Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Je souhaite répondre brièvement aux orateurs.
Monsieur Sueur, permettez-moi de vous apporter quelques précisions.
Je rappelle tout d’abord que, selon les règles parlementaires et la tradition de la Ve République, il y a une majorité et une opposition. La majorité détient les moyens du pouvoir, ce qui est tout à fait normal. En revanche, il est normal que l’opposition participe aux actions de contrôle, contrôle que la récente révision constitutionnelle a renforcé. La possibilité donnée à l’opposition d’être associée à part égale à la majorité dans les actions de contrôle me semble une bonne chose. Je regrette que vous ne l’ayez pas relevé, monsieur le sénateur. (M. Jean-Pierre Sueur proteste.)
Monsieur Sueur, puis-je parler s’il vous plaît ?
Vous regrettez, monsieur le sénateur, que les propositions de loi examinées lors des semaines d’initiative parlementaires ne fassent pas l’objet de navette. Je vous répondrai que rien n’empêche le groupe socialiste de l’Assemblée nationale de demander l’inscription à l’ordre du jour de ces textes. Il s’agit ensuite que la règle majoritaire s’applique. On ne peut pas contester à la majorité le droit de dire oui ou non à certaines propositions.
Par ailleurs, monsieur Sueur, vous m’avez personnellement mis en cause, ce que j’ai trouvé quelque peu discourtois de votre part, ce qui n’est pas dans vos habitudes.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vous ai pas mis en cause personnellement !
M. Patrick Ollier, ministre. Vous m’avez d’abord dit que, si j’avais parlé quinze minutes de moins ce matin, l’examen de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité » aurait pu être achevé. C’est faux ! Quarante minutes supplémentaires auraient été nécessaires, comme en atteste le décompte du temps de parole des orateurs qui devaient encore s’exprimer. Ils n’auraient pas pu dire pendant le malheureux quart d’heure durant lequel j’ai parlé ce qu’ils avaient prévu de dire en quarante minutes !
M. Jean-Pierre Sueur. D’autres contribuent à l’inflation, c’est certain ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Je vous remercie donc de reconnaître que j’ai raison, monsieur Sueur !
Je dirais même que, si le groupe socialiste n’avait pas utilisé, hier, les quatre heures de l’après-midi pour l’examen de la proposition de loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016, nous aurions pu examiner la proposition de loi relative à la protection de l’identité. Certains arguments peuvent se retourner parfois contre ceux qui les avancent !
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut réfléchir ensemble à ce sujet. Le système ne fonctionne pas.
M. Patrick Ollier, ministre. Madame Borvo Cohen-Seat, vous le saviez d’avance, je ne peux être d’accord avec votre approche de la Constitution de la Ve République, pas plus que je ne peux être d’accord avec votre critique de la règle dite « de l’entonnoir », laquelle découle de l’article 45 de la Constitution. Cette règle n’est pas excessive. Je la trouve au contraire opportune, car elle vise à rapprocher les points de vue des deux assemblées, à éviter l’obstruction et la multiplication à l’excès du nombre d’amendements, tout en laissant, de manière démocratique, les parlementaires s’exprimer.
Madame Gourault, je vous remercie d’avoir soutenu la position du Gouvernement, du président et du rapporteur de la commission. Je suis bien sûr tout à fait d’accord avec vos arguments, car ils sont également les nôtres. Je n’y reviens pas.
Monsieur Frassa, je vous remercie également de votre position. Vous avez souligné la pertinence des argumentations que nous avons développées. La proposition de loi, qui tend à donner de nouvelles prérogatives aux groupes politiques, créerait, vous avez insisté sur ce point, une confusion avec celles des commissions permanentes, qui sont, elles, tout à fait légitimes. Ce sont là des raisons supplémentaires, s’il fallait en trouver, de voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui va maintenant être défendue.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Garrec, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de contrôle et d'information des groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat (n° 355, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le président de la commission, pour défendre la motion.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Après le très long débat que nous avons eu sur cette proposition de loi, et que nous aurons l’occasion de poursuivre par ailleurs, je considère que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité est défendue.
