M. Bernard Frimat. Très bonne idée !
M. Hervé Maurey. ... nous invitant à faire « le pari, qu’en rendant leur liberté aux parlementaires, ils mesureront et assumeront la plénitude de leurs responsabilités ».
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Hervé Maurey. Mes chers collègues, il faut en avoir conscience, à côté de l’arme nucléaire que constituerait le dispositif proposé aujourd’hui par le Gouvernement,...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est pire que cela !
M. Hervé Maurey. ... l’article 40, que nous trouvons déjà très contraignant, fait figure de pistolet à eau ! De surcroît, ce dispositif affaiblirait considérablement le Sénat dans l’équilibre de nos institutions, puisque le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en priorité à l’Assemblée nationale.
Qu’en serait-il, par ailleurs, des dispositions fiscales directement liées à l’organisation territoriale ? La priorité du Sénat en matière de projets de loi relatif à l’organisation des collectivités territoriales serait clairement menacée.
Enfin, contrairement à ce que certains ont affirmé, cette disposition n’est pas – loin s’en faut ! – nécessaire pour atteindre l’objectif du présent projet de loi constitutionnelle, puisque le monopole vise l’ensemble des mesures fiscales et pas seulement les dépenses.
Autrement dit, Gérard César l’a indiqué tout à l’heure, il ne serait même plus possible, dans une loi ordinaire, de créer ou d’augmenter un impôt, c’est-à-dire une recette. Pour prendre un autre exemple que celui de notre collègue, je vous rappelle que la récente loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité a dégagé 75 millions d’euros de recettes grâce à une réforme de la taxe sur l’électricité.
Mes chers collègues, je suis très attaché, comme la plupart d’entre vous, au rétablissement de nos finances publiques ; celui-ci est indispensable. Toutefois, je ne peux pas accepter, sous prétexte que nous dépenserions trop, que l’on nous coupe les deux bras pour ne plus signer de chèques !
Mme Nicole Bricq. Des chèques en bois !
M. Hervé Maurey. Vous l’admettrez, c’est d’autant plus excessif que la plupart des dépenses fiscales d’ampleur ont été adoptées par le Parlement à la demande du Gouvernement ou avec son soutien actif.
En conclusion, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si ce projet de loi est à mes yeux indispensable, j’espère que nous aurons la sagesse de renoncer à introduire ce monopole tel qu’il nous est proposé et que nous adopterons un certain nombre d’amendements afin d’améliorer ce texte. Dans le cas contraire, à mon grand regret, je ne voterai pas cette réforme.
M. Jean-Pierre Chevènement. Très bien !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’équilibre des finances publiques.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite d’emblée écarter de ce débat le ton manichéen adopté sur certaines travées.
Le projet de loi constitutionnelle nous est présenté tardivement, à la veille d’échéances électorales majeures, comme le nouveau Graal, la martingale, la clef du rétablissement de l’équilibre de nos finances publiques. Il est « d’intérêt national » – Mendès France a été très souvent évoqué, même par d’inattendus et très récents convertis – et « placera l’opposition devant ses responsabilités ». Ceux qui ne l’approuveront pas seront donc, logiquement, contre l’équilibre des finances publiques et pour les déficits.
Il suffit de rappeler que, en trente ans, jamais un gouvernement de droite n’est parvenu à ramener le déficit de la France au-dessous de 2 % du PIB. Si, en 1989 puis en 1999, il fut de 1,8 %, en 2000 de 1,5 % et en 2001 de 1,8 %, c’était uniquement lorsque des gouvernements de gauche étaient aux responsabilités.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Yves Daudigny. En somme, dans sa stratégie de défense de la rupture aux fins d’autoblanchiment, la majorité voudrait faire procès à l’opposition d’avoir réussi là où elle a toujours échoué !
M. Bernard Frimat. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Nous vous laissons la responsabilité de la caricature, l’argument syllogistique et le clivage archaïque auxquels vous prétendez réduire le débat.
