M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, je ne comprends pas pourquoi vous semblez croire que nous vous mettons en cause personnellement.
Nous nous réjouissons que vous soyez présent pour défendre votre projet de loi. Votre démarche est sans nul doute préférable à celle de votre collègue ministre du travail, qui nous a récemment envoyé une secrétaire d’État ne connaissant strictement rien au texte dont elle devait assurer la défense devant la Haute Assemblée ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Vous, au moins, vous connaissez vos textes et vous assumez vos responsabilités.
Mais vous êtes membre du Gouvernement et, à ce titre, vous en êtes solidaire ! Dès lors, ce que vous pensez à titre personnel ne nous intéresse pas. Nous connaissons vos idées, mais cela n’a aucun intérêt dans le débat.
Ce qui nous importe, c’est ce que disent le Président de la République et le Gouvernement. Malheureusement pour vous, la lecture de l’exposé des motifs et de l’étude d’impact qui accompagnent le projet de loi confirme nos dires.
Je vous renvoie aussi aux propos du Président de la République et du ministre de l’intérieur de l’époque. De deux choses l’une : ou bien vous êtes solidaire de ces déclarations ou bien vous ne l’êtes pas. Dans cette dernière hypothèse, il faut en tirer les conséquences ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il me semble que c’est bien cela, la continuité de l’État !
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Permettez-moi de vous faire part de quelques remarques, questions ou réflexions.
Tout d’abord, M. le rapporteur s’est interrogé sur la place des associations de victimes en matière d’application des peines. Mais elles ont évidemment leur place ! Il y a un équilibre avec les associations d’insertion !
Ensuite, nous sommes bien entendu favorables à la constitution de jurys incluant des citoyens. Nous n’avons d’ailleurs jamais dit que nous y étions opposés. Ce qui nous interpelle, ce sont les méthodes et le calendrier de mise en œuvre de modifications aussi profondes !
Monsieur le garde des sceaux, nous avons demandé quels étaient les objectifs précis du projet de loi. À ce jour, vous ne nous avez toujours pas répondu. Or une réforme ne peut se concevoir que si elle est mise au service d’un objectif précis, concret et compris par tous.
Enfin, vous avez fait référence aux « cinq années d’études ». Ce n’est ni moi ni mon groupe qui nous sommes abrités derrière un article du journal Libération relatant la joie d’un enseignant de vingt-quatre ans de participer aux jurys citoyens.
Mme Virginie Klès. Peu importe son âge ; lui avait bien les cinq années d’études !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez demandé à plusieurs reprises de vous « donner acte » que vous ne mettiez pas en cause les magistrats. Soit ! Nous vous en donnons acte.
Mais cela n’empêche nullement de constater qu’il y a une crise dans la magistrature.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle ne date pas d’aujourd'hui !
M. Alain Anziani. Les magistrats et l’institution judiciaire s’estiment méprisés par le pouvoir en place. Il n’est qu’à observer les mouvements menés ici ou là par les professionnels pour protester contre le sort qui leur est réservé.
À votre tour de nous donner acte d’une réalité. Quand il compare les magistrats à des « petits pois » – je reprends l’expression que j’avais citée tout à l’heure –, le Président de la République met en cause la magistrature et l’institution judiciaire ! Quand l’ancien ministre de l’intérieur Brice Hortefeux stigmatise, parce qu’elle n’a pas l’heur de lui plaire, une décision d’un tribunal du Bobigny condamnant des policiers, il met en cause la magistrature !
Je vous le dis en toute amitié, nous regrettons que, dans ces moments-là, le garde des sceaux reste aussi silencieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 44 et 91 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de vingt amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 92 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 7 à 12
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, que les choses soient claires : je ne vous ai jamais accusé au cours de ce débat de ne pas défendre les magistrats. J’imagine mal en effet un garde des sceaux faisant le procès de la magistrature. Cependant, nous avons parfaitement le droit de considérer que la volonté de l’exécutif, telle qu’elle se manifeste dans le présent projet de loi, est de mettre en cause le travail des magistrats professionnels de notre pays.
Rassurez-vous, nous avons bien compris que vous étiez là pour assurer un équilibre entre les propos excessifs du Président de la République et des membres de l’exécutif – ils viennent d’être excellemment rappelés par notre collègue Alain Anziani – et la nécessité de respecter notre magistrature.
L’amendement n° 92 rectifié vise à supprimer les alinéas 7 à 12, qui créent les citoyens assesseurs en leur permettant de compléter le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels ainsi que le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel.
