M. Jacques Mézard. Cet amendement vise à clarifier la répartition des interventions respectives des communes et des EPCI en matière de droit de préemption.
Tous ceux qui assument des responsabilités exécutives au sein du bloc communal connaissent les difficultés que pose l’exercice du droit de préemption au niveau intercommunal. Il est certes possible de demander à la commune de déléguer ce droit de préemption ; une délibération spécifique doit alors être prise en ce sens par la commune.
Il reste que ces difficultés ne feront que s’accroître du fait du développement de l’intercommunalité, naturellement accentué – et, sur ce point, de manière légitime – par la réforme des collectivités territoriales. La question du droit de préemption à l’intérieur du bloc communal va donc devenir prégnante.
Or je constate que seules les communautés urbaines disposent de compétences suffisamment intégrées pour jouer un rôle moteur à une échelle pertinente. Dans les autres cas, les communes conservent essentiellement leur compétence en matière de PLU.
En tenant compte de l’achèvement en cours de la carte intercommunale, des besoins fonciers importants des collectivités et du fait que les schémas de cohérence territoriale dépassent très largement le périmètre communal, nous croyons tout à fait nécessaire que ces collectivités puissent mettre en œuvre une politique d’aménagement et de développement en favorisant la délégation par les communes du droit de préemption urbain aux intercommunalités.
Certes, l’article L. 211-2 du code de l’urbanisme le permet déjà, mais cet outil ne s’articule pas convenablement avec les besoins nouveaux découlant des transferts de compétences au bénéfice des intercommunalités.
Cet amendement vise donc à procéder à une réécriture globale des dispositions applicables au droit de préemption urbain, afin d’essayer de répondre à ces nouvelles spécificités.
De toute façon, il faudra bien, un jour ou l’autre, en arriver là. Le rapport souligne en effet les problèmes de « concurrence » qui se posent entre le droit de préemption des communes et celui des intercommunalités. Nous n’échapperons donc pas à une réforme plus profonde du droit de préemption à l’intérieur du bloc communal.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hervé Maurey, rapporteur. Le droit de préemption urbain est exercé par l’intercommunalité si la compétence en matière urbanisme lui a été transférée. À cet égard, les choses sont claires.
Cet amendement vise par ailleurs à créer des zones d’aménagement. De ce point de vue, il me semble satisfait après l’adoption du précédent amendement, qui tend à créer les zones d’opérations futures. (M. Jacques Mézard acquiesce.)
Je demande donc à M. Mézard de bien vouloir retirer son amendement n° 24 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jacques Mézard. Je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 24 rectifié est retiré.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 8 rectifié bis est présenté par M. Béteille, Mme Bout, M. Milon, Mme G. Gautier, MM. Cointat et Faure, Mme Deroche, MM. Alduy, Leclerc, Hérisson, Grignon, Laurent, Doublet et P. Blanc, Mme Bruguière, MM. Beaumont et J.P. Fournier, Mme Mélot et MM. Dulait et Houel.
L'amendement n° 17 rectifié est présenté par Mme Bricq, MM. Raoul, Repentin, Daunis, Caffet, Godard, Courteau, Navarro, Rebsamen et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme, il est inséré un article L. 213-1-1 ainsi rédigé :
« Sont également soumis au droit de préemption les immeubles ou ensembles de droits sociaux visés au premier alinéa de l’article L. 213-1 lorsqu’ils font l’objet d’une aliénation à titre gratuit, sauf si celle-ci est effectuée entre personnes ayant des liens de parenté jusqu’au sixième degré ou des liens conjugaux.
« Les dispositions du présent chapitre sont applicables. Toutefois, par dérogation au premier alinéa de l’article L. 213-2 la déclaration adressée à la mairie ne mentionne pas le prix. La décision du titulaire du droit de préemption d’acquérir le bien indique l’estimation de celui-ci par les services fiscaux.
La parole est à M. Laurent Béteille, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié bis.
