9

Souhaits de bienvenue à une délégation de sénateurs de la République Tchèque

M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il m’est agréable de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de sénateurs de la République tchèque (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent) conduite par M. Miroslav Antl, président de la commission des lois et des affaires constitutionnelles. La délégation a été accueillie au Sénat par notre collègue Patrice Gélard, vice-président du groupe d’amitié France-République tchèque.

Cette visite marque la poursuite de la coopération parlementaire entre nos deux pays.

Au nom du Sénat de la République, je souhaite la bienvenue à nos collègues sénateurs et je forme des vœux pour que leur séjour en France contribue à renforcer les liens d’amitié entre nos deux pays. (Applaudissements.)

10

Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
Question préalable

Soins psychiatriques

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

Nous poursuivons l’examen des motions.

Question préalable

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi, par Mme Demontès, MM. Le Menn, Michel, Desessard, Kerdraon et Cazeau, Mmes Le Texier et Schillinger, M. Jeannerot, Mmes Alquier et Campion, M. Daudigny, Mme Ghali, MM. Gillot et Godefroy, Mme Jarraud-Vergnolle, M. S. Larcher, Mmes Printz et San Vicente-Baudrin, M. Teulade et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 361, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Christiane Demontès, auteur de la motion.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la santé mentale, nous l’avons encore constaté cet après-midi, est un sujet humainement et médicalement sensible.

Concept large, elle recouvre, selon l’Organisation mondiale de la santé et l’Union européenne, trois dimensions : les troubles mentaux tels que les troubles psychotiques, la détresse psychologique ou souffrance psychique, qui traduit un état de mal-être, enfin, la santé mentale positive qui conditionne une existence réussie.

Ces trois dimensions sont évolutives, comme cela est souligné dans le rapport du groupe de travail présidé par Viviane Kovess-Masféty, du Centre d’analyse stratégique : c’est l’ensemble « des grands intégrateurs ou domaines de la vie collective que sont l’école, la famille, le quartier de résidence, etc. qui est désormais perçu de manière ambivalente dans leur contribution positive et négative au bien-être ».

En d’autres termes, dans une société qui place les capacités concurrentielles, d’innovation et d’adaptation au centre de son économie, et qui, dans le même temps, fait l’apprentissage d’une hétérogénéité sociale et culturelle renouvelée, la santé mentale est devenue un point essentiel et médiatisé.

Le texte que nous examinons ne concerne, cela a déjà été dit, que les personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement. Il s’agit d’une portion infime des 20 % de nos concitoyens qui sont, à des degrés divers, concernés par les troubles mentaux. Ainsi, 1,3 million d’entre eux sont pris en charge, dont 70 % en ambulatoire – vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État –, et 1 % de notre population, soit 600 000 personnes, souffre de schizophrénie.

Les pathologies psychiatriques sont la première raison de l’attribution d’une pension d’invalidité. Elles sont le second facteur médical d’arrêt de travail, et leur prise en charge globale représente de 3 % à 4 % du PIB européen. C’est dire l’importance sociale, économique mais surtout humaine que revêt la question de la santé mentale.

Ce texte ne concerne donc qu’une partie minime de cette population en souffrance, soit environ 70 000 personnes qui, chaque année, sont hospitalisées sans consentement, à la demande d’un tiers ou en hospitalisation d’office.

Ce chiffre est en France, selon les périodes considérées, deux à quatre fois plus élevé qu’au Royaume-Uni et deux fois plus important qu’en Italie pour des populations à peu près similaires. Notre pays est l’État européen qui fournit à la Cour européenne des droits de l’homme le plus grand nombre de contentieux relatifs à la psychiatrie.

Ajoutons à ce court bilan – et ce n’est pas la moindre des dimensions –, que les familles et l’entourage sont souvent en prise directe avec ces souffrances et éprouvent aussi bien des difficultés.

L’ensemble de ces données doit nous inciter à nous interroger sur notre faible capacité à dialoguer, à trouver des solutions alternatives à cette extrême violence – même si elle est parfois incontournable – qu’est l’hospitalisation sans consentement.

Cette forme de prise en charge spécifique s’inscrit depuis la loi fondatrice de 1838, réformée par la loi de 1990, dans un régime dérogatoire. À la demande d’un tiers ou en raison d’un trouble grave à l’ordre public, ou bien encore du fait d’une mise en cause de la sécurité des personnes et dans leur intérêt propre, ces patients sont les seuls malades pour lesquels la loi autorise un maintien à l’hôpital sans leur consentement.