Nous ne partageons pas, monsieur le ministre, la même philosophie ni les mêmes valeurs et nous ne défendons visiblement pas les mêmes intérêts. Mais lorsqu’il nous est possible de travailler ensemble pour l’intérêt général, nous ne manquons pas de le faire. Ainsi en a-t-il été, en novembre dernier, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Nous avons en effet soutenu certaines des propositions des rapporteurs généraux de la commission des affaires sociales et de la commission des finances relatives au déficit de la sécurité sociale.
J’ai rendu hommage à la lucidité de l’analyse de notre collègue Jean-Jacques Jégou. Elle mérite d’être rappelée : « La maîtrise des dépenses est un levier dont la portée se réduit au fil des ans […] Faute de recettes nouvelles et pérennes, le niveau de protection sociale devra être revu à la baisse, le reste à charge augmenté ». Il ajoutait : « nous avons conscience que ces réflexions "creusent la tombe" du système créé en 1945 ». Prétendre ne pas vouloir augmenter les recettes et, dans le même temps, sauvegarder le système par répartition reviendrait à « mentir sur l’un des deux volets de la proposition ».
Méritent pour la même raison d’être également rappelés les deux derniers rapports de M. Alain Vasselle. En 2009, il alertait le Gouvernement sur Les limites de l’attentisme en matière de finances sociales, tandis que, l’année suivante, il insistait sur le caractère décisif de la session d’automne.
Or, malgré nos propositions réitérées, rien n’est advenu, le dogme élyséen s’imposant dans l’hémicycle. Il est de plus en plus évident que, pour réduire la dette et les déficits, il est nécessaire de changer moins la Constitution que la majorité !
L’expérience enseigne pourtant que les règles contraignantes, aussi forte soit leur portée juridique, doivent être précédées d’une volonté politique ferme et constante, qu’elles ne sauraient suppléer. Vous-même, monsieur le rapporteur de la commission des lois, avez évoqué le rapport public de la Cour des comptes pour 2011, où l’on peut lire : « Si des règles sont utiles pour éviter certaines dérives et fixer un horizon de moyen terme, elles ne peuvent pas suffire pour assurer le redressement des comptes publics. […] L’existence de nombreuses règles n’a pas empêché la dégradation structurelle des finances publiques françaises au cours des dernières années. À l’inverse, les pays […] qui ont engagé les actions les plus vigoureuses pour redresser leurs comptes publics n’ont pas tous eu besoin d’en afficher. »
Quant au récent exemple de l’allongement de la durée de vie de la CADES, il montre que les verrous institutionnels ne sont jamais totalement intangibles, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Nous le savons, la maîtrise insuffisante des dépenses, notamment de fonctionnement, qui croissent plus vite que le PIB, et la persistance des allégements de prélèvements obligatoires non soutenables, décidés à contretemps, concourent autant l’une que l’autre à la dégradation des comptes publics.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Quel sens donner à ce projet de loi constitutionnelle visant à inscrire dans notre loi fondamentale une règle obligeant la représentation nationale à respecter une trajectoire de rétablissement de l’équilibre des finances publiques ? Il s’agit en effet de retenir des principes s’opposant à toutes les décisions assumées par les gouvernements successifs et leur majorité depuis une mandature !
Le double langage, autrement dit l’écart entre la parole et les actes, serait-il l’essence même de l’action politique ? L’incapacité de traduire en actes responsables des principes énoncés dans les discours traduit-elle la facilité avec laquelle la classe politique, de décennie en décennie, céderait à la tentation de ne pas assumer les décisions difficiles ?
La Fédération française d’addictologie vient de se réunir à Paris. Comment ne pas établir un parallèle entre la démarche ici proposée et celle du joueur qui, incapable d’exercer sa propre volonté, demande à la société de lui interdire, en tout état de cause, l’accès au casino ? Or, on le sait, le seul moyen de vaincre véritablement les addictions est de cesser de chercher à échapper au travail de fond que la guérison requiert, fût-il inconfortable, déplaisant et dépourvu de bénéfice immédiat.