J’ajouterai simplement que, si l’on parle beaucoup des pouvoirs des commissions et de ceux des groupes, on oublie un pouvoir essentiel, à savoir les pouvoirs individuels du parlementaire, qui sont pourtant fondamentaux dans les institutions de la République. Il ne faut pas l’oublier !
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin, contre la motion.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a fait le choix de couper court à la discussion de cette proposition de loi. Pourtant, M. le rapporteur, et je l’en remercie, a admis que « sur le fond, notre texte pose de bonnes questions ». Elles lui paraissent d’ailleurs si bonnes qu’il suggère aux auteurs de la proposition de loi « de solliciter la réunion d’un nouveau groupe de travail sur le règlement du Sénat ou encore de présenter une proposition de résolution tendant à modifier le règlement en vue d’attribuer des droits supplémentaires aux groupes politiques ».
Si problèmes il y a, il est donc particulièrement regrettable que la commission des lois, plutôt que de contribuer à améliorer un texte perfectible – quel texte ne l’est pas ? – destiné à les résoudre, décide de déclencher le couperet de l’exception d’inconstitutionnalité.
La commission vous propose ainsi d’user d’une procédure particulièrement violente de notre droit parlementaire consistant ni plus ni moins en l’autodestruction du rôle même du Parlement. Or elle le fait sur des fondements si contestables, en s’opposant ainsi à l’extension des droits parlementaires, ce qui est pour le moins paradoxal de la part d’une commission parlementaire, qu’on peut s’interroger sur ses motivations. On peut ainsi se demander si ce qui vous a plu dans la révision constitutionnelle, chers collègues, ce n’était point tant ce qui y figurait que ce qui y manquait, à savoir la définition d’un statut de l’opposition.
Chers collègues de la majorité, si la très bénigne reconnaissance légale de pratiques, à vrai dire évidentes pour qui réfléchit au mandat parlementaire – pratiques que vous reconnaissez, monsieur le rapporteur, puisque vous indiquez dans votre rapport que certaines des dispositions du texte sont satisfaites par le droit en vigueur – vous offusque au point de considérer que leur adoption violenterait notre Constitution essentiellement parlementaire, que direz-vous lorsque le temps sera venu de réellement moderniser le Parlement afin que ses travaux prennent l’ampleur que les Français attendent ? (M. le président de la commission des lois s’exclame.) Le Parlement n’est pas populaire, monsieur le président.
Vous invoquez à l’appui de votre jugement, monsieur le rapporteur, pas moins de trois dispositions constitutionnelles.
Premièrement, dites-vous, il eût fallu en passer par le règlement, seul texte compétent selon vous pour déterminer les droits des groupes politiques, conformément à l’article 5l-l de la Constitution.
Deuxièmement, la proposition de loi porterait atteinte à l’organisation des pouvoirs fixée par la Constitution.
Troisièmement, elle violerait le principe de séparation des pouvoirs.
Je demande à notre assemblée, et je le lui demande afin de préserver ses droits, de ne retenir aucun de ces arguments.
Sur le premier point, on peut admettre que l’article 51-1 de la Constitution, ainsi d’ailleurs que son article 48, constitue une reconnaissance des groupes parlementaires dans notre droit positif constitutionnel. Je pense même qu’on pourrait, à partir des pratiques parlementaires de notre République et des règlements des assemblées, hisser cette reconnaissance au rang des principes généraux reconnus par les lois de la République.
Quoi qu’il en soit, le rôle éminent reconnu aux groupes politiques à la fois dans le fonctionnement interne des assemblées, mais aussi en tant que contributeurs à l’exercice de leurs missions constitutionnelles, suffit à justifier, sans même qu’il soit nécessaire de se référer à l’article 51-1 de la Constitution, l’ouverture de droits correspondants à leur implication dans l’exercice de ces missions.
