Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ma position sur cette question est la suivante : il est exact que personne ne sait quelle sera la situation dans dix ans ; il est exact que dix ans est une durée exceptionnellement longue pour une garantie – en 2008, la garantie de l’État ne portait que sur deux ans – et que des questions de droit communautaire peuvent se poser. Vous nous les expliciterez.
Vous devrez nous expliquer également, monsieur le ministre, en quoi consiste le droit de regard de la Commission européenne. La presse annonçait d’ores et déjà ce matin que cette dernière allait très rapidement se pencher sur les résultats de nos travaux.
Il n’est pas exclu que Dexia Crédit Local, qui sera le gestionnaire de la société de refinancement de la Caisse des dépôts et consignations, soit encore là dans dix ans.
Le financement de l’économie sera la priorité des mois qui viennent et il serait vraiment malvenu de porter atteinte à la Caisse des dépôts et consignations qui, compte tenu de la situation des institutions financières aujourd’hui, sera la mieux à même d’apporter sa contribution. Je rappelle tout de même que, depuis trois ans, elle a été largement appelée au secours de l’État, qui était bien aise de la trouver à ses côtés.
Il reste la question, essentielle à nos yeux, des contreparties demandées aux banques au soutien public qui pourrait leur être apporté.
La rémunération de la garantie de l’État, déjà présente en 2008, n’est pas une contrepartie. C’est une obligation au regard du droit communautaire, faute de quoi les soutiens publics seraient assimilés à des aides d’État.
Les vraies contreparties consistent en une présence réelle de l’État au capital des sociétés, et non, comme en 2008, en des participations. Ces dernières présentent tous les avantages pour les banques – un afflux de fonds propres –, mais leur épargnent les inconvénients liés à la présence de l’État au conseil d’administration et à l’exercice de ses droits de vote correspondant à sa participation.
Dans le cas de Dexia, pour que la présence publique soit la plus opérationnelle possible, je suggère que l’État et la Caisse des dépôts et consignations concluent un pacte d’actionnaires, de sorte que la France puisse se présenter unie en toutes circonstances et mettre ainsi utilement à profit sa minorité de blocage, qui est de 25 % en droit belge.
Comme on ne peut imaginer que l’État dispose dans toutes les banques ne serait-ce que d’une minorité de blocage, il importe de fixer dans la loi les conditions auxquelles l’État peut apporter son soutien aux banques, notamment dans le domaine des rémunérations et des avantages consentis à l’exécutif de ces institutions financières. Ce sujet est abordé de façon récurrente lors de l’examen des projets de loi de finances.
Le président de la Banque centrale européenne considérait voilà quelques jours que nous avions « un vrai problème de valeurs » et que « nos démocraties ne comprennent pas certains comportements ». Le président de la Commission européenne lui-même, retrouvant les accents « gauchistes » de sa jeunesse – je m’en souviens, car je vivais au Portugal à cette époque – a déclaré dimanche que « certaines banques européennes, dont peut-être les françaises, ont effectivement besoin de plus de capitaux propres ». Il constate que « certaines d’entre elles refusent jusqu’au principe même d’être aidées, souvent parce qu’elles rejettent par principe tout contrôle public ». Dans une interview publiée dans un quotidien du matin, le président de la Fédération bancaire française, M. Oudéa, indiquait que celles-ci n’avaient pas du tout besoin d’une aide publique. On ne saurait mieux dire !
C’est pourquoi la commission des finances vous propose un amendement en ce sens. Si le Gouvernement n’y souscrit pas, il sera manifeste qu’il refuse d’adopter une attitude constructive en matière de soutien public aux banques.
Le Gouvernement doit apporter la preuve qu’il a tiré la leçon des échecs de 2008. M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a demandé aux députés de l’opposition de lui dire « oui » pour une fois. Au Sénat, c’est la majorité et la commission des finances qui vous demandent d’adopter une attitude positive en assortissant le soutien aux banques d’une contrepartie qui fasse sens face à la défiance de nos concitoyens.
