M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous l’avons bien compris, les auteurs de ces trois amendements souhaitent compléter le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile par une disposition instituant un recours suspensif de plein droit sur les mesures de réadmission « Dublin ».
À cet égard, je souhaite procéder à quelques rappels.
Tout d’abord, la remise des demandeurs d’asile, dite « remise Dublin », correspond à une logique non pas d’éloignement, mais de coopération entre États s’accordant une confiance mutuelle.
Ensuite, et je reprends les propos de M. le rapporteur, le Conseil constitutionnel a validé l’absence de recours suspensif en 1993.
En outre, les auteurs des amendements ont fait allusion à une ordonnance de référé du Conseil d'État, qui a suspendu le renvoi en Grèce. C’est donc la preuve que le dispositif fonctionne. Pour autant, le référé n’est pas suspensif.
Néanmoins, le Gouvernement a évidemment pris acte de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 janvier dernier et de ses attendus sur l’effectivité des recours. Cette décision fait actuellement objet d’une expertise très active, aux termes de laquelle il reviendra au législateur de se prononcer s’il y a effectivement lieu à réforme sur cette question, dont l’importance évidente exclut une proposition hâtive.
Vous comprendrez que, dans de telles circonstances, il soit impossible de soutenir ces trois amendements.
Le Gouvernement émet donc un avis fermement défavorable sur les amendements nos 406 rectifié ter, 187 et 14 rectifié ter.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote sur l’amendement n° 406 rectifié ter.
M. Richard Yung. Le point dont nous débattons est extrêmement intéressant, et je remercie M. le rapporteur de la position qu’il vient de prendre, ménageant une certaine possibilité de choix entre les amendements.
Pour notre part, nous soutenons évidemment l’amendement n° 406 rectifié ter.
La décision de la Cour européenne des droits de l’homme est importante.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Richard Yung. En réalité, elle est frappée au coin de bon sens, ce qui devient plus en plus rare…
La Cour européenne des droits de l’homme a pris acte du fait que certains pays, notamment la Grèce, n’offrent pas du tout les conditions convenables minimales d’accueil des demandeurs du droit d’asile.
Dans un certain nombre de cas, les centres de rétention ont été supprimés. Dès lors, les personnes qui sont renvoyées sont simplement lâchées près de la frontière turque !
C'est la raison pour laquelle l’adoption de l’amendement n° 406 rectifié ter nous paraît non seulement fondée juridiquement, mais aussi justifiée humainement !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je remercie M. le rapporteur de s’en remettre à la sagesse du Sénat ; cela prouve qu’il entend tout de même certains arguments…
À mon sens, nous serions avisés de nous placer plutôt du côté de ceux qui offrent le plus de possibilités de recours et de droits. En clair, nous devrions suivre la Cour européenne des droits de l’homme.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 34, et les amendements nos 187 et 14 rectifié ter n’ont plus d’objet.
Article 35
(Non modifié)
Le second alinéa de l’article L. 513-3 du même code est ainsi rédigé :
« Le recours contentieux contre la décision fixant le pays de renvoi n’est suspensif d’exécution, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 512-3, que s’il est présenté en même temps que le recours contre l’obligation de quitter le territoire français ou l’arrêté de reconduite à la frontière qu’elle vise à exécuter. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 68 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 188 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 68 rectifié.
M. Jacques Mézard. Cet amendement vise à supprimer l’article 35, en parfaite coordination avec les positions qui ont été les nôtres sur les articles précédents.
Par ailleurs, monsieur le ministre, l’article 35 prévoit que « le recours contentieux contre la décision fixant le pays le pays de renvoi n’est suspensif d’exécution […] que s’il est présenté en même temps que le recours contre l’obligation de quitter le territoire français ou l’arrêté de reconduite à la frontière qu’elle vise à exécuter ». Que signifient ici les termes « en même temps » ? Les deux recours contre ces deux décisions doivent-ils engagés le même jour ? Doivent-ils faire l’objet d’un même acte de procédure ? Cette précision n’est manifestement pas dans le texte.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 188.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il s’agit d’un amendement de coordination. Nous demandons la suppression de cet article pour exprimer clairement notre opposition à la réforme du contentieux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces amendements visent à supprimer un article de pure coordination. La commission des lois a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Défavorable !
