Mme Bariza Khiari. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. Cet article est certainement l’un des articles phare de ce projet de loi.
Vous le savez comme moi, notre pays regarde et écoute ce débat, qui est porteur de valeurs fondamentales. Il ne s’agit pas simplement de faire du droit ; nous parlons d’hommes et de femmes malades.
Je vous rappelle que ce n’est pas la première fois que nous abordons ce sujet. Par deux fois déjà la commission des lois a supprimé l’article 17 ter, suppression qui a été sanctionnée une fois en séance publique. Pourquoi recommence-t-on une quatrième fois à en discuter ?
Notre collègue Sueur parlera tout à l’heure bien mieux que moi de l’amendement présenté par M. Dominati.
M. David Assouline. Il n’est même pas là !
M. Richard Yung. Oui, mais malheureusement ses mauvaises idées sont présentes. Il est sur la ligne de l’Assemblée nationale.
La commission des lois, pour sa part, nous propose une nouvelle rédaction de cet article sur deux points.
Tout d’abord, son amendement n° 219 vise à remplacer les mots « qu’il ne puisse effectivement bénéficier » par les mots « de l’absence ». Ensuite, il tend à insérer les mots « sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative » – donc, le préfet – « après avis du directeur général de l’agence régionale de santé ».
Je dis tout de suite que nous ne sommes pas favorables à cette rédaction.
Si cet amendement était adopté, des personnes gravement malades seraient renvoyées vers des pays où elles n’auraient aucun accès à leur traitement.
Quelle différence existe-t-il entre la notion d’« inexistence » initialement proposée, qui a été remplacée par la notion d’« indisponibilité », et la notion d’« absence qui a finalement été retenue » ?
Si cet amendement était voté, le préfet serait juge en dernier lieu des critères médicaux à la place de l’autorité médicale aujourd’hui compétente. Franchement, ce ne serait pas un cadeau qu’on lui ferait, d’autant que je ne crois pas qu’il soit dans ses attributions de prendre des mesures d’ordre sanitaire et humanitaire.
Je le répète, l’amendement vise à intégrer une nouvelle disposition qui prévoit la prise en compte de « circonstance humanitaire ». Ce circuit de décision est complexe et ne permettra pas de garantir que des étrangers malades ne seront pas renvoyés sans solution de traitement vital.
Enfin, si cet amendement était adopté, le secret médical serait systématiquement levé. Comme l’a rappelé la circulaire du 5 mai 2000, l’intervention de l’autorité médicale – le médecin inspecteur de santé publique ou le médecin de l’Agence régionale de santé – « vise à préserver le secret médical, tout en s’assurant que le demandeur remplit les conditions fixées par la loi ». Dans le dispositif proposé par la commission des lois, nous n’avons plus ces garanties.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que cet amendement, qui vise évidemment à trouver un accord entre la position des ultras de l’Assemblée nationale – comment se nomment-ils déjà ?... la droite populaire ! – et le Sénat, est un mauvais compromis. Nous pensons que le Sénat, en commission des lois et en séance plénière, avait été sage de supprimer la rédaction de l’article 17 ter.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis convaincu que ce débat est essentiel. Ce qui est en jeu, c’est une certaine idée de la France.
On peut considérer a priori que ceux qui demandent des papiers d’identité sont des falsificateurs, que ceux qui veulent se marier sont des tricheurs,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il y en a !
M. Jean-Pierre Sueur. … que leur mariage est suspect et que ceux qui sont malades sont probablement des menteurs.
Si l’on écrit la loi en partant de tels préjugés, on n’est pas fidèle aux principes de la République. On fabrique une loi en vertu de laquelle un certain nombre d’hommes et de femmes, surtout s’ils sont étrangers, sont avant tout des suspects.
Mes chers collègues, je vous demande de ne pas avancer sur ce chemin, d’autant que, comme vient de le rappeler Richard Yung, le Sénat a déjà refusé à plusieurs reprises, à une large majorité, d’adopter cet article 17 ter. Continuons ! C’est une certaine idée de la France qui est en cause, la France dont parlait Malraux en évoquant Jeanne d’Arc, la France miséricordieuse, secourable, qui considère que, lorsqu’un être humain est malade, il a le droit d’être secouru.
