Mme Virginie Klès. Voilà !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est tout simplement ce que voulait vous dire notre collègue Virginie Klès tout à l’heure !
En vérité, vous tournez en rond ! En effet, si le système antérieur était valide et inattaquable, est-il besoin d’injecter des dispositions législatives pour modifier un processus qui donnait satisfaction ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Si, c’est précisément la question !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Loin de moi l’idée de m’immiscer dans ce genre de dialogue, mais je crois néanmoins qu’il nous engage dans la mauvaise voie !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Beaucoup a déjà été dit sur l’impartialité des juges. Je fais allusion non à vos propos, monsieur le ministre, mais à ceux du président de la République qui ont été amplement relayés par la presse.
M. Jean-Jacques Mirassou. Voilà la vérité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Même s’ils ne nous étaient pas adressés directement, il nous était difficile de ne pas les lire ou de ne pas les entendre ! Par conséquent, nous savons très bien ce qu’il en est.
J’en reviens à l’article 3 et au dispositif que vous voulez mettre en place. Personne ne conteste que les faits exposés par le président du tribunal éclaireront les membres du tribunal, y compris les deux malheureux citoyens assesseurs présents. Ils devront être exposés de façon concise, est-il même précisé. Admettons qu’il parvienne à résumer à l’extrême, sans prendre parti, bien sûr, mais je ne doute pas de sa bonne volonté.
Alors, où est le problème ? Il tient à la façon dont se dérouleront les audiences du tribunal correctionnel citoyen. L’exigence d’un exposé concis suppose que les personnes présentes ont une connaissance minimale du dossier écrit. Or tel ne sera pas le cas !
Par conséquent, avant de demander au législateur de se prononcer sur les dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen, il fallait s’interroger sur les conséquences, pour l’organisation des audiences correctionnelles, de la présence parmi les juges de personnes qui n’ont pas la connaissance du dossier. Ce qui pose problème, ce n’est pas l’impartialité des jugements des uns ou des autres, c’est le fonctionnement de l’audience !
J’en profite pour dire à M. le rapporteur qu’il a mal compris ce que je voulais lui signaler. Je n’ai reçu la convocation de la commission des lois que le 26 avril, ce qui ne m’a pas permis d’assister aux auditions qui avaient déjà commencé, et croyez que je le regrette. Si je ne reçois pas les convocations à temps, je ne peux pas être présente, car, n’étant pas pendue au téléphone ou à je ne sais quel moyen de communication, je ne peux pas deviner les dates de vos auditions !
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l’article 3.)
Article 4
La section 5 du chapitre Ier du titre II du livre II du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
1° Il est créé un paragraphe 1 intitulé : « Dispositions générales » comprenant les articles 462 à 486 ;
2° Il est ajouté un paragraphe 2 ainsi rédigé :
« PARAGRAPHE 2
« Dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen
« Art. 486-1. – La présente section est applicable lorsque le tribunal correctionnel est composé conformément à l’article 399-1 sous réserve des adaptations prévues au présent paragraphe.
« Art. 486-2. – Conformément à l’article 399-4, les trois magistrats délibèrent avec les citoyens assesseurs sur la qualification des faits, la culpabilité et la peine.
« Sauf lorsque le président en décide autrement dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le délibéré se tient à l’issue des débats, avant l’examen de toute autre affaire.
« Art. 486-3. – Avant de délibérer sur la culpabilité du prévenu, le président rappelle chacun des éléments constitutifs et, le cas échéant, des circonstances aggravantes de l’infraction devant être établis pour que la culpabilité puisse être retenue dans les termes de la prévention.
« Lorsqu’il est reproché au prévenu d’avoir tenté de commettre le délit, le président rappelle les dispositions de l’article 121-5 du code pénal. Il rappelle celles de l’article 121-7 du même code lorsque le prévenu est poursuivi en qualité de complice. Lorsque le tribunal doit délibérer sur l’existence d’une cause d’irresponsabilité, le président donne lecture des dispositions qui la définissent.