Comme vous avez bien voulu le reconnaître voilà quelques minutes, cette nouvelle procédure allongera la durée des audiences et coûtera plus chère !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle permettra que la justice soit mieux rendue !
M. Jacques Mézard. Étant très attaché aux principes traditionnels de la République, je respecte profondément les citoyens. Mais, pour avoir plaidé dans de nombreuses affaires devant la cour d’assises, je puis vous certifier, même si cela ne correspond pas à l’opinion générale, que les jurés ne sont pas la panacée. Encore une fois, en disant cela, je pense être fidèle à mes convictions.
Vous auriez très bien pu limiter le nouveau dispositif au tribunal correctionnel, mais il a fallu que vous y ajoutiez la chambre des appels correctionnels, puis le tribunal d’application des peines et la chambre d’application des peines de la cour d’appel. Disons-le clairement, votre objectif était de répondre à des interpellations de l’opinion à la suite de certaines libérations ayant occasionné des drames, comme cela se produit inévitablement.
Certes, on peut toujours faire mieux. Mais il est indécent d’utiliser de tels drames à des fins d’affichage médiatique pour prendre des options sécuritaires au lieu d’adopter les mesures qui s’imposent.
Au sein du tribunal d’application des peines et, plus encore, de la chambre d’application des peines, il y a des personnes qui, sans être des magistrats professionnels, disposent d’une expérience et d’une compétence. Or vous voulez les remplacer par des citoyens assesseurs dépourvus de toute formation. Allez-vous au moins donner à ces femmes et à ces hommes une formation sur la réalité de l’univers carcéral et sur les processus de réinsertion ? À défaut, comment voulez-vous qu’ils puissent se forger une opinion qui tienne debout et prendre de bonnes décisions ?
Vous le voyez, la suppression des alinéas 7 à 12 s’impose. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Je partage ce qui vient d’être dit par M. Mézard, et je souhaite ajouter un élément qui est un peu différent.
Avons-nous tous bien conscience que ce qui nous est proposé changera la nature profonde de la procédure d’audience devant le tribunal correctionnel ?
Aujourd'hui, au tribunal correctionnel, nous avons un ou plusieurs magistrats qui maîtrisent parfaitement leur dossier, parce qu’ils y ont travaillé avant l’audience. Les avocats aussi ont eu accès au dossier. Nous avons donc des personnes qui connaissent la totalité des pièces, témoignages ou expertises et l’ensemble des déclarations.
Demain, si la réforme proposée est adoptée, nous aurons un nouveau système, un système de l’oralité.
Il faudra que le président lise un certain nombre de papiers et que les jurés citoyens demandent des explications ; ils pourront même, paraît-il, accéder aux pièces.
Nous le voyons bien, tout cela aura des conséquences sur le temps consacré à la procédure. La difficulté est précisément que nos institutions judiciaires, déjà surchargées, manquent de temps. Et vous voulez leur imposer des délais encore plus longs !
Le grand perdant d’une telle réforme sera à l’évidence le justiciable.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement a le même objet que le précédent, mais il concerne l’application des peines.
Mes chers collègues, nous avons eu un débat extrêmement difficile, mais, dans le même temps, très constructif, lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire. Je salue d’ailleurs une nouvelle fois notre collègue Jean-René Lecerf, dont les apports à ce texte ont été considérables, à tel point que certains ont même pu parler d’une « loi Lecerf ».
L’un des objets précis de cette loi était d’essayer de faire en sorte que la prison soit non seulement un lieu de répression et de sanction – elle doit l’être –, mais également un lieu de préparation à la réinsertion. Évidemment, l’un des outils de cette politique est l’application des peines et la libération conditionnelle.
Or vous nous proposez ici, tout d’un coup, d’introduire des jurés citoyens dans le circuit. Tout cela va-t-il dans le même sens ? En effet, une telle proposition sous-tend une critique implicite : si vous voulez modifier le système actuel, c’est parce qu’il ne fonctionne pas.
Monsieur le rapporteur, vous qui avez suivi les débats de près, je vous interroge : la juridiction de l’application des peines ne fonctionne-t-elle pas correctement aujourd'hui ? Est-elle dangereuse pour le citoyen ? Ne donne-t-elle pas des résultats satisfaisants pour la personne qui a été condamnée ? Réalisons plutôt un diagnostic, établissons une évaluation et voyons ensuite quelles sont les mesures nécessaires !