M. Laurent Béteille. Cet amendement traite d’un sujet à mes yeux très important. J’ai déjà longuement parlé, au cours de la discussion générale, des donations fictives que nous voyons se développer, souvent à la périphérie de nos communes, et qui permettent d’échapper au droit de préemption, celui-ci ne s’appliquant qu’à des cessions à titre onéreux.
Comment les choses se passent-elles ? On s’adresse à un notaire compréhensif pour faire une donation, laquelle s’accompagne en réalité d’un versement totalement occulte, en espèces, et le tour est joué : la législation sur le droit de préemption a été contournée ! Or le résultat en termes d’urbanisme est dramatique : mitage des paysages, implantations réalisées en toute illégalité, etc.
Il faut donc vraiment donner aux communes le moyen de s’opposer à ces pratiques anormales.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié.
Mme Nicole Bricq. Je serai brève puisque notre amendement a le même objet que celui de notre collègue Laurent Béteille. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous défendons tous deux ces amendements identiques : nous sommes, lui et moi, des élus de départements de la grande couronne d’Île-de-France, lui de l’Essonne, moi de Seine-et-Marne. En particulier dans ces départements, on assiste à la multiplication de ces donations fictives, qui font obstacle au droit de préemption des communes et des intercommunalités et posent, de ce fait, un réel problème, auquel il importe de remédier en modifiant la loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hervé Maurey, rapporteur. Nous avons eu des débats très intéressants en commission sur ces amendements.
Leurs auteurs ayant accepté de préciser que, en cas de donation entre membres de la même famille, le droit de préemption urbain ne s’exercerait pas, la commission a décidé d’émettre un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Il est défavorable, madame la présidente. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Ces amendements constituent même le principal point de désaccord entre la commission et le Gouvernement sur ce texte.
En cas de dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité, cette disposition, si elle est adoptée, sera sans l’ombre d’un doute invalidée par le Conseil constitutionnel. En effet, ces amendements portent une atteinte trop forte au droit de propriété et à la liberté de chacun de céder gratuitement son bien à la personne de son choix, et pas simplement à un membre de sa famille. De ce point de vue, la restriction familiale n’a pas d’effet.
Comprenons-nous bien : le Gouvernement partage totalement le constat fait par les auteurs des amendements. Oui, il y a contournement du droit de préemption urbain, oui, il y a fraude, avec des donations fictives et des dessous-de-table ! Mais la réponse que vous apportez à ce problème, monsieur Béteille, madame Bricq, n’est pas adaptée et, en tout état de cause, ne passera pas la barrière du Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, monsieur Béteille, l’argumentaire que vous exposez dans l’objet de votre amendement ne me semble pas tenir la route : il ne porte en effet que sur les zones agricoles, c’est-à-dire le droit de préemption des SAFER, alors même que votre amendement ne concerne que le droit de préemption urbain.
En outre, lorsqu’un élu ou un officier ministériel, par exemple un notaire, ont le sentiment qu’il existe clairement une volonté de fraude dans la donation, ils disposent d’un instrument juridique leur permettant de dénoncer celle-ci. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Bricq. C’est bien le problème : ils en sont éventuellement acteurs !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Vous me direz que la preuve de la fraude est difficile à apporter. Mais cela ne sera pas suffisant pour justifier, devant le Conseil constitutionnel, du caractère d’intérêt général de l’atteinte au droit de propriété que vous souhaitez instaurer.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à retirer ces deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. L’argument que vous avez avancé au sujet du Conseil constitutionnel, monsieur le secrétaire d’État, me paraît quelque peu spécieux, ne serait-ce que parce que vous préjugez ce que serait la position du Conseil.
Il y a peu de temps, lorsque de l’examen du projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région, plus précisément sur le tableau concernant leur répartition, j’ai le souvenir d’avoir attiré fortement l’attention du Gouvernement, au travers de la présentation de deux motions de procédure, sur les risques d’inconstitutionnalité. Or il m’a semblé que le Gouvernement se montrait particulièrement sourd à mon argument…
M. Jacques Mézard. Vous le voyez : à ce moment-là, vous avez accepté de prendre un risque ; je crois que, de temps à autre, il faut en effet savoir le faire. Nous verrons bien quelle position le Conseil constitutionnel adoptera.
