M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays et les Émirats arabes unis ont signé à Abou Dabi, le 26 mai 2009, lors de la visite officielle du Président de la République pour inaugurer une nouvelle base militaire interarmées, un accord de coopération en matière de défense.
Vous nous avez précisé, monsieur le ministre, que celui-ci se substituait à un accord secret de 1995 devenu obsolète du point de vue tant du champ de la coopération couvert que de la protection offerte à nos personnels sur place. Par la suite, un échange de lettres dit « interprétatif », portant sur le dispositif juridique régissant nos forces, a eu lieu entre les deux parties au mois de décembre dernier.
L’étendue des coopérations contenues dans cet accord en prouve assez l’importance.
À peine deux mois après la réintégration complète de la France dans le commandement militaire de l’OTAN, le Président de la République procédait à une nouvelle réorientation stratégique majeure. L’inauguration d’une base militaire permanente en dehors de l’ancien « pré carré » africain était déjà en soi une première depuis cinquante ans. La signature de l’accord, dans la foulée, concrétisait la volonté d’installer durablement notre pays au centre d’un « arc de crise » défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Celui-ci, allant du Proche-Orient au Pakistan, en passant par l’Irak, l’Iran et l’Afghanistan, concentre les risques de conflits les plus lourds de la planète.
Cet accord révélait aussi une dispersion de nos capacités et un redéploiement de certaines d’entre elles pour nous aligner, une nouvelle fois, sur la politique des États-Unis, en nous insérant dans leur dispositif dans cette région.
Certes, ces décisions du Président de la République découlaient de certaines analyses contenues dans le Livre blanc, qui avaient été présentées devant le Parlement et que le groupe CRC-SPG n’avait d’ailleurs pas approuvées. Je déplore, toutefois, que de telles décisions, aussi lourdes de conséquences, n’aient fait l’objet d’aucun débat stratégique, ni d’aucune concertation parlementaire préalable.
Trois points particuliers me semblent soulever des questions fondamentales : la clause de sécurité, les articles relatifs au statut de nos forces et, d’une façon plus générale, notre politique de défense dans la région.
L’une des singularités de cet accord de défense se trouve notamment dans les articles 3 et 4 du texte signé. Ceux-ci comportent une clause dite « de sécurité » prévoyant une riposte militaire graduée à tout type de menace contre l’un de nos pays, pouvant aller jusqu’à l’engagement de nos forces. L’adoption de ce texte signifierait très concrètement que, dans l’hypothèse où les Émirats arabes unis seraient soumis à une attaque contre ce qu’ils estimeraient être leurs intérêts vitaux ou qui mettrait en cause leur souveraineté nationale, nous pourrions être presque mécaniquement amenés à un engagement militaire.
Cette clause est paradoxale et contradictoire avec les politiques de coopération et de défense que le Gouvernement mène avec les pays d’Afrique. En effet, lors d’une discussion parlementaire sur de nouveaux accords signés avec des États africains, vous aviez fortement insisté, monsieur le ministre, sur le refus de telles clauses d’assistance mutuelle.
Quand on connaît la situation sensible de cette zone, avec la rivalité entre les monarchies pétrolières soutenues par les États-Unis et l’Iran qui veut s’imposer comme puissance régionale...
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Il est la puissance régionale !
Mme Michelle Demessine. ... en utilisant le chantage nucléaire, on mesure le risque d’engrenage dans lequel la France pourrait être entraînée. L’Iran a, en effet, clairement prévenu que, s’il était lui-même agressé, l’une de ses ripostes pourrait viser les Émirats du Golfe. Et ce n’est pas une hypothèse d’école : récemment encore, le général Ali Jafari, commandant suprême du Corps des gardiens de la révolution, déclarait à une agence de presse que, s’il était menacé, l’Iran était prêt à fermer le détroit d’Ormuz par lequel transitent, je le rappelle, 40 % du trafic maritime mondial.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Quelle référence !
Mme Michelle Demessine. En outre, le texte de l’accord, en envisageant que la France peut utiliser « tous les moyens militaires à sa disposition » pour défendre les Émirats arabes unis s’ils venaient à être agressés, introduit une certaine ambiguïté en ce qui concerne nos armes nucléaires.
