PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
 

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Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, la récente révision de la Constitution a réaffirmé le rôle du Sénat en matière de collectivités territoriales. La réforme de 2008 a également souhaité renforcer l’initiative parlementaire, notamment sénatoriale. Je fais partie de ceux qui, pour des raisons tout à fait valables, n’ont pas voté le projet de loi constitutionnelle. Reste que j’ai entendu ce qui s’est dit durant les débats.

Aujourd’hui, alors que nous nous apprêtons à examiner, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe socialiste, une proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial – il s’agit donc de parler de nos territoires, d’aménagement du territoire, sujets cruciaux à nos yeux –, je ne peux que m’étonner de voir le Gouvernement représenté par la ministre chargée de l’outre-mer.

Mme la ministre sait tout le respect que j’ai pour elle et ses compétences ; elle sait également que je suis très sensibilisé aux problèmes ultra-marins. Je suis néanmoins extrêmement surpris que M. le ministre de l’agriculture n’assiste pas à un débat comme celui d’aujourd’hui. Je peux certes concevoir qu’il ait ressenti du dépit à la suite du remaniement ministériel intervenu hier, mais le Sénat mérite d’être respecté. La Haute Assemblée a un rôle à jouer et ses prérogatives ne peuvent pas être bafouées.

Monsieur le président, je souhaite que vous fassiez part à qui de droit de ma protestation. Le Gouvernement doit respecter le droit d’initiative parlementaire, notamment celui des groupes d’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Soyez assuré que je ferai part de votre protestation.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire allemande

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de cinq membres du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundesrat, reçus actuellement à Paris par le groupe d’amitié France-Allemagne du Sénat, qui a fêté, hier, en présence de nos collègues allemands, son cinquantième anniversaire. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

La délégation du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundesrat, ici présente, est conduite par Mme Margit Conrad, vice-présidente du groupe d’amitié. Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie que ses membres portent à notre institution.

Nous nous félicitons des relations étroites qu’entretiennent sénateurs et membres du Bundesrat, grâce aux rencontres régulières entre les groupes d’amitié. Nous sommes d’ailleurs honorés que la France soit l’un des deux pays auxquels le Bundesrat consacre un tel groupe.

Au nom du Sénat de la République, je forme des vœux pour que le séjour en France de la délégation du Bundesrat contribue à renforcer les liens d’amitié et la parfaite collaboration entre nos assemblées ; je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements.)

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Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial
Discussion générale (suite)

Instauration d'un nouveau pacte territorial

Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, présentée par M. Jean-Jacques Lozach et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 541, rapport n° 658).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la proposition de loi.

M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les territoires ruraux sont des territoires d’avenir. Leur potentiel est inestimable, mais demeure tristement inexploité. J’entame ainsi mon propos pour que personne, dans cet hémicycle, ne soit accusé de passéisme, voire de défaitisme, comme c’est souvent le cas.

Je ne ferai pas l’apologie des campagnes de notre enfance, d’un prétendu âge d’or de la ruralité. Cela serait parfaitement inutile. Nous sommes conscients des changements, des mutations profondes, tantôt positifs, tantôt négatifs, qu’ont connus les espaces ruraux au fil des décennies.

Nous faisons surtout le constat d’un regrettable accroissement des inégalités de développement entre territoires, qui se manifestent par de très fortes disparités dans les niveaux de richesse des collectivités. Nous avons donc besoin, aujourd’hui, de créer les conditions d’une véritable égalité des chances pour les territoires et pour leurs habitants.

Je crois en nos espaces ruraux et je suis optimiste pour leur futur, sous réserve que soient au moins remplies un certain nombre de conditions, que cette proposition de loi, non exhaustive, a justement pour objet de formaliser. Encore faut-il, mes chers collègues, se donner les moyens, notamment financiers, d’assurer ce futur.

« Trop cher ! », m’avez-vous répondu en chœur en commission des affaires économiques. « Et la dette publique ? », avez-vous ajouté ! Je sais que la majorité est effectivement très soucieuse des deniers de l’État, comme en témoignent les récents allégements de l’impôt sur la fortune qu’elle a consentis !

Certes, pour réaliser le projet porté par ce texte, il faut prévoir des moyens financiers, envisagés comme des outils d’une volonté et d’une ambition pour nos territoires. À cet égard, la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial est ambitieuse ; le rapporteur Pierre Hérisson l’a d’ailleurs annoncé d’emblée lors de l’examen du texte en commission, le 22 juin dernier.