Pour répondre à la question de M. Mézard, « en même temps » signifie qu’il doit s’agir d’un acte unique.
M. le président. Cette précision sera consignée au procès-verbal et servira à l’interprétation de la loi.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 68 rectifié et 188.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 35.
(L'article 35 est adopté.)
Article 36
(Non modifié)
I. – À l’article L. 222-2-1 du code de justice administrative, les mots : « litiges relatifs aux » sont remplacés par les mots : « recours en annulation dont le tribunal administratif est saisi en application du III de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et sur ceux formés contre les ».
II. – Le chapitre VI du titre VII du livre VII du même code est ainsi rédigé :
« CHAPITRE VI
« Le contentieux des obligations de quitter le territoire français et des arrêtés de reconduite à la frontière
« Art. L. 776-1. – Les modalités selon lesquelles le tribunal administratif examine les recours en annulation formés contre les obligations de quitter le territoire français, les décisions relatives au séjour qu’elles accompagnent, les interdictions de retour sur le territoire français et les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l’article L. 533-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile obéissent, sous réserve des articles L. 514-1, L. 514-2 et L. 532-1 du même code, aux règles définies par les articles L. 512-1, L. 512-3 et L. 512-4 dudit code.
« Art. L. 776-2. – Les modalités selon lesquelles le tribunal administratif examine les recours en annulation formés contre les décisions fixant le pays de renvoi qui accompagnent les obligations de quitter le territoire français et les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l’article L. 533-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile obéissent aux règles définies par l’article L. 513-3 du même code. » – (Adopté.)
Articles additionnels après l'article 36
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 189 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 372 rectifié est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 36, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 512-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« L'étranger peut également exercer un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision. Le recours devant le tribunal administratif est prorogé par l'exercice d'un recours administratif préalable. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 189 rectifié.
Mme Josiane Mathon-Poinat. L’absence de prorogation du délai de recours contentieux en cas d’introduction d’un recours administratif gracieux ou hiérarchique a été prévue par la loi du 24 juillet 2006 et est dérogatoire au droit commun du contentieux.
Les recours administratifs suspensifs offrent l’avantage de régler une partie des litiges à l’amiable en permettant de saisir directement l’autorité qui a pris la décision de rejet. Les refus ne donneraient dès lors plus systématiquement lieu à un recours contentieux, ce qui aurait pour conséquence d’éviter l’engorgement des tribunaux administratifs.
Par ailleurs, le principe d’un recours administratif non suspensif combiné avec un délai de trente jours pour introduire un recours devant le tribunal administratif est particulièrement préjudiciable à l’étranger. Ce dernier ne dispose, en effet, que d’un temps très bref pour organiser sa défense.
Les délais sont d’autant plus difficiles à tenir que le nombre de décisions administratives à contester est beaucoup plus important qu’auparavant, ce qui entraîne une complexification indéniable du contentieux des étrangers.
La conséquence directe est que nombre d’étrangers se retrouveront dans l’impossibilité de contester leur OQFT dans les temps et pourront donc être éloignés sans qu’un juge ait pu examiner leur situation.
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour présenter l'amendement n° 372 rectifié.
M. Claude Domeizel. Nous revenons à la charge sur une proposition qui a été présentée dans l’après-midi par mon collègue Claude Bérit-Débat.
En droit des étrangers, le recours administratif, qu’il soit gracieux ou hiérarchique, ne suspend pas le délai contentieux.
Ce régime est dérogatoire au droit commun. Il est particulièrement défavorable aux migrants visés par une mesure d’éloignement, qui, je le rappelle, doivent introduire un recours devant le tribunal administratif dans un délai de trente jours, délai d’autant plus court que les étrangers peuvent être amenés à contester un nombre très important de décisions administratives.
L’absence de prorogation du délai contentieux en cas d’introduction d’un recours administratif pousse donc la plupart des étrangers à saisir directement le juge administratif.