Vous pouvez afficher une espèce de réalisme un peu blasé, mais « tous ces gens-là » sont des êtres humains.
Nous considérons que cette question est très importante, monsieur le ministre, car elle a à voir avec l’humanisme. Ces êtres humains seraient menacés de mort si nous ne les accueillions pas dans des hôpitaux. La France s’honore donc à leur porter secours.
La loi qui est en vigueur actuellement fonctionne bien. Aucune difficulté ne se pose aujourd’hui. Avez-vous connaissance de tricherie dans vos départements, mes chers collègues ? Qui peut avancer cet argument ? Si personne ne le peut, pourquoi changer ce qui existe ?
C’est donc une idée de la France miséricordieuse et secourable à l’égard d’autrui que je défends. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Ce sont les mots d’André Malraux, de Charles Péguy, c’est vrai, mais j’ai bien le droit de les utiliser et de citer ces personnages dans une assemblée parlementaire de la République française !
Dans ce débat, nous touchons aux valeurs dont se réclame la République française depuis toujours. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Tout comme mes collègues qui viennent d’intervenir, je soutiens que l’heure est grave.
L’article 17 ter avait fort heureusement été supprimé en première lecture au Sénat. Réintégré à l’Assemblée nationale, il a de nouveau été éliminé par notre commission. Il prévoit une modification du titre de séjour « étranger malade », jusqu’à présent accordé à ceux qui ne peuvent effectivement bénéficier des soins nécessaires au traitement de maladies graves dans leur pays d’origine, pour restreindre ce droit aux seuls étrangers dont les soins seraient « indisponibles » sur leur territoire.
Cette notion était floue, mais surtout suffisamment floue pour permettre une interprétation des plus restrictives et augmenter ainsi les statistiques d’expulsion du Gouvernement, quitte à risquer la vie d’un homme. Elle renvoyait à la notion de présence d’un traitement sur le marché du médicament qui est totalement dissocié de la disponibilité effective de ce médicament.
Or voilà que cette mesure est réintroduite par l'amendement n° 219, certes sous une forme nouvelle, mais qui, sous des airs de compromis, ne cache que trop mal la gravité de ce qu’il propose. Il s’agit de la pire version de cet article !
Ainsi les étrangers malades ne se verraient plus délivrer une carte de séjour que dans le cas d’« absence » d’un traitement approprié dans le pays dont ils sont originaires. Le fait qu’ils ne puissent effectivement y être soignés ne sera pas pris en compte, ce qui revient à condamner à mort certains étrangers qui, renvoyés dans leur pays, n’y seront jamais soignés, car le fait que le traitement existe ne signifie malheureusement pas forcément la prise en charge du malade.
Par ailleurs, l’introduction de circonstances humanitaires dérogatoires pourrait être une bonne chose, mais pas si elles sont appréciées par le préfet, comme le prévoit l’amendement. L’autorité administrative ne peut en aucun cas se substituer à l’autorité médicale, aujourd’hui compétente et seule à même d’apprécier des critères médicaux.
De plus, cette nouvelle rédaction lève le secret médical. Or, comme l’a rappelé la circulaire du 5 mai 2000, l’intervention de l’autorité médicale instituée par le législateur en 1997-1998 « vise à préserver le secret médical, tout en s’assurant que le demandeur remplit les conditions fixées par la loi ».
Le nouveau dispositif complexe proposé par la commission des lois obligera les étrangers gravement malades à lever le secret médical pour soumettre leur situation médicale, sans garantie, sous couvert de « circonstance humanitaire exceptionnelle », à la libre appréciation du préfet.
Enfin, il supprime de fait toute possibilité de contrôle effectif du juge sur la question de l’accès et de la disponibilité des soins dans le pays de renvoi, alors même que le juge administratif, lorsqu’il est saisi par un étranger atteint d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité, peut annuler une mesure d’éloignement.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cet amendement, qui dégrade les conditions d’accès aux soins des plus précaires tout en augmentant les risques d’exposition et de contamination de la population, ce qui pourrait même, au final, augmenter les coûts de fonctionnement des hôpitaux.