Cette ambition ne doit pas effaroucher les membres de la Haute Assemblée. Le 13 janvier dernier, nous avions déjà pu en discuter dans le cadre d’une question orale avec débat sur la ruralité, proposée par Didier Guillaume. Pourquoi, alors que nous nous proposons maintenant d’agir, nous en empêcherait-on ?

En effet, le rapporteur nous a fait part de son intention de présenter une motion tendant au renvoi en commission.

Quel triste sort pour un texte qui aura nécessité plus de six mois d’auditions, de réunions et de réflexions, et qui s’appuie notamment sur plusieurs rapports parlementaires adoptés, pour la plupart d’entre eux, par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ! Je pense notamment au rapport de nos collègues Didier Guillaume et Jacqueline Gourault consacré au dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, au rapport d’Yves Daudigny sur l’ingénierie publique ainsi qu’à celui de Michèle André relatif à l’impact de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, dans les préfectures. Nous sommes bien loin d’une proposition de loi « déposée à la sauvette » !

Nous souhaitons améliorer les conditions d’existence de nos concitoyens ruraux, qui ne représentent que 20 % de la population, mais qui occupent 80 % du territoire national. Est-ce de la démagogie que de vouloir se préoccuper d’eux ? Je ne le crois pas.

Nous voulons, à travers un arsenal de mesures concrètes, donner du sens et du contenu à une véritable politique d’aménagement du territoire. Or, en déposant cette motion tendant au renvoi en commission, la majorité donne le sentiment, regrettable mais pas surprenant, que cette ambition lui fait peur.

Nous avons bien senti votre gêne devant notre proposition d’aborder globalement les problèmes liés à la ruralité aujourd’hui. Vous avez malheureusement choisi la dérobade face à un enjeu aussi décisif pour notre société que la complémentarité nécessaire et harmonieuse entre le rural et l’urbain.

À nos yeux, le plus préoccupant est d’avoir eu la confirmation que nos collègues de la majorité sénatoriale ne partageaient même pas notre constat sur les difficultés actuelles de la ruralité. Pourtant, vos collègues de l’Assemblée nationale ont déposé, cette année, une proposition de loi – jamais inscrite, il est vrai, à l’ordre du jour –, préconisant un « plan Marshall pour la ruralité ».

Alors que nous pointons du doigt un véritable malaise des territoires, ressenti par tous les acteurs sur le terrain, vous nous affirmez, au Sénat, que tout va bien dans nos campagnes. De deux choses l’une, mes chers collègues : soit vous refusez de voir la réalité en face, notamment les conséquences désastreuses sur la ruralité de la politique menée par Nicolas Sarkozy, soit vous êtes à Paris depuis trop longtemps !

Pour créer du dynamisme et revitaliser les territoires, les enjeux et défis à relever sont multiples et doivent être appréhendés globalement. Or les gouvernements Fillon n’auront envisagé l’avenir des territoires ruraux qu’à travers l’agriculture, sans toutefois avoir apporté de réponses appropriées à quatre années de crise de l’élevage, auxquelles s’ajoutent les conséquences sociales dramatiques de l’actuelle sécheresse. Si l’agriculture constitue la toile de fond et le socle économique de nos campagnes, il est réducteur de s’en tenir à cette seule activité.

À cet égard, nous regrettons l’absence d’un ministère dédié à l’aménagement du territoire et à la ruralité, regroupant la politique de la ville et le développement rural, ce dernier étant désormais rattaché au ministère « fourre-tout » de l’agriculture. Un ministère transversal et de plein exercice aurait été plus respectueux de ces territoires et de leurs habitants.

Je vous rappelle que notre ancien collègue Michel Mercier, lorsqu’il était devenu ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, avait déclaré : « Moi, j’ai à animer et à faire vivre l’espace rural, faire en sorte que les hommes et les femmes qui ont choisi de vivre là puissent vivre avec les mêmes facilités que ceux qui sont en ville, qu’ils aient accès aux technologies modernes, qu’il y ait la permanence des soins, l’accès à l’enseignement, la mobilité, toutes ces problématiques-là. »

M. Mercier est un adversaire politique, mais au moins affichait-il la volonté d’appréhender dans leurs particularismes les enjeux de nos territoires.