Je sais que la convention prévoit une concertation entre les parties sur la nature tant de la menace subie que de la réponse à apporter. Il n’en reste pas moins que l’engagement de l’arme nucléaire serait du seul ressort du Président de la République si les intérêts vitaux de la France étaient menacés. La doctrine de la dissuasion nucléaire ne définissant pas exactement ces intérêts vitaux, pourriez-vous, monsieur le ministre, me préciser si l’accord signé offre ou non notre parapluie nucléaire aux Émirats arabes unis voisins de l’Iran ?
J’en viens au statut de nos personnels sur place.
La lettre interprétative porte sur les garanties dont nos personnels pourraient bénéficier en cas de désaccord sur la nature de l’infraction commise. Ce pays étant régi par les lois islamiques de la charia, je crains quelques difficultés d’application en cas de litige grave.
Enfin, il n’est pas possible d’évoquer un tel accord sans considérer l’attitude très négative des Émirats arabes unis dans le domaine des droits de l’homme, je pense en particulier à leur façon de traiter les ressortissants étrangers. Nous ne pouvons pas non plus oublier l’intervention et les exactions commises à Bahreïn.
Approuver cet accord de défense revient à soutenir militairement une dictature pétrolière qui opprime ses populations et réprime alentour.
Récemment, les parlementaires allemands se sont vivement affrontés à propos d’un projet de livraison de chars à l’Arabie saoudite. La polémique portait sur le non-respect des principes déontologiques fédéraux en matière d’exportation d’armement, notamment en direction de pays fortement soupçonnés d’opprimer la population ou de violer les droits de l’homme.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Cela n’a rien à voir !
Mme Michelle Demessine. C’est pour nous un exemple à méditer.
Au total, il y a véritablement dans votre politique étrangère, monsieur le ministre, quelque contradiction à prétendre soutenir le « printemps arabe » pour la démocratie et le développement, tout en continuant d’entretenir des relations très étroites avec ce type de régime.
Pour cet ensemble de raisons, le groupe CRC-SPG votera contre cet accord de défense avec les Émirats arabes unis.
M. le président. La parole est à M. André Trillard. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que, une fois de plus, le Parlement ait à se prononcer sur la ratification d’un accord de défense. C’est un exemple supplémentaire de l’association de la représentation nationale à la politique étrangère et de défense du Gouvernement, et ce conformément aux engagements du Président de la République et à la loi de programmation militaire 2009-2014.
Aussi, je me félicite de la présence de M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération, car cet accord de défense avec les Émirats arabes unis va bien au-delà du seul partenariat militaire et de l’installation d’une base militaire dans la région, mais j’y reviendrai ultérieurement.
J’ai écouté attentivement mes collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. À cet égard, le travail et le rapport de Mme Goulet témoignent de son excellente connaissance de la région et des enjeux pour notre pays.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Je vous remercie, mon cher collègue !
M. André Trillard. Pour autant, je tiens à rappeler que ces accords de défense, signés le 26 mai 2009 à Abou Dabi, s’inscrivent également dans une logique plus large de renouvellement de partenariats de défense entre la France, le Moyen-Orient et l’Afrique. Pour preuve, le 1er mars dernier, nous avons voté des partenariats de défense avec quatre pays africains. Aussi, ces accords se substituent aux accords de coopération de 1995 signés avec la Fédération des Émirats arabes unis.
Depuis cette date, la France n’a cessé de renforcer des liens avec les Émirats arabes unis, et ce à plusieurs niveaux. Ces accords répondent donc à une longue et ancienne coopération, à la fois culturelle, économique et militaire.
Il s’agit, surtout, pour notre pays d’être présent dans une zone véritablement stratégique, tant pour la sécurité de l’Europe que pour la stabilité de tout le Moyen-Orient. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 a clairement identifié cette zone parmi les plus « critiques ». D’ailleurs, les Britanniques et les Américains l’ont compris et ont passé des accords de défense avec ces pays.
Alors, pour un pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU, il n’est plus concevable de se satisfaire d’accords datant de plus de quinze ans et de se contenter d’une présence presque en dilettante dans l’une des zones les plus stratégiques de la planète, qui a connu de nombreux bouleversements.