Ce nouvel article aura pour conséquence de rejeter dans l’illégalité de nombreux patients, avec un report financier de leur traitement sur l’aide médicale d’État. Il est tout simplement dangereux, aussi bien en termes de droits accordés aux étrangers que de sécurité sanitaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.- Mme Gisèle Printz applaudit également.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 219, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La première phrase du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifiée :
1° Les mots : « qu'il ne puisse effectivement bénéficier » sont remplacés par les mots : « de l'absence » ;
2° Après le mot : « originaire » sont insérés les mots : «, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous discutons à nouveau, en deuxième lecture, du titre de séjour accordé à un étranger malade. Pour défendre cet amendement, je voudrais formuler plusieurs observations liminaires, notamment rappeler des éléments du contexte.
Jusqu’en avril 2010, la jurisprudence du Conseil d’État imposait seulement à l’administration de vérifier l’existence dans le pays d’origine de structures médicales susceptibles de permettre à l’étranger de recevoir un traitement approprié, sans tenir compte de sa capacité à y accéder effectivement.
Dans deux arrêts rendus le 7 avril 2010, le Conseil d’État a fait évoluer cette jurisprudence. Il a considéré qu’il appartenait au préfet, non seulement de vérifier qu’un refus de séjour ou un éloignement forcé n’induirait pas de conséquences d’une exceptionnelle gravité sur l’état de santé de l’intéressé, mais également de s’assurer que l’étranger serait effectivement en mesure d’accéder aux soins requis dans son pays.
L’article 17 ter du projet de loi avait donc pour objet de revenir à la situation du droit antérieure aux deux arrêts rendus par le Conseil d’État. En effet, les magistrats administratifs et les juges en particulier s’interrogeaient sur leur capacité à apprécier concrètement les conditions de l’accès effectif aux soins dans un pays donné pour pouvoir fonder la décision de renvoi d’un étranger malade dans son pays d’origine.
Cet article a été supprimé en première lecture par le Sénat, d’abord en commission des lois, puis en séance publique. Réintroduit en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, il a été de nouveau rejeté par la commission des lois du Sénat.
L’amendement que je soutiens vise à atteindre un double objectif.
Il a pour objet, d’une part, de rappeler le principe qui était en vigueur avant 2010, principe dont on peut aisément comprendre le sens et l’intérêt pour nous, mais dont l’application suscite des inquiétudes. Bien évidemment, nous sommes tous d’accord pour considérer, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, qu’il n’est pas normal de renvoyer un étranger gravement malade dans son pays d’origine s’il ne peut y être soigné.
Dans le cadre de la discussion parlementaire, nous nous sommes donc efforcés de trouver une rédaction qui garantisse à la fois le principe en vigueur jusqu’en 2010 et la santé des étrangers gravement malades. Dans la pratique, le ministère de la santé édicte régulièrement des circulaires précisant les circonstances dans lesquelles un titre de séjour est accordé à un étranger atteint d’une grave maladie ; sont particulièrement concernées les personnes atteintes du sida.
L’amendement a d’autre part pour objet de permettre, dans certains cas, la prise en compte de circonstances particulières tenant à la situation du demandeur : il serait explicitement prévu que l'autorité administrative puisse prendre en compte des considérations humanitaires exceptionnelles pour l'attribution du titre, après avoir recueilli l'avis du directeur général de l'agence régionale de santé.
Une telle rédaction introduit dans la loi l’intention claire du législateur de se prémunir contre toute déviance possible en matière de refus de titre de séjour à un étranger gravement malade.
J’ajoute que le dispositif proposé ne trahit nullement le secret médical, puisque la décision finale revient au médecin.