J’espère que vous nous entendrez, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité. Chacun d’entre nous est concerné. Vous connaissez les dégâts que provoquent depuis 2008 tous ces exercices sur nos concitoyens, en un mot sur la cohésion nationale. Il est temps de donner un signe qui ne soit pas que symbolique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, du groupe CRC, ainsi que sur les travées du RDSE et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me limiterai à quelques brèves considérations, d’une part sur Dexia et sur le caractère indispensable des mesures qui nous sont proposées, d’autre part, un peu plus longuement, sur la situation actuelle particulièrement préoccupante et contradictoire de la zone euro.
Pour l’essentiel, je partage l’analyse de Mme la rapporteure générale. Il est clair, et nous le reconnaissons tous, que Dexia est au bord de la faillite ; il est impératif de traiter chirurgicalement et immédiatement cette situation. Cela suppose un plan de restructuration en bon ordre.
Rappelons que Dexia représente globalement 35 000 emplois, 136 milliards d’euros de dépôts et une production de prêts qui était encore de 56 milliards d’euros en 2010.
Inutile d’ajouter devant une assemblée comme la nôtre que la part de marché de Dexia dans le secteur du financement des collectivités territoriales demeure considérable. Nous le savons tous et nombre d’entre nous ont suivi le cheminement de cette banque, de la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales au sein de la Caisse des dépôts et consignations, qui était une entité sans personnalité morale, à la création du Crédit local de France, avec, à l’origine, une forte implication des collectivités territoriales dans sa gouvernance et des souscriptions d’une fraction de son capital par lesdites collectivités territoriales.
Puis nous avons vu Dexia s’éloigner au grand large et se livrer à des aventures outre-Atlantique, lesquelles expliquent, pour l’essentiel, la situation de détresse financière qui est apparue au grand jour en 2008.
Depuis 2008, une véritable course contre la montre a dû être engagée. Celle-ci aurait peut-être pu être gagnée et les encours internationaux à risques de la banque auraient pu être réduits grâce aux efforts de l’équipe mise en place autour du président du comité de direction, Pierre Mariani. Mais, aujourd'hui, Dexia est la première vraie victime, en France et en Belgique, de la crise de la dette souveraine, qui a été le révélateur des fragilités considérables de la banque.
Dans ce contexte, la commission des finances du Sénat, même assez profondément renouvelée, ne pouvait évidemment pas ne pas se mobiliser dans l’urgence et vous proposer de prendre ce soir, sur la proposition du Gouvernement, les mesures qui s’imposent.
Pour ma part, je pense – beaucoup d’entre vous le diront dans ce débat – que de la crise très grave qui frappe Dexia sortira sans doute un bien pour le financement des collectivités territoriales. Elle va en effet accélérer fortement la mise en place d’une institution spécialisée dans le financement des collectivités territoriales. La conduite opérationnelle de cette institution sera confiée à la Banque postale, laquelle pourra ainsi exercer un nouveau métier qui, en complémentarité avec ceux qu’elle exerce déjà, lui permettra de se déployer sur le territoire et de mieux assurer son avenir.
M. Pierre Hérisson. Exactement !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout ceci est rendu possible grâce à l’adossement de DexMA à la Caisse des dépôts et consignations, laquelle est, nous le savons bien, la clé de la solution qui est en train de se mettre en place. Nous devons donc tous faire preuve d’une grande vigilance afin de préserver cet outil exceptionnel pour notre pays.
Mme la rapporteure générale a posé à ce sujet des questions auxquelles M. le ministre répondra certainement. Nous considérons pour notre part que le système de garanties et de contre-garanties dont la Caisse des dépôts et consignations va bénéficier est la clé de cette opération – de ce côté-ci du Quiévrain tout au moins –, de sa crédibilité et de l’avenir.
Naturellement, deux sujets peuvent, ce soir, justifier quelques différences d’approche entre les deux moitiés de la Haute Assemblée.
Le premier sujet – mais je suppose que les différences d’approche qu’il suscite vont tout de suite s’atténuer au vu des réponses que le Gouvernement va apporter aux questions de Mme la rapporteure générale – porte précisément sur la situation de la partie résiduelle de Dexia, c'est-à-dire Dexia Crédit Local en France. Cette banque n’est, a-t-on dit à l’Assemblée nationale, ni une structure de défaisance ni une bad bank. Mais qu’est-ce alors ? Quel sera son avenir ? Il serait utile que le Gouvernement nous éclaire et nous apporte des éléments d’information sur ce sujet, afin de nous donner une idée de l’ordre de grandeur des risques que nous devons partager. Il ne faut pas oublier non plus que cette banque résiduelle emploie de nombreux salariés et qu’il conviendra de les fixer sur leur avenir.
