Article 1er
Après l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 6 bis ainsi rédigé :
« Art. 6 bis. – Toute personne physique ou morale employant des journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail, produisant ou diffusant de l’information, constituée sous forme d’une agence de presse, d’une société de publication de presse, d’une entreprise de communication audiovisuelle, d’une entreprise de service multimédia ou de communication électronique est tenue de remplir l’une des deux conditions figurant au 1° ou au 2° suivants :
« 1° Se doter d’une équipe rédactionnelle permanente et autonome composée de l’ensemble des journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail qui contribuent à cette équipe. L’équipe rédactionnelle participe à l’élaboration d’une charte éditoriale et déontologique et veille au respect des chartes de déontologie de la profession.
« Sans préjudice des dispositions relatives aux représentants du personnel, cette équipe rédactionnelle désigne son ou ses représentants selon les modalités prévues au livre III de la deuxième partie du code du travail
« Ces représentants ont un rôle de porte parole et organisent les consultations de l’équipe rédactionnelle.
« Ils bénéficient de la même protection que celle dont bénéficient les délégués du personnel en vertu des articles L. 2411-5 et suivants du code du travail.
« L’équipe rédactionnelle doit être consultée par sa direction avant tout changement de politique éditoriale ou rédactionnelle. Les projets éditoriaux lui sont soumis annuellement. Elle peut s’y opposer.
« L’équipe rédactionnelle doit également être consultée lors de la nomination d’un responsable de la rédaction qu’il soit directeur de l’information, directeur de la rédaction ou rédacteur en chef. Elle peut s’opposer à cette nomination.
« En cas de changements importants dans la composition du capital ou dans l’équipe de direction susceptible d’avoir un impact sur la situation économique de l’entreprise, l’équipe rédactionnelle peut prendre l’initiative d’un scrutin de défiance. Elle peut aussi saisir le comité d’entreprise pour faire jouer le droit d’alerte.
« 2° Se doter d’une association de journalistes dont les titulaires de la carte de presse sont membres de droit. Les statuts de cette association sont élaborés selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État.
« Une société de rédacteurs peut se substituer à l’association. Les droits sociaux sont alors détenus par les salariés titulaires de la carte de presse.
« Lorsque la personne physique ou morale édite une publication d’information politique et générale, l’association des journalistes ou la société des rédacteurs désigne un représentant qui siège de droit, avec voix consultative, au conseil d’administration ou au conseil de surveillance.
« La désignation du responsable de la rédaction donne lieu à un vote, à bulletin secret, de tous les membres de l’association des journalistes ou de la société des rédacteurs.
« Dans le cas où la désignation est opérée, alors qu’elle a été rejetée à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, elle est constitutive d’un changement notable, au sens du 3° de l’article L. 7112-5 du code du travail.
« L’association des journalistes ou de la société des rédacteurs participe avec la société éditrice à l’élaboration une charte éditoriale et déontologique, énonçant les engagements souscrits à l’égard des lecteurs par tous ceux qui concourent à la publication. Cette charte est reproduite dans la publication de presse ou fait l’objet d’une communication dans le service de communication, une fois par an. »
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par MM. Assouline et Bérit-Débat, Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions de cet article s'appliquent dans le strict respect du principe d'indépendance des journalistes et de leur droit à opposer la clause de conscience. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Permettez-moi, mes chers collègues, quelques mots de préambule.
Oui, madame Dumas, je suis un militant, de surcroît un militant de gauche,…
Mme Catherine Dumas. Cela, nous le savons !
M. David Assouline. … et je suis un sénateur, chargé d’établir la loi. Ne croyez pas qu’il faille obligatoirement accoler au titre de sénateur les mots « conservateur », « neutralité », « droite »,…
Mme Catherine Dumas. Pas du tout !