En l’état, le seul événement ayant justifié la création des jurés citoyens – pourquoi se cache-t-on à chaque fois la vérité ? – est la récidive d’une personne remise en liberté. Pour un seul cas, va-t-on modifier l’ensemble du système ? C’est un risque tout à fait inutile, mais c’est un risque très important dans la mesure où il met en péril la réinsertion de personnes qui, demain, quoi qu’il en soit, retrouveront la liberté.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 12 à 53
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Nous demandons que les citoyens assesseurs soient désignés exactement comme les jurés d’assises et que l’on applique à la chambre correctionnelle la procédure de récusation en vigueur dans les cours d’assises.
Nous ne voulons pas qu’il soit possible de choisir – on ne sait d’ailleurs sur quels critères – parmi les jurés d’assises ceux qui pourraient être assesseurs dans les tribunaux correctionnels et ceux qui ne seraient que jurés d’assises.
Je souhaite également poser une question annexe à M. le garde des sceaux : prévoit-il un décret, une circulaire ou un arrêté afin d’augmenter la liste des jurés dans chaque département ? Au vu de leur nombre actuel, il ne sera pas si simple de composer des sessions d’assises, entre les citoyens qui siégeront pour les tribunaux correctionnels, ceux qui siégeront pour les tribunaux pour enfants de seize à dix-huit ans et ceux qui siégeront pour les tribunaux de l’application des peines. Aujourd’hui, il n’est déjà pas évident de s’assurer de la présence de jurés d’assises, qu’il faut quelquefois aller chercher chez eux, qu’en sera-t-il demain si leur nombre reste identique ?
M. le président. L'amendement n° 93 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, par souci de cohérence, je présenterai en même temps les amendements nos 94 rectifié, 95 rectifié, 96 rectifié et 97 rectifié.
M. le président. L'amendement n° 94 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 14 à 20
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 95 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 21 à 25
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 96 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 26 à 30
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 97 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 31 à 35
Supprimer ces alinéas.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. Ces cinq amendements, dont certains sont de coordination, ont trait aux dispositions relatives à l’établissement des listes de citoyens assesseurs.
Selon l’étude d’impact, la mise en œuvre du dispositif des citoyens assesseurs nécessitera la mobilisation de 9 000 personnes supplémentaires par an sur l’ensemble du territoire, toutes juridictions confondues, soit 54 400 vacations.
Tous les magistrats vous le diront, à condition d’accepter de les entendre, il est déjà aujourd’hui très complexe de satisfaire les besoins en jurés d’assises, besoins qui s’élèvent à près de 25 000 personnes par an. On ne compte plus le nombre de personnes tirées au sort qui cherchent tous les prétextes – certificats médicaux à l’appui – pour échapper à leur obligation de siéger et dont le manquement pour motif illégitime est puni par une amende. Nous connaissons cette situation depuis des années. On peut comprendre ces personnes, par exemple au vu de la faible indemnisation journalière qui leur est versée.
Quoi qu’il en soit, les mêmes causes appellent les mêmes effets : assurer un chiffre de 9 000 citoyens assesseurs par an, c’est mobiliser deux à trois fois plus de personnes par tirage au sort, ce qui paraît presque impossible au bout de quelques années de mise en œuvre. Nous pensons particulièrement aux tribunaux correctionnels siégeant dans le même ressort qu’une cour d’appel.
Par ailleurs, il est heureux que la commission des lois ait supprimé le dispositif initial du projet de loi pour l’article 10-4 du code de procédure pénale, lequel prévoyait d’adresser à la personne un questionnaire où elle établissait elle-même sa moralité. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, me direz-vous ! Il est néanmoins anormal que le Parlement ne puisse connaître au minimum le contenu des informations destinées à être recueillies.
Parallèlement, la seule journée de formation initiale prévue pour les citoyens assesseurs sera très insuffisante. Sur un plan pratique, qui assurera cette formation et pour quel coût ? À raison de 158 tribunaux correctionnels siégeant cinquante-deux semaines par an, la formation des citoyens assesseurs nécessitera 8 200 journées de travail, au détriment des fonctions de jugement. Il eût sans doute été préférable d’organiser des formations spécifiques pour chaque type d’intervention susceptible de concerner les citoyens assesseurs.
Une fois de plus, tout cela témoigne de la précipitation avec laquelle a été élaboré ce texte. Nous risquons d’aboutir à un monstre juridique et politique, impraticable, qui déréglera un système judiciaire n’en ayant absolument pas besoin.
