M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mes questions sont assez liées à celles qui ont été présentées par Gérard César et, en matière institutionnelle, par Jean Arthuis.
Je concentrerai mon propos sur la crise de l’euro.
Ce sont bien les États membres de la zone euro qui sont spécifiquement visés par les attaques des marchés à l’encontre des titres de dette souveraine. En effet, des États n’appartenant pas à la zone euro peuvent présenter des caractéristiques, en termes de finances publiques, proches de celles des États périphériques de la zone euro, voire plus mauvaises encore, sans pour autant faire l’objet, tant s’en faut, des mêmes attaques.
Il est donc clair que la zone euro doit se défendre. Elle s’est défendue en créant, l’an dernier, le Fonds européen de stabilité financière, et le Parlement, dans la loi de finances rectificative de juin 2010, a autorisé une garantie de l’État aux émissions dudit fonds pour un total de 111 milliards d’euros, cela jusqu’en 2013.
Ce dispositif est provisoire. Il est quantitativement insuffisant pour faire face aux difficultés actuelles, voire aux difficultés prévisibles, des États dits périphériques, d’où les orientations dont M. le ministre nous a fait part et qui devraient être confirmées lors du prochain Conseil européen.
Monsieur le ministre, j’ai plusieurs questions à vous poser sur ce nouveau mécanisme européen de stabilité, ne partageant pas totalement, pour l’heure, l’optimisme que vous avez manifesté.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est le principe de précaution !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. En premier lieu, le mécanisme européen de stabilité suppose-t-il de modifier le traité régissant le fonctionnement de l’Union européenne, et si oui sur quels points ?
En deuxième lieu, dès lors qu’il faudrait procéder à une telle révision, la procédure simplifiée à laquelle il est prévu de recourir nécessite sans doute quelques commentaires. Nous serions heureux de vous entendre sur ce thème.
En troisième lieu, je voudrais m’assurer que les intérêts budgétaires et patrimoniaux de la France sont bien protégés par ce dispositif. En d’autres termes, dans quelle mesure les emprunts contractés par le biais du mécanisme européen de stabilité seront-ils repris dans la dette de chaque État ? À la vérité, c’est une dette que les États de la zone euro vont contracter pour compte commun et pour assurer la solidarité financière dans la zone ; il pourrait sembler logique – je serais heureux de savoir si Eurostat a été consulté sur ce point – que la dette publique de chaque État tienne compte des efforts ainsi réalisés.
Si tel doit être le cas, cela conduit à s’interroger sur la dégradation de nos finances publiques qui résultera paradoxalement de la mise en place du nouveau mécanisme.
Pour ce qui concerne le Fonds européen de stabilité financière, c’est-à-dire le dispositif transitoire, je rappelle que la solution retenue consistait, pour les États, à apporter une garantie aux émissions du Fonds.
Cependant, en écoutant Mme Lagarde, j’ai cru comprendre que, s’agissant du dispositif pérenne, à savoir le mécanisme européen de stabilité, l’orientation retenue consiste à placer au premier plan les engagements en capital, par tranches appelées et par tranches susceptibles d’être appelées.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce sujet et nous indiquer si les engagements en capital seront intégrés au projet de loi de finances rectificative que le Gouvernement prépare opportunément pour le mois de juin prochain ? S’agissant de la part appelée de ces engagements en capital, en résultera-t-il, pour l’année 2011, une dégradation du solde de nos finances publiques ?
Je conclurai mon propos en évoquant, à la suite de Jean Arthuis et de Gérard César, la question des conditionnalités.
De quelles conditionnalités est assortie la mise en jeu du mécanisme de solidarité européen, provisoire ou définitif, en vue d’assurer la continuité financière pour un État de la zone euro ? Par exemple, n’est-il pas indispensable de s’assurer que cet État manifeste un comportement coopératif en matière fiscale ? À cet égard, beaucoup d’entre nous ont été choqués par ce qui s’est passé dans le cas de l’Irlande : en effet, ce pays a bénéficié de la solidarité communautaire, mais s’est jusqu’à présent catégoriquement refusé à adopter une démarche de convergence fiscale, et même à envisager une amorce de politique fiscale coopérative.
