Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Mais c’est ce que prévoit le sous-amendement du Gouvernement !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Certains veulent protéger tous les animaux, y compris les nuisibles, mais le corbeau est le plus grand destructeur de petits œufs notamment de perdreau, de faisan…
M. François Patriat. De canard !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … ou encore de canard, effectivement. C’est un redoutable nuisible.
Madame Blandin, une grande partie de votre département est rural. Quittez donc la ville et allez vous promener à la campagne, où vous pourrez constater que la prolifération des corbeaux pose problème dans certaines zones, à certaines périodes. Il nous faut donc continuer à traiter ces oiseaux comme des nuisibles pour tenter de réguler leur population.
Telle est la raison pour laquelle il est impératif, je le répète, de maintenir la rédaction de la loi en vigueur. Et cessons de remettre en cause à chaque occasion des décisions qui datent de quelques mois !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur le sous-amendement et sur l’amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Je crois que nous ne nous sommes pas bien compris, monsieur le rapporteur.
Avec le sous-amendement que je propose, les choses sont très claires : vous pourrez utiliser votre grand duc artificiel à tout moment de l’année pour chasser les corbeaux, et uniquement à cette fin.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 26.
Mme Marie-Christine Blandin. J’approuve le sous-amendement du Gouvernement, qui clarifie ma rédaction.
Madame la ministre, si j’ai utilisé l’expression « déclarés nuisibles » dans mon amendement, c’est uniquement pour ne pas cautionner le terme « nuisibles », qui figure dans la loi et que je me devais de reprendre dans mon dispositif.
Quant à l’action du grand duc artificiel sur les corbeaux, je la connais et je l’approuve, mon cher collègue, et je n’ai nul besoin de vos conseils pour aller me promener à la campagne ! Je puis même vous dire qu’il est parfois extrêmement difficile de manger un cornet de frites quand les corbeaux sont déchaînés ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 22.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je constate que cette proposition de loi ne change pas grand-chose à l’état des lieux actuel, et c’est essentiellement ce que je lui reproche.
Certes, deux ou trois articles sont bienvenus, mais ce sont des ajustements quasi administratifs. Pour le reste, vous aurez fait force moulinets pour dire que vous existez et qu’il ne faut pas vous ennuyer, avec la prétention de gagner toujours plus.
Voilà pourquoi je voterai contre ce texte inutile.
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.
M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je viens de passer un après-midi intéressant. En effet, même si je n’appartiens pas à la noble fédération des chasseurs, je suis susceptible de passer l’examen du permis de chasser !
Je vous ai beaucoup écoutés, et la longue expérience d’élu local qui est la mienne m’apporte chaque jour la preuve que les textes que vous proposez les uns et les autres ont pacifié les relations,…
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Absolument !
M. Joseph Kergueris. … et ont créé dans de nombreux endroits où la chasse n’est pas un élément essentiel de l’activité locale une autre forme de relation sociale, et chacun en apprécie la qualité.
Ce texte est empreint de sérénité, et les amendements que vous avez proposés, madame la ministre, vont en ce sens. Ils permettront, me semble-t-il, une meilleure cohabitation des chasseurs et des non-chasseurs et, ce faisant, une meilleure prise en compte de tout ce qui a été dit et décidé en matière d’environnement avec les lois Grenelle 1 et 2.
D’ailleurs, et nous devons réfléchir à cet aspect des choses, il ne s’agit pas de faire un plaidoyer pour l’objet ou pour la cause. Derrière l’objet de cette loi, il faut rechercher la cause, et j’ai l’intime conviction que c’est celle que vous défendez ici, les uns et les autres, ce dont je vous remercie. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Le groupe socialiste votera cette proposition de loi ainsi amendée.
Toutefois, permettez-moi, mes chers collègues, de réitérer, une dernière fois, la demande que j’ai formulée tout à l'heure et qui a reçu un accueil favorable de la part tant de la commission que du Gouvernement, ce dont je les remercie.
En effet, je tiens à ce que figure dans le compte rendu intégral de nos débats l’engagement qui a été pris de travailler à trouver une solution objectivement plus favorable et plus équitable pour l’indemnisation des dégâts causés par le gros gibier.
M. le président. La parole est à M. Pierre Martin.
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Mes chers collègues, vous ne doutez pas bien entendu du sens de mon vote.