Les trois mesures phares que comporte ce projet de loi constitutionnelle ont été largement exposées : création de lois-cadres d’équilibre pluriannuelles des finances publiques, s’imposant dans certaines de leurs dispositions aux lois de finances et de financement ; monopole de celles-ci quant à l’ensemble des mesures fiscales, y compris en matière de fiscalité locale ; transmission au Parlement des projets de programme de stabilité.
J’insisterai pour ma part sur une quatrième mesure : elle est d’importance puisqu’elle conditionne l’application des trois premières. Il s’agit de la date d’entrée en vigueur de la réforme, prévue à l’article 13 du projet. Or, de date d’entrée en vigueur, il n’y en a pas ! Le soin de la fixer, en effet, est renvoyé à une loi organique à venir, dont nul ne sait quand elle interviendra…
Cette méthode n’est pas cohérente. Si, comme les ministres l’affirment, ce projet de loi constitutionnelle est absolument indispensable au rétablissement de l’équilibre de nos finances et de la crédibilité de notre pays, il faut s’empresser de le mettre en œuvre au plus tôt, c'est-à-dire dès 2012 !
En l’état, la « nouvelle ère budgétaire » que la réforme promet se réduirait au seul alinéa 20, nouveau, de l’article 34 de la Constitution, qui est d’application immédiate – sous réserve, bien sûr, que ce projet de loi constitutionnelle aboutisse, mais il n’est même pas sûr que vous souhaitiez le voir aboutir dans sa totalité… – donc à l’institution d’un monopole des lois financières, de nature à mettre un terme à une supposée dispersion des sources d’initiative, laquelle serait à l’origine de la ruine du budget de l’État.
Espérez-vous faire croire qu’il est indispensable, pour assurer l’équilibre des finances publiques, que le Parlement se saborde ?
En réalité, conférer un tel monopole aux lois financières aura à peu près autant d’effet sur l’équilibre des comptes publics qu’un cautère sur une jambe de bois ! Mais, de fait, toute initiative parlementaire sera rendue impossible et, à elle seule, cette disposition rend votre réforme inacceptable.
En l’état du droit et de la pratique, l’argument que vous avancez est doublement fallacieux. L’irrecevabilité financière prévue à l’article 40 de la Constitution et l’irrecevabilité sociale prévue par l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, en interdisant toute réduction de recette et tout accroissement non gagé de dépense, limitent déjà fortement l’initiative parlementaire.
Par ailleurs, si le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 juillet 1991, a rejeté le principe d’un monopole accordé aux lois de finances, le jugeant contraire au droit d’amendement, un monopole existe déjà, dans le cas des lois de financement de la sécurité sociale, pour certaines dispositions fixées par les lois organiques de 1996 et de 2005 ; celui-ci n’a d’ailleurs pas empêché le mitage des ressources, dénoncé aujourd’hui par ceux-là mêmes qui en sont les adeptes…
Les faits confirment cette analyse : 85 % des dispositions ayant entraîné des pertes de recettes ont été votées en loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, et la plupart n’étaient pas d’origine parlementaire.
En réalité, l’instauration d’un tel monopole au bénéfice des lois financières n’empêchera nullement un Gouvernement de continuer, comme l’ont fait ceux qui se sont succédé depuis dix ans, à amputer les recettes de l’État et de la sécurité sociale par des réformes coûteuses et sans contrepartie, quel que soit le véhicule législatif et au risque de multiplier les lois financières rectificatives.
J’en veux pour preuve la récente et soudaine annonce, en cours d’année budgétaire, d’une prime de 1 000 euros pour les salariés, que la plupart ne toucheront pas ou dont ils perdront l’équivalent par un ralentissement de leur progression salariale.