Pour ma part, je crois que la mesure proposée par nos collègues est empreinte de sagesse : nous ne pouvons laisser se développer des pratiques dont vous-même, monsieur le secrétaire d’État, reconnaissez l’existence et dont le succès suppose, au moins parfois, la complicité de certains acteurs professionnels.
M. Daniel Raoul. En effet !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Hérisson, pour explication de vote.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien écouté votre propos ; vous avez dit que ces deux amendements concernaient seulement le droit de préemption urbain, et non le droit de préemption des SAFER.
Mme Nicole Bricq. Or ce n’est pas vrai !
M. Pierre Hérisson. De deux choses l’une : ou bien la présentation qui nous en est faite, et qui indique le contraire, est exacte ; ou bien les SAFER ne sont effectivement pas concernées – M. le secrétaire d’État en est convaincu – et le moment est alors opportun, monsieur le rapporteur, pour proposer de rectifier le dispositif de façon qu’elles le soient.
En effet, les pratiques que nous cherchons à prévenir concernent davantage le droit de préemption reconnu aux SAFER que le droit de préemption urbain.
Sans qu’il soit nécessaire que je donne des exemples précis, nous pensons tous au même cas : celui dans lequel des terres agricoles, ayant fait l’objet d’une donation, se transforment en terrains qui, quel que soit le nom qu’on leur donne, sont destinés à accueillir des constructions précaires et illégales en violation du code de l’urbanisme. (M. Alain Gournac s’exclame.)
Quoique je sois bien placé pour connaître ce type de situations, vous ne m’entendrez jamais dire quelles sont les personnes en cause : au fil du temps je suis devenu prudent, y compris lorsque ces personnes, comme c’est le cas aujourd’hui, saisissent le Conseil constitutionnel quasiment au quotidien… (M. Daniel Raoul s’exclame.)
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, s’il est véritablement nécessaire d’apporter une précision afin de nous assurer, en comblant une lacune, que les SAFER sont bien concernées, c’est le moment de le faire.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Repentin, pour explication de vote.
M. Thierry Repentin. Je veux vous rassurer pour ce qui concerne la constitutionnalité de la mesure proposée.
Premièrement, je suis d’accord avec le propos qu’a tenu notre collègue Hérisson. Il a cité devant notre assemblée un exemple précis. Je vais vous en donner un second qui concerne le milieu urbain et intéresse le ministre chargé de la ville : il peut se trouver que la valeur marchande de certains appartements situés dans des montées d’escaliers, à l’intérieur de copropriétés dont les bâtiments, notamment en Île-de-France, ne sont pas en bon état, ne soit pas très intéressante. Dès lors, les collectivités locales peuvent vouloir reconquérir ces logements pour éviter que, vendus sans que soient versés les droits de mutation, ils ne soient acquis par des marchands de sommeil. (M. Yves Chastan opine.) Or la commune ne peut pas exercer son droit de préemption lorsqu’un appartement fait l’objet d’une donation ; elle ne peut pas davantage mettre en place une délégation au profit d’un organisme de logement social.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Thierry Repentin. La loi, en effet, n’a pas prévu d’étendre le droit de préemption urbain aux donations.
Nous nous trouvons ainsi face à deux cas de figure différents, mais parfaitement complémentaires ; je crois nécessaire que nous le gardions à l’esprit.
Je me permets d’ajouter que, s’agissant d’un sujet sensible, nous avons travaillé en commun avec la commission de l’économie ; nous-mêmes nous sommes en outre permis de saisir la direction de l’initiative parlementaire du Sénat, un service de très grande qualité que nous connaissons tous et qui nous accompagne chaque jour dans nos travaux.
Au sujet de la constitutionnalité de la mesure envisagée, à supposer que cette question se pose un jour, j’indique que la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au droit de propriété repose sur la notion de proportionnalité : le juge constitutionnel, pour apprécier la proportionnalité d’une mesure, compare son intérêt public et ses effets attendus à l’atteinte qu’elle représente au droit des propriétaires.
