M. Serge Larcher. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en ce 12 mai 2011, nous débattons du projet de loi visant à créer une collectivité de Guyane et une collectivité de Martinique, ayant vocation à se substituer au conseil général et au conseil régional de chacun de ces territoires. Concomitamment, nous examinons le projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Ces textes font suite aux consultations de la population qui ont eu lieu en Guyane et en Martinique les 10 et 24 janvier 2010. À cette occasion, les citoyens se sont prononcés pour que la région et le département fusionnent dans une collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution.

Un an et demi après ces consultations, je me réjouis que ces textes arrivent enfin devant notre assemblée. Je me réjouis aussi de la capacité d’écoute de nos deux collègues qui se sont rendus en Martinique et en Guyane : Christian Cointat et Bernard Frimat. Je me réjouis enfin de la très grande qualité du travail réalisé par la commission des lois du Sénat. Non seulement les textes que nous examinons sont plus équilibrés et plus lisibles que ne l’étaient les projets du Gouvernement, mais, surtout, ils sont bien plus respectueux des choix de la population et des élus de la Martinique et de la Guyane.

Singulièrement, j’évoquerai aujourd’hui essentiellement la Martinique.

Dans les mois qui ont suivi la consultation a été formée une commission ad hoc composée, à parité, d’élus du conseil général et du conseil régional. Cette commission était chargée de conduire une réflexion quant à l’architecture générale de la future collectivité de Martinique.

Un accord a été trouvé sur de nombreux points : le nom de la collectivité, la gouvernance avec une assemblée et un collège exécutif, le nombre de conseillers, un conseil consultatif unique, le principe du mode de scrutin à la proportionnelle.

Qu’en est-il des divergences ? Le débat restait ouvert sur quelques points, notamment les questions de l’amélioration du dispositif des habilitations et de la date de mise en place de cette nouvelle collectivité.

Or, sur ces deux questions essentielles, force est de constater que, dans son projet, le Gouvernement prenait le contre-pied de la majorité des élus martiniquais. La commission des lois du Sénat a très largement amélioré le dispositif.

Commençons par les habilitations.

Le texte de la commission apporte deux améliorations notables par rapport à celui du Gouvernement.

D’une part, il institue un garde-fou en créant des contraintes de transmission et de délais pour le Premier ministre, alors que, dans sa forme actuelle, l’étude des habilitations relève quasiment d’un pouvoir discrétionnaire de l’État.

D’autre part, non seulement la durée des habilitations est étendue à celle de la mandature de la collectivité, mais elle peut même être prolongée pour deux ans après les renouvellements électoraux.

Examinons maintenant la question de la date de mise en place de cette nouvelle collectivité.

Créer une collectivité nouvelle issue de la fusion des deux grandes collectivités nécessite un travail à la fois colossal et de précision.

S’agissant notamment des ressources humaines, il convient que nul ne soit « laissé sur le carreau », ni affecté à un poste ne correspondant pas à son statut et à ses compétences.

Les créations d’établissements publics nouveaux, tels que les communautés d’agglomération, ont nécessité des années de travail. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’il s’agit de faire du nouveau en intégrant ce qui existe ?

En vérité, pour y parvenir en 2014, il faudra travailler à un rythme soutenu. Tenter 2012, comme le prévoyait le texte initial, c’est, je suis désolé, prendre le risque de l’échec.

Le projet revisité porte désormais la date butoir au mois de mars 2014, ce qui est à la fois réaliste, raisonnable et conforme au souhait de la majorité des élus de la Martinique.

In fine, tout concourt à choisir 2014 : le bon sens, qui est, dit-on, la chose du monde la mieux partagée, le sens des réalités et la volonté de tous mes collègues, je crois, et de bien d’autres de créer les meilleures conditions de succès de ces nouvelles collectivités.

Le texte que nous examinons est donc de qualité. Pour autant, il peut encore être amélioré. À cet égard, je présenterai des amendements et je me suis aussi associé à de nombreux amendements sur lesquels je reviendrai en cours de discussion.