M. le président. L'amendement n° 98 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 36 à 38
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 99 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 39
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Ces deux amendements visent à supprimer les articles 10-7 et 10-8 nouveaux du code de procédure pénale, qui fixent les conditions dans lesquelles sont affectés les citoyens assesseurs. Cette compétence d’affectation relèvera du président de la juridiction, chargé d’édicter des ordonnances de roulement. Bien entendu, il s’agira pour lui d’une charge particulièrement lourde, dans la mesure où, contrairement aux cours d’assises, les tribunaux correctionnels siègent en permanence. Les chefs de cour n’avaient certainement pas besoin de cette charge nouvelle, d’autant qu’aucune compensation n’est prévue.
Rien n’est précisé sur les modalités de convocation des citoyens assesseurs, alors que la non-présentation est civilement répréhensible, il faut le rappeler. Or l’envoi de lettres recommandées aura, lui aussi, un coût.
Quel sera le résultat au final ? Nous assisterons à un ralentissement de la procédure et à une désorganisation de la cour, surtout en fin de session. Il eût certainement été plus utile de mobiliser les 8 millions d’euros que coûte cette réforme en année pleine pour recruter des greffiers, dont on sait qu’ils font cruellement défaut.
De plus, comme nous le rappelions tout à l’heure, il sera très difficile de trouver des citoyens assesseurs en nombre suffisant, en particulier quand les débats seront amenés à durer et nécessiteront l’appel de citoyens supplémentaires. Nous avons tous annoncé, y compris vous, monsieur le garde des sceaux, que, avec cette réforme, les audiences dureraient beaucoup plus longtemps. Je rappelle que les citoyens assesseurs, normalement, pourront être appelés huit jours dans l’année. Il s’agit donc d’un système d’une complexité terrible, beaucoup plus grande que celui des jurés d’assises. Il déséquilibrera nos juridictions et leur posera des problèmes de fonctionnement importants.
M. le président. L'amendement n° 100 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 40 et 41
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 101 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 42 et 43
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Ces deux amendements soulèvent une nouvelle fois la question de la disponibilité des citoyens assesseurs. La commission a partiellement tenté de pallier cette difficulté en abaissant de vingt-trois ans à dix-huit ans l’âge à partir duquel on peut être tiré au sort. Il n’est cependant pas certain que cette modification soit suffisante. D’abord, parce que ne peut être citoyen assesseur celui qui a exercé cette fonction durant les cinq années précédentes. Ensuite, parce que peuvent prétendre à une dispense les personnes de plus de soixante-dix ans. Or les retraités sont en général les personnes les plus disponibles.
Plus généralement, tout donne l’impression que, à aucun moment de la rédaction de ce projet de loi, n’a été posée la question de l’essence même de la notion de jury populaire. Cet acquis, dont il est possible de discuter, peut difficilement être remis en cause s’agissant des assises. Néanmoins, juger son prochain n’est pas une tâche anodine qui relèverait d’un simple devoir citoyen. L’impact psychologique peut être éprouvant. Il suffit d’avoir assisté à des audiences de cour d’assises pour se convaincre de leur dureté, notamment lorsqu’un juré est appelé à connaître d’une affaire ayant pour lui une résonance très personnelle. On sort rarement indemne d’une telle expérience, qu’il s’agisse de juger un crime aujourd’hui ou de juger un crime demain.
Dès lors, prévoir la possibilité de passer du statut de juré populaire à celui de citoyen assesseur fait disparaître tout ce qui fait l’essence même du juré d’assises, à savoir l’intime conviction. Si les citoyens assesseurs doivent connaître demain entre six et dix dossiers par audience – on nous dit qu’ils en traiteront plutôt quatre –, c’est-à-dire siéger au moins huit heures d’affilée, il est évident que l’avis des magistrats sera prééminent, a fortiori sur les matières les plus techniques.
Tout concourt donc à enrayer la sérénité de la justice. Celle-ci est certes imparfaite, mais rien ne nous oblige à aller encore davantage vers l’imperfection !