En l’occurrence, il s’agit non pas d’étendre outre mesure le droit de préemption, mais de soumettre à déclaration d’intention d’aliéner des donations qui interviennent entre tiers, étant précisé que ces derniers n’appartiennent pas à la même famille.
Combien de cas seront-ils concernés ? Relativement peu. À chaque fois, cependant, les pratiques qui ont cours viennent contrecarrer un projet d’intérêt général.
J’ajoute que seulement 1 % des déclarations d’intention d’aliéner vont à leur terme ; autrement dit, quelle que soit notre orientation politique, nous les utilisons avec la plus grande parcimonie. C’est pourquoi je ne voudrais pas que l’on pense que nous introduisons une disposition remettant en cause le droit de propriété ; cette interprétation serait totalement fausse.
Je le rappelle : le juge constitutionnel prend sa décision en appréciant la proportionnalité de la mesure en cause.
Je souhaite pour ma part que la collectivité locale puisse, lorsqu’il est certain que l’on est en présence d’une vente déguisée, s’immiscer dans la transaction car, soit dit en passant, une telle transaction fait perdre de l’argent à l’État puisque les droits de mutation, personne ne les voit.
M. Daniel Raoul. C’est exact !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. M. le secrétaire d’État a sorti, avec l’argument de l’inconstitutionnalité, « l’arme nucléaire » ! Mais, de notre côté, nous avions demandé aux services du Sénat une étude dont Thierry Repentin vient de vous communiquer l’appréciation ; et nous avons, au Sénat, de bons services législatifs…
Je souhaite me situer sur un autre terrain, en prenant l’exemple de deux cas tirés de mon département : celui d’une commune périurbaine et celui d’une commune urbaine.
Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’a dit M. Hérisson. Il existe encore, dans la grande couronne, des terres agricoles en ville et la situation qu’il a décrite est de plus en plus fréquente : toute une chaîne intégrée se met en place, depuis le donateur jusqu’au notaire et à l’avocat chargé de défendre le dossier lorsque la commune ou l’intercommunalité demande à la justice de trancher – j’indique d’ailleurs que cette personne publique est sans recours, elle est déboutée, compte tenu de l’état actuel du droit.
Tout un marché, parfaitement opaque, est donc en train de se créer, particulièrement dans les territoires périurbains.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous entends souvent avancer, comme vous l’avez fait dernièrement devant la commission des finances, l’argument, que je partage, consistant à faire l’éloge des « maires bâtisseurs ». Ces derniers souhaitent agir dans la perspective d’un développement durable et maîtrisé, compte tenu des besoins – vous les connaissez mieux que moi – et de la pression foncière : nous devons construire en recherchant un équilibre entre logements sociaux et logements résidentiels. Or ces communes sont empêchées de « faire la ville sur la ville » et ne peuvent éviter l’étalement urbain, elles qui tiennent pourtant à cet égard le même discours que vous !
Il me semble nécessaire que le Sénat envoie un signal à leur intention.
M. le président Emorine m’excusera d’ajouter que la commission des finances a introduit dans la loi de finances pour 2011 le seul dispositif de péréquation qui existe depuis la suppression de la taxe professionnelle ; il s’agit d’une péréquation entre départements riches et départements pauvres, assise notamment sur les droits de mutation à titre onéreux, ou DMTO. Aujourd’hui, de surcroît, nous privons les départements les plus pauvres du bénéfice de cette péréquation, puisque, dans le cas d’une donation, le fisc ne perçoit pas de DMTO.
Pour toutes ces raisons, je remercie le rapporteur et la commission d’avoir adopté cet amendement ; il est nécessaire que le Sénat l’adopte à son tour.
M. Yves Chastan. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Nous soutiendrons ces deux amendements.
La mesure proposée poursuit une visée préventive : il s’agit d’essayer de traiter les problèmes en amont. Elle a également pour objet de lutter contre de la fraude.