Sans trop entrer dans les détails, je souhaite évoquer ici certains points qui me tiennent particulièrement à cœur.

Le premier est l’organe consultatif de la collectivité.

Le projet de loi relatif à la collectivité unique de Martinique opère un alignement du Conseil économique, social et environnemental de Martinique sur le droit commun. Cet alignement a pour conséquence la suppression du Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, CCEE. La création du CCEE en tant qu’institution spécifique aux régions d’outre-mer par la loi du 31 décembre 1982 était motivée par la volonté politique de prendre en compte la spécificité culturelle des départements d’outre-mer. Il convient donc de ne pas faire disparaître cette spécificité, d’autant que le conseil consultatif unique a vocation, selon l’article L. 7226–4, à se substituer aux deux conseils actuels pour l’application des dispositions relatives aux régions d’outre-mer, lesquelles comportent des dispositions impliquant des demandes d’avis en matière d’éducation, de culture et d’audiovisuel.

Par ailleurs, quand on connaît la place qu’occupe le sport dans la vie économique et sociale de notre île, il me semble indispensable que cette mission soit également identifiée en tant que telle parmi les champs d’étude de l’organe consultatif.

Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse, madame la ministre, pour ajouter que les récents et scandaleux débordements au sein de la Fédération française de football ne font que consolider ma conviction quant à la nécessité que le sport devienne un objet de débat de la société dans son ensemble, et pas seulement une affaire de sportifs... Je referme la parenthèse.

J’en viens au deuxième point qui, à mes yeux, doit être amélioré : le texte ne confère pas à l’assemblée la possibilité de créer un bureau ; cela nous paraît regrettable à plusieurs titres.

En effet, l’existence d’un conseil exécutif distinct de l’assemblée n’empêche pas d’instaurer au sein même de celle-ci un bureau, un peu à l’instar de ce qui existe pour les communes.

Composé du président de l’assemblée et des quatre vice-présidents, ce bureau, qui n’aurait bien entendu aucun pouvoir exécutif, serait chargé d’aider son président à organiser les travaux non seulement de ladite assemblée, mais également des commissions sectorielles. Ainsi, occasionnellement, certains élus chargés de suivre des dossiers particuliers, assistés éventuellement du directeur général des services, pourraient être conviés à participer aux réunions du bureau, afin d’exposer les donnés des problèmes qu’ils auraient à traiter.

Enfin, doté de crédits budgétaires de fonctionnement, ce bureau, dont la fréquence des réunions pourrait être fixée par le règlement intérieur de l’assemblée, aurait également pour mission d’établir un bilan périodique des séances plénières.

En définitive, il symboliserait la volonté du président de l’assemblée et de son équipe de travailler en profondeur sur tous les sujets sur lesquels cette dernière est appelée à délibérer.

Ce rôle ne peut en aucun cas être rempli par le conseil exécutif, celui-ci étant strictement séparé de l’assemblée et chacun de ces organes ayant son propre président.

Par ailleurs, il me semble indispensable d’évoquer dès maintenant la nécessité de prévoir des mesures d’exécution des délibérations de l’assemblée.

Le choix de la mise en place d’un conseil exécutif distinct de l’assemblée se justifie par l’application du principe de la séparation des pouvoirs. Cette séparation paraît logique dès l’instant où l’assemblée délibérante peut être habilitée à adopter des règles applicables sur le territoire de la collectivité « dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi », comme le prévoit l’alinéa 3 de l’article 73 de la Constitution. Dès lors, des mesures d’exécution des délibérations de l’assemblée sont nécessaires.

Il convient donc de doter le président du conseil exécutif de la possibilité de prendre en conseil exécutif lesdites mesures.

Je me dois en cet instant de soulever la question, évoquée par mon collègue Georges Patient, des moyens à allouer à cette future collectivité.

La création d’une collectivité unique en Martinique doit être une réussite. Cela va sans dire, il faut que l’État lui attribue, de manière exceptionnelle, une dotation spéciale, dont le montant reste à définir, de mise en place ou d’instauration.