Nos travaux vont, j’en suis sûr, connaître une issue positive, et je tiens à en remercier le président de la commission et le rapporteur. Je veux vous dire combien je suis heureux que notre débat ait été apaisé, alors que le sujet est ô combien passionnel.
Madame la ministre, je veux revenir sur la question de la sécurité, car celle-ci doit figurer au premier rang de nos objectifs.
Les schémas cynégétiques vont être reconduits dans les fédérations. Or je souhaiterais que vous insistiez auprès des préfets pour faire cesser la chasse à la rattente – elle se pratique dans mon département, mais elle doit aussi exister ailleurs ! – là où il y a chasse à balles. Cette chasse est très dangereuse dans la mesure où des personnes se camouflent là où elles en ont envie pour attendre le gibier, et nul ne sait où elles sont postées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 5 mai 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-148 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, avant de passer à la suite de notre ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Prix du livre numérique
Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au prix du livre numérique (texte de la commission n° 485, rapport n° 484).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Colette Mélot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, mes chers collègues, nous arrivons à la fin d’une navette législative qui a permis à nos deux assemblées, dans d’assez brefs délais, d’approfondir et d’enrichir ce texte très attendu par l’ensemble des professionnels de la filière du livre.
Je tiens tout d’abord à vous rappeler les principaux objectifs de cette proposition de loi, dont nos collègues Catherine Dumas et Jacques Legendre sont les auteurs pour le Sénat.
Il s’agit d’accompagner les mutations en cours du marché du livre – caractérisé par l’émergence du livre numérique –, au moins pour ce que l’on appelle les livres homothétiques, et non pas de freiner ces évolutions, mais de les réguler.
Donner valeur législative au rôle central des éditeurs dans la détermination des prix des livres numériques diffusés auprès des lecteurs français doit nous aider à satisfaire nos trois objectifs, que je rappelle.
Le premier objectif est la promotion de la diversité culturelle, qui recouvre à la fois la diversité de la production, de la diffusion et de la « consommation » de livres.
Le deuxième objectif est le respect de la propriété intellectuelle.
Enfin, le troisième objectif est le maintien du maillage culturel sur notre territoire, auquel contribuent les libraires. Cela suppose que les libraires puissent, eux aussi, s’adapter à l’ère numérique dans des conditions économiquement viables.
À cet égard, il est important d’insister, notamment auprès de la Commission européenne, sur le fait que le marché du livre physique et celui du livre numérique ne sont pas déconnectés, mais qu’ils sont bien complémentaires, ce qui contribue à justifier la nécessité et la proportionnalité du texte adopté par la commission mixte paritaire qui s’est réunie le mardi 3 mai dernier.
En effet, il serait très théorique, et donc illusoire, de penser que le lecteur bénéficie nécessairement de la diversité éditoriale, au motif que les livres seraient stockés sur une plateforme numérique. Une telle démarche me semblerait même très élitiste, car elle présuppose que le lecteur connaît en réalité déjà ce qu’il cherche. Or bien des clients des libraires ne connaissent par avance ni l’auteur, ni le titre du livre qui fera pourtant leur bonheur et leur permettra, grâce aux conseils du libraire ou après avoir feuilleté des ouvrages que ce dernier aura décidé de mettre en exergue, de découvrir la richesse du patrimoine écrit et de la création éditoriale, et non de se contenter des best-sellers.
Par ailleurs, n’oublions pas qu’une partie importante de la population ne peut pas accéder à Internet, soit en raison de la fracture numérique, soit pour des motifs d’ordre culturel, économique ou liés à l’âge.
Les élus que nous sommes doivent donc veiller à ce que ceux qui souhaitent fréquenter des librairies, par nécessité ou par plaisir, en aient la possibilité. Or leur rentabilité étant faible, les librairies doivent pouvoir développer leurs activités sur les deux marchés complémentaires.
Sur les dix articles de la proposition de loi, seuls quatre restaient en discussion. Je me réjouis que députés et sénateurs aient pu trouver un accord consensuel, le texte qui vous est proposé aujourd’hui ayant été adopté à l’unanimité par la commission mixte paritaire.
L’article 2, relatif au principe de fixation du prix de vente par l’éditeur, a été adopté dans la rédaction de l’Assemblée nationale, la disposition régissant le commerce transfrontière concernant les éditeurs ne s’imposant pas en définitive. Nous tenons ainsi compte des avis circonstanciés de la Commission européenne et répondons aux impératifs de nécessité et de proportionnalité des mesures retenues afin d’atteindre nos objectifs.