Aux yeux de la droite, il semble en fait que les outils récents, tels que les pôles d’excellence rurale, ou PER, soient suffisants. Une politique du territoire ambitieuse ne saurait se limiter à des appels à candidature. Les zones de revitalisation rurale, les ZRR, entendues comme une application du principe de discrimination positive, constituaient une bonne initiative. Je parle en connaissance de cause, puisque la Creuse est le seul département intégralement classé en ZRR. Malheureusement, cet outil a été vidé de son contenu d’année en année, au fil des lois de finances. Il n’est plus guère qu’un mécanisme d’exonération pour les entreprises souhaitant s’installer sur ces espaces.

Le rôle de la puissance publique est trop souvent négligé. Or nous avons précisément besoin d’un État stratège, d’un État qui impulse et qui s’engage aux côtés des collectivités territoriales en tant que garant de l’unité nationale, de la cohésion territoriale, de l’égalité d’accès aux services publics. L’équilibre de notre société passe par une réponse au « désir de campagne » de nos concitoyens, qui, toutes les enquêtes d’opinion le montrent, a atteint un niveau historique. Une telle opportunité est à saisir rapidement, car ce désir s’estompera si l’État ne se donne pas les moyens d’accompagner des politiques d’accueil de nouveaux habitants, politiques globales conduites par les acteurs régionaux et locaux, dont l’adhésion est indispensable.

L’État doit également réagir face à une désindustrialisation accélérée, un chômage persistant, un départ vers les villes de jeunes qui souhaitent pourtant, plus que jamais, rester là où ils habitent, là où, souvent, ils ont été formés. Venant compléter la réforme des collectivités territoriales et celle de la fiscalité locale, la RGPP, bien loin d’aider la ruralité, la pénalise en supprimant de façon dogmatique des services publics essentiels. Dans son rapport annuel 2010, le Médiateur de la République remarquait que le service public « ne porte plus son nom ». Il dénonçait la dématérialisation du service et la déshumanisation qui s’ensuivait.

Les services publics sont pourtant justement un élément d’attractivité fort pour un territoire ; je n’appréhende nullement cette problématique sous la forme d’une opposition stérile et polémique entre secteur marchand et secteur public. Au contraire, les entreprises du secteur concurrentiel ne sauraient se développer dans un désert de services publics. Même les entreprises étrangères nous expliquent que c’est précisément la possibilité d’accéder facilement à ces services qui conditionne leur choix de s’installer ou non en France.

Alors que la RGPP – dont le « R » signifie plutôt « raréfaction » que « révision » – condamnait déjà lentement les espaces ruraux à un appauvrissement en capital humain et en prestations, la réforme territoriale entrait en action. Une voix de majorité a permis l’adoption de ce texte au Sénat. Par deux fois, le Conseil constitutionnel a censuré les conseillers territoriaux, « créatures » issues d’une forme de démocratie locale et de recentralisation rejetée par la grande majorité des élus locaux. Avez-vous pris conscience de la situation vaudevillesque dans laquelle vous vous êtes volontairement empêtrés ? Il semble que non, car la commission de l’économie a réaffirmé sa solidarité avec les votes du Sénat, approuvant la réforme territoriale et celle de la fiscalité locale.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Jacques Lozach. Il faut croire que, à vos yeux, seuls importent l’État et les pôles métropolitains. Quid alors des espaces interstitiels ? C’est justement pour eux que nous avons élaboré ce texte, car trop de jacobinisme tue la proximité, et le recul de la proximité dans l’action publique tue la ruralité.

Mes chers collègues, le pacte territorial que nous vous présentons aujourd’hui s’appuie sur trois piliers : une nouvelle gouvernance des politiques publiques, une nouvelle organisation de l’offre de services publics et un aménagement équilibré de l’espace.

Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas souhaité que soit développé dans cet hémicycle le contenu précis de notre proposition de loi, choisissant de demander son renvoi sine die à la commission.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. C’est le bon sens !

M. Jean-Jacques Lozach. Je note également que, dans votre rapport, vous dirigez essentiellement votre critique contre l’exposé des motifs, faisant l’impasse sur les articles. Vous me permettrez donc de présenter ici, par souci d’information et d’objectivité, l’objet et la motivation sous-jacente de chacune de nos propositions.

Il s’agit donc, d’abord, comme le suggère le titre Ier, suivant en cela les recommandations du rapport Guillaume-Gourault adopté par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, d’aller vers une nouvelle gouvernance des politiques publiques. Celle-ci passe prioritairement par la restauration de liens de confiance entre l’État et les collectivités.