En effet, je ne voudrais pas que le financement de l’instauration de cette collectivité unique soit issu des budgets des conseils régional et général de Martinique. Je rappelle que ces deux collectivités n’ont aucune compétence légale en la matière.

Enfin, je souhaiterais que l’État, à l’instar de l’Union européenne, reconnaisse davantage nos contraintes en matière de développement économique, contraintes qui sont notamment liées à notre éloignement par rapport à la métropole, à notre géographie, à notre insularité et à notre exposition particulière aux risques majeurs. À cet égard, il me semble opportun que l’on réfléchisse d’ores et déjà à la création d’une dotation spécifique de développement économique qui prendrait en compte nos spécificités et nos contraintes ; j’y reviendrai en temps utile.

Sur l’ensemble de ces questions, la qualité des travaux qui seront réalisés au sein de la commission tripartite prévue à l’article 10 du titre IV du projet de loi sera déterminante. Aussi, il me semble indispensable que tous les membres de ladite commission y siègent dans un esprit d’efficacité et avec la préoccupation constante de mettre en place les leviers d’un véritable développement.

Singulièrement, et sans faire de procès d’intention à quiconque, j’espère que les représentants de l’État y seront missionnés avec l’ordre de se servir de leur imagination plutôt que de leur calculatrice ! (Sourires.)

Pour conclure, mes chers collègues, je précise que toute « minoration » du texte actuel constituerait un recul et une dénaturation du choix opéré par nos concitoyens en janvier 2010. En effet, nous ne traitons pas ici uniquement de la Guyane et de la Martinique.

L’avenir des territoires en France et en Europe, voilà ce dont nous traitons !

Comment sortir du millefeuille administratif sans renoncer au niveau de service public offert à nos concitoyens, voilà ce dont nous traitons !

Comment simplifier sans dénaturer, voilà ce dont nous traitons !

En réalité, nous sommes en train d’imaginer l’un des futurs visages possibles de la réforme territoriale de droit commun, les dispositions de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales ne pouvant constituer, chacun le voit bien, qu’une étape transitoire.

Je vous demande donc, mes chers collègues, de mesurer l’enjeu de la discussion que nous débutons aujourd’hui : il s’agit de parachever le travail réalisé en commission, et en aucun cas de faire marche arrière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis d’être le dernier orateur inscrit, ce qui m’a permis d’écouter, et avec une grande attention, l’ensemble des sénateurs et des sénatrices qui se sont succédé à la tribune.

Comme Odette Terrade et Christian Cointat, je ne suis pas l’élu d’une circonscription ultramarine, mais je m’exprime néanmoins sur le sujet. Au-delà des nombreuses divergences qui, heureusement, nous opposent, M. le rapporteur et moi-même (Sourires), je considère, comme lui, que les affaires de l’outre-mer, si elles concernent au premier chef, bien sûr, les élus de l’outre-mer, intéressent également tous les élus de la République.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Bernard Frimat. Nous sommes ici pour voter la loi de la République et non pas la loi d’une collectivité. Nous nous devons de rappeler constamment cette vérité. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

Si les débats institutionnels ont leur qualité, ils ont aussi leurs limites. Nous abordons aujourd’hui un texte important, dans la mesure où, s’il est adopté, il donnera naissance à des collectivités uniques. Nous pouvons cependant regretter son élaboration quelque peu chaotique. Nous avons en effet connu des phases de précipitation et des phases de langueur.

La précipitation a en effet été de mise pour l’organisation du referendum. La campagne s’est déroulée durant les fêtes de fin d’année, période peu propice, chacun s’accorde à le reconnaître, à la mobilisation sur un tel sujet : l’ensemble des Guyanais et des Martiniquais pouvaient avoir alors d’autres préoccupations en tête.

Après cette consultation, dont je ne commenterai pas les résultats – les Martiniquais et les Guyanais ont parlé -, s’est ouverte une longue période. Elle débouche aujourd’hui sur ces deux textes, qui ne deviendront opérationnels que l’été prochain, si l’on considère le temps nécessaire à la navette parlementaire.