En revanche, l’article 3, qui impose au libraire de respecter le prix de vente fixé par l’éditeur, a été adopté dans la rédaction du Sénat, c’est-à-dire qu’il s’imposera à l’ensemble des libraires exerçant leur activité sur le territoire national. Je vous rappelle que, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, nous avions estimé qu’une disposition de cette nature était indispensable à la pleine efficacité du dispositif.
Nous nous sommes ralliés à la rédaction consensuelle à laquelle étaient parvenus nos collègues députés à l’article 5 bis, en vue de garantir aux auteurs une rémunération juste et équitable en cas d’exploitation numérique de leur œuvre, à une importante réserve près : sur la proposition que nous avons tous soutenue de notre collègue David Assouline, cette disposition sera codifiée. L’article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle a été complété en ce sens.
Enfin, s’agissant du rapport annuel que le Gouvernement devra présenter au Parlement, l’article 7 a été adopté dans la rédaction de l’Assemblée nationale. Son dernier alinéa comporte des précisions très utiles faisant référence au développement de l’offre légale, à la rémunération des auteurs et soulignant son objectif premier de diversité culturelle.
La présente proposition de loi me paraît donc très équilibrée.
Le caractère de « loi de police », dont on peut la qualifier en application du règlement européen dit « Rome I » du 22 décembre 2000, devrait permettre son application à tous. Je vous rappelle qu’aux termes de son article 9.1, une loi de police est « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement. ».
Cette qualification, qui, certes, ressortit à la compétence du juge au regard des travaux préparatoires du Parlement, nous semble clairement résulter des engagements internationaux de la France, et de l’Union européenne, au titre de la convention de 2005 de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
À ce titre, la proposition de loi apparaît impérative pour la sauvegarde de cette diversité culturelle, qui représente un intérêt public majeur. Il me semblait important de souligner ce point.
Au terme de cette navette législative très constructive, la France fait, comme souvent dans le domaine de la culture, figure de pionnière.
La force de l’unanimité montre notre conviction partagée de la nécessité de poursuivre ensemble notre combat politique, et de convaincre de son bien-fondé la Commission européenne ainsi que les États membres de l’Union européenne. Car, outre les enjeux économiques et liés à l’emploi, il s’agit bien d’un combat culturel et de société que nous menons. La question est e savoir quelle société nous voulons construire pour demain, au bénéfice des citoyens européens.
Certes, la rapidité des évolutions nous conduira sans doute à remettre l’ouvrage sur le métier. Le comité de suivi prévu à l’article 7 de la loi aura un rôle crucial à jouer à cet égard.
Au moins avons-nous la satisfaction de tenter de réguler au mieux la transition entre deux mondes, qui doivent non pas s’exclure mais se compléter et se stimuler mutuellement le plus harmonieusement possible.
Mes chers collègues, je vous invite donc à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. le président de la commission de la culture applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, cher Jacques Legendre, madame le rapporteur, chère Colette Mélot, mesdames, messieurs les sénateurs, trente ans après la loi Lang relative au prix du livre, la proposition de loi soumise aujourd’hui à votre approbation, après son passage en commission mixte paritaire, constitue une avancée historique pour toute la filière du livre, et une loi fondatrice pour la régulation des industries culturelles à l’ère numérique.
Cette régulation, appelée de ses vœux par M. le Président de la République le 7 janvier 2010, est l’aboutissement d’un long processus de réflexion collective.
Je tiens à saluer la contribution essentielle de la Haute Assemblée à une telle réflexion, ainsi que l’attention et le travail du rapporteur de la proposition de loi, Mme Colette Mélot, et bien entendu de Mme Catherine Dumas et du président Jacques Legendre, qui ont eu l’initiative du dépôt de ce texte.
Au terme des discussions interprofessionnelles qui se sont tenues sous l’égide de mon ministère, je tiens aussi à rendre hommage à la capacité de l’ensemble de la filière – auteurs, éditeurs, libraires – à se retrouver sur ce qui va dans le sens du bien commun.