Faut-il rappeler que le Golfe persique est en proie à de multiples et constantes instabilités ? Entre 1980 et aujourd’hui, la guerre Iran-Irak, le conflit au Koweït, en Irak, puis la nucléarisation de la région du fait de la course iranienne à l’atome militaire n’ont cessé de nous démontrer que la paix mondiale dépendait de cette zone.
À l’heure où la France est l’un des premiers contributeurs financiers et humains au sein des opérations de maintien de la paix, il n’est pas logique que seuls les Américains disposent d’une véritable base militaire dans la région.
Beaucoup d’entre nous s’émeuvent ici que notre pays n’ait pas les moyens géographiques de sa projection opérationnelle. Ces accords et l’implantation militaire française aux Émirats arabes unis représentent une formidable opportunité. Il s’agit d’être cohérent avec notre politique d’intervention à l’extérieur de nos frontières et, surtout, d’en améliorer les conditions.
Par ailleurs, à l’heure où la France est l’un des premiers acteurs de la lutte contre la piraterie internationale, notre présence aux abords du détroit d’Ormuz, où transite l’essentiel des approvisionnements en hydrocarbures, est plus que cohérente.
Le 22 décembre dernier, nous avons voté le projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer, afin de sécuriser les espaces maritimes où s’effectuent 90 % du transport mondial de marchandises. Si ce texte instaure un cadre juridique pour nos interventions contre les pirates, il demeure nécessaire de pouvoir bénéficier d’un point d’ancrage au sens propre du terme, en particulier à un moment où la protection des approvisionnements énergétiques participe à la préservation de nos intérêts vitaux. Je vous renvoie à l’excellent rapport de MM. Dulait et Boutant, qui ont pu constater que la base IMFEAU, l’implantation militaire française aux Émirats arabes unis, jouait un rôle essentiel dans l’opération Atalante.
Certains s’inquiètent de la spécificité de ces accords. Il est vrai que ceux-ci se distinguent par la force de l’engagement de la France en cas de menace ou d’agression contre l’un des Émirats arabes unis par un pays tiers. Ils sont pourtant à la mesure de nos relations avec ces États. De plus, je tiens à rappeler que ces pays participent à des opérations avec l’OTAN – je pense au Qatar en Libye – et que, à un moment où les cartes sont redistribuées dans tout le Moyen-Orient, ces partenariats bilatéraux ont une importance primordiale.
En outre, l’implantation d’une base militaire participe à notre dissuasion. Nous nous devons d’aider ces pays qui n’ont pas les moyens humains de leur défense face à une puissance militaire telle que l’Iran, forte de 70 millions d’habitants, à un moment où son soutien au Hamas et au Hezbollah inquiète la communauté internationale.
Enfin, mes chers collègues, que voulons-nous ? Nous avons développé une véritable politique économique et de coopération technique et culturelle avec ces pays. Non seulement nos champions industriels s’y sont implantés, mais notre présence participe également au rayonnement culturel et scientifique de la France.
Pour être intervenu à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, je sais combien la concurrence est rude pour la France, face aux États-Unis et à la Chine, si elle veut maintenir sa présence et son influence dans le monde.
Aux Émirats arabes unis, ce sont à proprement parler de véritables labels « France » que nous sommes parvenus à exporter. L’implantation de l’université Paris-Sorbonne à Abou Dabi et la prochaine ouverture du « Louvre Abou Dabi », sont des occasions uniques pour notre pays de mettre en place une véritable politique de smart power.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Enfin !
M. André Trillard. Ces accords de défense répondent à une politique d’influence globale de la France dans une région traditionnellement sous influence anglo-saxonne. Ils sont peut-être contraignants, mais ils sont totalement cohérents : ils participent à la stabilisation d’une zone stratégique.
Aussi, pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera-t-il ces accords. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.
M. Michel Boutant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord qu’il nous est demandé d’autoriser aujourd’hui aurait presque pu passer inaperçu ! La session extraordinaire s’achève demain, et nous examinons cet après-midi un nombre de textes tout à fait important, notamment des accords fiscaux entre la France et ses partenaires. Il serait pourtant gravissime de négliger le présent texte.