Pour aller plus loin, j’évoquerai les contreparties que Mme la rapporteure générale souhaite introduire dans l’éventualité – espérons que cela restera une simple éventualité – où l’État devrait apporter son aide à des institutions financières, à des banques et à des établissements financiers.
À vrai dire, les dispositions sur les rémunérations des dirigeants qu’elle souhaite introduire s’inscrivent tout à fait dans la continuité de l’amendement que le Sénat avait voté sur la proposition de Jean Arthuis en 2008.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Après bien des batailles !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Oui, mais le Sénat l’avait néanmoins voté !
En outre, le Gouvernement avait repris la substance de l’amendement de Jean Arthuis dans un décret de 2009, …
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La substance seulement !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … dont la durée de validité ne s’étendait que jusqu’à la fin de l’année 2010, soit une période d’une durée exceptionnelle.
Aujourd'hui, l’amendement adopté par la commission des finances, sans vote contraire mais avec l’abstention de l’UMP et de l’UCR, vise à mettre en place dans notre droit positif des règles qui s’appliqueraient à l’avenir à toute banque bénéficiant pour son refinancement du soutien de l’État. Toute banque en crise de liquidités ou incapable d’assumer le financement de ses activités et qui bénéficierait du soutien public devrait, en contrepartie, se soumettre à un corpus de règles fixées par la loi en matière d’avantages annexes, de rémunérations de l’encadrement supérieur, des dirigeants et des actionnaires.
Comme je vous l’indiquais, il n’y a pas eu au sein de la commission des finances de vote contraire. Sur le fond, nul n’a été choqué par cette proposition qui, au demeurant, n’a rien de révolutionnaire puisqu’elle s’inscrit, je le répète, dans la continuité d’un amendement de Jean Arthuis que nombre d’entre nous avaient soutenu. La seule question qui se pose est de savoir, mes chers collègues, s’il faut voter cet amendement ce soir. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Exactement !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pour éviter la confusion entre nous, il est bon que notre approche sur un tel sujet varie quelque peu !
Je suis de ceux qui pensent que cette mesure pourrait être encore travaillée, et qu’elle aurait toute sa place dans le projet de loi de finances pour 2012. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Elle s’appliquerait ainsi de la même manière aux mêmes banques bénéficiant du même soutien public !
Pour ma part – pardonnez-moi, chers collègues de la majorité sénatoriale, de soutenir cette position –, je pense qu’il serait plus simple et plus clair de voter conforme le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Si nous ne le votons pas conforme, c'est-à-dire si les propositions de la commission des finances sont suivies par la Haute Assemblée, ce sujet sera traité demain à quatorze heures en commission mixte paritaire. L’incertitude sera donc de courte durée !
Je persiste à penser qu’un vote conforme par deux assemblées ayant des majorités opposées servirait la crédibilité financière de notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Bernard Piras. Sortez les mouchoirs !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce serait un geste extrêmement positif. Au demeurant, ce n’est pas le fond de la question qui est en cause. En tant que président de la commission des finances, je me permets de suggérer cette voie. Je ne sais si je serai entendu, mais je me dois de le faire.
J’en viens à présent à un sujet qui requiert une réponse précise et convaincante du Gouvernement, à savoir les crédits – 600 millions d’euros – que l’on nous propose d’inscrire au titre des dépenses accidentelles et imprévisibles.
Comme Mme la rapporteure générale, je pense que la procédure du décret d’avance, qui nécessite un examen ligne par ligne par la commission des finances, serait plus appropriée. J’ai en effet un peu trop l’impression que l’on nous demande de signer un chèque en blanc de 600 millions d’euros !
Je suppose que le Gouvernement nous apportera sur ce sujet des informations convaincantes au cours du débat et que nous aurons la garantie de pouvoir examiner dans le détail ces dépenses accidentelles et imprévisibles. Cela nous permettra de nous retrouver et nous évitera d’avoir à voter cet amendement.