Ensuite, s’ouvrira une phase d’une durée indéterminée, réservée à la mise en place de ces nouvelles collectivités, avec le télescopage d’échéances que tout le monde connaît. L’année 2012 sera en effet particulièrement riche en scrutins, avec l’élection présidentielle puis les élections législatives.

Pour ma part, je conserve le souvenir du report électoral que nous avions décidé lors du dernier couplage des élections législatives et de l’élection présidentielle. Il faudra donc faire son affaire de tout cela.

Changer les institutions, c’est toujours important, mais la tâche exige d’être abordée avec une très grande modestie, car il n’existe pas, en la matière, de vérité révélée. Je serais tenté de dire que les positions divergentes qui ont été émises sont toutes respectables ; simplement, elles correspondent à des approches et à des réflexions différentes. Mais vient un moment où il faut trancher, et qui le peut, sinon la représentation nationale, dont c’est la fonction ?

Les Martiniquais et les Guyanais se sont exprimés par le vote ; ils s’expriment par les voix, quelquefois identiques, quelquefois différentes, de leurs élus, mais il nous revient de trancher.

Je tiens à saluer le travail du rapporteur de la commission des lois. Ayant eu l’occasion de me déplacer, avec lui, en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier l’ensemble des collègues qui nous ont reçus. Je veux dire à quel point ils nous ont aidés à mieux comprendre leur situation, en nous faisant part de leurs sentiments, de leurs ressentis.

Une approche uniquement intellectuelle est forcément différente d’une connaissance pratique de la réalité du terrain. Nous avons notamment ressenti un choc en prenant conscience des dimensions géographiques respectives de la Martinique et de la Guyane.

La commission des lois a bien fait son travail, en rendant lisible un texte qui ne l’était pas. Elle a mené une analyse minutieuse visant à corriger les erreurs et les à-peu-près d’un texte qui lui arrivait dans un état d’inachèvement assez remarquable, comme nous aurons l’occasion de le constater cet après-midi au cours de nos débats.

Je salue également la position de la commission des lois, qui s’est efforcée – c’est bien le moins ! – de faire respecter les pouvoirs du Parlement et, donc, de rendre à la loi ce qui est à la loi. C’est tout le débat sur l’article 6 du projet de loi. Que de chemin parcouru, madame la ministre, entre la version initiale – « Laissez-nous faire », nous disait-on en substance -, et le présent texte ! Si vous n’êtes pas encore arrivée au terme de votre cheminement, vous en êtes proche, car le but est de rendre ses prérogatives au Parlement, grâce au simple rétablissement d’une certaine transparence.

Il n’y a pas d’institution parfaite ; il n’y a pas plus de découpage parfait. Mais certaines démarches, publiques et transparentes, permettent le débat ; d’autres, plus discrètes, sont la porte ouverte à toutes les suspicions.

Je le sais bien, ceux qui possèdent « les ciseaux du découpage » restent attachés à leur pouvoir ! Toutefois, à partir du moment où les circonscriptions uniques sont mises en place, ce qui déclenche l’attribution d’une prime majoritaire, permettant ainsi de respecter l’unité respective des territoires martiniquais et guyanais, les différentes modalités du découpage n’occupent plus qu’une place secondaire, sur laquelle il convient d’apporter toute la clarté, certes, mais nous devrions y arriver facilement cet après-midi.

Je partage l’analyse constitutionnelle de Christian Cointat. Si elle n’était pas en définitive retenue, il conviendrait d’en rendre juge le Conseil constitutionnel.

Nous avons pu le constater, et Christian Cointat l’a rappelé, la version initiale de l’article 9 a été perçue par l’ensemble des interlocuteurs que nous avons rencontrés comme une gifle, comme une humiliation. Je sais que ces termes sont durs, mais ce sont ceux que nous avons entendus. On nous a même dit, avec tout ce que cela implique, que c’était le retour du gouverneur.

M. Bernard Frimat. Par conséquent, nous nous devons de faire évoluer cet article 9. Christian Cointat, au nom de la commission des lois, a proposé une solution. Pour ma part, j’estime qu’une suppression pure et simple serait préférable. Nous verrons bien où nos débats nous conduiront.