M. le président. L'amendement n° 152 rectifié bis, présenté par MM. Maurey, Détraigne, Zocchetto et Amoudry, Mme Morin-Desailly, MM. Merceron et Biwer, Mme Férat et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 42
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Au cours de cette période, les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d’une chambre des appels correctionnels ou d’un tribunal correctionnel ne peuvent être appelés à siéger au sein d'une chambre de l'application des peines, d’un tribunal de l'application des peines ou d'un tribunal correctionnel pour mineurs. Les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d'une chambre de l'application des peines ou d’un tribunal de l'application des peines ne peuvent être appelés à siéger au sein d’une chambre des appels correctionnels ou d’un tribunal correctionnel ou d'un tribunal correctionnel pour mineurs. Les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d'un tribunal correctionnel pour mineurs ne peuvent être appelés à siéger au sein d'une juridiction correctionnelle pour majeurs ou d'une juridiction de l'application des peines.
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Cet amendement vise à éviter la dispersion du citoyen assesseur entre divers types de juridictions sur les huit jours pendant lesquels il sera mobilisé.
Il tend à prévoir que le citoyen ne pourra pas participer alternativement durant ces huit jours à des juridictions de jugement, à des juridictions traitant de l’application des peines, ou encore à un tribunal correctionnel pour mineurs.
Si j’osais, je dirais qu’il s’agit de viser l’efficacité maximale et de « rentabiliser » le recours au citoyen assesseur.
M. le président. L'amendement n° 102 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 44
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L’alinéa dont nous demandons la suppression tend à imposer aux citoyens assesseurs de prêter serment de « bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations ». Nous aurons l’occasion de revenir sur la question du serment lors de l’examen de l’article 3 du projet de loi.
Pour l’heure, nous nous étonnons que ce serment soit, à quelques nuances près, le même que celui que prêtent les juges de proximité et les assesseurs des tribunaux pour enfants. Or ces deux catégories d’assesseurs sont recrutées sur des critères stricts et précis, et présentent des garanties de formation, d’expérience, bien plus importantes qu’un simple citoyen – cette expression, monsieur le garde des sceaux, n’a absolument rien de péjoratif – ayant seulement été tiré au sort. Nous défendrons donc à l’article 3 un amendement visant à établir un dispositif mieux adapté. En attendant, la suppression de cet alinéa s’impose.
M. le président. L'amendement n° 104 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 45 à 48
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement a trait au problème de la récusation, qui vise par essence à garantir l’impartialité objective et apparente de la juridiction de jugement. Devant une cour d’assises, cette procédure est ouverte au ministère public et à l’accusé, qui peuvent en faire usage sans motivation.
Tout autre est le système qui est ici proposé, puisque les motifs et les conditions de récusation applicables aux citoyens assesseurs sont ceux qui valent pour les magistrats et qui sont limitativement énumérés à l’article 668 du code de procédure pénale.
Or les magistrats ont été formés pour juger et présentent par nature des garanties d’indépendance renforcée. Ils connaissent le droit et peuvent naturellement se déporter en cas d’incompatibilité. On ne peut transposer ce raisonnement pour des citoyens étrangers aux arcanes du droit et qui peuvent sans malice ne pas se déporter par eux-mêmes.
En tout état de cause, il faut être cohérent, aller au bout de la logique, garantir l’impartialité de la formation de jugement en instaurant un véritable système de récusation. Je pense en particulier au ressort des tribunaux les plus petits où, bien évidemment, des problèmes extrêmement importants risquent de se poser du fait que, dans nombre de villes moyennes, tout le monde se connaît. Donc, même si cela prend du temps, ce système de récusation est nécessaire. En s’abstenant de le mettre en place, on prend des risques et manifestement, là aussi, on va au-devant de graves difficultés.
M. le président. L'amendement n° 105 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 45 et 46
Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :
« Art. 10-12. - Avant l’examen au fond, les citoyens assesseurs désignés pour siéger peuvent être récusés par le prévenu ou son avocat d’abord, le ministère public ensuite.
« Ni le prévenu, ni son avocat, ni le ministère public ne peuvent exposer leurs motifs de récusation.
« L’accusé ou son avocat non plus que le ministère public ne peuvent récuser plus de deux citoyens assesseurs chacun.
« S'il y a plusieurs prévenus, ils peuvent se concerter pour exercer leurs récusations ; ils peuvent les exercer séparément.
« Dans l'un et l'autre cas, ils ne peuvent excéder le nombre de récusations déterminé pour un seul prévenu.
« Si les prévenus ne se concertent pas pour récuser, le sort règle entre eux le rang dans lequel ils font les récusations. Dans ce cas, les citoyens assesseurs récusés par un seul, et dans cet ordre, le sont pour tous jusqu'à ce que le nombre des récusations soit épuisé.
La parole est à M. Jacques Mézard.