En revanche, dès lors que ces droits ne concernent pas exclusivement ni même principalement l’organisation interne des assemblées, je ne pense pas que les règlements des assemblées parlementaires puissent être constitutionnellement le support de leur définition. Les reconnaissances de droits prévues dans notre proposition de loi étant en principe opposables à des tiers, nous avons ainsi pris soin d’en passer par la loi et de ne point empiéter au demeurant sur le terrain de la loi organique.
Sur l’organisation des pouvoirs, je serai bref.
Notre proposition de loi ne retranche rien aux pouvoirs des organes internes du Parlement. Elle ne donne aucun nouveau pouvoir aux groupes politiques. Elle se contente de leur ouvrir des droits leur permettant simplement de fonctionner dans le cadre des prérogatives que leur confèrent la Constitution et nos usages républicains. Ces droits sont strictement proportionnés aux fonctions reconnues aux groupes. Au demeurant, en pratique, l’existence des groupes politiques est traversée par un certain nombre de ces conférences ou de ces collaborations avec des tiers dont nous prévoyons la reconnaissance légale sans qu’on s’offusque de leur éventuelle contravention avec l’organisation des pouvoirs.
Enfin, sur la violation de la séparation des pouvoirs, je dirai d’abord qu’il ne fait aucun doute dans notre esprit que les groupes parlementaires ne sont pas des pouvoirs publics constitutionnels. On pourrait d’ailleurs dire, mais nous ne l’avons pas fait, que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité déposée par la commission manque sur ce point de tout objet.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je vous demande de rejeter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par la commission des lois, car elle ne me paraît pas fondée. Elle aurait pour effet d’empêcher le Parlement de trouver des solutions à ce que la commission reconnaît être un réel problème. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les arguments que j’ai déjà exposés pour plaider contre la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Je voudrais simplement profiter de cette explication de vote pour faire une mise au point à la suite des propos de M. le ministre.
Il n’était nullement dans mon intention de me livrer, si peu que ce fût, à une attaque personnelle à votre endroit, monsieur le ministre. J’ai seulement pris l’exemple de la séance de ce matin pour souligner le caractère quelque peu paradoxal de notre organisation pour les semaines d’initiative parlementaire.
En effet, il peut arriver que le débat sur une proposition dure très longtemps, comme ce fut le cas hier, en raison du droit des parlementaires, y compris de ceux qui appartiennent à l’opposition lorsque la proposition émane de la majorité, et inversement, de s’exprimer. C’est bien naturel.
Mais, à partir de ce moment-là, un groupe de la majorité ou de l’opposition peut, pour des raisons qui ne sont pas du tout de son fait, se trouver privé d’un débat ou d’une partie de débat.
Sans doute ai-je eu tort de cibler particulièrement vos propos, monsieur le ministre. D’ailleurs, et je parle sous le regard comme toujours attentif de Mme la présidente Catherine Tasca, je sais que d’autres ont contribué à cette inflation. Par conséquent, si la proposition de résolution sur la laïcité n’a pas pu être adoptée, ce que, pour ma part, je déplore beaucoup, la responsabilité en est collective.
J’appelle simplement de mes vœux, et je ne mets personne en cause, une réflexion dans nos rangs, et peut-être au sein des instances du Sénat, sur l’organisation de ces semaines, compte tenu de l’expérience qui est la nôtre depuis quelques mois. Voilà ce que j’ai voulu dire.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 199 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 182 |
Contre | 156 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
7
Démarchage téléphonique
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe RDSE, de la proposition de loi visant à renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique, présentée par MM. Jacques Mézard et Yvon Collin et les membres du groupe RDSE (proposition n° 354, texte de la commission n° 435, rapport n° 434).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi a pour objet d’organiser la vie en société, en tenant compte des évolutions de cette dernière,…
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. … soit pour les favoriser, soit pour les réguler, soit parfois pour les interdire : dura lex, sed lex !
Mais une bonne loi est, par nature, une loi d’équilibre, qui préconise l’intérêt général tout en protégeant les libertés individuelles.
Les mutations profondes de nos sociétés ces dernières années ont entraîné des changements considérables, tant dans la vie quotidienne de nos concitoyens que dans les priorités des législateurs et des exécutifs.