Pour terminer, permettez-moi de vous livrer quelques considérations sur la crise de la zone euro. Il est tout à fait clair, mes chers collègues, que les chefs d’État et de Gouvernement vont devoir faire preuve d’imagination.
Souvenons-nous simplement d’une chose : la crise grecque a débuté voilà environ deux ans et dure, à la vérité, depuis lors. À cette époque, il était impossible – ce sujet était alors tabou – d’évoquer une restructuration de la dette grecque. Pour des raisons de doctrine, on considérait qu’un pays membre de la zone euro ne pouvait pas être conduit à ne pas honorer l’intégralité de sa dette dans les conditions contractuelles et rubis sur l’ongle.
Si je comprends bien l’évolution des choses, il va cependant falloir organiser une restructuration de la dette grecque. Le faire aujourd'hui, c’est le faire dans des conditions infiniment plus coûteuses pour l’ensemble des pays de la zone euro que si cette décision avait été prise au départ, il y a environ deux ans.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est certain !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Permettez-moi de le regretter.
Ce soir avait lieu à Francfort la réception de départ du gouverneur de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet. C’est une personnalité d’une haute stature, tout à fait exceptionnelle, mais peut-être un peu trop animée parfois par l’esprit de doctrine.
La Banque centrale européenne a la responsabilité, me semble-t-il, en partage avec les chefs d’État et de Gouvernement, de faire preuve de l’imagination nécessaire pour que la zone euro ne soit pas un carcan et pour qu’elle ne périsse pas de ses contradictions internes et de ses péchés originels.
M. François Marc. Ils vont utiliser la planche à billets !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mes chers collègues, nous aurons l’occasion de revenir à maintes reprises sur tous ces sujets fondamentaux.
Ce soir, nous examinons le cas de Dexia. Il va nous conduire à évoquer la situation financière de nombreuses collectivités territoriales de ce pays. Faisons en sorte que, après cette décision douloureuse et difficile, qu’il nous faut pourtant prendre, cette crise ait des conséquences positives et permette aux collectivités territoriales d’avoir une plus grande visibilité concernant la prise en charge de leurs projets et, d’une manière générale, le financement de leurs investissements. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
7
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des finances a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011 actuellement en cours d’examen.
Cette liste a été affichée conformément à l’article 12, alinéa 4 du règlement, et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
8
Troisième loi de finances rectificative pour 2011
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi modifié
M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2011.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce nouveau collectif budgétaire est essentiellement consacré à la situation de Dexia et aux conséquences du plan de redressement tel qu’il a été négocié entre l’État, la Belgique et le Luxembourg.
Les sommes en jeu sont particulièrement importantes : 380 milliards d’euros d’actifs dans le groupe, 77 milliards d’euros de prêts aux collectivités locales, dont 50 milliards d’euros pour la France. Et ce sont près de 40 milliards d’euros de garanties qui sont proposés dans ce texte.
Nous craignons d’ailleurs que de telles sommes ne soient insuffisantes, non pas pour faire face aux dépréciations d’actifs qui touchent les activités les plus concurrentielles de Dexia, mais plutôt pour prendre en compte les légitimes attentes des élus locaux confrontés à la dérive des emprunts structurés. D’autant que, nous le savons tous, Dexia n’est pas la seule banque à avoir proposé des emprunts de ce type aux collectivités locales.
La situation que nous connaissons aujourd’hui avec Dexia est le résultat de la privatisation intégrale des activités bancaires, avec la sollicitation permanente des ressources onéreuses sur les marchés financiers et le marché interbancaire.
C’est la suite logique de la crise financière qui avait déjà amené les gouvernements français et belge à recapitaliser la banque Dexia à hauteur de 6,4 milliards d’euros en 2008, sans aucune contrepartie réelle.
Une fois de plus, aucune exigence n’a été émise pour que la banque ainsi « sauvée » concentre ses efforts vers le financement des PME, des collectivités, avec l’objectif de servir l’intérêt économique des pays où elle intervient.
Une telle course à la rentabilité financière maximale et de court terme montre une fois de plus sa nocivité. Après en avoir engrangé les bénéfices, c’est vers la puissance publique que l’on se tourne pour éviter la chute.