Pour conclure, je souhaite évoquer, au-delà de la vision institutionnelle, qui est très importante, puisqu’elle nous réunit aujourd’hui, le développement économique et social de la Martinique et de la Guyane.

Je redoute en effet, madame la ministre, que le débat qui a été ouvert ne débouche, finalement, sur une gigantesque désillusion. La perspective de la collectivité unique a suscité, dans le cœur des Guyanais et des Martiniquais, l’espoir de pouvoir construire leur avenir.

Or une évolution strictement institutionnelle, sans compétences nouvelles, sans moyens nouveaux, mais au contraire pleine d’économies supposées, c'est-à-dire correspondant à une vision tatillonne et chagrine, serait source de désillusions. Les institutions en tant que telles sont un moyen, et d’importance, mais elles ne sont pas une réponse au problème du développement économique et social.

Nous l’avons écrit, ces textes constituent une occasion opportune ; ils ne peuvent en aucun cas se transformer en solution miracle.

Il appartient au Gouvernement, en créant les conditions du développement économique et social de la Guyane et de la Martinique, aujourd’hui, ainsi que de la Guadeloupe, demain, de ne pas semer des illusions en faisant croire à de fausses solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi qu’au banc des commissions.)

 
 
 

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...

La discussion générale commune est close.

Nous passons à la discussion des articles du projet de loi organique, dans le texte de la commission.

projet de loi organique

(Texte de la commission)

 
Dossier législatif : projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution
Article 1er (début)

Article 1er A (nouveau)

Aux articles L.O. 3445-1, L.O. 3445-9, L.O. 4435-1 et L.O. 4435-9 du code général des collectivités territoriales, les mots : «, de la Guyane, de la Martinique » sont supprimés.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er A.

(L'article 1er A est adopté.)

Article 1er A (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

I. – La section 1 du chapitre V du titre IV du livre IV de la troisième partie du même code est ainsi modifiée :

1° L’article L.O. 3445-4 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 3445-4. – La délibération prévue à l’article L.O. 3445-2 est transmise au Premier ministre ainsi qu’au représentant de l’État dans le département.

« Lorsqu’elle porte sur une disposition législative, elle est transmise à l’Assemblée nationale et au Sénat par le Premier ministre, assortie le cas échéant de ses observations.

« Elle est publiée au Journal officiel de la République française dans les deux mois suivant sa transmission au Premier ministre. Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication. » ;

2° Au début de la première phrase du second alinéa de l’article L.O. 3445-5, les mots : « Le représentant de l’État dans le département peut » sont remplacés par les mots : « Le Premier ministre et le représentant de l’État dans le département peuvent » ;

3° L’article L.O. 3445-6 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 3445-6. – L’habilitation est accordée par la loi lorsque la demande porte sur une disposition législative. Dans ce cas, elle vaut également habilitation à prendre les dispositions réglementaires nécessaires à son application.

« Elle est accordée par décret en Conseil d’État lorsque la demande ne porte que sur une disposition réglementaire.

« Elle est accordée pour une durée ne pouvant aller au-delà du renouvellement du conseil général. » ;

4° Après l’article L.O. 3445-6, il est inséré un article L.O. 3445-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L.O. 3445-6-1. – Si la loi ou le décret en Conseil d’État mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L.O. 3445-6 le prévoient, lorsque l’habilitation a été accordée jusqu’au renouvellement du conseil général, elle est prorogée de droit, pour une durée maximale de deux ans à compter du renouvellement, si le conseil général adopte dans les six mois suivant son renouvellement une délibération motivée en ce sens.

« La délibération prévue au premier alinéa est transmise au Premier ministre ainsi qu’au représentant de l’État dans le département. Elle est publiée au Journal officiel de la République française dans le mois qui suit sa transmission au Premier ministre. Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication.