Cette situation est regrettable, car les recours administratifs présentent l’avantage de pouvoir régler une partie des litiges « à l’amiable » en saisissant directement l’autorité qui a pris la décision défavorable au migrant.
J’ajoute, par ailleurs, que le Conseil d’État, dans un rapport de 2008, a préconisé l’instauration de recours administratifs préalables obligatoires à l’encontre de certains types de décisions en matière de droit des étrangers.
En outre, l’extension des recours administratifs préalables permettrait, ce qui n’est pas négligeable, de désengorger les juridictions administratives dans la mesure où les décisions administratives d’éloignement ne donneraient plus systématiquement lieu à un recours contentieux.
Pour toutes ces raisons, nous proposons de permettre aux étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement d’exercer un recours administratif préalable qui suspendrait le délai contentieux.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cette précision est d’ordre réglementaire.
Par ailleurs, le Conseil d’État a jugé dans une décision du 11 juillet 2007 que, en raison de l’intérêt qui s’attache au règlement rapide de la situation des étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, le délai d’un mois est suffisant.
La commission est donc défavorable à ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 189 rectifié et 372 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 190 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 36, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par neuf alinéas ainsi rédigés :
« Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance :
« 1º Donner acte des désistements ;
« 2º Rejeter les requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative ;
« 3º Constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une requête ;
« 4º Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsqu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ;
« 5º Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou la charge des dépens ;
« 6º Statuer sur les requêtes relevant d'une série, qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchées ensemble par une même décision passée en force de chose jugée ou à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d'État statuant au contentieux ou examinées ensemble par un même avis rendu par le Conseil d'État en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative ;
« 7º Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés.
« Les présidents des cours administratives d'appel et les présidents des formations de jugement des cours peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution d'une décision juridictionnelle frappée d'appel et les requêtes dirigées contre des ordonnances prises en application des 1º à 6º. Ils peuvent, de même, annuler une ordonnance prise en application des 1º à 5º à condition de régler l'affaire au fond par application de l'une de ces dispositions. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il nous paraît essentiel de modifier, en introduisant un nouvel article dans le CESEDA, le dispositif prévu actuellement par le 7° de l’article R 222-1 dudit code, car il instaure clairement une justice à double vitesse ainsi qu’une discrimination flagrante pour les personnes qui ne sauront pas rédiger convenablement leur recours et qui n’auront pas eu la possibilité de se faire assister dans la rédaction de leur requête.
Au regard de la technicité de ce contentieux, on ne peut faire porter la responsabilité d’une requête mal rédigée et mal argumentée sur l’administré, pour qui cette procédure est souvent incompréhensible.
Il est également essentiel de modifier le dispositif de non-mise en demeure instauré par le 4° de ce même article afin de laisser une possibilité aux intéressés de régulariser leur demande.
Les conséquences pour les personnes n’ayant pas, par méconnaissance, respecté une règle de fond ou de forme et qui voient, de ce fait, rejeter leur requête au tri, sans aucune mise en demeure préalable, sont totalement disproportionnées. Je pense, par exemple, au fait d’avoir oublié de fournir les pièces en quatre exemplaires, cas assez fréquent.
Par ailleurs, certains éléments de preuve sont parfois longs à rechercher et le délai de recours imparti aux personnes est beaucoup trop court.
M. le président. L'amendement n° 191 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 36, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance :
« 1º Donner acte des désistements ;
« 2º Constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une requête ;
« 3° Rejeter les recours entachés d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement s’inscrit dans la même logique que le précédent. Il vise à mieux tenir compte de la complexité des procédures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit de dispositions d’ordre réglementaire. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 191 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Section 2
Dispositions relatives au contentieux judiciaire
Article 37
(Supprimé)
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article prévoyait de reculer de deux à cinq jours l’intervention du juge judiciaire dans la procédure d’éloignement.
Nous l’avons souvent souligné au cours du débat, selon le Conseil constitutionnel, la rétention administrative doit être placée sous le contrôle du juge en vertu de l’article 66 de la Constitution, qui fait de l’autorité judiciaire la gardienne de la liberté individuelle.
Actuellement, l’étranger en instance d’expulsion est présenté successivement au juge des libertés et de la détention puis au juge administratif. Le juge des libertés et de la détention intervient donc dans un délai de quarante-huit heures avant le juge administratif.