Je tiens enfin à saluer le consensus remarquable que vous avez su trouver au terme de l’examen de cette proposition de loi. Je me réjouis qu’à l’image de la loi Lang qui, depuis 1981, n’a cessé de recueillir l’adhésion des gouvernements successifs, cette loi de civilisation numérique qui nous réunit aujourd’hui bénéficie à son tour d’un soutien politique unique en son genre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis persuadé que nous avons eu raison de ne pas attendre pour définir un cadre de régulation adapté à la réalité de ce nouveau marché qu’est le livre numérique, marché dont la progression formidable aux États-Unis se confirme jour après jour. Une intervention précoce constitue en effet la meilleure garantie que le développement de ce marché s’effectue dans des conditions harmonieuses, sans captation de la valeur par des acteurs dominants.
Nous avons eu également raison, j’en suis fermement convaincu, de mettre l’éditeur en mesure de contrôler la valeur du livre, quel que soit le lieu d’implantation du diffuseur. Je me réjouis donc que la solution équilibrée retenue par la commission mixte paritaire permette aux distributeurs établis en France de jouer à armes égales avec ceux qui sont établis hors de nos frontières.
Il serait en effet paradoxal que certaines plateformes de distribution de livres numériques échappent à une régulation de cette nature lorsqu’elles s’adressent à des lecteurs français. Compte tenu de son objet, la loi sur le prix du livre numérique revêt ainsi le caractère d’une disposition impérative, cruciale pour la sauvegarde d’un intérêt public et devant par conséquent s’appliquer à toute situation entrant dans son champ.
Cette loi historique est un aboutissement, mais c’est aussi un point de départ pour la filière du livre : loin de créer les conditions d’une économie de rente pour certains acteurs, ce texte contribuera, je n’en doute pas, au développement d’une offre légale abondante, attractive pour le lecteur, tout en préservant une assiette stable de rémunération pour les ayants droit, en particulier les auteurs.
Je salue, à ce titre, l’attention portée par le texte à la juste et équitable rémunération des auteurs, afin que celle-ci soit garantie dans le cadre du contrat d’édition.
Cette loi doit également être le point de départ d’une mobilisation renouvelée pour promouvoir la diversité culturelle à l’ère numérique.
Soyez à cet égard assurés de la détermination du Gouvernement et du Président de la République à poursuivre le travail de conviction entamé auprès des institutions européennes et de nos partenaires des autres États membres de l’Union européenne.
Dans sa réponse aux avis motivés de la Commission européenne, le Gouvernement fait ainsi valoir combien, au regard des caractéristiques microéconomiques du marché du livre, la proposition de loi répond à un impérieux motif d’intérêt général : la protection de la diversité culturelle, consacrée par la convention de l’UNESCO ainsi que par les traités et la jurisprudence européenne.
Nous y démontrons pourquoi ce principe cardinal doit faire l’objet d’une attention accrue à l’heure numérique, en veillant à ce que la structuration du marché du livre numérique ne porte pas préjudice à la diversité de la création éditoriale et à la diversité des réseaux de distribution, qui en est indissociable.
À la concentration de la distribution, à la réduction de l’offre à un choix standardisé, limité à quelques best-sellers, il nous faut en effet opposer, sans jamais faiblir, « la propension archipélique à soutenir le divers du monde », pour reprendre les si beaux mots d’Édouard Glissant.
Le consensus remarquable que vous avez su trouver lors de l’examen de cette proposition de loi, mais aussi le soutien et les initiatives qui pourront être les vôtres à l’avenir, constitueront d’évidence un appui précieux dans ces démarches, comme d’ailleurs dans le combat pour l’application d’un taux de TVA réduit au livre numérique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu’elle constitue une contribution essentielle à la construction civilisée du marché du livre numérique, cette loi de développement durable de la filière du livre, telle qu’elle est adoptée par la commission mixte paritaire, recueille évidemment le plein soutien du Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après de nombreux et passionnants débats sur le livre numérique, nous sommes aujourd’hui réunis pour adopter définitivement un texte proposé par le président de notre commission, Jaques Legendre, et par notre collègue Catherine Dumas, que je tiens à féliciter pour tout le travail accompli. Je tiens également à souligner l’important investissement de notre collègue Colette Mélot, rapporteur de ce texte, qui a ardemment défendu les positions de notre assemblée tout au long de la navette parlementaire.
Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’exprimer notre position sur le livre numérique, les enjeux qu’il représente et les nouveaux défis qu’il nous impose de relever. C’est vrai pour les acteurs du secteur, mais pas seulement. C’est vrai pour tous ceux qui, comme un certain nombre d’entre nous, défendent une certaine idée de la culture – j’y reviendrai tout à l’heure.