« L’article L.O. 3445-5 est applicable. Le délai d’un mois prévu au second alinéa de cet article commence à compter de la transmission prévue au deuxième alinéa du présent article. » ;

5° Au début de la seconde phrase du dernier alinéa de l’article L.O. 3445-7, les mots : « Le représentant de l’État dans le département peut » sont remplacés par les mots : « Le Premier ministre et le représentant de l’État dans le département peuvent » ;

II. – La section 1 du chapitre V du titre III du livre IV de la quatrième partie est ainsi modifiée :

1° L’article L.O. 4435-4 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 4435-4. – La délibération prévue à l’article L.O. 4435-2 est transmise au Premier ministre ainsi qu’au représentant de l’État dans la région.

« Lorsqu’elle porte sur une disposition législative, elle est transmise à l’Assemblée nationale et au Sénat par le Premier ministre, assortie le cas échéant de ses observations.

« Elle est publiée au Journal officiel de la République française dans les deux mois suivant sa transmission au Premier ministre. Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication. » ;

2° Au début de la première phrase du second alinéa de l’article L.O. 4435-5, les mots : « Le représentant de l’État dans la région peut » sont remplacés par les mots : « Le Premier ministre et le représentant de l’État dans la région peuvent » ;

3° L’article L.O. 4435-6 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 4435-6. – L’habilitation est accordée par la loi lorsque la demande porte sur une disposition législative. Dans ce cas, elle vaut également habilitation à prendre les dispositions réglementaires nécessaires à son application.

« Elle est accordée par décret en Conseil d’État lorsque la demande ne porte que sur une disposition réglementaire.

« Elle est accordée pour une durée ne pouvant aller au-delà du renouvellement du conseil régional. » ;

4° Après l’article L.O. 4435-6, il est inséré un article L.O. 4435-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L.O. 4435-6-1. – Si la loi ou le décret en Conseil d’État mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L.O. 4435-6 le prévoient, lorsque l’habilitation a été accordée jusqu’au renouvellement du conseil régional, elle est prorogée de droit, pour une durée maximale de deux ans à compter du renouvellement, si le conseil régional adopte dans les six mois suivant son renouvellement une délibération motivée en ce sens.

« La délibération prévue au premier alinéa est transmise au Premier ministre ainsi qu’au représentant de l’État dans la région. Elle est publiée au Journal officiel de la République française dans le mois qui suit sa transmission au Premier ministre. Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication.

« L’article L.O. 4435-5 est applicable. Le délai d’un mois prévu au second alinéa de cet article commence à compter de la transmission prévue au deuxième alinéa du présent article. » ;

5° Au début de la seconde phrase du dernier alinéa de l’article L.O. 4435-7, les mots : « Le représentant de l’État dans la région peut » sont remplacés par les mots : « Le Premier ministre et le représentant de l’État dans la région peuvent ».

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette, sur l'article.

M. Jean-Étienne Antoinette. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je mets à profit le temps de parole qui m’est accordé pour vous présenter l’orientation générale de la plupart des amendements que je vous propose d’adopter.

Il s’agit, dans l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008, de faciliter l’exercice, par les collectivités d’outre-mer qui le souhaitent, des habilitations prévues par l’article 73.

Il n’est nullement question, sous couvert de ce régime, de transférer de manière quasi-automatique les compétences du Parlement ou du Gouvernement aux collectivités de Guadeloupe, de Guyane ou de Martinique.

Il s’agit en revanche de mettre en place une procédure suffisamment précise pour qu’aucune fin de non-recevoir ne puisse être opposée aux demandes d’habilitation fondées sur l’article 73.

Sans doute est-il possible de contester la légalité des demandes, ou la légalité des mesures prises en application d’une habilitation. Sans doute est-il également possible de refuser, en opportunité, la délégation des compétences demandées. Mais il ne doit pas être possible de traiter par le mépris, en la laissant sans réponse, une demande émanant d’une assemblée ultramarine élue.

Le pouvoir normatif décentralisé confié aux collectivités de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique est certes très large : celles-ci ne se bornent plus à adapter le droit existant, mais édictent un droit d’exception applicable, pour chaque collectivité, dans son ressort.

Les conditions de mise en œuvre sont toutefois extrêmement restrictives quant au domaine concerné ; en aucun cas l’exercice d’une liberté ne peut être mis en cause.