Si l’Irlande maintient cette attitude, la France confirmera-t-elle son opposition, exprimée la semaine dernière, à ce que lui soit accordée, comme à la Grèce, une réduction de taux d’intérêt ? Par ailleurs, comment aller plus loin, en s’assurant que la zone euro soit bien dotée d’une gouvernance et tende vers une convergence aussi bien économique que fiscale ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre. Je répondrai tout d’abord à M. Arthuis sur le rôle des institutions.
S’agissant de la construction européenne, il est clair que le traité de Lisbonne permet de dépasser l’affrontement entre approche intergouvernementale et démarche fédéraliste, en distinguant les domaines relevant préférentiellement de l’une ou de l’autre. Il n’y a pas d’opposition entre ces deux perspectives : comme j’ai souvent eu l’occasion de le dire à des parlementaires européens, adopter une méthode intergouvernementale ne revient pas à tourner le dos à l’intérêt général communautaire.
En l’occurrence, monsieur le président de la commission des finances, le choix a en effet été d’obtenir des avancées par le biais d’une démarche intergouvernementale. Il aurait été impossible d’aboutir au même résultat en se fondant sur une approche purement communautaire. Les États membres ont fait leur devoir et ont œuvré dans le sens de l’intérêt général communautaire : nul ne saurait s’en plaindre.
Quant à la Banque centrale européenne, elle a joué son rôle pendant la crise, de façon assez large et pragmatique, notamment en intervenant sur la dette souveraine. Son action a été utile, mais on ne peut lui demander d’aller au-delà, car elle doit garder son impartialité à l’égard des différents États membres ; c’est ce que l’on attend d’elle.
En ce qui concerne les procédures en cas de déficits excessifs, une période transitoire de trois ans a été accordée, pour une unique raison : tous les États membres ayant été secoués par la crise, il s’agit de leur permettre de purger leurs comptes et de solder les erreurs du passé avant d’intégrer le cadre qui a été défini. En d’autres termes, on donne aux États la possibilité de tourner la page d’une crise historique, pour ensuite pouvoir partir sur des bases saines.
Les sanctions seront-elles opérationnelles ? Comme vous l’avez souligné, monsieur le président de la commission des finances, le dilemme est le suivant : d’un côté, le bâton doit être suffisamment dur pour sanctionner efficacement certains comportements ; de l’autre, il ne doit pas l’être trop dans la mesure où il s’abat sur un pays en difficulté. En fait, il faut que la menace de la sanction soit dissuasive. De ce point de vue, les contraintes et les ajustements auxquels ont été soumis la Grèce, le Portugal ou l’Irlande ont tout de même marqué les esprits.
Pour le reste, le mécanisme de sanction permettra de distinguer le cas des États touchés de façon passagère par des crises macroéconomiques qui les dépassent. Par exemple, si le déficit budgétaire de la Finlande s’est élevé au-delà de la limite de 3 % du PIB, c’est seulement parce que l’économie de ce pays dépend étroitement de celle de la Russie, laquelle a subi en 2009-2010 un choc majeur. Pour autant, il n’y a eu ni dérive ni laxisme de la part du gouvernement finlandais.
La situation sera tout autre quand un gouvernement aura été jugé responsable d’un déficit budgétaire excessif. Dans un tel cas, la Commission européenne disposera de vingt jours pour proposer des sanctions, et le Conseil de dix jours pour s’y opposer. Une telle procédure ne pose aucun problème au regard du droit des traités.
M. César a évoqué les déséquilibres macroéconomiques. Ce sujet est encore en discussion, mais il paraît évident que l’endettement privé doit être pris en compte, notamment dans le cas de l’Irlande.
Plus globalement, le paquet législatif – ce que l’on appelle les six mesures de M. Van Rompuy – manifeste la volonté de resserrer les mailles du filet, car on ne peut juger de la santé ou de la stabilité d’une économie sur le seul fondement de l’examen du ratio dette/PIB et du niveau du déficit : une économie ne se réduit pas à cela. Au regard de ces seuls critères, l’économie irlandaise apparaissait très solide, mais elle reposait sur une construction macroéconomique très fragile, notamment en raison de la surexposition du secteur bancaire.
Il sera désormais possible de révéler les déséquilibres macroéconomiques, d’identifier les économies fragiles parce que reposant sur un modèle macroéconomique non soutenable sur la durée.