L’actuelle conférence nationale des exécutifs ne fonctionne pas ou peu ; il est urgent d’asseoir sa légitimité, de la réactiver en lui donnant un fondement juridique stable, comme le suggère notre article 1er. Un dialogue constructif implique notamment un pouvoir égal pour les représentants des collectivités et ceux du Gouvernement. Par ailleurs, ce schéma doit se décliner, de façon quasi similaire, à l’échelon local. Le dialogue, c’est bien là l’une des clés de la confiance et de l’opérationnalité ; c’est ce que le Gouvernement a tendance à oublier en négligeant constamment les collectivités, devenues pourtant indispensables à l’application de toute politique nationale.

L’évaluation des choix faits doit aussi devenir la norme. L’article 3 prévoit ainsi une évaluation systématique de l’impact territorial de l’ensemble des politiques publiques.

De la même façon, il est nécessaire de favoriser les démarches transversales.

Pour être crédibles et efficaces, les relations entre les différents niveaux de pouvoir doivent être contractualisées. Les contrats État-région – hier, contrats de plan, aujourd’hui, contrats de projet – doivent ainsi être pérennisés et sécurisés, afin que les investissements de chacun puissent, sur la durée, être associés et programmés efficacement. Encourageons la prospective territoriale, évitons la compétition et favorisons la coopération !

Sur le modèle des contrats urbains de cohésion sociale, qui ont succédé aux contrats de ville en 2006, nous avons également besoin de contrats ruraux de cohésion territoriale. Tout comme les zones urbaines sensibles, les territoires ruraux les moins denses connaissent des difficultés tout à fait spécifiques. Ce nouveau dispositif contractuel permettrait de lutter contre les processus de relégation à l’œuvre dans certaines de nos campagnes, en concentrant les moyens dans des zones rurales d’action prioritaire.

L’article 6, quant à lui, appelle à la mise en place d’une grande conférence territoriale destinée à jeter les bases d’un nouvel acte de la décentralisation. Voilà bientôt trente ans que les lois Mauroy-Defferre ont révolutionné le mode de gouvernance de notre pays, avec un succès que chacun s’accorde à reconnaître. Alors que la récente réforme territoriale ne cache pas ses velléités recentralisatrices, il est urgent de redonner une véritable légitimité démocratique au fonctionnement de nos institutions.

Ce pacte républicain passe nécessairement par le libre et égal accès de tous aux services publics essentiels : éducation, santé, emploi, logement, sécurité, etc. C’est précisément l’objet du titre II. Nous savons que les zones les plus reculées, notamment en montagne, souffrent de ces inégalités, qui vont en s’accroissant. L’État, je le répète, a des devoirs à l’égard des citoyens, qui ont tous un égal droit d’accès aux services publics. Il est inconcevable qu’il abandonne littéralement des pans entiers de nos territoires, au prétexte que ceux-ci ne seraient pas suffisamment « rentables » pour y laisser ouverts des services. Cette logique de marchandisation doit être abandonnée.

Le dernier recensement mené par l’INSEE a montré que, sur la période 1999-2004, alors que les pôles urbains perdaient 72 habitants sur 10 000, les zones rurales en gagnaient 88. Cet élan, cette envie doivent être accompagnés du mieux possible. Car ils resteront lettre morte si les services publics ne sont pas implantés de façon cohérente dans les bassins de vie. Dans ce cas, le reflux vers les métropoles redeviendra inévitable. Ainsi, comment envisager l’installation de nouvelles familles dans une commune rurale s’il n’y a plus d’établissement scolaire à proximité ?

Afin de prendre en compte les besoins réels des usagers et d’y répondre, sur la base d’un diagnostic partagé, il est nécessaire de redéfinir les indicateurs servant de références à l’organisation des services publics. C’est ce que prévoit l’article 7. La mise en place progressive de services publics locaux de proximité, sur le modèle des maisons du département, ne saurait compenser le désengagement de l’État. À cela doit s’ajouter un moratoire sur la RGPP, réforme que l’État applique sans vision d’ensemble ni concertation, en s’appuyant simplement sur un dogmatisme comptable plongeant de nombreux territoires dans une spirale de déclin.

C’est précisément ce type d’approche qui mène à la fermeture de maternités qui, au lieu d’enregistrer 600 naissances, n’en comptent que 590. Rappelons ici que, à ce jour, ce sont 42 établissements de santé qui ont été rayés de la carte sanitaire. L’article 9 vise à garantir un accès rapide à un service de médecine générale, à un service d’urgence et à une maternité. Pour cela, il devient nécessaire d’instaurer une régulation de la répartition territoriale de l’offre de soins, qui doit passer par des mesures coercitives.