Je rappelle que le texte de la loi de 1990 disposait qu’elle devait être révisée cinq ans après son adoption. Vingt ans après, toujours rien…

Le projet de loi qui devait nous être présenté l’automne dernier avait pour ambition affichée de réformer la loi du 27 juin 1990, que les familles comme les professionnels jugeaient nécessaire de modifier, car elle était en décalage avec la lettre et l’esprit de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

Nous avions espéré travailler sur une grande loi de santé mentale comme l’avait promis la ministre de la santé de l’époque, Mme Bachelot, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST.

Affirmer que la psychiatrie française est en grande souffrance est un euphémisme. Notre collègue Alain Milon, dans son rapport de 2009 sur la prise en charge psychiatrique en France, jugeait son état « des plus inquiétants ». Mais comment en serait-il autrement lorsque la politique constante de ces dernières années a été de fermer plus de 55 000 lits sans que des structures alternatives de prise en charge telles que des appartements et/ou des centres d’accueil thérapeutiques aient été ouvertes ?

Comment ce secteur de la santé publique pourrait-il bien se porter quand le mot d’ordre est d’effectuer des hospitalisations de plus en plus courtes avec, pour corollaire, l’éviction de patients non encore stabilisés et qui ne savent pas où aller ?

Et que dire de l’impact de ces décisions sur la qualité de notre système de prise en charge et de soins, alors que près de 10 % des effectifs de soignants ont disparu en cinq ans, que les parents qui recherchent une place en hôpital de jour n’en trouvent pas, et que les demandes de rendez-vous sont satisfaites parfois des mois après leur formulation ?

Nous sommes face à un système au bord de l’éclatement qui, malgré la qualité de l’ensemble des personnels, notamment des soignants, génère bien souvent désespoir et sentiment d’abandon.

L’urgence d’une grande loi sur la santé mentale est une évidence qui n’est toujours pas satisfaite. À la place, le Gouvernement, contraint par la décision prise le 26 novembre dernier par le Conseil constitutionnel, présente au Sénat un texte à l’architecture et à la cohérence précaires nonobstant son accent sécuritaire.

Plus que jamais, et quoi que vous en disiez, madame la secrétaire d’État, le fonds de commerce de la crainte, de la stigmatisation et de l’exclusion a pris le pas sur les considérations sanitaires. Je dis plus que jamais, parce qu’en 2004 le ministre de l’intérieur avait eu l’intention, cela a été dit par M. Desessard, de réformer l’hospitalisation sous contrainte via une loi de prévention de la délinquance. Cet amalgame avait été jugé légitimement scandaleux, à tel point qu’il a été contraint de retirer son texte ! Mais devenu Président de la République, il a, au détour d’un drame, réitéré. Comment ne pas se souvenir du discours d’Antony, de l’annonce de la multiplication des chambres d’isolement, des contrôles préfectoraux sur les sorties et des bracelets électroniques pour les malades ? L’amalgame entre malade, délinquant, prévenu, détenu est donc de mise au plus haut niveau de l’État.

Dès lors, comment être surpris que ce projet de loi ait réussi le tour de force de faire presque l’unanimité des professionnels et d’un grand nombre de familles contre lui ?

Ce texte a donc bien pour objet de constituer une réponse à cette dimension complexe et centrale qu’est le soin sans consentement.

Il s’inscrit dans une triple problématique.

La première a trait à l’évaluation des risques que présente le malade, la seconde aux soins et à l’amélioration qu’ils apportent à son état de santé. Enfin, par voie de conséquence, est posée la question du maintien ou non en hospitalisation sans consentement.

Ces dimensions nous permettent de saisir combien ce texte est appréhendé sous le sceau de la sécurité publique et non sous celui de la santé publique.

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, aucun texte n’a été adopté par la commission des affaires sociales du Sénat. Nous examinons donc le texte de l’Assemblée nationale, qui demeure trop peu protecteur quand sa vocation sécuritaire persiste. Son architecture est déséquilibrée, et son contenu très insuffisant.

Une des sources principales de ce déséquilibre réside dans le fait que le texte ne s’inscrit pas toujours dans la même logique. Il en est ainsi de la judiciarisation du parcours de soins. Elle est de mise notamment via le contrôle systématique, par le juge des libertés et de la détention, des hospitalisations sous contrainte au bout de quinze jours, puis de six mois. Il en va de même s’agissant du respect des principes généraux de notre droit et, plus singulièrement, du principe du contradictoire, qui s’impose à toute décision civile, administrative, pénale ou disciplinaire.