En ce qui concerne la question du coût unitaire du travail, l’objectif est précisément de dénoncer les politiques nationales non coopératives. Cela étant, soyons lucides : nous ne pouvons, pour notre part, laisser dériver durablement, à coups de promesses illusoires, notre productivité et nos coûts salariaux. De ce point de vue, l’Allemagne a tout de même indiqué la voie de la responsabilité politique et montré que si l’on consent des efforts, on finit par en récolter les fruits.
Pour autant, la France a désormais engagé un réel effort d’assainissement de ses pratiques, notamment en renonçant à donner des « coups de pouce » au SMIC, ce qui avait des effets catastrophiques sur l’emploi des personnes les plus faiblement qualifiées. L’objectif est d’adopter une approche globale afin d’écarter les politiques nationales non coopératives.
La question de la coordination des politiques fiscales et sociales se rattache à cette problématique. L’objectif de M. Van Rompuy est que les États membres prennent chaque année un engagement chiffré sur ce point, qui donnera ensuite lieu à une évaluation. Nous aurons ainsi une vision d’ensemble de la situation de chaque État membre et pourrons mesurer si l’on se dirige ou non vers une convergence.
Monsieur le rapporteur général, une modification du traité de Lisbonne est en effet nécessaire, mais tous les États se sont accordés sur le fait qu’elle devra être limitée et intervenir par la voie de la procédure simplifiée. Certains étaient tentés d’en profiter pour ouvrir la boîte de Pandore et débattre, par exemple, de la prise en compte des retraites dans les déficits et des réformes de transition qui peuvent être menées dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie, mais il n’en sera rien. Le Parlement européen se prononcera sur cette question le 23 mars prochain.
S’agissant de la préservation des intérêts patrimoniaux de la France, j’attends de disposer de tous les éléments nécessaires avant de vous apporter une réponse. Il en va de même pour la question des engagements en capital par tranches appelées et susceptibles d’être appelées, qui a constitué un point très important de la négociation d’hier. Excusez-moi, monsieur le rapporteur général, de ne pouvoir vous répondre précisément sur ces points dans l’immédiat.
En ce qui concerne les conditionnalités, il est hors de question d’accepter qu’un État puisse bénéficier de la solidarité de ses partenaires sans apporter de contrepartie. J’évoquerai à cet égard deux cas actuels.
La Grèce, qui s’est vu demander de mettre en œuvre un programme d’ajustement difficile, a rempli ses engagements, notamment en consentant des efforts en matière de rémunération des fonctionnaires ou de régimes de retraite. Il est normal que nous adressions en retour aux Grecs un signal positif, en l’occurrence un abaissement de 100 points de base du taux d’intérêt et des facilités de financement pour permettre à ce pays de sortir le plus rapidement possible la tête de l’eau. Les représentants de la Grèce se sont montrés très satisfaits, hier, de ces mesures.
À l’inverse, nous attendons un geste de l’Irlande. Ainsi, nous avons clairement signifié qu’une convergence des bases de l’impôt sur les sociétés devrait intervenir. Dans le cadre de l’agenda fiscal sera examinée la fameuse question du Double Irish Arrangement, dispositif fiscal qui permet à des sociétés multinationales de soustraire à l’impôt, en les faisant remonter vers des structures irlandaises, une large partie des bénéfices qu’elles réalisent ailleurs dans l’Union européenne. C’est grâce à ce dispositif que Google bénéficie d’un taux moyen d’imposition de 2,6 % ! Il est hors de question que nous laissions subsister ce genre de pratiques, et nous allons porter le fer sur ce point. Du reste, la position de la France et de l’Allemagne a été on ne peut plus claire : aucune facilité ne sera accordée au Gouvernement irlandais si celui-ci ne modifie pas sa position à ce sujet.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le ministre, je reviendrai sur deux points : le semestre européen, d’abord ; l'investissement dans la démocratie au sud de la Méditerranée, ensuite.
Sur le semestre européen, j’ai assisté la semaine dernière, au nom de la commission des finances, de son président et de son rapporteur général, à une réunion très intéressante organisée par la commission économique du Parlement européen rassemblant les représentants des commissions des finances des parlements nationaux de l’Union.