M. Yves Chastan. Oui !
Mme Évelyne Didier. Puisque vous dites, monsieur le secrétaire d’État, que vous êtes parfaitement d’accord avec cette proposition mais qu’il n’est pas possible de la mettre en œuvre, aidez-nous, avec vos services, à trouver une autre solution !
Nous ne pouvons pas comprendre que vous disiez : « c’est ce qu’il convient de faire, mais il est impossible de le faire ».
Mme Évelyne Didier. C’est s’avouer battu d’avance : cela n’est pas acceptable, d’autant que plusieurs arguments avancés montrent que la décision du Conseil constitutionnel n’est pas aussi certaine que vous l’avez dit.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hervé Maurey, rapporteur. Il est déjà bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous soyez d’accord avec le constat que nous dressons.
Je ne veux pas reprendre à mon compte les propos de Mme Didier ; je pourrais finir par être suspecté d’être un centriste qui ne sait pas où il habite, si je me ralliais trop vite aux thèses de Mme Didier… (Sourires.)
M. Hervé Maurey. Justement non, monsieur le ministre, pas comme tout centriste ! (Nouveaux sourires.)
Puisque vous partagez notre constat mais que notre proposition ne vous convient pas, quelle solution alternative nous proposez-vous ?
Vous ne pouvez pas vous contenter de dire votre accord sur le constat, votre désaccord sur la mesure proposée et vous abstenir de proposer une autre solution.
Par ailleurs, je n’ai pas non plus été convaincu lorsque vous avez soutenu qu’un droit de préemption urbain sur les cessions à titre gratuit serait davantage attentatoire au droit de propriété que le droit de préemption sur les cessions à titre onéreux… J’avoue ne pas bien voir quelle différence il y a entre les deux situations.
Vous avez avancé l’argument de l’inconstitutionnalité. Sur ce point, je vais vous rassurer : je ne suis pas d’accord avec Mme Bricq. Il ne s’agit pas de « l’arme nucléaire », puisque le propre de celle-ci est que, quoiqu’on menace de le faire, on l’utilise rarement… Or le Gouvernement utilise tout le temps la menace de l’inconstitutionnalité ou, à défaut, celle de la non-conformité avec le droit européen.
J’ajoute que nous savons bien, comme l’a dit M. Repentin, que le Conseil constitutionnel prend en compte la proportionnalité ; je crois donc qu’il n’y aurait aucun problème à cet égard. De surcroît, les voies du Conseil constitutionnel sont impénétrables… Aussi, nul, pas même un membre du Gouvernement, ne peut savoir quelle sera sa décision lorsque le dispositif que nous proposons lui sera soumis.
Pour toutes ces raisons, je confirme l’avis favorable de la commission.
M. Laurent Béteille. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je souhaite revenir sur plusieurs points.
M. le rapporteur vient de tenir le raisonnement suivant : si le droit de préemption lié à une cession à titre gratuit devait être contraire à la Constitution, pourquoi n’en irait-il pas de même de celui qui est lié à une cession à titre onéreux ?
La raison est qu’il existe une toute petite différence entre ces deux situations. La motivation première de celui qui cède un bien à titre gratuit est de le destiner à une personne particulière ; celui qui cède un bien à titre onéreux, en revanche, en attend surtout une somme d’argent. Ce n’est évidemment pas la même chose lorsqu’on vous interdit de donner à la personne.
Si la mesure proposée est adoptée, le résultat sera très simple : lorsque la commune exercera son droit de préemption dans le cadre d’une cession à titre gratuit, le propriétaire désireux de céder son bien à une personne en particulier, et non bien entendu à la commune, préférera se retirer. Résultat : le système sera complètement bloqué !
M. Daniel Raoul. Non !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Dès lors qu’un propriétaire veut donner son bien à une personne, il le destine à cette personne en particulier !
S’il veut donner son bien de façon générale, il peut le faire au profit d’une association ou d’une collectivité locale : le problème est alors résolu.