Dans une étude récemment publiée, la DREES, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi et de la santé, soulignait ceci : « La question de l’accès aux soins médicaux est devenue centrale dans le contexte actuel de fortes mutations du monde hospitalier et de réduction à venir des effectifs de médecins sur le territoire. » Elle précisait en outre : « Les régions rurales [...] cumulent l’éloignement des soins de proximité et de la plupart des soins spécialisés. » Face à cette désertification médicale, il faut réagir.

Or il est désolant de constater que la proposition de loi modifiant la loi HPST, dite loi Bachelot, discutée aujourd’hui même dans cet hémicycle, ne répond en rien à la problématique. Plus grave encore, le texte revient sur les dispositions, certes jamais appliquées, des contrats santé solidarité créés en 2009, qui visaient à encourager l’installation en milieu rural.

L’éducation, bien sûr, compte également parmi nos priorités. Il importe, comme le précise l’article 10, qu’un nouveau pacte éducatif soit passé entre l’État, les collectivités, les personnels, les parents d’élèves et les partenaires associatifs. Les conditions d’enseignement doivent être améliorées, et l’école soutenue. Il n’y aurait plus d’argent dans les caisses ? Là encore, c’est une question de priorités, mes chers collègues ! Et celle-ci est la première de toutes. Je souligne également que, depuis sa signature en juin 2006, la Charte sur l’organisation de l’offre des services publics et au public en milieu rural, qui prévoyait une concertation en cas de fermeture de classe, n’a quasiment jamais été appliquée. Les maires, notamment, vivent très mal cette absence de considération.

De plus, nous souhaitons instituer, avec l’article 11, un temps d’accès maximum pour les trajets entre le domicile et l’école ; nous ne pouvons pas faire parcourir à nos enfants de trop longues distances. Sur le même modèle, nous proposons, par l’article 13, un temps d’accès maximum pour se rendre dans un lieu d’accueil relatif à l’emploi et à la formation.

Alors que furent présentés hier les premiers travaux de l’Assemblée du sport, nous avons souhaité rappeler dans l’article 12 que le CNDS, le Centre national pour le développement du sport, avait pour vocation première de favoriser l’égal accès des citoyens aux infrastructures sportives partout sur le territoire, et non pas financer l’organisation de l’Euro 2016 de football ou le sport professionnel.

Nous préconisons également la mise en place d’un nouveau pacte national de protection et de tranquillité publique. La politique de sécurité du Gouvernement, bien que très tapageuse, reste globalement inefficace. Il est difficile en effet de mieux protéger et servir nos concitoyens quand, partout, les effectifs de policiers et de gendarmes se réduisent.

L’État doit assurer cette responsabilité et cesser de se défausser régulièrement sur des collectivités territoriales aujourd’hui à bout de souffle. Je citerai ainsi notre collègue de l’UMP Bruno Sido, qui, le 9 décembre 2010, à l’occasion de la session budgétaire du conseil général de la Haute-Marne, déclarait : « À force de nous transférer les charges sans avoir en face les recettes, il arrive un moment où le budget ne passe plus ! » Comment ne pas être alertés par la baisse des investissements dans un département sur deux cette année ?

Pour faire des territoires ruraux de véritables territoires d’avenir, il nous faut aussi assurer les conditions de leur dynamisme économique. La synergie entre initiative privée et accompagnement public est déterminante.

L’article 15 souligne que les pouvoirs publics doivent ainsi assumer leur responsabilité dans la maîtrise foncière publique, afin de mieux gérer les différents usages de l’espace. L’article 16 établit la définition d’un plan national de financement et de développement des infrastructures de transports. Le SNIT, le schéma national des infrastructures de transport, a déjà montré ses limites par manque de multimodalité et de concertation avec les collectivités territoriales.

Le désenclavement de nos territoires ruraux passe également par l’accès au numérique, condition nécessaire à leur essor et leur modernité. Dès 2001, le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire, le CIADT, réuni à Limoges, évoquait cette urgence. Or il serait maintenant question d’un haut débit pour tous en 2025. Croyez-vous vraiment que les médecins, les entrepreneurs, les enseignants installés en zone rurale attendront encore près de quinze ans pour bénéficier des mêmes conditions de vie et d’exercice de leur profession que leurs homologues urbains ? J’ai pourtant le souvenir de vœux adressés par le Président de la République au monde rural, le 14 janvier 2010, dans l’Orne. Il déclarait alors : « Pour mettre le haut débit dans un certain nombre de territoires un peu plus reculés, vous pourrez attendre longtemps si l’État ne s’y met pas. L’État s’y mettra. C’est absolument capital. » Nous proposons, via l’article 17, que, justement, l’État « s’y mette ».