L’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu’un échange de lettres énonce, en effet, des dispositions cruciales.
En son article 4, il est ainsi précisé, explicitement, que la France s’engage à « participer à la défense de la sécurité, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’État des Émirats arabes unis ». Quand on connaît la situation dans la région du détroit d’Ormuz, cela n’est pas rien !
« Mesure la profondeur de l’eau avant de t’y plonger », dit un proverbe arabe. C’est bien là mon inquiétude aujourd’hui, et celle de beaucoup de mes collègues. A-t-on bien conscience de la profondeur de l’eau ? L’histoire récente, pour ne rappeler que celle-ci, ne nous a-t-elle pas montré, en 1991, jusqu’où le jeu des alliances pouvait nous conduire ? L’accord qui sera voté ici paraîtra anecdotique aux yeux de la plupart de nos concitoyens, lesquels d’ailleurs, soyons lucides, n’en entendront même pas parler ! Souhaitons seulement que nous n’ayons pas à le regretter dans quelques années.
Plusieurs orateurs, à l’Assemblée nationale, l’ont noté : les risques de conflit avec l’Iran, s’ils ne doivent pas être exagérés, sont néanmoins réels. Je m’appuierai sur deux arguments.
Rappelons, tout d’abord, que l’Iran et les Émirats arabes unis ont un contentieux sérieux depuis le 30 novembre 1971, date à laquelle le Shah décida d’envahir les trois îles émiraties de Grande Tomb, Petite Tomb et Abou Moussa, situées en plein détroit d’Ormuz. L’invasion se fit, à l’époque, sans effusion de sang, mais la tension demeure jusqu’à ce jour. L’Iran occupe aujourd’hui encore militairement les trois îles qui, dois-je le préciser, sont d’une importance stratégique et économique capitale.
Au-delà des questions, légitimes, de souveraineté, il faut souligner que les zones économiques exclusives rattachées à ces territoires sont très convoitées, tant elles sont riches en hydrocarbures. Les Émirats arabes unis souhaitent d’ailleurs que ce point soit, enfin, réglé par la Cour internationale de justice.
Halte au pessimisme et au catastrophisme, allez-vous me rétorquer ! Un conflit qui partirait des îles du détroit d’Ormuz paraît improbable. L’invasion du Koweït par l’Irak apparaissait également tout à fait improbable ; Axel Poniatowski l’a rappelé à l’Assemblée nationale : elle s’est pourtant produite et a entraîné la France dans un conflit armé majeur.
Un autre point me semble d’importance. Lors de l’examen du projet de loi en commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, le 8 juin dernier, le député Daniel Boisserie a souligné que, au mois de mai 2011, avait été créée par le fondateur de Blackwater une société militaire privée destinée à servir les Émirats arabes unis. Il s’agirait d’un bataillon de 800 hommes chargés notamment de protéger les oléoducs et les gratte-ciel. Pour le président Guy Tessier, cette question n’a « rien à voir avec notre engagement ». Il a ainsi expliqué en commission qu’il imaginait mal les Émirats arabes unis déclarer la guerre à l’Iran, et à plus forte raison avec des mercenaires !
Avec tout le respect que je lui dois, je crois pourtant que Guy Tessier a fait là une mauvaise analyse de la situation. On peut en effet imaginer un accrochage, pour une raison ou une autre, entre mercenaires émiratis et soldats iraniens. Supposons que l’Iran attaque alors les Émirats : nous sommes tenus d’intervenir. On me répondra peut-être que je fais trop de suppositions. Soit ! Mais je préfère me poser ces questions maintenant, et vous les poser également. Nous parlons ici de la possibilité d’un conflit armé, sachons donc envisager tous les scénarios.
Monsieur le ministre, je souhaite aborder une autre de mes inquiétudes, qui n’a pas été entièrement levée à l’issue de l’examen de ce texte en commission. Ne peut-on pas légitimement craindre une dispersion des forces françaises, qui nuirait in fine à leur efficacité ? Je pense notamment aux troupes françaises stationnées à Djibouti.