M. Roland Courteau. Et voilà !
Mme Marie-France Beaufils. Permettez-moi tout de même de revenir dans cette discussion générale sur l’historique du financement des collectivités locales.
La Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales, la CAECL, fut longtemps l’établissement financier des collectivités, complétant par des ressources de marché – en général, il s’agissait d’emprunts émis auprès du public – les financements directs de la Caisse des dépôts et consignations.
À l’époque, le taux d’intérêt des emprunts était fixe, et la lisibilité des opérations évidentes ; les élus locaux avaient donc une grande sécurité.
La CAECL était un établissement public. Elle a été privatisée en 1987 et remplacée, en quelque sorte, par le Crédit local de France, le CLF, société anonyme à caractère commercial. En 1996, la fusion entre le CLF et le Crédit communal de Belgique s’accompagne de l’ouverture au marché du financement des collectivités territoriales.
Dès lors, les collectivités deviennent des clients comme les autres pour l’ensemble d’un secteur financier de plus en plus privatisé, banalisé et avec des activités de plus en plus diversifiées.
Dexia n’échappe pas à la règle et abandonne son cœur de métier, c’est-à-dire le financement des collectivités territoriales. La rentabilité n’est probablement pas au niveau attendu par ses actionnaires. C’est d’ailleurs ce que nous a rappelé l’une des personnes que nous avons auditionnées en commission des finances. Il est vrai que les collectivités locales ne déposent pas leurs ressources au sein des banques pour qu’elles puissent y trouver une rémunération.
Dexia se lance dans des activités de prise de contrôle d’entités bancaires dans le monde, comme aux États-Unis où, nous le savons tous, le groupe éponge encore d’ailleurs les dettes de sa filiale FSA.
Ce développement est fondé sur un schéma financier risqué, associant levée de ressources de court terme et distribution d’emprunts de long terme, conduisant de fait à créer une bulle de créances que le groupe ne peut plus honorer. Et ce d’autant que ses débiteurs, en particulier les dettes obligataires de la Grèce ou de l’Italie, ne sont plus en situation de faire face à leurs engagements.
Affectée par les subprimes en 2008 et touchée par la crise obligataire cette année, Dexia avait pourtant – faut-il le rappeler ? – passé avec succès tous les tests de résistance définis par les instances européennes.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Marie-France Beaufils. Il semble bien que ces mesures soient passées à côté de l’essentiel.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Marie-France Beaufils. Une fois de plus, la démonstration est faite que les outils d’analyse du système capitaliste dans lequel nous vivons sont inadaptés pour anticiper la crise. Nous le voyons également avec les agences de notation, qui ont tendance à aggraver la situation au lieu de créer les conditions favorables à la résolution des problèmes.
M. Roland Courteau. C’est exact !
Mme Marie-France Beaufils. Le plan de redressement qui nous est proposé vise clairement à éviter que le groupe ne fasse faillite, victime d’un surcroît de dettes impossible à couvrir !
L’affaire Dexia suffit à démontrer que la stricte logique privée et l’exigence de rentabilité financière conduisent à cette faillite. Or la proposition qui nous est faite ne règle pas cette question.
Nous le savons bien, la nationalisation est un mot tabou, au moins en France – la Belgique, elle, a purement et simplement choisi cette voie –, pour les libéraux. On nous dit même qu’il s’agit de mesures dépassées. Pourtant, on tourne autour et on parle de solliciter la garantie de l’État moyennant rémunération. Comme on le ferait d’une sorte d’engagement hors bilan, tendant à limiter les effets de ce que nous n’allons pas manquer de voir.
L’État ira chercher sur les marchés les ressources lui permettant d’accorder sa garantie. Il la fera rémunérer et constatera sans doute en bout de chaîne les moins-values les plus diverses. Celles-ci vont de la déperdition des titres de Dexia, qui est déjà avérée – l’action est désormais aux alentours de 55 centimes à 60 centimes, alors qu’elle valait encore 3,20 euros à la fin de l’année 2008 –, aux conséquences de la dépréciation des actifs gérés. Sans oublier les intérêts relatifs à la souscription du financement de la garantie.