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure avoir mesuré un changement d’échelle au niveau des travaux du Conseil et, sans doute aussi à mon avis, de ceux de la Commission. Ce changement d’échelle, j’ai senti une très grande volonté de le vivre de la part des législateurs que sont les membres du Parlement européen et des parlements nationaux.
C’était la première fois que je voyais le Parlement européen et les parlements nationaux arriver à dépasser les vieilles rivalités et les vieilles querelles quelque peu secondaires pour essayer d’avancer ensemble sur l’essentiel, en s’efforçant de faire la part des choses. Il y a, d’un côté, le Parlement européen, qui a un rôle fédérateur, voire franchement fédéral lorsqu’il s’agit de l’euro, afin de rapprocher les uns et les autres et de définir les principes d’une coordination des politiques fiscales et budgétaires. Il y a, de l’autre, les parlements nationaux, qui, au niveau interétatique, cherchent à travailler de concert pour parvenir à une telle coordination.
À cet égard, la réunion a permis de rappeler ce que le Parlement européen sait pertinemment : les budgets nationaux sont votés par les parlements nationaux. Si les dettes souveraines s’appellent ainsi, ce n’est pas un hasard : la souveraineté n’appartient pas à l’Union ; les États restent souverains. Lorsqu’il s’est agi de garantir ces dettes, ce sont les parlements nationaux qui ont tranché par un vote.
Tout cela méritait d’être rappelé, cela a été fait. Voilà qui nous permet de partir dans une démarche très constructive et extrêmement claire avec nos différents collègues.
Je me tourne vers le président de la commission des affaires européennes pour souhaiter que la COSAC de Budapest insiste lourdement sur ces sujets. Mieux vaut parler de cela que de la liberté d’expression en Hongrie, point certes important mais qui pourra être traité plus rapidement. Nous avons là de vrais sujets, sur lesquels nous allons pouvoir progresser.
Ce type de réunion à laquelle j’ai assisté a permis de souligner une très grande convergence de vue sur le fond, par-delà les différences qui peuvent exister entre les pays de la zone euro et les autres. Les interventions des Suédois notamment, qui balancent en quelque sorte entre ces deux catégories, ont été très intéressantes. Même si leurs situations économiques, budgétaires et financières ne sont pas les mêmes, tous les pays, ainsi que l'ensemble des groupes politiques ont des opinions convergentes. Je ressens aujourd'hui une capacité à aller de l’avant, et l’on aurait tort de ne pas en profiter.
Cela dit, me tournant maintenant vers le président de la commission des finances, je soulignerai la nécessité de structurer le travail réalisé au niveau européen et à l’échelon national tout au long de ce semestre européen.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est ce que nous allons faire.
M. Denis Badré. Certains parlements nationaux sont décidés à émettre un vote sur ce qui sera transmis à Bruxelles au début du semestre, d’autres non. Il faudra que les différents États s’accordent pour avoir les mêmes procédures et, surtout, pour caler leurs calendriers respectifs et pouvoir ainsi dialoguer. Sinon la réunion que nous avons eue la semaine dernière n’aura été qu’une initiative isolée. Travailler ensemble et en continu est une condition si l’on veut déboucher de manière concrète.
J’en viens au second point, monsieur le ministre : la démocratie et les droits de l’homme au sud de la Méditerranée.
J’ai remis au Premier ministre le rapport qu’il m’avait demandé sur le Conseil de l'Europe, qui vient à point nommé. Lors d’une réunion, qui s’est également déroulée la semaine dernière, de la commission des questions politiques de l’Assemblée du Conseil de l'Europe à Paris, à laquelle était convié le collectif des dirigeants tunisiens actuels, nous avons pu mesurer le rejet a priori de tous les pays du nord de la Méditerranée par nos interlocuteurs du sud, et notamment de la France, il ne faut pas se le cacher, ce qui doit nous inciter à une grande humilité. Ce rejet se manifeste sur le thème bien connu : « Vous ne nous avez pas beaucoup aidés quand nous avions besoin de vous. Votre passé ne plaide pas toujours en votre faveur. »
Il faut à mon sens passer outre. Ces pays font face à de grands défis et ils ont besoin de nous : à nous de leur apporter notre appui, mais sans l’imposer, pour leur permettre d’avancer en leur rappelant que nous sommes à leurs côtés.