M. David Assouline. … « acceptation de l’ordre établi ».
Oui, je porte en moi une part d’idéalisme – je le dis à l’attention de ceux qui ont jugé que c’était peut-être une tare profonde – et cet idéalisme n’exclut pas un certain pragmatisme.
Ainsi, mes chers collègues, vous constatez tous que la question de l’indépendance des médias est un sujet d’actualité, en évolution constante. Vous vous êtes appuyés sur l’article 34 de la Constitution…
Mme Catherine Dumas. Ce n’est pas le sujet ! Vous ne présentez pas l’amendement !
M. David Assouline. Comment cet article a-t-il pu être complété ? Par un amendement, que j’ai défendu, des membres du groupe socialiste, des idéalistes !
Vous reconnaissez l’existence d’un problème de concentration capitalistique… Qui a permis que ce sujet ainsi que la question de la confusion avec la commande publique soient traités au Sénat ? Les socialistes, les idéalistes !
Les propos de M. le rapporteur confirment qu’il faut agir et se pencher sur ce problème de concentration, notamment dans la presse quotidienne régionale… Qui, aujourd’hui, vient vers vous en tentant de proposer des solutions ? Les socialistes, les idéalistes !
Le sujet est d’actualité et nous faisons des propositions. Bien entendu, celles-ci pourraient être affinées s’il y avait un dialogue, un débat. Nous n’avons pas la science infuse, mes chers collègues de la majorité, et le texte pourrait s’enrichir de propositions de votre part. Mais voilà, quand une proposition de loi est examinée sur l’initiative des socialistes, on ne cherche pas à la rendre acceptable, on lui oppose un rejet absolu !
Permettez-moi d’ailleurs de noter que M. Jean-Pierre Leleux a développé en séance un argumentaire absolument différent de celui qui figure dans le rapport établi par ses soins, au nom de la commission.
Mmes Bernadette Dupont et Catherine Dumas. Venez-en à l’amendement !
M. David Assouline. Puisque vous constatez l’existence d’un problème, faites des propositions ! Cela fera avancer les choses ! Ce n’est pas de l’idéalisme ! C’est du concret !
Nous posons les vraies questions, que vous ne posez pas. Ayant la majorité, vous êtes en mesure d’accélérer l’examen des textes ou de les faire adopter, et plus rapidement s’ils émanent du Gouvernement. Vous ne le faites pas ! (Marques d’exaspération sur les travées de l’UMP.) Je vois que certains s’agitent…
Mme la présidente. Vous avez dépassé les trois minutes qui vous étaient imparties pour la présentation de cet amendement, monsieur Assouline !
M. David Assouline. Soit ! Je reprendrai par conséquent la parole pendant cinq minutes pour expliquer mon vote. Donc, à tout de suite, pour l’explication de vote !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Cher collègue Assouline, nous aussi, nous avons des idéaux et, nous aussi, nous souhaitons que le débat ait lieu. D’ailleurs, c’est parce que nous voulons maintenir le débat entre la rédaction et la direction que nous nous opposons à ce texte de loi. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Je voudrais simplement redire que l’objectif visé par votre proposition de loi est louable et que nous le partageons. Ce que nous contestons, c’est la méthode et la voie que vous voulez nous faire emprunter ; c’est la rigidité de la structure de l’entreprise de presse, ce sont les pouvoirs exorbitants que vous confiez à l’équipe rédactionnelle et ce sont les risques que vous faites courir aux journalistes individuels.
Vous aviez bien compris un des arguments développés à l’encontre de votre texte puisque nous en avons débattu en commission, à savoir qu’il y avait antagonisme entre la clause de conscience individuelle du journaliste et la règle que vous préconisez qui, finalement, opère en quelque sorte un transfert, ou, en tout cas, est contrainte par la clause que vous collectivisez par l’équipe rédactionnelle.