Les habilitations s’exercent de plus dans un domaine limité et ne peuvent être générales. Elles doivent tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières des collectivités qui sont à l’origine de la demande.

Considérer ces conditions permet de prendre la juste mesure de l’exception consentie aux collectivités régies par l’article 73 : il n’y a pas lieu de dramatiser l’usage de la procédure de l’habilitation, ni de chercher à la rendre totalement inutilisable ou à la remettre entièrement entre les mains des autorités centrales.

La Constitution invite à reconnaître une liberté accrue aux territoires d’outre-mer : que la loi organique ne se montre pas timorée en annulant de fait les révisions constitutionnelles de 2003 et de 2008 !

Je crois cette orientation partagée par notre rapporteur, Christian Cointat. Lui-même a défendu en commission des amendements allant dans ce sens ; nous les retrouvons dans le texte qui nous est soumis.

Je pense qu’il est possible de poursuivre ce travail sur d’autres aspects de la procédure de l’habilitation, afin de l’assouplir et d’en faciliter l’usage, conformément à l’esprit de la dernière révision constitutionnelle.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gillot, sur l'article.

M. Jacques Gillot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si la Guadeloupe n’est pas directement concernée par le projet de loi ordinaire relatif à la Guyane et à la Martinique – à quelques exceptions près, comme celle ayant trait au pouvoir de substitution du préfet –, elle l’est en revanche par le projet de loi organique ; celui-ci concerne en effet l’ensemble des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Tirant les conséquences des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la procédure de l’habilitation, à laquelle la révision de 2003 a autorisé certaines collectivités d’outre-mer à recourir, le projet de loi organique comporte des améliorations destinées à en faciliter l’usage.

La commission des lois nous a apporté des garanties en clarifiant et en précisant les améliorations de cette procédure de l’article 73 introduites par le projet de loi organique.

Celui-ci modifie le régime des habilitations en prévoyant le recours à un décret en Conseil d’État, et non plus à une loi, lorsque l’habilitation demandée relève du domaine réglementaire.

Cette modification proposée va dans le bon sens, pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une possibilité nouvelle offerte au Gouvernement d’exercer un éventuel contrôle d’opportunité et d’abuser de son pouvoir en opposant à la demande une fin de non-recevoir, que ce soit par un refus assumé ou par un silence prolongé.

L’obligation faite au Gouvernement de publier au Journal officiel, dans un délai de deux mois, la délibération de la collectivité demandant l’habilitation est une garantie majeure, introduite par la commission, qui prémunit la collectivité contre tout risque d’un contrôle d’opportunité exercé par le Gouvernement. La publication rendant la délibération exécutoire, la solution proposée par la commission permet d’écarter, sur le plan juridique, la possibilité d’une fin de non-recevoir opposée par le pouvoir exécutif.

Avec mes collègues, je m’interroge toutefois : de quel recours disposera la collectivité en cas de non-respect par le Gouvernement de l’obligation de publication ?

La deuxième modification apportée par le projet de loi organique au régime de l’habilitation concerne la possibilité de prolonger la durée de l’habilitation, non plus seulement pendant deux ans – comme il est actuellement prévu –, mais jusqu’au terme du mandat de l’assemblée ayant formulé la demande.

Il s’agit d’une bonne mesure, qui tient compte des difficultés de mise en œuvre rencontrées sur le terrain. Depuis 2003, seule en effet la Guadeloupe a recouru, à deux reprises, à la procédure de l’habilitation : elle est aujourd’hui confrontée au problème de la trop courte durée du délai de deux années. Dans quelques jours, l’habilitation accordée à la Guadeloupe dans le domaine de l’énergie arrivera à son terme, alors même que le travail engagé jusqu’ici doit être poursuivi et approfondi dans l’intérêt de la collectivité et de sa population.

Cette situation justifie l’amendement, que je défendrai tout à l’heure, visant à prolonger cette habilitation ; j’espère d’autant plus le voir adopté qu’il va dans le sens, souhaité par le Gouvernement, d’un assouplissement de la procédure d’habilitation.