Par cet amendement, il est simplement question de remplir ce double objectif et de le traduire clairement dans la loi, afin d’éviter toute ambiguïté. Tel était mon souci, en tant que rapporteur et en tant parlementaire. Comme tout le monde, je le dis clairement, je suis convaincu qu’il est hors de question pour la France de renvoyer un étranger gravement malade dans son pays si l’on sait qu’il ne pourra pas s’y soigner.
Telles sont les raisons pour lesquelles j’ai déposé cet amendement, au nom de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. L'amendement n° 180, présenté par M. P. Dominati, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À la première phrase du 11° de l'article L. 313-11 du même code, les mots : « qu'il ne puisse effectivement bénéficier » sont remplacés par les mots : « de l'indisponibilité ».
La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Quel changement entre la première et la deuxième lecture ! À l’orée de cette deuxième lecture, j’avais déposé un amendement reposant sur les fondamentaux de la première lecture. Mais la situation a changé.
Mes chers collègues, il n’y a pas, d’un côté, ceux qui seraient proches des situations humaines délicates et, de l’autre, ceux qui voudraient rejeter les cas difficiles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Quelle est la situation ? En fait, une pratique qui fonctionnait depuis de nombreuses années et qui permettait à 5 500 étrangers de bénéficier d’un statut particulier a été perturbée par une jurisprudence. Depuis sont survenus des dysfonctionnements qui pouvaient donner lieu à des interprétations différentes. Nous sommes dans notre rôle de législateurs en voulant corriger ou orienter cette jurisprudence, en tout cas en fixant la loi.
Nombre de nos collègues considèrent que les étrangers atteints de pathologies lourdes nécessitent une attention particulière. Pour autant, lorsqu’on nous explique, par exemple, qu’il faut accorder un statut particulier à une personne originaire du Maroc souffrant de symptômes anxio-dépressifs, parce que les conditions économiques y sont moins favorables qu’en France, nous constatons un dévoiement de la jurisprudence.
Ce point a fait l’objet de discussions, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. J’avais déposé un amendement en première lecture, mais je n’ai pas été suivi par la commission des lois ni par certains collègues de la majorité, qui ont autant de cœur que vous, comme j’ai, je pense, autant de cœur que vous. En deuxième lecture, le pragmatisme de la commission comme celui du Gouvernement – M. le ministre nous a expliqué lors de la discussion générale que le Gouvernement était animé d’un souci d’efficacité – ont permis d’aboutir à un amendement déposé par le rapporteur en séance publique qui me convient. Il me paraît mesuré, « bien dosé » : il permet de faire un sort particulier aux pathologies lourdes en autorisant le maintien sur notre territoire, mais en même temps il revient à la législation rigoureuse qui était appliquée depuis plusieurs années dans notre pays.
C'est la raison pour laquelle je retire mon amendement au profit de celui de la commission.
M. le président. L’amendement n° 180 est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 219 ?
M. Claude Guéant, ministre. Comme l’ont souligné plusieurs orateurs, il s’agit d’un débat important, qui porte sur des principes auxquels nous adhérons tous, me semble-t-il, dans cet hémicycle.
Ce que souhaite le Gouvernement, c’est la poursuite du dispositif né en 1998 et qui a été appliqué jusqu’en avril 2010. Plusieurs orateurs ont souligné à quel point celui-ci était satisfaisant. La France peut effectivement s’honorer du dispositif qui a été mis en place. J’en donnerai pour preuve le fait qu’il s’applique à des personnes qui ne sont pas en séjour régulier ; j’ajoute que 6 000 personnes environ en bénéficient chaque année.
S’agissant de la lourde pathologie du sida, qui nous inquiète tous, je rappellerai qu’une instruction du ministère de la santé datant de l’été dernier et adressée aux ARS précisait expressément que « dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ». Dès lors, le ministère de la santé invitait les ARS à autoriser le séjour de ces personnes pour raisons de santé.
Comme M. le rapporteur l’a indiqué, c’est à la suite de l’arrêt Jabnoun du Conseil d’État d’avril 2010 que le Gouvernement a souhaité modifier le texte. Le Conseil a estimé – c’est un fait nouveau – que, lorsque le malade ne peut avoir accès à un traitement dans son pays d’origine pour des raisons socio-économiques, il convient que l’assurance maladie française le prenne en charge. Nous trouvons que c’est excessif.