Faut-il rafraîchir la mémoire défaillante du Gouvernement ? L’adoption du « paquet fiscal » en 2007 s’est soldée pour l’État par une perte de recettes supérieure à 4 milliards d’euros. La baisse de la TVA dans le secteur de la restauration, adoptée de surcroît au détour d’un projet de loi sur le tourisme, s’est traduite part une perte de recettes de 3 milliards d’euros. La réforme de la taxe professionnelle, pour sa part, a coûté 7 milliards d’euros. Et toutes ces mesures furent financées par un recours toujours plus massif à l’endettement !
Faut-il aussi rappeler la politique de réduction systématique des ressources de la sécurité sociale ? « Tuyautages », « siphonnages » et multiplication des exonérations et des transferts d’assiette saignent un système qui, du coup, a évidemment tendance à beaucoup moins bien fonctionner.
Je citerai quelques illustrations récentes de cette méthode : ponction de 0,2 % de CSG sur le Fonds de solidarité vieillesse en 2009 ; ponction sur la branche famille ; épuisement avant terme du Fonds de réserve des retraites en 2010 pour financer les transferts de dette à la CADES ; tentative de suppression pour supprimer, à travers l’article 21 du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, le principe de compensation des exonérations sociales ; transfert de charges de la branche vieillesse vers l’assurance chômage résultant de fait des mesures d’âge prises dans le cadre de la réforme des retraites.
C’est au point d’ailleurs que le Conseil constitutionnel a jugé nécessaire, dans sa décision du 10 novembre 2010 portant sur la loi organique relative à la gestion de la dette sociale, de rappeler au Gouvernement qu’il ne lui est pas possible de puiser dans les ressources destinées à la sécurité sociale pour financer le remboursement des dettes transférées à la CADES. Au bout du compte, cette réserve d’interprétation rendra nécessaire ce devant quoi vous reculez toujours : le recours aux prélèvements obligatoires.
La création, avec la loi-cadre d’équilibre des finances publiques, d’un nouvel outil juridique destiné à remplacer les lois de programmation des finances publiques, dont l’existence, pourtant, a été inscrite dans la Constitution seulement en 2008, suffira-t-elle à empêcher cette politique de gribouille ?
L’appréciation et la sanction du non-respect de l’objectif d’équilibre ne laissent pas susciter des interrogations sur le rôle que jouera le Conseil constitutionnel et sur la nature de son contrôle. En effet, sauf à l’ériger en comptable pointilleux, la question de l’opportunité des mesures qui lui seront soumises se posera nécessairement à lui. Or le Conseil constitutionnel n’est pas un conseil politique. C’est là une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que l’équilibre des finances publiques ne peut pas constituer un objectif en soi ; il est seulement l’outil indispensable à la réalisation d’un projet, que l’on cherche aujourd’hui en vain.
L’avantage d’un contrôle de l’équilibre exercé par le Conseil constitutionnel serait peut-être que celui-ci rappelle la nécessité préalable de la sincérité des comptes. À cet égard, on ne peut totalement se féliciter du respect de l’ONDAM, obtenu en réalité au prix d’un débasage dont la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie fait les frais.
La prise en compte de circonstances exceptionnelles montre encore les limites de l’exercice : la crise financière et économique de 2008, qui expliquerait tout, fait de toute manière « sauter le verrou ».
D’ailleurs, de quelle crise, parle-t-on ? Peut-être aurez-vous relevé comme moi la première phrase des trois rapports de nos collègues députés : celui de la commission des finances explique tout par la crise de 2008, celui des affaires sociales se réfère à 1983 et celui de la commission des lois remonte à 1975… Pourquoi ne pas aller jusqu’à 1850, lorsque Gustave Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, inscrivait en face du mot « budget » : « toujours en déficit » ? (Sourires.)
La nature essentiellement structurelle de l’endettement actuel, accumulé au cours des dix dernières années, est clairement établie par les diagnostics de la Cour des comptes et du Conseil des prélèvements obligatoires.