Je me félicite en outre que la commission des lois ait prévu de simplifier la procédure de prorogation d’une habilitation dans le cas d’une assemblée locale nouvellement élue, que sa majorité soit identique à la majorité sortante ou qu’elle ne le soit pas.

Si cette simplification est louable, nous estimons toutefois que la durée maximale prévue de deux ans à compter du renouvellement de l’assemblée aurait pu être allongée, en dépit des précautions constitutionnelles prises par la commission et son rapporteur.

Le bénéfice de la procédure simplifiée de prorogation d’une habilitation nous apparaît donc limité, et contraint par la durée trop courte du délai maximal de deux années. L’un des amendements que j’ai déposés avec mes collègues vise précisément à étendre le délai de l’habilitation à la durée complète de la mandature.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de m’apporter des précisions sur les sujets que j’ai abordés – s’agissant en particulier du cas dans lequel le Gouvernement manquerait à son obligation de publication au Journal officiel. (M. le rapporteur acquiesce.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Larcher, sur l'article.

M. Serge Larcher. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, que j’ai eu l’honneur de présider en 2009 et dont mon collègue Éric Doligé fut le rapporteur, a émis « cent propositions pour fonder l’avenir ».

La première de ces propositions consiste à favoriser l’utilisation, par les départements d’outre-mer, des facultés d’adaptation offertes par l’article 73 de la Constitution. Le fait que nous l’ayons formulée révèle les difficultés rencontrées par les élus locaux pour faire aboutir leurs demandes d’habilitation.

En effet, malgré les avancées nombreuses réalisées et les mesures d’assouplissement ou de simplification, la mise en œuvre de cette nouvelle liberté reconnue aux départements et aux régions d’outre-mer, et fortement réclamée par les élus, demeure embryonnaire.

Le fait est que, quatre ans après l’adoption de la loi organique du 21 février 2007, le bilan n’est pas flatteur.

Seules les demandes émanant du conseil régional de la Guadeloupe ont donné lieu à deux habilitations dans le cadre de la loi organique pour le développement économique en outre-mer.

Les demandes émanant du conseil général et du conseil régional de la Martinique, en revanche, sont restées lettre morte : faute d’une publication au Journal officiel en application de l’article L.O. 3445-4, elles n’ont pu déboucher sur l’examen d’une disposition législative d’habilitation.

Pour quelles raisons ? Le secrétaire d’État à l’outre-mer n’avait tout simplement pas souhaité donner suite à cette démarche… C’était, paraît-il, après avoir constaté l’absence d’un consensus local sur les enjeux, du fait des demandes concurrentes des deux collectivités – alors même que ces délibérations n’ont fait l’objet d’aucun recours juridictionnel devant le Conseil d’État.

Or la loi organique de 2007 prévoit seulement un contrôle de légalité des délibérations prises en application de l’article 73 ; elle n’autorise aucunement le Gouvernement à exercer, sur ces délibérations, un contrôle d’opportunité. C’est pourtant ce qui s’est produit.

Cette interprétation n’est pas douteuse dès lors que l’on veut bien relire les débats tenus au Sénat lors de l’examen du projet de loi organique : notre assemblée avait refusé, à l’initiative de la commission des lois, que le préfet puisse solliciter une nouvelle délibération, estimant qu’il n’appartenait pas au pouvoir exécutif d’exercer « une sorte de contrôle d’opportunité de la demande d’habilitation. »

C’est la raison pour laquelle je me félicite des améliorations apportées par la commission des lois au texte déposé par le Gouvernement. J’espère qu’en balisant ainsi la procédure elles empêcheront de telles dérives à l’avenir.

Ainsi, la commission a apporté deux améliorations notables au texte du Gouvernement. D’une part, elle a institué une sorte de garde-fou en prévoyant des contraintes de transmission et de délai qui s’imposeront au Premier ministre. D’autre part, elle a allongé la durée des habilitations en l’alignant sur celle de la mandature de la collectivité – celle-ci pouvant même la prolonger de deux ans à l’issue de son renouvellement.

Article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution
Discussion générale