Comparons la vie quotidienne des Français en 1911 et en 2011 : en un siècle, il y a eu plus de bouleversements que durant tous les précédents ! La loi précède de moins en moins ces mutations, et elle peine le plus souvent à les suivre et à les réguler.
Téléphone, téléphonie mobile, télévision, internet... ces moyens de communication ont plus qu’envahi notre quotidien ; ils sont pratiquement devenus des prolongements de notre corps, en attendant qu’ils s’y greffent !
Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que ces moyens de communication deviennent des instruments économiques, commerciaux et soient devenus des moteurs du développement. Légiférer dans ces domaines est difficile ; l’exemple HADOPI, qui est à l’ordre du jour, en est une illustration. Il n’en reste pas moins que cela est nécessaire.
Le démarchage téléphonique est aujourd’hui devenu une pratique courante et s’est développé de manière exponentielle et, il faut le dire, souvent anarchique, au mépris de la protection des usagers et de leur intimité.
Certes, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés a apporté une première protection, mais ce rempart a été submergé par les nouveaux flux et les avancées technologiques.
La pêche aux clients, par le démarchage téléphonique, a pris une ampleur considérable et les mailles légales du filet sont tellement larges que le braconnage à toute heure et tous les jours de la semaine est devenu la règle.
Il faut reconnaître aussi que les quelques dispositions légales et réglementaires sont très souvent bafouées avec une impunité quasi totale. Je pense par exemple à l’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques, qui interdit le démarchage sans manifestation du consentement de l’usager quand il est réalisé au moyen d’un automate d’appels, d’un télécopieur ou d’un courrier électronique.
La réalité du terrain, c’est d’abord que les usagers ignorent les quelques droits dont ils disposent et sur lesquels les opérateurs les informent le moins possible. On peut prendre pour exemple l’article R 10 du code des postes et des télécommunications sur la liste rouge et la liste orange.
La réalité du terrain, c’est ensuite que l’accroissement considérable du nombre d’appels intrusifs dans n’importe quelles conditions constitue un trouble excessif chez nos concitoyens, dérangés dans leur domicile à des heures et à des jours inopportuns et, pour certains, victimes d’abus de faiblesse, parfois même de pratiques relevant du harcèlement.
Mes chers collègues, il n’est pas crédible d’oser soutenir que le nombre d’appels téléphoniques de démarchage est raisonnable et de brandir en même temps, comme le fait l’Association française de la relation client, l’AFRC, le chiffre de 260 000 salariés dans 3 500 centres d’appel !
De même, dans certains cas, il est vrai très minoritaires, on peut s’interroger sur l’intérêt pour le développement économique de la France que nos concitoyens reçoivent des appels de la part de centres d’appel installés à l’étranger pour promouvoir la vente de produits fabriqués hors de nos frontières !
Mais soyons clairs : notre objectif n’est nullement d’interdire le démarchage téléphonique ; il est de parvenir à un équilibre entre la protection de l’usager et le souci légitime du développement économique. Nous avons des entreprises performantes à l’échelle internationale dans la technique des centres d’appel, des entreprises performantes avec des pratiques loyales dans le démarchage téléphonique. Mais il est temps de trier le bon grain de l’ivraie, dans l’intérêt même de ceux qui font du bon travail.
Pour cela, la régulation est nécessaire. D’ailleurs, plusieurs pays européens voisins, comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, l’ont fait fermement sans mettre en danger leur économie. Il convient de légiférer rapidement avant même que l’exaspération des usagers n’entraîne dans l’urgence médiatique des réactions plus brutales.
Si la législation n’évolue pas aujourd'hui, elle le fera inéluctablement demain dans des conditions qui découleront des réactions très fermes de nombre d’usagers lassés de la situation. Je crois que c’est l’intérêt commun de travailler et de réfléchir en ce sens.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Oui, de telles pratiques se sont diversifiées et multipliées ! L’intrusion dans le quotidien de nombre de nos concitoyens, chez eux, représente une atteinte à leur vie privée pour le moins déplaisante.