À ce propos, comment imaginer que la visioconférence puisse être un outil adapté pour des personnes atteintes de troubles psychiatriques ? Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat.

Ce texte présente donc de nombreuses insuffisances. Le malade et la garantie du respect de ses droits doivent évidemment se trouver au premier rang. La prise en compte de la souffrance, la nécessité d’établir des relations de confiance avec le psychiatre et l’équipe soignante nous semblent aussi mal appréhendées. Ce défaut prévaut également pour des éléments comme la prise en compte des possibles évolutions médicales de la personne, le droit à l’oubli et l’information due à la famille ou à l’entourage. Enfin, je pense au doute concernant la gestion que le Gouvernement compte faire de la sectorisation. C’est aujourd'hui l’élément essentiel de l’organisation des soins psychiatriques en France. Or rien n’est précisé à ce sujet dans le texte.

La mise en œuvre de ce projet de loi nous semble, quant à elle, problématique. L’étude d’impact démontre que le nombre de juges et de greffiers nécessaires à la mise en application du texte n’est pas, ou du moins ne sera pas, au rendez-vous le 1er août. Quels sont les moyens financiers et en personnels dévolus au suivi des malades, pourtant si indispensable ?

Contrairement à ce que vous avez affirmé, madame la secrétaire d’État, le présent projet de loi n’est donc pas « nuancé et équilibré ». Comment le serait-il d’ailleurs puisque, loin de la nécessaire prise en compte des réalités et des urgences de terrain, le Gouvernement a choisi de privilégier une fois de plus la logique sécuritaire et l’opportunisme politique qui caractérisent si bien son action ?

Il eût été nécessaire d’élaborer un plan de santé mentale incluant la recherche, l’accompagnement, la formation, la prévention ainsi que des moyens financiers et en personnels adéquats. Tel n’est malheureusement pas le cas.

Mes chers collègues, compte tenu des éléments que je viens d’évoquer et du fait que le projet de loi ne répond pas à l’objectif affiché dans son exposé des motifs, en l’occurrence « l’amélioration de la qualité et de la continuité des soins », nous vous proposons d’adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission a émis un avis favorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

Mais, en réalité, l’adoption d’une telle motion ne constituerait pas une réponse adaptée aux interrogations que la législation actuelle suscite.

Le contrôle juridictionnel imposé par le Conseil constitutionnel doit impérativement entrer en vigueur à partir du 1er août prochain. Par conséquent, nous n’avons pas assez de temps pour envisager le dépôt d’un nouveau texte, et nous devons d’ores et déjà adopter un certain nombre de mesures pour nous mettre en conformité avec les exigences constitutionnelles.

C'est la raison pour laquelle je suis, à titre personnel, défavorable à l’adoption de la présente motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Avis défavorable.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 204 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 333
Majorité absolue des suffrages exprimés 167
Pour l’adoption 150
Contre 183

Le Sénat n'a pas adopté.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Monsieur le président, je demande une brève suspension de séance, de cinq à dix minutes.

M. le président. Je vous en accorde dix, madame la secrétaire d’État : ainsi, vous ne serez en retard que de cinq minutes ! (Sourires.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Les deux motions ayant été repoussées, nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DROITS DES PERSONNES FAISANT L’OBJET DE SOINS PSYCHIATRIQUES

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
Organisation de la discussion

Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 41, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Aucune mesure de soins sans consentement prenant la forme d’une hospitalisation complète ne peut être décidée sur le fondement d’une atteinte à l’ordre public défini à l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.

La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Cet amendement vise à revenir sur une ancienne disposition, qui est contestée par de très nombreux professionnels de la psychiatrie ainsi que par une partie des associations de malades ou de proches de malades, puisqu’elle confie à la psychiatrie une mission qui ne devrait pas être la sienne : celle de faire respecter l’ordre public. À moins qu’il s’agisse – c’est notre conviction – non pas d’un transfert de mission, mais d’un prétexte, la psychiatrie servant de justification à une mesure privative de liberté jusqu’alors non encadrée.

Même si le Gouvernement tente d’être rassurant en affirmant que l’application de ce projet de loi n’entraînera pas d’augmentation des soins pratiqués sous contrainte, nous ne devons pas perdre de vue que la France est déjà le pays européen qui recourt le plus à des mécanismes d’hospitalisation contrainte pour motifs psychiatriques. Il est aussi l’un de ceux qui prescrit le plus de psychotropes, sans résultats satisfaisants. La psychiatrie actuelle, qui tend, par manque de moyens, à reposer sur ces deux piliers que sont les médicaments et l’enfermement est, effectivement, en échec.