Qu’en est-il des moyens qui resteront alloués à cette base ? Je ne saurais que trop insister sur le caractère essentiel de notre stationnement à Djibouti. La lutte contre la piraterie maritime, enjeu auquel, vous le savez, j’accorde beaucoup d’importance, est en effet coordonnée sur place avec le soutien des Américains et des Japonais.
En l’occurrence, il ne faudrait pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le député Yves Vandewalle s’est lui-même inquiété de l’équilibre entre les deux pôles d’Abu Dabi et de Djibouti. La France ne doit pas sacrifier ses intérêts en Afrique pour remplir un peu plus sa « vitrine » émiratie, comme elle nous est souvent présentée. Notre implantation en Côte d’Ivoire a récemment démontré, s’il en était besoin, son utilité. Des vies, françaises et ivoiriennes, ont ainsi été sauvées. Notre présence en Afrique centrale est également capitale compte tenu des risques liés à Al-Qaïda.
Si j’insiste sur ce point, mes chers collègues, c’est parce que je sais, tout comme vous, que la France ne peut se permettre financièrement, et je le regrette, d’être présente partout. Je sais donc aussi que les moyens alloués à Abou Dabi seront autant de ressources en moins pour nos autres bases.
J’aurais d’ailleurs souhaité, monsieur le ministre, avoir davantage de précisions sur le financement de la base d’Abou Dabi. Il nous a été expliqué en commission que les Émiratis allaient prendre en charge la construction des infrastructures,…
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. C’est vrai !
M. Michel Boutant. … mais je doute que le coût soit nul pour la France.
Avant de conclure, je voudrais rappeler que, bien sûr, les Émirats arabes unis sont un pays ami – et un ami doit être protégé ! –, en même temps qu’un partenaire privilégié dans une zone décisive pour l’approvisionnement énergétique de la France. Une présence militaire dans la région donne un poids indiscutable à notre armée et à nos positions.
Je souhaiterais néanmoins que le Gouvernement français soit plus vigilant sur la façon dont les droits de l’homme sont considérés aux Émirats arabes unis. Entre amis, il est important de ne pas se mentir. Et nous serions hypocrites si nous n’évoquions pas avec notre partenaire les questions des violences faites aux femmes, des conditions de travail des immigrés, de la peine de mort ou de la charia.
J’espère avoir démontré, s’il en était besoin, que ce texte n’est en rien anodin. À vous, monsieur le ministre, de me prouver qu’aucune de nos craintes n’est fondée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention vos interventions. Même si je ne suis sans doute pas en mesure de répondre à toutes les nombreuses questions qui m’ont été posées, j’essaierai d’apporter des précisions sur un certain nombre de points, qui, je l’espère, seront de nature à rassurer les différents intervenants.
Tout d’abord, concernant l’implantation des bases proprement dites, il ne s’agit pas de se disperser, de se fixer, au gré des modes, en quelque sorte, à tel ou tel endroit ; il s’agit de reconfigurer tout notre dispositif de défense, y compris au niveau de son implantation géographique.
La France mène actuellement des discussions avec un certain nombre d’États, notamment africains, en vue d’élaborer – et, je l’espère, de conclure –, des accords reposant sur de nouveaux modes de collaboration en matière de défense.
L’implantation d’une base dans les Émirats arabes unis n’est nullement contradictoire ou en opposition avec l’intérêt que la France porte traditionnellement et continue de porter à l’Afrique.
Il faut également considérer que les situations peuvent évoluer d’un pays à l’autre. Quand un certain nombre de nos soldats sont envoyés en Côte d’Ivoire dans le cadre de la force Licorne, par exemple, ils n’ont pas vocation à y rester à perpétuité. Il s’agit alors de prendre en compte une situation donnée, à un moment donné et, fort heureusement, réjouissons-nous-en, la démocratie a gagné en Côte d’Ivoire. Nous pouvons, par conséquent, adapter notre présence militaire en termes d’effectifs à cette nouvelle situation.
Ce qui importe – et ce n’est pas aux spécialistes rassemblés dans cette enceinte que je l’apprendrai ! –, c’est la mobilité. Il vaut mieux disposer d’un nombre limité de bases, qui soient les plus performantes, les mieux formées et les mieux équipées possible. Leur répartition doit leur permettre, en tant que de besoin, de se mouvoir rapidement et efficacement sur le terrain, de l’Atlantique à l’océan Indien.