« Lorsque le tribunal est appelé à examiner si les faits peuvent revêtir une autre qualification que celle qui leur a été donnée par la prévention, le président procède, pour l’examen de la nouvelle qualification, conformément aux deux premiers alinéas. Le tribunal composé conformément à l’article 399-1 est compétent pour statuer sur la nouvelle qualification même si elle n’entre pas dans les prévisions de l’article 399-2. Toutefois, il statue dans la composition prévue au premier alinéa de l’article 398 si la nouvelle qualification entre dans les prévisions des articles 697-1, 702, 704, 706-2, 706-73 ou 706-74.
« Art. 486-4. – En cas de réponse affirmative sur la culpabilité, avant de délibérer sur la peine, le président rappelle les peines encourues pour les faits dont le prévenu a été déclaré coupable compte tenu, le cas échéant, de l’état de récidive. Il appelle l’attention des citoyens assesseurs sur les dispositions des articles 132-19, 132-20 et 132-24 du code pénal et rappelle les différents modes de personnalisation des peines prévus par les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre III du livre Ier du même code. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 14 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 48 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L’amendement n° 124 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l’amendement n° 14.
M. Alain Anziani. Vous connaissez notre position sur le fond : nous demandons évidemment la suppression de cet article 4, comme nous le ferons pour les autres articles.
Mais, cela dit, je m’en tiendrai à une considération de forme.
À l’article 4, vous ajoutez un paragraphe 2 relatif aux dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen. Aujourd’hui, le code de procédure pénale ne contient aucune disposition particulière précisant le moment auquel se tient le délibéré. Seules quelques dispositions traitent du jugement, ce qui n’est pas tout à fait pareil que le délibéré.
Ainsi, l’article 462 du code de procédure pénale précise bien : « Le jugement est rendu soit à l’audience même à laquelle ont eu lieu les débats, soit à une date ultérieure.
« Dans ce dernier cas, le président informe les parties présentes du jour où le jugement sera prononcé. »
Je ne veux pas vous faciliter la tâche, mais pourquoi n’avez-vous pas repris purement et simplement ces dispositions dans le paragraphe relatif au tribunal correctionnel citoyen ? Non seulement vous compliquez la procédure, mais vous vous exposez à un risque juridique en inventant quelque chose d’autre !
En effet, vous visez uniquement un délibéré, et ce dernier sera extrêmement lourd, car le président devra rappeler chacun des éléments constitutifs et, en fait, donner un véritable cours de droit aux citoyens assesseurs qui composeront le tribunal !
En outre, vous omettez de préciser deux points importants.
Le premier est qu’un délibéré doit se conclure par un vote. À quel moment aura-t-il lieu ?
Le second point est essentiel : le seul intérêt d’un délibéré est de préparer la décision qui va en sortir, en l’occurrence le jugement.
Il est précisé, au paragraphe 2 de l’article 4 : « Sauf lorsque le président en décide autrement dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le délibéré se tient à l’issue des débats, avant l’examen de toute autre affaire. » Cela signifie-t-il que, en dehors de cette exception, le jugement sera toujours rendu à l’issue de l’audience ?
Je vous rappelle que le jugement devra être motivé, et cela en collaboration avec les citoyens assesseurs. Alors, ne vous réservez-vous pas la possibilité que le jugement soit prononcé ultérieurement ? Par exemple, dans le cas de violences urbaines ou d’autres situations extrêmement compliquées, je ne suis pas sûr que l’ensemble du tribunal correctionnel citoyen, y compris donc les citoyens assesseurs, soit en état de motiver et de rendre le jugement immédiatement à l’issue de l’audience et non, comme cela se passe couramment dans les affaires complexes devant le tribunal correctionnel, sous huitaine ou quinzaine.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 48.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’irai dans le même sens. Comment peut-on prévoir, pour ce tribunal correctionnel citoyen, que le jugement devra être rendu à l’issue des débats ?
Si le délibéré est remis à plus tard, c’est bien parce qu’il y a des raisons, et celles-ci ne tiennent pas à la composition du tribunal !
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec cet article 4, vous introduisez une spécificité qui est très difficilement justifiable. Craignez-vous, par exemple, que les citoyens assesseurs ne se souviennent plus de ce qui s’est passé si on leur demande de revenir ?
Mais le problème n’est pas là ! La question est de savoir si les citoyens assesseurs qui vont devoir se prononcer ont la capacité de le faire. La décision de repousser le délibéré se fonde normalement sur différents éléments liés à l’affaire.