Telle est la raison pour laquelle nous préconisons d’en revenir purement et simplement à la loi telle qu’elle a été appliquée de 1998 à 2010, loi qui a fait l’objet, si j’ai bien compris, d’une appréciation unanimement positive.
M. le rapporteur a déposé un amendement visant à améliorer encore ce dispositif. Il tend, ce que ne permettait pas la loi de 1998, à accorder des autorisations de séjour supplémentaires pour des raisons humanitaires.
Le Gouvernement trouve que cet amendement qui, de surcroît, a d’autres vertus rédactionnelles de clarification, est bienvenu et il s’y rallie.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Permettez-moi de m’indigner contre l’acharnement tout à fait affligeant qui est mis à porter atteinte au droit des étrangers gravement malades.
Je m’attarderai peu sur l’amendement de M. Dominati, puisqu’il vient d’être retiré. Je dirai simplement qu’il eût été catastrophique qu’il soit adopté et qu’il constituait un véritable recul par rapport aux travaux qui ont été réalisés dans notre assemblée.
Je rappelle que le concept d’« indisponibilité » des traitements a été clairement rejeté en séance publique au Sénat en première lecture, ainsi que récemment par la commission des lois.
Comme M. Buffet le rappelle dans l’objet de son amendement dit « de compromis », si la commission des lois a supprimé cette disposition, c’est parce qu’elle n’était ni suffisamment claire ni suffisamment protectrice des droits des étrangers malades. Il est donc nécessaire que le Sénat campe sur ses positions progressistes et rejette une fois de plus cette atteinte flagrante aux droits des étrangers gravement malades.
L’amendement n° 219, bien qu’il nous soit présenté comme un dispositif destiné à « clarifier la rédaction » actuelle du 11° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et à « supprimer toute ambiguïté » vient en fait sceller le sort des étrangers gravement malades vivant sur notre territoire.
Cet amendement a d’ailleurs suscité de vives critiques et de nombreuses inquiétudes de la part de plusieurs associations et collectifs de défense des droits des malades – Act up, Aides, le Comité médical pour les exilés, le COMEDE, l’Observatoire du droit à la santé des étrangers, l’ODSE, entre autres. Toutes désapprouvent la rédaction de cet amendement !
Quant à la notion d’ « absence de traitement », elle est pire que tout ! En effet, un pays peut posséder un traitement contre une maladie grave, tel le sida, sans que ce traitement soit pour autant présent en quantité suffisante. Il peut également n’être disponible qu’à un prix prohibitif ou être réservé à une certaine classe de la population. Le traitement peut donc ne pas être absent, mais rester cependant effectivement inaccessible à une grande majorité de malades.
Quant au 2° de cet amendement, il induit que le préfet sera juge en dernier lieu des critères médicaux à la place de l’autorité médicale aujourd’hui compétente. En effet, le préfet se verra confier in fine le soin de juger s’il s’agit d’une « circonstance humanitaire exceptionnelle », sans intervention d’un médecin, pourtant seul compétent pour apprécier les critères médicaux, et sans recours juridictionnel effectif.
Lorsqu’un étranger gravement malade apprendra que le directeur général de l’agence régionale de santé a transmis un avis négatif au préfet et que c’est ce dernier qui statuera en dernier lieu sur sa situation et jugera si son cas relève ou non d’une circonstance humanitaire exceptionnelle, nul doute qu’il sera tenté de lui révéler sa pathologie. S’il était adopté, cet amendement entraînerait donc une levée quasi systématique du secret médical.
Je ne comprends pas pourquoi ce texte nous est présenté comme un compromis entre la version actuelle du CESEDA et celle qui a été rejetée par le Sénat. D’une part, nous ne sommes pas en commission mixte paritaire, mais en séance publique, où nous examinons le texte en deuxième lecture. D’autre part, il est clair qu’il s’agit de durcir de façon drastique les conditions de séjour en France des étrangers malades et, de fait, de les expulser vers la mort dans leur pays d’origine, où ils ne pourront jamais être soignés.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous opposons à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. J’ai attentivement écouté M. le rapporteur et M. le ministre. Il faudrait donc partir du postulat que tout le monde a les mêmes soucis pour les malades étrangers et que personne n’a le monopole du cœur sur ce sujet.