Il ne faut pas en rester à l’idée que c’est par habitude ou intérêt que nous les soutenons mais en revenir aux raisons de fond : c’est parce que nous sommes, les uns et les autres, attachés à la démocratie et aux droits de l’homme que nous agissons en ce sens.
Dès lors, je ne vois que des avantages à passer par le Conseil de l'Europe. Tout d’abord, cela permet de « mouiller » la Russie et la Turquie dans l’affaire, ce qui n’est pas inutile par les temps qui courent. Ensuite, cela nous donne la possibilité d’exprimer nos attentes et nos propositions au travers d’un organisme qui, n’étant pas suspect de jouer pour tel ou tel intérêt particulier, a su apporter des instruments concrets et pratiques : je pense à la formule du « partenaire pour la démocratie » ou à la convention de Venise dans le cadre de l’élaboration des Constitutions.
Le moment me semble vraiment venu de s’appuyer sur le Conseil de l'Europe plutôt que de partir tout seuls comme des grands en tête de peloton, au risque de nous retrouver en porte-à-faux, isolés, voire pris à revers et renvoyés « dans nos vingt-deux mètres », sinon plus loin.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à saluer votre volontarisme et à vous remercier de votre engagement dans la préparation de ce Conseil, et ce dans un contexte international particulièrement chahuté.
Je consacrerai mon propos à deux sujets. Le premier concerne la convergence fiscale.
Qu’il me soit permis aujourd'hui de proposer une relecture de l’échec de la mise à jour de la directive sur la fiscalité de l’énergie, engagée au mois de juin dernier, dans le prolongement du débat français sur la taxe carbone.
Voilà une illustration de la difficulté, dans un système qui a plutôt divergé au cours des dernières années, pour devenir dans certains cas un avantage compétitif, d’instaurer de nouveau de la cohérence là où – c’est l’un des paradoxes – la liberté de circulation tant des personnes que des marchandises a contribué à créer un véritable avantage compétitif intra-européen. Nous le constatons tous, vous l’avez vous-même rappelé, les différentiels fiscaux, en affaiblissant notre compétitivité, jouent à peu près systématiquement au détriment de la France.
La convergence fiscale est une belle ambition. Vous la portez avec énergie, volontarisme en proposant des outils pour ce faire, mais elle est loin d’être évidente. Si le prochain Conseil est l’occasion de marquer une étape et d’exprimer une volonté commune, alors ce sera une vraie avancée européenne dans un dispositif qui a plutôt tendance à être « anti-européen », à l’opposé de la nécessaire harmonisation communautaire.
À cet égard, je veux saluer votre volontarisme en faveur de la taxe sur les transactions financières. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas faire un rapprochement avec les événements extrêmement douloureux qui se passent au Japon ?
Je rappelle en effet qu’une telle taxe est censée alimenter la transition vers une économie plus respectueuse des ressources, en particulier des ressources énergétiques. S’il y a quarante-sept centrales au Japon, c’est bien que l’on est aujourd'hui dans un modèle extrêmement consommateur. Si l’on veut migrer vers une économie mondiale moins utilisatrice d’énergie, il faut se doter d’une ressource.
Cette taxe sur les transactions, au-delà de son caractère national, doit surtout constituer une ressource fiscale européenne et planétaire pour favoriser l’application des protocoles, notamment celui de Kyoto, et l’accompagnement des pays émergents et en voie de développement.
Monsieur le ministre, le second sujet que j’évoquerai est, vous me le pardonnerez, très localisé : je veux parler de Strasbourg ! (Sourires.)
Mme Fabienne Keller. Strasbourg, l’« autre » capitale…
Je tiens à saluer le travail réalisé par Denis Badré pour valoriser le Conseil de l'Europe,…
Mme Fabienne Keller. … cette magnifique institution qui a son siège et tient toutes ses réunions à Strasbourg. Les deux thèmes – la démocratie et les droits de l’homme – sur lesquels elle se concentre sont, aujourd'hui, au centre des débats mondiaux.