Par ailleurs, il est prévu que le tribunal correctionnel citoyen puisse statuer sur une affaire qui ne relève pas de sa compétence initiale, quand il s’est vu transmettre un dossier pour lequel il procède à la requalification des faits. Cette extension des compétences du tribunal, au-delà de celles qui sont inscrites dans le code de procédure pénale, nous paraît encore une fois porter atteinte, d’une certaine manière, à l’égalité des citoyens face à la justice.
Par conséquent, quel que soit le regard que l’on porte sur ces tribunaux, on constate que des procédures très différentes sont instaurées, pour des délits quasiment identiques.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 124 rectifié.
M. Jacques Mézard. Cet amendement vise également à supprimer l’article 4. Cet article semble, à la première lecture, quelque peu sibyllin, mais il précise en fait la procédure applicable devant le tribunal correctionnel « nouvelle formule » et soulève donc un certain nombre de difficultés.
Tout d’abord, l’alinéa 8 dispose, comme notre collègue Alain Anziani l’a rappelé, que le président du tribunal peut décider, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice », que le délibéré ne se tiendra pas à l’issue des débats et sera donc renvoyé à une date ultérieure. Aucune précision complémentaire n’est introduite. Un tel cas de figure est lié, le plus souvent, à des raisons pratiques : à la fin de la soirée, après la troisième, quatrième ou cinquième affaire, les citoyens assesseurs seront très probablement épuisés ! Le président du tribunal prendra alors la décision de renvoyer le délibéré. Mais rien n’est dit sur les citoyens assesseurs qui, tout à fait légitimement, devraient alors retrouver leur famille et leurs activités quotidiennes.
Ensuite, cet article nous permet, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, d’appréhender la véritable complexité de ce projet de loi. Les alinéas suivants décrivent en effet l’ensemble des rappels auxquels le président devra procéder, en quelques dizaines de minutes, à chaque audience. Il devra expliquer aux deux malheureux citoyens assesseurs tout ce qu’ils sont censés savoir, c’est-à-dire tout ce qu’un bon étudiant en droit a du mal à assimiler après plusieurs années d’études. D’ailleurs, si nous faisions ici une interrogation écrite – nous sommes probablement un certain nombre, dans cet hémicycle, à avoir fait des études de droit –, pour vérifier nos connaissances en cette matière, nous aurions de terribles surprises, monsieur le garde des sceaux !
Le président du tribunal devra en effet rappeler les éléments constitutifs de l’affaire, les circonstances aggravantes et leurs conséquences sur la culpabilité, la définition du complice et aussi, malheureusement, de la clause d’irresponsabilité. En outre, si la culpabilité est reconnue, il devra évoquer les peines encourues et les différents modes de personnalisation.
Bravo, monsieur le garde des sceaux ! Si ces présidents, dont les qualités et les compétences sont grandes, arrivent à faire comprendre tout cela à ces malheureux citoyens assesseurs en un temps aussi court, il faudra les nommer professeurs des universités dans les plus brefs délais, car ils auront prouvé qu’ils sont des enseignants de très haute qualité ! (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous aurons des nominations dans les facultés ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Je pense donc avoir démontré l’absurdité du mécanisme qui nous est proposé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Dans la mesure où ces trois amendements identiques visent à remettre fondamentalement en cause l’esprit du projet de loi et, plus particulièrement, la création des tribunaux correctionnels citoyens, la commission des lois ne peut y être que défavorable.
Même si les choses ne sont pas nécessairement simples, j’ai quelquefois l’impression que mes collègues, du moins un certain nombre d’entre eux, prennent un malin plaisir à les compliquer encore.
Permettez-moi de relire l’alinéa qui vient d’être diversement commenté : « Sauf lorsque le président en décide autrement dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le délibéré se tient à l’issue des débats, avant l’examen de toute autre affaire. » Ce texte me semble particulièrement simple à comprendre ! Il signifie que le tribunal correctionnel citoyen délibérera, la plupart du temps, affaire après affaire, c’est-à-dire sur la première, puis la seconde, enfin la troisième, ce qui, après tout, facilitera la compréhension et la cohérence des décisions qui pourront être prises.