Le rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’application de la loi fiscale dresse un constat identique : depuis 2002, entre 100 milliards et 120 milliards d’euros de recettes fiscales, soit l’équivalent de six à sept points de PIB, ont été abandonnés par l’actuelle majorité.
Mme Nicole Bricq. Et oui !
M. Yves Daudigny. M. Camdessus recommande lui-même de s’interroger sur les niches fiscales, ainsi que « sur certains taux de TVA… ».
La règle d’or et la règle d’investissement durable du code de stabilité budgétaire britannique adopté en 1997 n’ont d’ailleurs pas permis à ce pays de surmonter la crise économique et ont été suspendues pour raison de force majeure. Le « chaînon manquant » ne touche donc pas aux règles d’intendance qui, spontanées ou contraintes, sont incapables de suppléer à l’absence de projet politique.
Même inscrit dans la loi fondamentale, ce projet de réforme reste un texte de gestionnaire ; à lui seul, il ne peut suffire à garantir l’équilibre de nos finances publiques.
Il est aussi l’aveu d’un échec et sera vraisemblablement l’ultime illusion du quinquennat qui s’achève ; il ne résiste pas à l’analyse, et la majorité ne peut le défendre qu’avec la foi du charbonnier !
À rebours de l’antienne d’un discours univoque, qui serine à l’envi qu’il n’est pas d’autre choix que celui d’une politique récessive et de court terme, focalisée sur la maîtrise de la dépense, une politique qui frappe et sclérose aujourd’hui tous les secteurs de l’économie, je considère qu’il est possible, si nous le voulons, de conforter notre système de protection sociale sur la base des valeurs de 1945. De même, je crois qu’une autre voie existe pour rassurer les marchés : celle de la construction d’une économie d’investissement et de développement par le rétablissement d’une juste répartition des contributions.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi ne pas mettre en pratique les principes que vous affirmez à grands cris, au lieu de proclamer des règles que vous n’avez jamais appliquées ?
Non : il n’y a pas, en France, de culture du déficit ni de fatalité ou de malédiction de la dette ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Desessard. Bravo ! Nous pourrions en rester à cette excellente intervention ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Mais nous ne le ferons pas ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous sommes saisis apporte une réponse, à mes yeux indispensable, à la dérive des comptes publics que nous connaissons depuis trop longtemps.
En instituant de nouvelles règles budgétaires constitutionnellement contraignantes, il s’inscrit dans le cadre des politiques conduites par nos partenaires européens et répond à la nécessité d’envoyer un signal crédible de l’engagement qu’a pris la France de redresser ses comptes. Pour cette raison, il est impératif qu’il soit adopté.
Avec les nouvelles lois-cadres d’équilibre des finances publiques, la France se dote d’un instrument très contraignant : les lois financières devront en effet respecter un plafond de dépenses et un plancher de recettes, sous peine d’être déclarées inconstitutionnelles.
Si j’approuve donc pleinement le cœur de cette réforme, je porte une appréciation différente sur le dispositif instituant, au profit des lois financières, un monopole des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires. Un tel monopole, en effet, me paraît réduire de manière excessive les pouvoirs du Parlement.
Nous savons tous, mes chers collègues, dans quelles conditions sont discutées les lois de finances. Notre collègue Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, le déplore lui-même dans le rapport qu’il a déposé au sujet du présent projet de loi constitutionnelle : « Malgré l’importance des dispositions qu’ils contiennent, les textes financiers sont des textes examinés “à la hussarde” : les commissions disposent de délais de plus en plus réduits pour préparer leur discussion, et la procédure d’urgence limite la navette à une seule lecture dans chaque assemblée. »
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Bruno Sido. On peut ajouter que les lois financières sont les seuls textes auxquels la réforme constitutionnelle de 2008 ne s’applique pas puisque nous examinons en séance le texte préparé par le Gouvernement et non celui qui résulte des travaux en commission.
Or les conditions dans lesquelles nous travaillons sont très importantes pour les parlementaires que nous sommes.