Il n’y a pas de dispersion française en la matière, bien au contraire. La France compte aujourd'hui trois bases à l’étranger : au Gabon, à Djibouti et dans les Émirats arabes unis. Les bases de Djibouti et d’Abou Dabi sont complémentaires, en raison d’enjeux à la fois bilatéraux et multilatéraux. Vous avez évoqué, monsieur Boutant, la situation dans ce secteur, notamment la lutte contre la piraterie, et vous avez mille fois raison.
Je précise que les Émirats arabes unis ont assumé la plus grande part des investissements. La France y a contribué à hauteur de 25 millions d’euros – je parle de mémoire – et le coût de fonctionnement est estimé à 75 millions d’euros par an. Ces dépenses sont financées par des redéploiements de crédits, ce qui ne pose aucune difficulté.
S'agissant des droits de l’homme, nous pourrions débattre de cette question indéfiniment. Je veux simplement rappeler, personne n’en doute ici, que la France, toujours et partout, défend la liberté et les droits de l’homme ; il n’y a aucune ambiguïté en la matière.
Pour autant, compte tenu des grands enjeux internationaux, la France, dans le cadre d’une politique d’influence à la fois globalisée et harmonisée, doit pouvoir s’implanter là où elle le juge nécessaire, en raison de la situation géographique de tel ou tel secteur.
Nous n’allons pas critiquer les Émirats arabes unis sur un point sans dire, par exemple, que ceux-ci défendent en ce moment même avec nous le peuple libyen contre les exactions de M. Kadhafi. Il faut, en toute chose, préserver les équilibres nécessaires, me semble-t-il, et se garder de toujours juger ce qui se passe chez les autres. Pour autant, il faut rester ferme sur les principes, c’est-à-dire défendre la liberté des peuples et les droits de l’homme.
En ce qui concerne le Bahreïn, la France a fortement condamné la répression violente contre les manifestations – d’ailleurs pacifiques – qui s’y sont déroulées. La France a alors condamné, comme en Syrie, l’usage disproportionné de la force et a appelé, avec de nombreux pays, au dialogue entre les différentes parties. Je constate d’ailleurs que ce dialogue est amorcé depuis le début du mois de juillet.
Je veux, en outre, rappeler que notre accord de défense ne porte que sur des menaces extérieures ; il ne porte, en aucune manière, sur d’éventuels conflits internes. La France ne peut être amenée à intervenir dans le cadre de cet accord que si une menace extérieure faisait peser un danger sur les Émirats arabes unis.
Madame Demessine, en matière de « parapluie nucléaire », la doctrine de la France est claire et connue de tous, et ce depuis toujours. La France est entièrement souveraine dans son engagement nucléaire et n’est liée, à ce titre, par aucun traité.
Certains d’entre vous ont évoqué l’OTAN. À cet égard, je rappelle que la force nucléaire française n’a nullement été mise à la disposition de l’OTAN, de quelque manière que ce soit. Dans ce domaine, la décision relève exclusivement de la France et du Président de la République. Toutefois, cette question n’a rien à voir avec l’accord qui est aujourd'hui soumis à l’appréciation du Sénat.
Enfin, j’évoquerai l’Iran. Nous parlons bien sûr de la situation dans ce pays et des difficultés que nous rencontrons pour y faire respecter les résolutions votées par les Nations unies. Cependant, là encore, ce sujet est éloigné de l’accord faisant l’objet de la discussion du Sénat cet après-midi.
Cet accord a vocation à être dissuasif en cas de menace extérieure, mais non à être appliqué, d’une manière ou d’une autre, lorsqu’il s’agit de la politique nucléaire menée par l’Iran en matière civile. Ce sont deux questions totalement différentes. Naturellement, la France continuera d’être très active pour faire pression sur l’Iran afin que ce pays respecte les décisions votées à l’ONU par la communauté internationale et qu’il contribue ainsi à accroître la paix, la sécurité et la stabilité dans le monde. Voilà ce que nous demandons à ce pays, rien de plus.
Tels sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques remarques dont je tenais à vous faire part.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.