Parfois, et peut-être même souvent, le président en décidera autrement, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Il pourra en effet estimer que certaines affaires sont très proches et souhaiter comparer, dans un souci de cohérence en matière de sévérité des sanctions et pour que la justice soit mieux rendue, la décision de la première et de la seconde affaire.
Pour une fois, je ne vois là rien de compliqué.
M. Jacques Mézard. « Pour une fois » !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je souhaite répondre aux auteurs de ces amendements visant à supprimer l’article 4, et notamment à M. Jacques Mézard, qui, avec beaucoup de continuité, ligne après ligne, s’efforce de détricoter ce texte, ce qui est d’ailleurs son droit le plus absolu.
M. Jacques Mézard. C’est un texte malin !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Perseverare diabolicum !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, voilà quelques instants, vous avez fait allusion au malin en regardant M. Mézard. Il est inutile d’évoquer maintenant le diable, cela ferait beaucoup pour un seul homme ! (Sourires.)
J’estime très honnêtement que cet article est parfaitement clair. Les débats menés dans le cadre de ce nouveau tribunal correctionnel seront forcément différents de ceux qui se tiennent à l’heure actuelle dans un tribunal correctionnel classique. L’oralité sera plus importante, les discussions, plus longues. Les avocats devront probablement s’adapter à ce tribunal correctionnel « nouvelle version », ce qui est tout à fait normal. Tout cela prendra donc plus de temps, vous l’avez souligné hier et je le reconnais bien volontiers. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai obtenu des créations de poste, c’est une évidence qu’il nous faut regarder bien en face. Les moyens supplémentaires qui ont été accordés s’inscrivent dans la perspective d’une pratique différente.
La procédure prévue par cet article se rapproche quelque peu de celle qui est appliquée dans les cours d’assises. La part de l’oralité étant plus importante, le principe de continuité des débats doit s’appliquer. En principe, le délibéré interviendra à la fin de l’audience. Il est expressément prévu que le président du tribunal, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice », peut en décider autrement. Même si une telle précision n’avait pas été introduite dans le texte du projet de loi, le président pourrait prendre cette décision, puisqu’il s’agit d’un principe d’application générale.
Considérons ce texte avec simplicité et non avec malignité ! Comme dans la procédure de comparution immédiate, le délibéré interviendra après chaque audience. Nous n’introduisons ici aucune nouveauté ! Nous nous contentons de reprendre une règle existante, tout en rappelant l’exception qui l’accompagne ordinairement et qui est liée à la bonne administration de la justice. Ne cherchons donc pas dans ce texte ce qu’il n’y a pas lieu d’y trouver !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, à malin, malin et demi ! Je vous accorde très courtoisement cette demi-part supplémentaire en la matière.
Vous avez évoqué l’oralité des débats, ce qui est loin de constituer une nouveauté en matière pénale.
M. Roland Courteau. C’est un pléonasme !
M. Jacques Mézard. Nous ne sommes pas en train de débattre, que je sache, du tribunal administratif !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’oralité est également de mise dans le cadre du tribunal administratif !
M. Jacques Mézard. Ah bon ! C’est une nouveauté ! Monsieur le garde des sceaux, affirmer, dans cette auguste enceinte, que les débats sont oraux au tribunal administratif, me paraît tout de même assez curieux !
M. Jacques Mézard. Nul besoin d’épiloguer davantage…
M. Jean-Jacques Mirassou. On en reste sans voix !
M. Jacques Mézard. C’est le cas de le dire !
Plus sérieusement, monsieur le garde des sceaux, le fait que le délibéré intervienne directement après l’audience est, quelles que soient les configurations, tout à fait ordinaire, et pas simplement dans le cadre d’une comparution immédiate. Là n’est donc pas le problème.
La difficulté soulevée par cet article est liée à la « formation », par le président, des citoyens assesseurs, lesquels, je le rappelle, siégeront au maximum huit jours par an. Ces derniers devront ainsi être instruits « des éléments constitutifs et, le cas échéant, des circonstances aggravantes de l’infraction devant être établis pour que la culpabilité puisse être retenue dans les termes de la prévention. »
Vous imaginez ce que cela peut représenter pour des citoyens assesseurs qui n’ont aucune expérience ni compétence en ce domaine !