Le Parlement européen a également son siège à Strasbourg, comme prévu par les traités, même s’il a la fâcheuse habitude de se réunir en commission à Bruxelles. Connaissant votre détermination sur ce sujet également, je vous saurais gré de nous en dire un mot. Mais peut-être le dialogue continuera-t-il en aparté, à l’occasion du sommet consacré à ce thème.
L'Europe a une histoire, elle a plusieurs centres. La présence de l’institution qu’est le Parlement à Strasbourg est liée non pas au hasard, mais à une histoire. Sans m’étendre sur le sujet, je souhaite dire que la distance qui peut être mise entre lui et l’appareil monstrueusement technocratique et plutôt rejeté par nos concitoyens qui se trouve à Bruxelles est de nature à permettre que se développent, à Strasbourg, des débats plus sereins et plus centrés sur les missions essentielles de l'Europe, à savoir construire l’avenir, s’occuper de sa jeunesse, faire évoluer les projets européens dans le sens des attentes de sa population.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de votre engagement envers la capitale européenne, au moment où, comme vous le savez, celle-ci subit des attaques plus mesquines et détournées que jamais.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la refondation de la relation avec les pays du sud de la Méditerranée.
Chacun d’entre nous, ici, ne peut que partager la volonté de faire de la Méditerranée un espace économique attractif, une zone dédiée, notamment, au développement social et à la défense de l'environnement.
À la lumière de ce qui se passe sur la rive sud, plus que jamais – évidemment, personne ne me contredira sur ce point – nous devons accompagner ces peuples dans leur démarche vers la démocratie, pour leur permettre de vivre chez eux, d’y trouver la paix, la liberté et le travail.
Mais il y a selon nous un autre enjeu. Face à la constitution de pôles économiques, technologiques et démographiques à travers le monde, qui rassemblent parfois jusqu’à plus de un milliard d’êtres humains, que pèse l'Europe avec ses 450 millions d’habitants ?
Nous avons donc aussi intérêt à nous rapprocher des pays de la rive sud de la Méditerranée pour relever les défis non seulement de la mondialisation, mais aussi de la concurrence.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, force est de constater que l’Union pour la Méditerranée, l’UPM, n’a pas tenu toutes ses promesses. Les choses n’ont pas été prises par le bon bout. Nous ne parvenons pas à surmonter les blocages entre Israël et les pays voisins. Et nous avons à mon sens trop misé sur les deux piliers du sud de la Méditerranée qu’étaient les présidents Moubarak et Ben Ali.
Cela dit, l'Union européenne ne s’est pas suffisamment intéressée au sud de la Méditerranée jusqu’à aujourd'hui. L’UPM n’a d’ailleurs suscité que peu d’intérêt en Europe du Nord.
Je rappelle qu’il y a en tout et pour tout, sur l'ensemble des pays du sud de la Méditerranée, deux agences de développement : l’allemande et la française. Il nous faut donc, me semble-t-il, réorienter la politique de l'Union européenne en direction de tous ces pays, dans le cadre d’une démarche plus pragmatique. Je souscris aux propos du président Bizet tenus lors d’un débat que nous avions eu, ici même, au Sénat, voilà quelques jours. Il importe de développer des projets concrets et réalisables rapidement : c’est à cette condition que nous obtiendrons l’adhésion des populations, qui n’attendent que cela.
Il peut s’agir de coopération universitaire, de prévention des risques naturels ou technologiques, ou tout simplement de traitement de la pollution en Méditerranée. J’ai moi-même été chargé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques d’une mission sur l’état – catastrophique – de la Méditerranée face aux pollutions dont elle est victime ; j’aurai l’occasion d’y revenir.
M. Simon Sutour. Il y a du travail…
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, le moment me semble venu de relancer fortement une grande politique méditerranéenne, en pariant sur le fait que le développement de la démocratie dans les pays du Sud va déboucher sur une plus grande coopération interrégionale entre les deux rives.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le ministre, « la page de la crise est tournée » : voilà ce que l’on pouvait lire en titre de certains journaux économiques il y a quelques jours. Par cette formule, ces journaux évoquaient les résultats du CAC 40, la relance des hedge funds, ainsi que toute cette inventivité spéculative que l’on voit de nouveau renaître.