L’article 18 s’inspire d’une initiative américaine datant de 1977, qui imposait aux banques commerciales de prouver que leur activité de collecte et de crédit satisfaisait les besoins des entreprises et des habitants dans la zone géographique où l’un de leur établissement bancaire était présent. Nous rencontrons tous régulièrement des entrepreneurs locaux qui se voient refuser des prêts alors que leurs projets semblent viables. Aussi, nous vous proposons une obligation de transparence et une quote-part minimale de retour de l’épargne collectée sur son territoire d’origine. Parallèlement, une banque publique d’investissement, avec des déclinaisons locales sous la forme de fonds régionaux d’investissement, pourrait être mise en place. Ces dispositifs permettraient une meilleure mobilisation des moyens des acteurs publics et privés, au service de l’activité des TPE, PME et PMI et de l’entrepreneuriat local.

Les petites et moyennes entreprises, trop souvent délaissées, constituent l’essentiel du tissu économique de nos territoires. Il nous revient de leur donner les moyens de réussir. Un système de quotas facilitant leur accès à la commande publique doit ainsi être mis en place : c’est ce que prévoit l’article 19. Au même titre, et j’en viens à l’article 20, l’hôtellerie et l’hébergement de plein air doivent pouvoir bénéficier du FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce. Notre collègue Rémy Pointereau déclarait, le 13 janvier dernier : « Il faudrait [...] rendre éligible au FISAC la petite hôtellerie rurale, qui, soumise à de nombreuses normes, a des besoins financiers importants. » Nous partageons cette appréciation, d’autant que le FISAC s’inscrit dans une démarche de terrain qui a fait ses preuves, avec, hier, les ORAC, et, aujourd’hui, les DCT.

Je remarque que les élus de la majorité, en commission, ont occulté le volet relatif au soutien au commerce et à l’artisanat. Nous proposons quant à nous, via l’article 21, la création d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des commerçants, artisans et professions libérales et de leurs conjoints collaborateurs et d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des agriculteurs et de leurs conjoints collaborateurs. Dans le même esprit, nous souhaitons instituer, avec l’article 22, des conventions de commerce et d’artisanat rural.

Avec l’article 23, nous donnons des prérogatives aux communes et aux EPCI, ou établissements publics de coopération intercommunale, afin qu’ils puissent mieux réguler l’aménagement commercial. L’implantation des commerces de plus de 300 mètres carrés serait ainsi encadrée. On ne peut en effet prétendre soutenir nos commerçants et revitaliser les centres-bourgs et, dans le même temps, laisser trop de latitude à la grande distribution.

Nous voulons miser sur nos agriculteurs : l’article 24 met en place des contrats territoriaux d’exploitation qui les lient à l’autorité administrative sur des sujets tels que l’emploi, l’environnement ou la production de l’exploitation.

La ruralité, c’est aussi la forêt, qui occupe toujours une place prédominante sur le territoire français. L’article 25 vise ainsi à sécuriser le fonctionnement de l’Office national des forêts, l’ONF.

L’article 26, dont mon collègue Yves Daudigny parlera mieux que moi, rappelle la nécessité, chaque jour plus pressante, de maintenir des capacités d’ingénierie locale.

Enfin, avec l’article 27, et alors que l’État s’en désintéresse, nous avons souhaité rappeler l’importance de la péréquation. Cette péréquation solidaire, redistributrice, sous-tend l’intégralité de cette proposition de loi.

Aujourd’hui, les sénateurs socialistes veulent avancer par des actes. Les grandes déclarations, non suivies d’effet, ne suffisent plus. Renvoyer le texte en commission reviendrait à esquiver un enjeu essentiel pour la société française et fuir nos responsabilités. La ruralité mérite toute notre attention, mes chers collègues. C’est la vision d’une ruralité moderne, la volonté de valoriser les atouts de ses territoires, métropolitains et ultra-marins, qui a présidé à la rédaction et au dépôt de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, un pacte porteur d’espérances.

Aussi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir examiner cette proposition de loi et ses différents articles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)