Or le Gouvernement tient absolument à inverser le déroulement actuel des recours pendant la rétention. Cette réforme de la procédure d’expulsion est, pour lui, l’une des bases du projet de loi.
Le texte initial prévoyait donc de repousser de quarante-huit heures à cinq jours le contrôle de la rétention par le juge des libertés et de la détention. Le juge administratif serait intervenu dans un délai de cinq jours et, au terme de ce délai seulement, le juge des libertés aurait pu décider de prolonger ou non la rétention.
Cette inversion, qui entraîne donc un allongement considérable du délai de privation de liberté avant toute intervention du juge judiciaire, a été votée par l’Assemblée nationale.
Sur l’initiative des sénateurs socialistes, la commission des lois du Sénat s’est cependant opposée à la mesure en décidant d’en revenir à ce qui prévaut actuellement : d’abord intervient le juge des libertés et de la détention, et ensuite seulement le juge administratif.
La commission a, en effet, estimé que l’intervention de l’autorité judiciaire était une nécessité constitutionnelle et a adopté l’amendement en ce sens de notre collègue Richard Yung.
À travers cet amendement, le contrôle de la légalité de la rétention par un juge du siège, indispensable au rétablissement des droits, avait été réintroduit.
C’était sans compter, cependant, l’entêtement du Gouvernement et celui de certains de nos collègues, dont M. le rapporteur, qui s’est déclaré, à titre personnel, favorable à ce dispositif.
L’un des motifs officiels serait la clarification, l’enchevêtrement des procédures administrative et judiciaire rendant – paraît-il – de nombreuses mesures d’éloignement quasi inexécutables.
L’étranger, nous dit-on également, pourra toujours déposer un référé-liberté auprès du juge administratif pour être remis en liberté.
En réalité, le vrai motif est que la politique suivie par le Gouvernement, la politique du « chiffre », toujours elle, qui ne change rien en profondeur, mais qui complique la vie de beaucoup de personnes et oblige les policiers à accomplir un travail qu’ils apprécient de moins en moins – nous le savons par leurs syndicats –, serait mise à mal par les juges des libertés et de la détention, suspectés d’ordonner trop souvent des remises en liberté pour non-respect des procédures.
Comme s’il n’était pas important que les procédures soient respectées !
Si l’intervention du juge des libertés et de la détention est repoussée à cinq jours, les étrangers risquent d’être expulsés avant même d’avoir été présentés à un juge judiciaire. Le report de l’intervention du juge des libertés et de la détention chargé, notamment, de contrôler la régularité des procédures permettra d’éloigner très rapidement des étrangers.
Le juge administratif va pouvoir, ainsi, juger du bien-fondé d’une privation de liberté alors que la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel assigne cette compétence au juge judiciaire dont le contrôle doit intervenir « dans le plus court délai possible » ou « dans les meilleurs délais », c'est-à-dire certainement pas au bout de sept jours !
Pour le groupe socialiste, rétablir l’ordre des interventions de l’un et de l’autre juge ne constitue pas une mesure de défiance à l’égard du juge administratif, dont nous apprécions le travail dans le sens de la défense des libertés, mais vise à rappeler le rôle prépondérant du juge des libertés et de la détention, chargé de se prononcer sur le principe de l’incarcération, constitutionnellement garant de la liberté individuelle, qui est une exigence dans un État civilisé.
Les juges administratifs, qui seront en grève le 10 février prochain pour manifester leur opposition à ce texte et pour d’autres raisons, notamment pour dénoncer le manque de moyens, ne sont pas non plus ravis de cette « inversion ». Ils craignent d’être débordés, cette mesure, indiquent-ils, « impliquant une intervention beaucoup plus rapide – quarante-huit à soixante-douze heures – et plus fréquente du juge administratif, qui va non seulement entraîner une surcharge de travail très importante, mais également désorganiser significativement les juridictions puisqu’il est acquis qu’aucun renfort ne leur sera accordé pour la mettre en œuvre ».