Face à des pratiques commerciales souvent de plus en plus agressives, de nombreuses sociétés de télémarketing n’hésitant pas à appeler les personnes plusieurs fois dans le même mois, à des horaires inopportuns, en soirée ou le week-end, il nous paraît indispensable de renforcer les droits des citoyens, qui devraient pouvoir ne plus être importunés chez eux, contre leur gré, et ne plus être assaillis d’offres et d’informations commerciales diverses qu’ils n’ont pas sollicitées. J’ajoute que les personnes âgées et vulnérables deviennent la cible privilégiée de ces démarchages.
La législation actuelle en la matière repose sur le principe d’opposition de la personne à l’utilisation des données la concernant à des fins de prospection commerciale.
Comme l’a rappelé M. le rapporteur, ce régime de protection des données personnelles s’est progressivement construit. Au niveau communautaire, la directive n° 95/46 CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données prévoit notamment le droit de la personne de « s’opposer, sur demande et gratuitement, au traitement des données la concernant envisagé par le responsable du traitement à des fins de prospection » et d’être informée préalablement à leur première communication à des tiers ou à leur utilisation par eux, afin de pouvoir s’y opposer. Cette directive européenne a été transposée en droit interne par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 qui a modifié à cette fin la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Nous avons rappelé qu’il existe dans la législation actuelle un droit d’opposition en matière de démarchage téléphonique, mais force est de constater que cette procédure est très peu connue du grand public et extrêmement marginale dans la pratique.
La démarche de s’inscrire sur « liste rouge » pour échapper à des appels non désirés existe, mais elle sanctionne, de fait, tous ceux qui souhaitent légitimement figurer à l’annuaire afin d’être joignables par leur entourage et leurs connaissances. Contraindre ceux qui ne souhaitent pas être importunés à s’inscrire sur « liste rouge » signifierait la disparition de l’annuaire téléphonique et condamnerait les abonnés à ne plus pouvoir se joindre entre eux ! Quant à la « liste orange », elle ne résout aucunement le problème du démarchage.
Lors de la séance de questions orales du 1er mars dernier, M. le ministre Éric Besson m’avait répondu, en votre nom, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement mettait en place un dispositif qui entendait répondre aux mêmes préoccupations. Ce dispositif, dénommé Pacitel, qui devrait être opérationnel au premier semestre 2011, résulte des travaux d’un groupe de travail mis en place par M. Hervé Novelli, alors secrétaire d’État chargé de la consommation, et composé des principales fédérations professionnelles du secteur de la prospection et de la vente par téléphone.
Nous avons rencontré les représentants de ces fédérations, qui ont d’ailleurs conscience des abus existant en matière de démarchage téléphonique et reconnaissent la nécessité de « responsabiliser la profession », selon leurs propres termes. Ils nous ont indiqué qu’ils s’étaient engagés, pour leur part, à recommander à leurs adhérents d’éviter les appels téléphoniques trop matinaux ou trop tardifs, en privilégiant les plages horaires allant de 8 heures à 20 heures 30 du lundi au vendredi et de 9 heures à 18 heures le samedi...
Cependant, le dispositif Pacitel ne constitue qu’une petite avancée dans le droit d’opposition : il s’agit en effet d’une liste d’opposition recensant, à leur demande, les consommateurs qui refusent d’être démarchés. En conséquence, leurs coordonnées ne devraient pas figurer dans des fichiers constitués aux fins de démarchage commercial, mais rien ne permet de présumer que ce dispositif sera mieux connu et plus utilisé que les procédures existantes. En outre, la complexité de ce projet est évidente, car il oblige l’usager voulant s’inscrire sur la liste d’opposition à envoyer une copie de sa carte d’identité et de la facture de sa ligne ! Telle est la réalité de ce projet, qui relève plus de l’affichage médiatique d’une volonté de bonne pratique que de la volonté d’apporter une véritable solution concrète.
Il nous apparaît donc inopportun que ce soit au citoyen de s’opposer expressément à ce que les données le concernant soient transmises à des sociétés et utilisées à des fins de démarchage. Il est bien plus logique et sécurisant que la législation prévoie, à l’inverse, que le citoyen consommateur doive donner expressément son accord pour que ses données personnelles puissent être utilisées à des fins de démarchage.