Je voudrais tout d’abord, à mon tour, exprimer ma satisfaction de voir qu’à l’issue du travail des assemblées nous avons trouvé un compromis satisfaisant pour tous les acteurs de la chaîne du livre.
Par ce texte, auteurs comme éditeurs se voient assurés d’une rémunération juste et équitable, en toute transparence sur les coûts supportés dans l’univers du numérique. Les libraires, auxquels il reste notamment un gros effort d’adaptation à faire pour la mise en place de plateformes collectives, voient leur rôle réaffirmé. Enfin, les lecteurs se voient garantir le maintien d’une offre riche, diversifiée et raisonnable grâce au principe du prix unique du livre appliqué à la version numérique des œuvres.
Ensuite, je me réjouis que nos arguments aient été entendus par nos collègues députés, qui se sont ralliés à notre volonté d’imposer le même prix de vente, en France comme à l’étranger, pour un livre numérique édité dans l’Hexagone, avec l’adoption de la fameuse clause d’extraterritorialité figurant à l’article 3 de la présente proposition de loi. C’est évidemment, monsieur le ministre, un signal fort que nous adressons tant aux professionnels qu’à Bruxelles. Il en est de même, d'ailleurs, de l’adoption d’une TVA à 5,5 % pour la version informatique de l’œuvre comme pour la version papier.
À vous, monsieur le ministre, qui à juste raison avez défendu lors d’une réunion avec les ministres européens de la culture à Budapest, le 28 mars dernier, ce même taux de TVA réduit sur l’ensemble des biens culturels et des services culturels, quel que soit leur mode de distribution, je me permets de rappeler que, chez nous, cela n’a pas été une mince affaire, le Gouvernement y étant dans un premier temps opposé. Ce fut une discussion âpre et argumentée – je parle en connaissance de cause – qu’il fallut mener en loi de finances pour le seul livre numérique !
Cela étant dit, quelle que soit notre satisfaction ce soir, il nous reste à mener une vraie bataille de convictions au niveau communautaire. Ce ne sera pas facile, si l’on considère que le cadre fiscal européen actuel n’est guère propice à l’adaptation au nouvel environnement numérique des dispositions par ailleurs favorables au secteur culturel.
À vrai dire, si l’on y songe, il est complètement absurde que les États membres puissent appliquer des taux de TVA réduits à certains biens culturels mais doivent appliquer le taux normal aux mêmes biens sous une autre forme. C’est le cas des livres ou des journaux électroniques dans leur version dématérialisée, qui, subitement, répondent à la notion non plus d’œuvre mais de service !
On voudrait encourager le piratage que l’on ne s’y prendrait pas autrement ! Et tout cela sans doute en pensant protéger les commerces traditionnels…
Il est donc urgent de mettre en place des taux de TVA réduits pour la mise à disposition des biens culturels sur tous les supports, afin de ne pas pénaliser la distribution numérique en devenir et, au contraire, d’encourager le développement des offres légales.
De la même manière, l’Europe doit mettre un terme à une situation aberrante de dumping qui permet à des entreprises, notamment extracommunautaires – vous savez à qui je fais allusion –, de délocaliser leurs services au cœur même de l’Europe pour échapper à la fiscalité de certains États et aux obligations de soutien à la création, contrairement aux principes de la directive sur les services de médias audiovisuels.
Ne pas se battre au niveau communautaire pour exiger cette harmonisation nous conduit en désespoir de cause à imaginer, à l’échelle nationale, des solutions aussi inefficaces que dangereuses d’un point de vue économique. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la fameuse « taxe Google » que notre assemblée a cru bon de voter au mois de décembre dernier répond certes à une bonne question, mais apporte une très mauvaise réponse.
Ainsi, alors que nous vivons un développement sans précédent de l’industrie du numérique, une adaptation harmonisée du taux de TVA favoriserait la compétitivité des acteurs européens face aux géants américains et éviterait que les professionnels français ne paient une charge fiscale supplémentaire par rapport à leurs voisins.
Il y va de l’avenir de la création et des industries culturelles, mais vous en êtes tous convaincus.