Vous avez donc déposé un amendement dans ce sens puisque vous aviez bien perçu la difficulté qui se posait, mais cet amendement ne règle rien. Il n’empêchera pas les conflits et une remise en cause de la liberté de conscience individuelle du journaliste, qui est un fondement indispensable de la liberté de la presse, en cas de désaccord de celui-ci avec la position que pourrait prendre l’équipe rédactionnelle devant la direction, que l’équipe rédactionnelle s’oppose ou soit d’accord avec cette dernière.
Nous n’avons pas beaucoup évoqué ce sujet, mais je vous laisse imaginer les contentieux que vous allez nourrir, entre, bien sûr, la rédaction et la direction de la publication par le face-à-face que vous voulez organiser mais également – on l’a peu évoqué – entre les syndicats en charge de la défense des personnels et l’équipe rédactionnelle qui peuvent, à un moment donné, ne pas avoir le même point de vue. J’émets donc un avis défavorable sur votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. Cet ajout n’est pas nature à modifier l’avis défavorable du Gouvernement sur le principe de créer, par voie législative, des structures internes à la rédaction, qu’il s’agisse de l’équipe rédactionnelle, de l’association des journalistes ou de la société des rédacteurs.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Cet article 1er a concentré l’ensemble des critiques.
Je crois qu’il y a une inversion complète des réalités. Vous ne pouvez pas dire qu’aujourd’hui le problème est que les journalistes ont tous les pouvoirs et que ce texte viserait à mettre sous tutelle les patrons de presse. (Mme Catherine Dumas s’exclame.)
La situation, que vous avez globalement acceptée dans la description que j’en ai faite, hormis quelques irréductibles qui ne veulent pas voir la réalité, c’est qu’aujourd’hui, par ces phénomènes de concentration et par la toute-puissance de grands groupes industriels ou bancaires, certaines rédactions sont fragilisées, obligées de fusionner, voire dissoutes. Il y a une évolution nouvelle, qui justifie qu’on légifère.
Une telle proposition de loi n’aurait pas été présentée voilà vingt-cinq ans ; la presse quotidienne régionale était alors dans une autre situation. Au lendemain de la guerre, l’existence de coopératives, de petites entreprises familiales faisait qu’il y avait une multitude de titres de presse. D’ailleurs, celui qui n’était pas satisfait de la ligne éditoriale de tel journal local pouvait porter son choix vers un autre.
Or, aujourd’hui, même s’il existe encore deux journaux locaux, ils ont la même ligne éditoriale, les mêmes actionnaires et le même patron. C’est un phénomène nouveau qui s’accentue sur l’ensemble du territoire.
Le législateur, comme la Constitution lui en donne le droit, doit donc intervenir. Je le répète, le dispositif proposé est a minima et il est largement insuffisant. D’ailleurs, monsieur Leleux, puisque vous faites maintenant des propositions – en votre nom propre, puisque en tant que rapporteur vous n’avez jamais évoqué en commission ces pistes de travail, mais c’est la vertu du débat de permettre des évolutions –, je vous prends au mot : en commission, soyez certain que les socialistes reviendront à la charge pour que cette question ne soit pas systématiquement écartée ou édulcorée. Et si vous deviez reconnaître une vertu à notre démarche, ce serait bien celle-là.
N’inversez pas les choses sur cet amendement. Nous créons un droit collectif, qui n’est pas corseté car, que les journalistes soient regroupés en association ou en société de rédacteurs – on peut aussi appeler cela « comité » –, il y a de fait une possibilité d’alerte et de veto. Cette possibilité de veto ne signifie pas qu’il y a une mise sous tutelle du directeur de la publication ; c’est lui le patron. Elle permet le déclenchement d’un droit en cas de désaccord persistant. Mais ce droit de veto vise surtout à prévenir les conflits en obligeant les parties à composer et à négocier.
Si, à la fin, aucun accord n’est trouvé, cela déclenche un droit : le journaliste peut faire valoir auprès de la rédaction la clause de conscience, qui fait effectivement partie des droits individuels des journalistes. Il peut ainsi partir en bénéficiant d’un certain nombre d’avantages sociaux, contrairement à ce qui se passe en cas de démission ou de licenciement.