Il est important de rappeler, comme l’a fait notre rapporteur – j’en profite pour saluer la qualité de son rapport, qui a permis de dégager un consensus tout à fait positif au sein de la commission –, que le principe du consentement exprès existe déjà pour certaines techniques de prospection directe. Ce principe, nous l’avons dit, est posé par l’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques, qui définit la prospection directe comme « l’envoi de tout message destiné à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l’image d’une personne vendant des biens ou fournissant des services ».
Nous souhaitons que le principe du consentement exprès soit retenu pour les pratiques relevant du démarchage téléphonique.
Notre commission des lois, sur proposition de son rapporteur, François Pillet, a retenu le principe du recueil du consentement exprès de l’abonné à un service téléphonique, fixe ou mobile, pour l’utilisation des données le concernant à des fins de démarchage, que l’utilisateur de ces données soit l’opérateur lui-même ou un tiers. Le nouveau droit de l’abonné devra figurer sur le contrat d’abonnement téléphonique au titre des informations obligatoires fixées par l’article L. 121-83 du code de la consommation.
Ainsi, le recours au démarchage téléphonique sera subordonné à l’accord préalable et écrit de l’abonné pour l’utilisation de ses coordonnées. Le consentement devra être expressément donné à l’opérateur et ces dispositions s’appliqueront également aux abonnements en cours, selon la rédaction retenue par la commission.
Les sanctions prévues dans la législation actuelle en cas de violation du droit d’opposition de la personne au traitement de ses données personnelles à des fins de prospection commerciale s’appliqueront en cas de non-respect de l’obligation de recueillir le consentement de l’abonné.
Naturellement, l’abonné doit pouvoir revenir sur sa décision initiale ; il doit aussi pouvoir, le cas échéant, manifester à tout moment son refus de l’utilisation de ses données, même après y avoir consenti. Monsieur le secrétaire d’État, peut-être faudrait-il réfléchir, à l’avenir, à permettre aux opérateurs de consentir des abonnements à des tarifs différenciés selon le consentement ou le non-consentement de l’abonné ? Mais il s’agit d’un autre débat !
Comme l’a clairement rappelé notre rapporteur, « il convient, en effet, de renforcer la protection de la personne sans se contenter de lui accorder un simple droit d’opposition, lequel ne constitue souvent qu’une protection illusoire : en effet, soit par défaut d’information, soit faute d’enclencher la procédure, l’inaction prime ouvrant la porte au démarchage téléphonique ; cette technique de vente constitue pourtant une intrusion violente dans la vie privée ».
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre volonté est de renforcer les droits du consommateur, à savoir le respect de sa vie privée et son droit à la tranquillité ; il était temps que cette évolution intervienne ! Il est primordial que l’utilisation des données personnelles relève d’une démarche volontaire de la part des personnes concernées. Cette proposition de loi vise à rendre effectif ce principe. Je l’ai déjà dit, si nous n’agissons pas rapidement en ce sens, en faisant le maximum pour trouver un véritable équilibre, nous y serons conduits dans d’autres conditions dans les années qui viennent, car on est allé trop loin, en l’absence d’une régulation suffisante.
Encore une fois, notre but n’est pas d’interdire le démarchage : nous souhaitons permettre cette activité économique, qui a son importance dans notre pays, mais en la régulant dans des conditions normales. D’ailleurs, l’avis du 18 mai 2010 du Conseil national de la consommation soulignait à juste titre que « l’efficacité de la protection des données et de la vie privée est devenue autant une condition du développement de la liberté individuelle qu’un facteur important de la confiance du consommateur ». À laisser faire n’importe quoi dans n’importe quelles conditions, la confiance du consommateur risque d’être entamée et une telle situation n’est jamais favorable au développement économique.
Tel est le souci prioritaire auquel cette proposition de loi tend à apporter une réponse. C’est pourquoi nous vous appelons, mes chers collègues, à la soutenir de vos votes. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)