L’affaire est d’ailleurs tellement bien ficelée que la Caisse des dépôts et consignations, appelée avec la Banque postale à reprendre le portefeuille de titres de dette publique locale en attendant de le développer à son tour, a demandé et obtenu que le plafond de garantie, dans un premier temps, soit supérieur sur ce créneau au risque de dépréciation encouru.
Il faut dire que si le résultat de la Caisse des dépôts disparaissait en tout ou partie dans la reprise des actifs de Dexia, le budget général s’en porterait sans doute assez mal !
En d’autres termes, la clientèle si particulière des collectivités servira probablement à asseoir l’équilibre financier de l’opération. En effet, les collectivités, obligées de renégocier leurs prêts pour éviter la dérive des taux, paieront pour une part la facture du redressement de Dexia.
Quand l’article 4 prévoit une garantie de refinancement rubis sur l’ongle en quelque sorte pour les actifs « ordinaires » de Dexia et une garantie minorée, partageant les coûts éventuels de dépréciation pour les actifs de « dette publique locale », il ne fait qu’accepter une certaine forme de laxisme pour un segment et de rigueur pour l’autre.
Dans le montage de l’article 4, ni Dexia ni la Caisse des dépôts n’ont le moindre intérêt à accorder aux collectivités locales quelque « faveur » que ce soit, qu’il s’agisse d’un abandon de créances, d’un moratoire de remboursement, même temporaire, ou d’un rééchelonnement éventuel des emprunts...
C’est là une situation que nous ne pouvons tout à fait accepter. C’est le sens de l’un de nos amendements, d’autant que les investissements des collectivités sont un facteur important de maintien de l’activité économique et de l’emploi, ce dont nous aurions grand besoin aujourd'hui.
Il importe que le présent projet de loi ouvre clairement la voie à la structuration d’un véritable pôle financier public, intégrant notamment au titre de ses missions prioritaires le financement des collectivités locales. La création d’un établissement public de financement s’appuyant sur la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale, entre autres, aurait été le prolongement indispensable aux propositions de garantie que vous nous proposez dans ce projet de loi de finances rectificative.
Or aucune proposition en ce sens ne nous a été présentée par le Gouvernement. Rien pour le moment dans la présentation que vous venez de faire, monsieur le ministre, ne nous laisse supposer que vous acceptez de vous engager dans une démarche de constitution d’une banque publique dédiée au financement des collectivités territoriales dans laquelle l’État pourrait pleinement faire entendre ses exigences pour contribuer efficacement aux politiques publiques.
Un tel positionnement du Gouvernement, s’il était maintenu au cours de nos débats, ne nous permettrait pas d’approuver le présent projet de loi de finances rectificative.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, il y a urgence à trouver des solutions techniques, mais sans oublier qu’il s’agit d’une question éminemment politique ! On sort toujours d’une crise ; la question est de savoir dans quel état.
Oui, il y a urgence. Oui, il s’agit de l’intérêt national. Mais l’urgence n’est-elle pas la conséquence de l’imprévision ou de décisions retardées ? Monsieur le ministre, vous nous avez dit qu’il fallait restaurer la confiance, rassurer les marchés, avoir plus de transparence, décourager la spéculation et coordonner les politiques gouvernementales. C’est bien de le dire ; il faut le faire.
Comment le citoyen ne serait-il pas ébranlé depuis 2008 par des annonces et des promesses constamment remises en cause ? Oui, nous avons affaire aux conséquences de la crise de la dette souveraine, mais elles sont démultipliées par des fautes de gestion que nous connaissons tous aujourd'hui.
Il y a eu mauvaise gestion, il y a eu des choix négatifs ; ce n’est pas le seul établissement financier. Il y a eu aussi absence totale de communication loyale vis-à-vis de l’opinion. La véritable urgence, c’est une communication loyale de l’ensemble de ces établissements, une responsabilisation de ces établissements et de leurs dirigeants ! La véritable urgence, c’est une politique européenne en adéquation avec l’existence d’une monnaie européenne !
S’il est un élément auquel notre groupe est attaché, c’est le principe : « Qui paie décide » ! Si le contribuable paie, il doit participer à la décision.
Nous avons besoin de banques et de marchés financiers, mais il faut qu’ils soient au service de l’économie et qu’ils ne dictent plus leur loi aux États.