Chacun, ici, en a conscience : tout cela n’est qu’une façade, et la crise, aujourd'hui, se situe bien aux niveaux des monnaies, notamment de l’euro, et de la dette. Dès lors, les mesures annoncées peuvent présenter à nos yeux un certain nombre d’avantages.
Pour ma part, dans le contexte de crise actuel, je peux me réjouir des avancées effectivement obtenues et que vous-même avez soulignées. L’amélioration des conditions de prêt aux pays périphériques, le renforcement de la capacité d’intervention du Fonds européen de stabilité financière et la création du mécanisme européen de stabilité sont autant de progrès dans le fonctionnement de l’Union.
Néanmoins, des questions techniques non négligeables, relatives notamment à la dimension opérationnelle, restent posées. M. le rapporteur général en a évoqué quelques-unes. Nous nous interrogeons nous aussi sur la façon d’obtenir l’unanimité des dix-sept pays de la zone euro pour mettre en œuvre ces décisions.
Le contenu du pacte pour l’euro, tel qu’il a été validé lors du sommet de l’eurozone, pose à nos yeux un certain nombre de questions. Instaurer plus de discipline budgétaire est certes nécessaire, mais pas dans une proportion qui étouffe la croissance. L’excès de mesures d’austérités prévues dans ce pacte, au détriment de mesures de dynamisation économique et de protection sociale, est un réel problème.
En définitive, monsieur le ministre, nous pouvons reprocher à l'Europe de « batailler en défense ». Vous avez évoqué une dimension offensive. Nous avons, nous, le sentiment que, dans cette affaire, elle joue plutôt la défense et n’encourage pas assez la confiance dans l’avenir.
Nous aurions préféré que soit mise en avant une forme de pacte européen pour l’emploi et le progrès social. Il aurait ainsi été possible, en saisissant l’occasion de la nécessaire réponse à la crise, de mettre en œuvre des réformes structurantes utiles et intelligentes pour l’avenir, visant à atteindre une croissance plus forte, une croissance plus juste, une croissance plus verte et mieux financée.
Le fait que l’Europe ne dispose pas, à ce jour, d’un budget digne de ce nom et ne se dote pas de ressources suffisantes constitue un sujet de préoccupation.
Je me félicite, à cet égard, que l’on ait fini par évoquer la création d’une taxe sur les transactions financières, une proposition formulée à l’origine dans nos rangs, mais je tiens à souligner que cette initiative reste timide. Il n’est en effet envisagé, pour l’instant, que d’entamer une réflexion, et non de mettre en œuvre cette mesure. Cette réflexion peut durer des années, voire des décennies, alors même que nous savons combien cette taxe serait profitable. Par ailleurs, les autres modalités financières ne sont pas véritablement envisagées. Ainsi, les euro-obligations sont laissées quelque peu dans l’ombre.
Nous avons le sentiment que ce « pacte pour l’euro » donne lieu à une sorte de troc : en contrepartie de la solidarité dont on a fait preuve à l’égard des pays les plus fragiles, on a généralisé les mesures d’austérité en vue de faire face aux exigences de la défense de l’euro.
J’évoquerai, enfin, un sujet majeur de préoccupation : la régulation financière, qui est à nos yeux trop douce. Il n’est pas certain que l’on ait pris la mesure des besoins de régulation qu’exige le système financier si l’on veut éviter les « rechutes ». Certes, une nouvelle architecture de la régulation financière de l’Union est en train de se dessiner, mais, en dépit de la création d’un Conseil européen du risque systémique, le CERS, les régulateurs nationaux garderont, en pratique, la haute main sur la supervision des principaux métiers de la finance, tels que la banque, l’assurance et les métiers titres.
Il semble que les moyens coercitifs dont dispose le CERS à l’égard des régulateurs nationaux soient limités. Cela illustre, une fois de plus, la faiblesse des capacités d’action dont se dote l’Europe pour homogénéiser la régulation financière. Dans ces conditions, comme par le passé, chaque régulateur national conduira sa propre politique et adoptera ses propres dispositions.
Ma question est simple : comment la France envisage-t-elle de peser pour favoriser une harmonisation accrue en matière de régulation financière ? Les avancées en la matière semblent relativement peu nombreuses. Quelles mesures prendrez-vous pour renforcer l’intégration dans ce domaine ?