Cet échec est d’autant plus important que les motifs d’enfermement ne sont pas médicaux et que, comme le souligne le docteur Hervé Bokobza, l’on tente – c’est le cas avec ce projet de loi – de transformer le psychiatre en le mettant « dans une position d’expert en ordre public, et non plus de soignant ».

Convenez, mes chers collègues, que le fait de tenter d’apporter des soins à une personne qui souffre, de tenter avec elle, et non contre elle, de l’emmener vers la voie de la guérison est une chose bien différente que de l’enfermer, ne serait-ce que soixante-douze heures, afin de faire cesser le trouble qu’elle cause à la société.

L’ordre public renvoie d’abord et avant tout à la tranquillité des autres acteurs de l’espace public. Or le rôle des psychiatres est-il vraiment de priver de liberté un individu durant soixante-douze heures, de lui administrer contre son gré des médicaments et de l’inscrire sur un casier psychiatrique, ce qui pourrait un jour se retourner contre lui, uniquement pour faire cesser un trouble ? Nous ne le croyons pas.

Naturellement, des équipes soignantes doivent intervenir. Cela implique de s’interroger sur la politique de secteur, politique abandonnée pour des motifs tant idéologiques qu’économiques, et sur la question du temps disponible.

Cet amendement n’a pas pour objet de laisser les personnes en souffrance seules ni, comme certains pourraient être tentés de le dire, d’exposer nos concitoyens à des risques. Cependant, c’est sans doute un point de désaccord fondamental avec la majorité et le Gouvernement, nous considérons que les personnes en souffrance psychique ne sont pas toutes dangereuses pour autrui, quand bien même l’expression de leur souffrance troublerait l’ordre public.

Tels sont les éléments que je souhaitais rappeler à l’occasion de la présentation de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. La commission a émis un avis favorable.

Cet amendement vise à supprimer le critère de l’atteinte à l’ordre public pour les hospitalisations sans consentement. La portée de cette notion a déjà été réduite, puisque le trouble doit être grave pour mettre en œuvre ce type d’hospitalisation. Il n’apparaît pas souhaitable d’aller au-delà. C’est pourquoi, à titre personnel, j’émets un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

L’hospitalisation à la demande de l’autorité publique ne peut être effective que lorsqu’il est établi que la personne nécessite des soins médicaux et que, par ailleurs, il est constaté que son comportement présente des risques pour l’ordre public ou pour la sécurité des personnes.

Le code de la santé publique ne renvoie pas à la définition de l’ordre public du code général des collectivités territoriales, mais cette notion est très encadrée, notamment par la jurisprudence.

Pour être tout à fait honnête, j’avoue que je ne comprends pas bien l’objet de cet amendement, sauf à considérer que ses auteurs souhaitent purement et simplement supprimer la procédure même de l’hospitalisation à la demande de l’autorité publique.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 41.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 42, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La nation assure la satisfaction des besoins en santé des populations atteintes de troubles ou pathologies mentales tant au travers des soins intra hospitaliers qu’extrahospitaliers.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Aux termes de cet amendement, la nation doit assurer la satisfaction des besoins en santé des populations atteintes de troubles ou de pathologies mentales, au travers des soins tant intra hospitaliers qu’extrahospitaliers.

Le 25 octobre 2002, le docteur Maryvonne Wetsch, psychiatre à l’hôpital Esquirol de Saint-Maurice, dans le Val-de-Marne, démissionnait de son poste de chef de service en déclarant, dans une lettre adressée à son ministère de tutelle : « Je refuse de faire comme si je pouvais gérer convenablement les soins psychiatriques nécessaires. »

Depuis, rien n’a vraiment changé, si ce n’est que les difficultés se sont multipliées en raison de l’application de règles financières et comptables, et de la mise en œuvre aveugle de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, qui conduit à des réductions de personnel. Cela revient également, dans un secteur qui repose essentiellement sur le relationnel, qu’il s’agisse de rencontres ou de prévention, à amoindrir la qualité de la prise en charge des patients.

La situation est telle que des soignants que nous avons rencontrés nous ont informés que certains établissements avaient externalisé une partie de leur surveillance des patients à des sociétés privées de gardiennage, recourant notamment à des maîtres-chiens. Voilà comment aujourd’hui sont traitées les personnes en grande difficulté psychique.