La situation des tribunaux administratifs est semblable à celle de tous les tribunaux en France : manque de moyens, de greffiers, de matériels, de photocopieuses, d’ordinateurs. Nul n’ignore le délabrement considérable dans lequel se trouve le système judiciaire français.
Pour conclure, retarder l’intervention du juge judiciaire représenterait un profond recul, de nombreux étrangers pouvant, pendant ce délai de cinq jours, être reconduits à la frontière, même s’ils ont fait l’objet d’une procédure irrégulière que seul le juge judiciaire aurait pu apprécier et annuler.
Ainsi l’étranger en séjour irrégulier, comme le fait observer la Commission nationale consultative des droits de l’homme, disposerait-il de moins de garanties que la personne suspectée du plus grave des crimes. Celle-ci, dès qu’elle est placée en garde à vue, voit cette mesure contrôlée par le procureur de la République et la décision de prolonger sa privation de liberté au-delà de quarante-huit heures est prise par un magistrat du siège.
C’est dire à quel point le rétablissement de l’article 37 serait préjudiciable à la liberté et aux droits élémentaires des étrangers ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous voici parvenus à un moment décisif de la discussion de ce projet de loi. Nous sommes à nouveau placés devant un choix qui sera lourd de conséquences.
Monsieur le président, la presse a relevé que le Sénat s’honorait d’être le défenseur des libertés. Quelques interrogations se sont pourtant fait jour, ici ou là : le Sénat continuera-t-il à jouer ce rôle ? Oui, je le sais, car telle est sa raison d’être !
Lors de l’examen de ce projet de loi, nous avons vécu un premier moment important, lorsqu’a été abordée la question de la déchéance de la nationalité ; nous avons connu un deuxième moment très important, lorsque nous avons refusé de réduire l’accès des étrangers à la médecine, dans des conditions qui auraient placé des êtres humains en situation très difficile ; nous abordons maintenant la question du délai d’intervention du juge judiciaire. Mes chers collègues, vous savez que le vote qui sera émis ce soir aura des conséquences non négligeables.
Lors de l’examen de l’article 30, un vote a déjà été émis ; la conséquence logique de ce vote serait que l’article 37 ne fût pas rétabli.
Il n’aura échappé à personne que la commission des lois, comme l’a excellemment rappelé notre collègue Louis Mermaz, a d’abord refusé, sur l’initiative de Richard Yung, d’adopter cet article et qu’elle a confirmé sa position en rejetant, lors de sa dernière réunion, un nouvel amendement tendant à le rétablir.
La question est donc de savoir si, ce soir, le Sénat désavouera sa commission des lois. J’espère qu’il ne le fera pas.
Je souhaite également rappeler un élément que j’ai déjà évoqué lors de la discussion générale, mais qui me paraît important.
Le juge constitutionnel est très clair : il a toujours considéré comme inconstitutionnel le maintien en détention pendant sept jours sans intervention du juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel rappelait alors que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».
Le plus court délai possible est celui qui est pratiqué aujourd’hui, à savoir quarante-huit heures, et aucune justification ne permet de l’allonger. Si le Sénat le faisait, il se placerait en contradiction avec la Constitution – je viens d’expliquer pourquoi : l’analyse du Conseil constitutionnel s’impose aux pouvoirs publics –, mais aussi avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui, dans son article 5, énonce de manière très précise : « Toute personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt » – l’adverbe n’est pas indifférent ! – « traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer les fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ».
Je souscris, bien sûr, aux propos de Louis Mermaz relatifs au malaise des magistrats de l’ordre judiciaire – tout le monde est au courant ! – ou à l’inquiétude des magistrats de l’ordre administratif – selon eux, si l’article 37 était voté dans sa rédaction d’origine, son application se heurterait à d’énormes problèmes de moyens.
Ces considérations doivent naturellement être prises en compte, mais, au-delà de la question des moyens, se pose la question du principe : une personne privée de liberté, dans la République française, a le droit d’avoir accès à un juge le plus vite possible ! Vouloir différer l’intervention du juge n’est pas justifiable et pose un problème de respect des libertés fondamentales.
Mes chers collègues, j’ai vraiment confiance dans le vote que le Sénat émettra ce soir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)