C’est ainsi que, en tant que rapporteur du projet de loi sur l’eau, j’ai été amené, à l’occasion de la réforme du dispositif des agences de l’eau, à réformer, dans le même temps et de manière indissociable, le régime de leurs redevances – je devrais plutôt dire, d’ailleurs, de leurs taxes.
Imagine-t-on, de la même façon, examiner la loi sur les jeux d’argent et de hasard en ligne indépendamment de son volet fiscal ? Ou la loi relative aux libertés et responsabilités locales sans ses dispositions financières ?
M. Jean Desessard. À l’évidence, non !
M. Bruno Sido. Avec le monopole envisagé, les réformes seraient systématiquement dissociées de leur volet financier.
Si la totalité des dispositions fiscales étaient renvoyées au projet de loi de finances examiné à l’automne, comment la commission des finances pourrait-elle, à elle seule, mener le travail d’auditions auquel chaque commission procède sur les textes qu’elle examine, dans le but de se forger son propre point de vue en toute indépendance par rapport au Gouvernement ?
D’autre part, si chaque réforme sectorielle était accompagnée d’un projet de loi de finances, le Sénat serait saisi de toutes les grandes réformes en second. En outre, la procédure accélérée, propre aux lois financières, deviendrait également systématique. A contrario, si tel n’était pas le cas, comment assurer la cohérence d’une réforme dont une partie serait examinée pas l’Assemblée nationale et une autre par le Sénat, selon des calendriers divergents ?
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je souhaite, conformément aux positions exprimées par les commissions des lois, des affaires sociales et de l’économie, que l’institution du monopole soit abandonnée.
Pour le reste, bien entendu, j’approuve pleinement ce projet de loi constitutionnelle et, je le répète, j’estime essentiel qu’il soit adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est une très mauvaise réponse à une excellente question. (MM. René Garrec et Bruno Sido s’exclament.)
L’excellente question, c’est celle de la dette.
La responsabilité est l’une des trois valeurs cardinales de l’écologie politique, les deux autres étant l’autonomie et la solidarité.
La responsabilité, c’est la capacité et le devoir de répondre des conséquences de ses actes, de leur impact sur les autres, sur les autres êtres humains, sur les autres êtres vivants, y compris ceux qui vivent très loin, y compris aussi ceux qui vivront bien plus tard.
Pour les écologistes, dégrader l’environnement ou dégrader les finances publiques procède de la même irresponsabilité.
Lorsque le Gouvernement explique, dans l’exposé des motifs de ce projet de loi, que « la maîtrise de notre endettement et le retour à l’équilibre de nos finances publiques ne représentent pas seulement une nécessité économique [mais] constituent un impératif moral »,…
M. Pierre-Yves Collombat. C’est vrai !
M. Jean Desessard. … nous ne pouvons donc qu’être d’accord.
Je crains toutefois que le consensus ne puisse pas aller beaucoup plus loin. Car votre morale, monsieur le ministre, ou du moins celle du Gouvernement, celle de votre famille politique, est bien curieuse. En 2007, quand Nicolas Sarkozy a été élu, la dette atteignait 1 209 milliards d’euros ; aujourd’hui, elle se monte à 1 680 milliards d’euros.
M. Pierre-Yves Collombat. Il est vraiment très fort !
M. Jean Desessard. En quatre ans, le Gouvernement a tari comme jamais les recettes fiscales, multipliant les niches pour les multinationales, baissant la TVA sur la restauration, allégeant les droits de succession, installant un bouclier fiscal, avant, demain, de baisser l’ISF. Monsieur le ministre, est-ce bien ce même gouvernement, qui a augmenté la dette de 40 % en quatre ans, qui invoque aujourd’hui religieusement la morale budgétaire ?
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Jean Desessard. Et qu’on ne fasse pas tout reposer sur la crise ! La Cour des comptes elle-même a calculé que seul le tiers des déficits depuis 2008 lui était imputable ! Les cadeaux fiscaux que votre famille politique a offerts aux plus aisés depuis dix ans sont évalués à 125 milliards d’euros annuels !