J’avoue que je ne comprends pas pourquoi vous voulez modifier le texte existant, qui est à l’honneur de la France et qui fonctionne bien.
M. Dominati nous a expliqué que son amendement était un dispositif « anti-dépressifs marocains », avant de changer de cible et de se concentrer sur le vrai débat. Sa proposition excessive n’est donc plus en discussion.
Nous sommes tous d’accord sur le fait que le système tel qu’il existait était humain, correct et fonctionnait bien. Alors pourquoi le changer ? Si le Gouvernement souhaite le modifier aujourd'hui, c’est en raison de la jurisprudence du Conseil d’État. En effet, selon M. Guéant – et M. Dominati –, le problème est que cette jurisprudence risque d’entraîner des abus parce que les remboursements de la sécurité sociale seraient plus avantageux en France qu’à l’étranger.
Pourtant, l’amendement de compromis n’est pas rédigé dans ce sens. C’est compliqué à faire ! Vous proposez de remplacer les mots : « non-accès effectif » par les mots : « absence de traitement ». Or cela ne permettra en aucun cas de résoudre l’unique problème que vous évoquez, monsieur le ministre, car l’absence de traitement ne règle pas le problème du remboursement, bon ou mauvais, par la sécurité sociale du pays étranger.
Les problèmes sont beaucoup plus concrets ; ils ont été décrits ici. Un malade atteint du sida, ou d’une autre maladie – vous avez indiqué, monsieur le ministre, que pour cette maladie, vous étiez particulièrement attentif et généreux, mais il y a d’autres maladies très graves et très lourdes –, peut ne pas avoir accès à un traitement dans son pays pour des raisons financières, mais également parce qu’il est éloigné de l’endroit où celui-ci est délivré. On sait que de tels problèmes existent dans de nombreux pays. La qualité de l’hospitalisation est également un problème, le risque étant grand parfois que l’état du patient ne soit plus grave en sortant de l’hôpital qu’en y entrant.
Ces critères ne peuvent être appréciés que par un médecin, par des autorités sanitaires, non par un préfet ! Or vous nous dites aujourd'hui que ce préfet pourra renvoyer un étranger malade dans son pays d’origine uniquement après avoir vérifié que le traitement requis y existe. C’est incroyable !
Combien de milliers de personnes seront-elles concernées ?
Vous ne voyez pas qu’à vouloir sans arrêt empêcher les abus, vous provoquez des dégâts chez ceux qui n’en commettent pas ! Peut-être pensez-vous qu’il y a plus d’abus que de bénéficiaires légitimes du dispositif ? Vous êtes complètement dans une autre logique. Pourquoi légifère-t-on alors que 99,9 % de ces bénéficiaires, compte tenu des procédures que j’ai décrites tout à l’heure, n’en abusent pas ? Ils ne sont de toute façon pas en état de chercher à le faire, tout simplement parce qu’ils sont dans la détresse absolue et qu’ils souffrent de pathologies lourdes.
Peut-être, monsieur Dominati, un dépressif marocain a-t-il commis un abus un jour, mais légiférer pour empêcher que cela ne se reproduise pas, c’est probablement priver des centaines d’étrangers malades de la possibilité de se soigner. C’est incroyable que vous n’entendiez pas cet argument tout simplement humain ! En outre, cet article ne jouera en rien sur la régulation des flux migratoires.
Le Sénat a jusqu’à présent toujours été sensible à ces arguments, il a toujours considéré qu’il ne s’agissait pas, sur ce point précis, d’un affrontement idéologique. On vous demande donc, monsieur le rapporteur, de marquer votre différence avec la façon dont l’Assemblée nationale et le Gouvernement ont apprécié les choses.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.