Mais imaginons qu’un propriétaire veuille donner son bien à un bénéficiaire déterminé,…
Mme Nicole Bricq. On va vous répondre !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. … qu’il s’agisse d’une personne de sa famille, d’une personne extérieure à sa famille ou d’une association : sa priorité est de céder son bien à ce bénéficiaire en particulier. Si alors la collectivité locale, à la suite de la déclaration d’intention d’aliéner, souhaite exercer son droit de préemption, ce propriétaire renoncera à céder son bien : le résultat sera négatif.
M. Laurent Béteille. Mais non !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. À la lumière de ces exemples, il apparaît clairement qu’il existe une différence majeure, au regard du respect du droit de propriété, entre la cession à titre gratuit et la cession à titre onéreux.
Presque tous les orateurs qui se sont exprimés ont soulevé la question des zones agricoles. Or, je le répète, le droit de préemption urbain ne s’applique pas aux terres agricoles ; pour celles-ci, il existe éventuellement un droit de préemption reconnu aux SAFER.
Aussi, le principal argument que vous avez avancé et qui a trait aux terres agricoles est inopérant, puisque les dispositions prévues par les deux amendements dont nous débattons concernent seulement le droit de préemption urbain.
Enfin, s’agissant des fraudes, nous avons tous la volonté de les combattre. Mme Didier me demandait si nous disposions d’instruments. Je lui signale qu’il existe un outil, que j’ai évoqué tout à l'heure, à savoir l’action en déclaration de simulation devant le juge. Ainsi, dès lors que l’officier public, en l'occurrence le notaire, soupçonne une fraude à la dissimulation, il a la possibilité de la signaler au juge. (M. Jacques Mézard sourit.)
Mme Nicole Bricq. Cela a été fait : nous avons été déboutés !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. De fait, ces deux amendements identiques n’ont pas lieu d’être. Les fraudes, à ce jour, concernent sans doute entre 5 % et 10 % des cessions à titre gratuit. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Or, s’ils sont adoptés, ces deux amendements auront pour conséquence de « flinguer » l’ensemble des cessions à titre gratuit. Je ne suis pas certain que le jeu en vaille la chandelle.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Je constate en tout cas que M. le secrétaire d'État reconnaît la réalité de la fraude dans ce domaine.
Néanmoins, il nous explique dans la seconde partie de son raisonnement que, dans le cadre d’une cession à titre gratuit, le donateur désigne nommément le donataire. Mais alors, comment explique-t-il le fait que des terrains situés dans la grande couronne de la région parisienne aient fait l’objet d’une donation en cinquante-sept parts ?
Je ne saisis pas bien le sens d’une telle démarche, sauf à admettre la volonté de frauder de ceux qui en sont les initiateurs. Ce type de donation à titre gratuit a un double objectif : se soustraire aux DIA et aux DMTO.
Quand on fait don d’un terrain à cinquante-sept personnes, on ne peut parler d’une démarche motivée par la seule affection. (M. Alain Gournac s’exclame.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.
M. Laurent Béteille. Dans l'ensemble, je souscris aux propos qui viennent d’être tenus. À cet égard, je ne comprends pas la position du Gouvernement et les raisons de son opposition résolue à ces deux amendements identiques.
Je rappelle que ceux-ci n’ont d’autre objet que de régler un problème insupportable auquel sont confrontées les communes. La solution proposée ne résoudra pas nécessairement tous les cas, mais elle permettra de mettre un terme à la majeure partie des comportements que nous avons signalés.
M. le secrétaire d’État affirme que l’adoption de ces amendements mettrait fin aux opérations concernées et conduirait à une situation de blocage. Pas du tout ! Simplement, nous aurons atteint le but visé, à savoir que ces terrains ne soient pas attribués à des personnes qui en disposeront à leur guise sans respecter les règlements d'urbanisme. (M. Alain Gournac s’exclame.)
Je le répète, l’adoption de ces amendements ne résoudra pas tous les problèmes, mais nous ne pouvons nous en tenir à la situation actuelle. Il faut avancer !
M. Yves Chastan. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 rectifié bis et 17 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 1er.
Je constate par ailleurs que ces deux amendements ont été adoptés à l’unanimité des présents.