Cette harmonisation permettrait d’ailleurs d’afficher une réelle politique culturelle européenne, incarnation de la richesse et de la diversité des vingt-sept États membres. Pour ce faire, revendiquons bien sûr, madame le rapporteur, la Convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Rappelons enfin que notre vote de ce soir intervient alors que la Commission européenne mène une réflexion, dans le cadre de sa « stratégie numérique pour l’Europe », sur une possible révision de sa politique fiscale. Un Livre vert sur l’avenir de la TVA a été publié en décembre dernier. C’est donc bien le moment pour notre gouvernement, dont Jacques Toubon est l’ambassadeur en la circonstance, de faire entendre la voix de ce qui semble être le bon sens.
J’en viens à la dernière remarque que je tenais à faire à l’occasion de cet ultime débat.
Mes chers collègues, nous tentons aujourd’hui d’apporter une réponse adaptée à un secteur en développement qui dépasse d’ailleurs la seule filière du livre. Celle-ci ne sera peut-être que transitoire. On mesure en effet à quel point, dans le domaine du numérique, les choses sont complexes, car extraordinairement évolutives. C’est toute une nouvelle économie émergente dont il convient d’accompagner – à défaut d’imaginer – les nouveaux modèles, tout en respectant la chaîne des valeurs pour les créateurs, quels qu’ils soient.
Ces dernières années ont été l’occasion de débats au Parlement au cours desquels se sont souvent affrontés les acteurs de ce nouvel univers, dont les intérêts sont à première vue divergents, notamment, pour faire simple, sur les tuyaux et sur les contenus. Or l’expérience nous montre progressivement que c’est de manière transversale et globale, et non sectorielle, qu’il nous faut penser.
À cet égard, monsieur le ministre, j’ai apprécié que vous nous annonciez, lors du récent colloque du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur la télévision connectée, avoir confié, en lien avec votre collègue Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, à cinq professionnels représentatifs du secteur la mission « d’identifier les enjeux de régulation et de compétitivité liés à la TV connectée et d’en prévenir les effets sur les équilibres de la production et de la diffusion audiovisuelle ».
En revanche, comme plusieurs de mes collègues, j’ai beaucoup moins apprécié, et je ne m’en suis pas cachée, la disparition du Forum des droits sur l’internet, instance dont les missions méritaient certes d’être développées, mais qui présentait l’avantage de porter un regard global sur ce qui est aujourd’hui un véritable écosystème.
Je m’étais d’abord inquiétée de cette disparition auprès d’Éric Besson lors de l’examen du projet de loi de finances. À l’époque, il m’avait garanti qu’une structure plus performante lui serait substituée. Je l’avais ensuite interrogé lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement – il s’était alors montré rassurant – sur le rôle, les missions et les outils du fameux conseil, ainsi que sur sa composition.
En vérité, le Conseil national du numérique, dont on a appris l’installation la semaine dernière, n’est qu’un club de chefs d’entreprise du Net, ni plus, ni moins. Il n’est pas la structure de référence dont nous avons grandement besoin pour faire face aux bouleversements d’ordre économique, culturel, juridique, éthique et financier provoqués par l’internet. Il faut une structure qui associe l’ensemble des acteurs du secteur au lieu d’en évincer un certain nombre, dont les créateurs ou, tout simplement, les consommateurs.
Dès lors, comment cette instance qui, par ailleurs, je n’en doute pas, compte tenu de la qualité de ses membres, apportera des idées utiles, pourrait-elle être représentative des enjeux qui sont ceux du numérique ? On l’a vu concernant le livre, les enjeux sont tout autant économiques que culturels, techniques, juridiques ou encore financiers. Demain, toute notre vie, ou presque, passera par Internet, que ce soit en matière d’éducation, d’information, d’accès aux services publics ou à l’emploi. Il me semble donc regrettable que cette institution, censée aiguiller les politiques publiques, ne puisse avoir, du fait de sa composition, qu’un point de vue parcellaire et non transversal.
Peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, relayer cette préoccupation ? Je la formule après en avoir longuement discuté avec plusieurs de mes collègues qui connaissent bien ce secteur si pointu et appartiennent au groupe d’études Médias et nouvelles technologies que j’ai l’honneur de présider. Il nous semble d’ailleurs étonnant que le Parlement ne soit pas beaucoup associé à ces questions dont on ne cesse pourtant de débattre.
Je conclurai sur une note plus positive : le groupe de l’Union centriste votera, bien sûr, les conclusions de la commission mixte paritaire, comme il a voté en première lecture ce texte fondateur pour l’industrie culturelle à l’heure du numérique, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)