Cette réduction constante des moyens entraîne une diminution notable des soins réalisés, au point que certains professionnels ont l’impression de n’avoir d’autre choix, pour effectuer leur travail dans les conditions économiques imposées, que d’entraver plus encore la liberté de leurs patients. Le 5 mai 2010, une directrice d’établissement intervenant à l’occasion d’un colloque organisé par mon groupe sur la psychiatrie affirmait que les normes et les protocoles qu’on lui imposait revenaient, dans le contexte actuel, à « mal traiter les patients », pour reprendre ses propres mots. La « bien-traitance », c’est-à-dire le respect du malade, nécessite du temps ; or le temps manque cruellement quand le personnel fait défaut.

Ce qui est vrai dans les murs des hôpitaux l’est encore plus hors les murs, comme le prouvent les fermetures de plus en plus nombreuses de centres médicaux psychologiques, qui sont pourtant indispensables. Leur disparition sonne la fin des soins psychiatriques de proximité.

Cette réalité est également attestée par l’abandon, de la part des pouvoirs publics, de la politique de secteur dont l’ambition est de suivre les patients dans la cité, c’est-à-dire de garder le contact avec eux et de maintenir les soins lorsqu’ils quittent l’hôpital.

Comme le souligne à juste titre la psychiatre Marie-Noëlle Besançon, la politique de secteur « était pourtant la façon idéale, car elle intègre la prévention, le traitement et la réhabilitation de la personne dans la ville et dans la vie. » Cet abandon, tant politique que financier, tend à laisser croire qu’« il n’y a pas de volonté politique de suivre les gens de manière correcte ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. La commission a émis un avis favorable.

Cet amendement vise à prévoir une sorte de droit aux soins pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Or le droit à la santé est déjà inscrit dans la Constitution. C’est pourquoi, à titre personnel, je suis défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable à cette disposition, car elle est déjà satisfaite.

En effet, le code de la santé publique précise, d’une part, que le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous les moyens disponibles au bénéfice de toute personne et, d’autre part, qu’aucune personne ne peut faire l’objet de discrimination dans l’accès aux soins et à la prévention.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 42.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, la commission n’a pas pu étudier ce matin l’amendement n°43 rectifié, car il n’était pas encore en distribution. Je demande donc une brève suspension de séance afin que les membres de la commission puissent se réunir et l’examiner rapidement. (Exclamations sur plusieurs travées de lUMP.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

L'amendement n° 43 rectifié, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er, insérer un article ainsi rédigé :

À compter de la promulgation de la présente loi, l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris ne peut plus accueillir les personnes faisant l’objet de soins sans consentement, même à titre provisoire. 

La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Cet amendement, qui concerne exclusivement l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, l’IPPP, prévoit qu’à compter de la publication de la présente loi plus aucune personne faisant l’objet de soins sans consentement, même à titre provisoire, ne sera admise dans cet établissement qui déroge au droit commun.

En effet, comme vous le savez, l’IPPP n’est pas un établissement public de santé, puisqu’il dépend de la direction des transports et de la protection du public de la préfecture de police, ce qui en fait, en réalité, un service de police comme les autres, et ce depuis le 28 février 1872.

Or, bien que l’IPPP ne soit pas un établissement de santé, les personnes qui sont interpellées par les services de police au motif qu’elles troublent l’ordre public sont systématiquement dirigées vers ce service, en violation totale du droit positif. Comme le soulignait Alain Lhostis en mars 2011, à l’occasion d’un vœu présenté au Conseil municipal de Paris, « il s’agit là d’une survivance d’une conception sécuritaire de la maladie mentale qui assimile les malades mentaux à des délinquants potentiels ».

La fermeture de ce lieu apparaît donc comme nécessaire politiquement et juridiquement.

C’est en tout cas le constat formulé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui réclame en ces termes la fermeture de l’IPPP : « L’infirmerie psychiatrique ne dispose d’aucune autonomie, elle est un service d’une des directions de la préfecture de police de Paris. L’IPPP entretient le doute sur la distance entre considérations d’ordre public et considérations médicales. » Il conclut ainsi son observation : « le Contrôleur recommande au Gouvernement le transfert des moyens de l’IPPP aux autres hôpitaux ».

Il y a peu, à la suite du dépôt par le groupe des élus communistes et du parti de gauche de la mairie de Paris, le Conseil de Paris a émis le vœu que le maire de la capitale saisisse le Gouvernement pour lui demander de fermer l’IPPP et de transférer son activité et ses moyens à l’hôpital Sainte-Anne.

Notre amendement s’inscrit donc dans cette même logique, qui consiste à refuser que perdure une exception historique qui n’a ni fondement juridique ni sens médical.