Par conséquent, n’inversez pas les choses ! Aujourd’hui, il y a, d’un côté, une toute-puissance et, de l’autre, le seul droit individuel pour chaque journaliste de partir. Et dans quelles conditions, quand on connaît la situation actuelle de la presse !
Pour un journaliste local, qui veut partir et continuer à exercer ailleurs sa profession, qui est reconnue, c’est d’aller dans le journal d’à côté. Mais si l’ensemble des journaux ont le même patron, s’il part, où pourra-t-il aller ?
Je ne comprends donc pas votre position : il n’y a de notre part aucune volonté de corseter. Vous auriez pu préciser toutes les préventions que vous aviez. Mais, monsieur Leleux, vous inversez les choses et la clause de conscience, notamment, devient une clause de conscience vis-à-vis de la rédaction.
La clause de conscience s’exerce généralement vis-à-vis du patron. Or, dites-vous, si la rédaction prend une position avec laquelle le journaliste est en désaccord, que devient, individuellement, ce dernier ? Eh bien, s’il dispose évidemment de la clause de conscience, il a un droit supplémentaire individuel, qui lui permet, dans le cadre de l’association ou de la société de rédaction, de faire valoir son point de vue et de peser avec ses collègues, mais, s’il n’est pas d’accord avec ses collègues, il garde l’entièreté de ses droits.
Ce ne sont donc là que procès d’intention.
Monsieur Plancade, je salue le constat pertinent qu’après d’autres vous avez fait : il y a là en effet un vrai sujet pour notre démocratie, pour le journalisme, pour la liberté d’expression. Mais, au-delà des arguments techniques, selon vous, deux conceptions de la démocratie s’opposent : il y a ceux qui veulent vraiment libérer les choses, par la négociation, au cas par cas, et il y a ceux qui veulent corseter. Revoilà les vieux débats !
Mais, dans ce cas, pourquoi fait-on des lois ? Pourquoi y a-t-il un code du travail ? Pourquoi ne renvoie-t-on pas toutes les questions relatives aux droits, à la durée du travail, aux retraites, à la pénibilité, à tout ce qui se passe dans les entreprises, à ces accords qui sont bien sûr les seuls à être porteurs de dynamique, de créativité et de vraie démocratie ?
Allez dire cela aux syndicalistes dans les entreprises !
Nous parlons là de journalisme. Les droits collectifs, la loi visent à introduire une régulation dans un domaine qui est consacré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans la Constitution, et qui touche aux libertés fondamentales. Ce sont des points d’appui qui peuvent freiner une évolution…
Mme la présidente. Monsieur Assouline, votre temps de parole est épuisé.
M. David Assouline. Effectivement, depuis deux secondes, comme le montrent les afficheurs de chronomètres ! J’ai donc fini. Je reprendrai la parole sur le deuxième amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour explication de vote.
Mme Catherine Dumas. Monsieur Assouline, ne croyez pas que l’on s’oppose à votre texte parce que vous en êtes l’auteur, parce que vous êtes socialiste, ce n’est pas du tout le cas. La presse française, il est vrai, et le dernier orateur s’en est fait l’écho, court aujourd’hui un danger. Vous avez raison de le souligner et c’est un constat que nous partageons tous. Mais votre proposition de loi, si elle était votée, l’asphyxierait. Elle est très dangereuse pour le modèle économique et aboutirait à faire disparaître la presse française.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er n’est pas adopté.)