L’objectif d’équilibrer les finances publiques, que nous partageons, je l’ai dit, est donc fondamentalement contradictoire avec la politique que vous déclinez depuis quatre ans.
Que faut-il donc comprendre avec ce projet de loi constitutionnelle ? Que vous cherchez à vous prémunir de vous-mêmes ? Même en vous faisant crédit de cette lucidité, le pari semble bien optimiste, car nombre de règles existent déjà.
Ainsi, les critères européens de Maastricht vous commandent de maîtriser le déficit. Vous les ignorez ! Une loi organique de 1996 vous impose de compenser tout transfert de dette à la CADES. En novembre dernier, vous la bafouez ! Les récentes lois de programmation des finances publiques vous ont-elles davantage contraints à maîtriser votre budget ? Pas le moins du monde !
Est-ce à dire qu’il faudrait faire basculer dans la Constitution l’ensemble des dispositions juridiques qui s’imposent à votre action pour que vous les respectiez ? Mais comment feriez-vous pour, désormais, vous astreindre à une discipline, fût-elle constitutionnelle, que vous n’avez jamais respectée ?
Le constat est terrible, j’en conviens, mais je crois que, décidément, rien, pas même une loi constitutionnelle, ne vous protégera contre l’instabilité et l’inconséquence d’un Président de la République qui exige une nouvelle loi à chaque nouveau sondage, à charge ensuite pour la majorité d’en définir le contenu…
Si le recours à ce procédé n’est plus à démontrer en ce qui concerne les thématiques chères au Front national, c’est malheureusement tout aussi vrai du reste, et en particulier de la politique économique.
Pas plus tard qu’il y a deux mois, le souvenir des promesses non tenues sur le pouvoir d’achat a subitement saisi Nicolas Sarkozy – cela lui est revenu d’un seul coup ! –, et il a ordonné sur-le-champ l’élaboration d’une loi octroyant « une prime de 1 000 euros aux salariés des entreprises distribuant des dividendes ». Priés d’y donner rapidement une traduction concrète, ses services ont accouché d’un texte qui fait aujourd’hui l’unanimité des partenaires sociaux contre lui et qui suscite un scepticisme désabusé chez bon nombre de membres de la majorité.
Il faut vous y résoudre, monsieur le ministre : aucune règle juridique ne vous protégera jamais de l’irresponsabilité politique.
Dans son rapport de février dernier, la Cour des comptes ne dit pas autre chose lorsqu’elle explique : « L’existence de nombreuses règles n’a pas empêché la dégradation structurelle des finances publiques françaises au cours des dernières années. À l’inverse, les pays qui ont le mieux traversé la crise ou qui ont engagé les actions les plus vigoureuses pour redresser leurs comptes publics n’ont pas tous eu besoin d’en afficher. L’Allemagne aura fortement redressé ses comptes publics avant même la mise en application de sa nouvelle règle constitutionnelle. » C’est du simple bon sens !
La bonne réponse à la question de la dette est bien politique, à condition toutefois qu’il s’agisse d’une politique responsable, c’est-à-dire une politique sachant distinguer les priorités. Par exemple, lorsque la dette frôle les 80 % du PIB, comme aujourd’hui, il n’est pas responsable de s’accommoder du fait que les entreprises du CAC 40 ne payent que 8 % d’impôt sur les sociétés ni d’offrir 3 milliards d’euros par an aux restaurateurs. L’endettement qui résulte des mesures en cause est absolument intolérable.
À l’inverse, lorsque surgit une situation d’urgence, lorsque se déclare une hémorragie sociale, économique ou environnementale, la même responsabilité politique somme d’agir.
Que pèsera le vernis constitutionnel de votre règle budgétaire face à une catastrophe naturelle de grande ampleur, face à une catastrophe nucléaire,…