité de notre système de protection sociale et pénalisent les générations à venir, auxquelles nous infligeons une double peine : elles devront rembourser nos déficits tout en ayant perdu pour elles-mêmes le bénéfice du système de protection que nos aînés nous ont transmis.
En outre, j’observe que si les discours sur le retour à l’équilibre sont prolixes, les réalisations sont peu nombreuses… Or l’équilibre est très loin d’être atteint ! En 2015, selon l’annexe B, plus de 10 milliards d’euros de déficits seront encore constatés ! Qui veut-on tromper ? À quoi servent toutes ces incantations ?
Vous nous avez abondamment parlé, madame la ministre, de l’intérêt vertueux qu’il y aurait à inscrire dans la Constitution la règle d’or d’équilibre des finances publiques : comment expliquer alors que vous ne puissiez pas vous l’appliquer à vous-mêmes, y compris à moyen terme ?
De notre côté, nous ne nous contentons pas de discours : en matière de recettes, le Sénat a adopté des amendements qui conduisent à réduire le déficit des comptes sociaux de près de 4 milliards d’euros dès 2012.
Pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition sénatoriale, vous y êtes-vous systématiquement opposés ? Depuis deux ans, vous préconisez à longueur de débats la réduction des niches fiscales et sociales… Mais vous n’agissez pas ; c’est nous qui le faisons !
Mme Chantal Jouanno. N’inversez pas les rôles !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. La nouvelle majorité sénatoriale a essentiellement cherché à réduire les niches sociales existantes, alors que le Gouvernement a créé vingt-trois nouvelles taxes – vous avez bien entendu, vingt-trois, mes chers collègues – au cours des derniers exercices.
Nous avons aussi choisi de répartir plus équitablement les prélèvements que nous mobilisons.
Comment pouvez-vous rétablir le dispositif d’exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires que nous avons supprimé ? Plusieurs évaluations et expertises indépendantes, approfondies et convergentes ont eu beau établir sa très faible efficacité, le Gouvernement persiste à ne pas reconnaître le caractère excessivement coûteux de cette mesure – 4,9 milliards d’euros – en comparaison de l’intérêt qu’elle présente.
Comment pouvez-vous ne pas souscrire à notre souci de mieux cibler les allégements généraux de cotisations sociales, qui représentent une masse de 20 milliards d’euros ?
Mme Chantal Jouanno. Parlez-en aux salariés !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Nous estimons indispensable, et la Cour des comptes partage notre analyse, de limiter les effets d’aubaine et de sanctionner les entreprises qui abusent du temps partiel ou refusent d’avancer sur la voie d’une meilleure égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
De même, n’est-il pas aujourd’hui particulièrement légitime de renforcer la taxation des revenus très spécifiques que sont les stock-options, les attributions gratuites d’actions, les retraites chapeaux ou les bonus des traders ?
Je veux maintenant évoquer l’accès aux soins. Nous considérons que le mépris de l’Assemblée nationale pour l’objectif consistant à favoriser un meilleur accès aux soins est très grave.
Nos collègues députés, qui ont rétabli le doublement de la taxe sur les contrats responsables et solidaires des assurances complémentaires santé, portent la lourde responsabilité d’avoir renchéri le coût de la protection complémentaire pour un très grand nombre d’assurés, spécialement pour les étudiants au profit desquels nous avions supprimé cette taxe.
En rétablissant la création d’un secteur optionnel, l’Assemblée nationale a en outre très clairement légitimé les dépassements d’honoraires. Nous ne pouvons nous y résoudre. Bien au contraire, nous sommes décidés à lutter contre cette pratique lourdement pénalisante pour nos concitoyennes et nos concitoyens, ainsi que pour nos comptes sociaux.
J’observe encore qu’aucune disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale ne vise à remédier à l’inégale répartition des praticiens sur le territoire, alors que la récente convention médicale est elle-même en retrait sur ce sujet.
Rien non plus n’est prévu pour favoriser le renforcement du secteur hospitalier, qui sera même pénalisé par l’arrêt brutal du plan Hôpital 2012, décidé unilatéralement dans le cadre des mesures de rigueur annoncées le 7 novembre.
Or nous devons soutenir de manière prioritaire l’hôpital public, premier et souvent dernier recours pour une part croissante de la population.
C’est pourquoi nous sommes résolument opposés au processus de convergence tarifaire entre les secteurs public et privé : il revient à nier les spécificités du secteur public.
Dans le domaine médico-social aussi, le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comporte aucune mesure significative. Pourquoi le Gouvernement a-t-il, presque subrepticement, en tout cas à bas bruit, renoncé à la réforme de la dépendance, pourtant jugée prioritaire et maintes fois annoncée par le Président de la République ?
Quoi qu’il en soit, nous constatons un net alourdissement des charges pesant sur les personnes âgées en perte d’autonomie, leurs familles et l’aide sociale départementale.
Les plus modestes sont bien évidemment les plus touchés par ces reculs, comme le seront toutes celles et tous ceux pour qui la revalorisation plus faible des prestations familiales et des allocations logement représentera une véritable perte de revenu.
Nous sommes totalement opposés, madame la ministre, à la nouvelle mesure adoptée, sur votre initiative, par l’Assemblée nationale : revaloriser ces prestations de 1 % seulement, au lieu de 2,3 %, et uniquement à partir du 1er avril 2012, au lieu du 1er janvier.
Si votre maître mot est bien le désendettement, le projet qui nous revient de l’Assemblée nationale ne prend pas du tout ce chemin, contrairement à celui qui nous avions adopté ici.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le projet de loi de financement pour 2012 n’apporte pas les solutions nécessaires à la sauvegarde du système de sécurité sociale. Pour l’ensemble de ces raisons, nous ne pouvons le voter et je vous demande par conséquent d’adopter cette question préalable afin de manifester avec la plus grande fermeté notre désaccord total avec la politique menée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut, bien évidemment, qu’être défavorable au rejet du budget de la sécurité sociale par la Haute Assemblée.
M. Ronan Kerdraon. Ah bon ?…
Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame la présidente de la commission, je veux vous dire, en mon nom personnel et au nom du Gouvernement, que je regrette les changements de procédure législative qui vous ont été imposés. L’analyse de constitutionnalité a donné des résultats différents de ce que le Gouvernement estimait le 7 novembre.
Nous sommes tenus par l’impératif de sincérité d’abord, mais aussi par une nécessité de réactivité.
La situation, cette année, est tout à fait singulière, voire exceptionnelle. Je crois que vous le comprendrez, à défaut peut-être de l’accepter.
Sur le fond, comme vous, je ne peux que constater l’ampleur du désaccord qui sépare aujourd’hui les deux chambres du Parlement.
Je veux le dire une nouvelle fois : je le regrette, car, face à la crise, l’intérêt général aurait dû nous réunir.