De la même manière, le président sera chargé d’expliquer les problèmes juridiques liés à la tentative. Il n’est pas toujours simple de comprendre la sanction de la tentative par rapport à celle de l’acte. Lorsque le prévenu est poursuivi en qualité de complice, il revient encore au président d’éclairer les citoyens assesseurs. Qu’est-ce qu’un complice ? Par rapport à l’auteur principal, quelle sanction risque-t-il ? À chaque fois, à chaque audience, il faudra expliquer aux malheureux citoyens assesseurs l’ensemble de ces principes.
Monsieur le garde des sceaux, vous êtes, j’en suis convaincu, un homme de bon sens. Vous savez quelle est la situation des tribunaux correctionnels : les dossiers s’y accumulent et les magistrats rencontrent des difficultés pour les répartir et cherchent par tous les moyens à les orienter vers le juge unique, la comparution immédiate ou toute autre procédure particulière !
Comment pouvez-vous prétendre vouloir améliorer le fonctionnement de la justice avec un mécanisme aussi lourd, qui concernera, chaque année, des dizaines de milliers d’affaires ? À moins que les moyens dont vous allez disposer ne soient affectés qu’aux deux cours d’appel désignées pour expérimenter ces nouvelles dispositions !
Le système que vous voulez mettre en place n’a strictement aucun sens, il ne répond pas aux besoins de nos magistrats ni à ceux de la justice. La réalité, c’est que les magistrats, dans bien des cas, demandent aux avocats et au procureur de faire preuve de concision parce que les dossiers s’accumulent ! Et vous décidez que toute une série d’affaires, pas forcément les plus graves, celles qui vous paraissent les plus médiatiques, bénéficieront d’une procédure beaucoup plus longue.
Tout cela n’est pas sérieux, et je pèse mes mots.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Hier, j’ai eu l’occasion de vous dire, monsieur le garde des sceaux, que vous alliez à l’encontre des besoins de la justice. Je vous le répète. Quiconque connaît aujourd’hui la réalité des audiences correctionnelles ne peut que me rejoindre sur ce point. Les magistrats, excédés, subissent des pressions incroyables ; les audiences se terminent à minuit, voire une heure du matin ; les justiciables ont le sentiment de ne pas être entendus et les avocats, de ne plus servir à rien ; le ministère public, lui-même, n’en peut plus ! Or c’est ce moment que vous choisissez pour inventer une nouvelle procédure, dont je vous demande de mesurer un instant les effets.
Après chaque affaire, il faudra s’interrompre pour délibérer : telle est la règle de principe, qui s’appliquera hors les cas exceptionnels.
Des assesseurs citoyens seront présents – je le conçois. Certains seront de bonne volonté, mais pas tous ! Si vous jamais eu l’occasion de participer à un délibéré, vous savez que d’autres se méfieront, pensant qu’on veut les entraîner vers une décision : ceux-là voudront des explications, s’opposeront, demanderont ce que signifie la complicité… Au total, les délibérations vont durer des heures !
Et voici quel en sera le résultat : le nombre des affaires jugées au cours d’une audience sera, peut-être, inférieur de moitié à ce qu’il est aujourd’hui – au prix de si grandes difficultés, d’un tel harassement pour les magistrats et de telles frustrations pour les justiciables !
Cela n’a pas d’importance, dites-vous, …
M. Robert Badinter. … car vous avez obtenu une enveloppe finançant la création de cent postes de magistrats.
Vous rendez-vous compte de ce que représentent cent magistrats, aujourd’hui ! Mais vous n’entendez pas la magistrature, monsieur le garde des sceaux : on vous les demande de toutes parts !
Vous savez ce que supportent les magistrats, et vous dites : « Qu’importe ! Ils feront encore un cours de droit élémentaire comparé sur la théorie de la complicité, de la tentative et des circonstances aggravantes… »
Je vous le dis clairement : ce que vous nous proposez est une aberration.
Au moment même où la justice ploie sous le fardeau, où les justiciables attendent d’elle qu’elle soit éclairée en même temps que suffisamment prompte, vous inventez de faire participer les justiciables eux-mêmes, qui ne vous demandent rien, à une œuvre judiciaire qui n’est pas la leur et à laquelle ils auront le plus grand mal à comprendre quelque chose – tant est grande l’exaspération des magistrats…
M. Robert Badinter. Les magistrats veulent des moyens pour pouvoir rendre la justice ; ils n’ont pas besoin de se transformer en pédagogues d’occasion pour des citoyens qui ne demandent rien !
Je vous le répète : vous atteignez le comble de l’irréalisme ! Vous n’agissez même pas par idéologie, mais par aveuglement. Dans l’état où se trouve la magistrature, c’est un choix politique absurde, et je suis content de pouvoir vous dire qu’il n’est pas votre fait.
Rappelez-vous que, s’il y a 2 400 affaires d’assises, il y a 450 000 affaires correctionnelles… Et il y en a toujours plus !
J’ajoute – cela n’est indifférent ni pour le Sénat ni pour vous-même – que ces procédures complexes, aggravant encore la lenteur des audiences, multiplieront le nombre de détenus à titre provisoire dans des maisons d’arrêt déjà surpeuplées ; les chiffres vous sont connus.
Tout cela, pourquoi ? Je vous mets au défi devant la Haute Assemblée d’avancer une raison autre que celle de justifier un slogan publicitaire : « En France, dorénavant, non seulement la justice sera rendue au nom des citoyens, mais elle le sera par les citoyens eux-mêmes ! » Assez de slogans, regardez la réalité en face ! C’est un mauvais coup que vous portez à la justice et à la magistrature. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’ai beaucoup de respect pour vous, monsieur le sénateur. Mais le respect qui vous est porté ne vous autorise pas à tenir de nombreux propos parfois peu exacts…
Il est vrai qu’aujourd’hui les moyens du service public de la justice ne sont probablement pas au niveau souhaitable. Mais, dans cet état de fait, vous avez comme moi une part de responsabilité, car vous participez depuis trop longtemps, comme ministre ou parlementaire, à la gestion du service public de la justice...
J’essaie, pour ma part, de participer à cette gestion avec beaucoup de modestie, et avec la conscience que, même si les moyens du ministère de la justice ont pu chaque année être un peu accrus, ils ne sont pas suffisants et – je dois le dire – ne le seront jamais, …
M. Robert Badinter. Allégez donc les procédures !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … j’en ai pleinement conscience. Je sais aussi que la sous-dotation du ministère de la justice ne date pas seulement des dernières années.
J’aimerais que vous reconnaissiez également qu’il s’agit d’une situation historique. Sans doute, à plusieurs reprises, des efforts ont-ils été consentis : je n’en nie aucun, et je respecte trop mes adversaires politiques pour ne pas reconnaître ce qui a été fait, comme ce qui n’a pas été fait.
Je n’ai pas votre expérience d’avocat, et je le regrette. Je ne suis pas non plus magistrat, et crois que je n’aurais pas su l’être. Je suis seulement un pauvre juriste, qui essaie de faire ce qu’il peut… (Sourires.)
Je sais parfaitement que les audiences correctionnelles, aujourd’hui, ne fonctionnent pas bien : commencer à treize heures et finir à vingt-deux heures ou vingt-trois heures, ou plus tard, cela n’est pas satisfaisant. Il s’agit d’une situation ancienne, mais ce n’est pas une raison pour qu’elle se poursuive. Si je cherche à engager des moyens nouveaux, c’est aussi dans le but de l’améliorer. Or je crois très sincèrement que cette réforme, dont j’ai parfaitement conscience qu’elle nécessitera des changements profonds, permettra d’améliorer la situation.
Nous aurons, tous ensemble, à nous assurer que la justice dispose des moyens qui lui sont nécessaires. Chaque jour, les juges remplissent leur office, dans des conditions il est vrai de plus en plus contraintes. Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire et se satisfaire de la situation présente. Je pense au contraire que nous pouvons faire beaucoup mieux, et que cette réforme y concourra. Parce que sa mise en œuvre nécessitera une augmentation des moyens, nous ne l’introduisons pas partout et tout d’un coup : nous avons choisi de l’expérimenter dans les ressorts de deux cours d’appel. Je crois que c’est aussi une manière, pour nous, de faire preuve de modestie.