Article 2
L’article 5 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les noms des actionnaires détenant plus de 10 % du capital. »
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par MM. Assouline et Bérit-Débat, Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 5 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est ainsi rédigé :
« Dans toute publication de presse, les informations suivantes sont portées, dans chaque numéro, à la connaissance des lecteurs :
« 1° Si l'entreprise éditrice n'est pas dotée de la personnalité morale, les nom et prénom du propriétaire ou du principal copropriétaire ;
« 2° Si l'entreprise éditrice est une personne morale, sa dénomination ou sa raison sociale, son siège social, sa forme juridique ainsi que le nom de son représentant légal et des personnes physiques ou morales détenant au moins 10 % de son capital ;
« 3° Le nom du directeur de la publication et celui du responsable de la rédaction.
« Ces informations sont également accessibles sur la page d'accueil de tout service de presse en ligne. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Dans la proposition de loi de simplification du droit, une disposition semblable, qui s’applique d’ailleurs à l’ensemble de la presse papier, de la presse en ligne, etc., est prévue, et je m’en félicite.
Mais arguer de l’existence de cette disposition pour réfuter mon amendement n’est pas juridiquement fondé. Dans la mesure où ladite proposition de loi est en navette, cette disposition n’a pas encore d’existence légale. C’est pourquoi il est tout à fait normal qu’à l’occasion de ma proposition de loi, dont c’est d'ailleurs l’objet, nous examinions cette disposition. La clause de transparence que je propose a en effet toute sa cohérence dans le contexte de concentration dont j’ai parlé.
Je suis sûr que vous, qui, en tant que parlementaires, êtes probablement les mieux informés, avez néanmoins appris certaines choses lorsque j’ai évoqué la situation de la presse, la concentration des titres et les propriétaires. Il est bon que le lecteur puisse aussi disposer de ces informations dans l’ours. Je crois que c’est un point qui fait consensus.
Par rapport à la proposition de loi initiale, mon amendement a pour objet d’étendre à la presse en ligne les dispositions qui s’appliquent à la presse papier.
Pour finir, j’espère que le prochain débat traitant de l’indépendance des médias et des journalistes sera à l’initiative de l’UMP ou de la commission de la culture, puisque nous semblons partager cette préoccupation, et qu’il nous permettra d’avancer.
Vous êtes dans une contradiction fondamentale puisque vous reconnaissez qu’il y a danger tout en jugeant que les dispositifs existants suffisent. Or, s’ils suffisaient, il n’y aurait pas danger, il n’y aurait pas l’évolution que nous constatons puisque celle-ci se fait avec les dispositifs législatifs actuels !
Ces dispositifs doivent donc évoluer, comme doivent en tout cas évoluer les rapports de force. J’espère qu’à un moment donné tout le monde sera suffisamment responsable pour se mettre autour de la table, non pas pour critiquer la proposition de loi d’un idéaliste, mais pour concrètement travailler à modifier la loi afin de freiner voire de mettre un terme à une dérive nocive pour la démocratie.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Monsieur Assouline, vous présentez dans cet amendement des dispositions que, sur l’initiative de Pierre Bordier, membre de notre commission, nous avons introduites dans la proposition de loi de simplification du droit. Nous pensons donc que cet amendement est inutile et nous vous demandons de le retirer, faute de quoi nous émettrons un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
L’article 6 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Toute entreprise éditrice est également tenue de porter à la connaissance des lecteurs de la publication, dans le délai ou selon les modalités prévues au premier alinéa :
« 1° Toute modification du statut de l’entreprise éditrice ;
« 2° Tout changement dans les dirigeants ou actionnaires de l’entreprise.
« Chaque année, la personne morale ou physique employant des journalistes doit porter à la connaissance du public toutes les informations relatives à la composition de son capital, des organes dirigeants. Elle mentionne l’identité et les parts de capital ou les actions détenues par chacun des actionnaires, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 n’est pas adopté.)
Article 4
Le non-respect des obligations prévues aux articles 1er, 2 et 3 de la présente loi entraîne la suspension des aides publiques directes et indirectes dont bénéficie la personne morale ou physique employant des journalistes ainsi que l’obligation pour celle-ci de publier les sanctions dont elle fait l’objet au titre de ses manquements.
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par MM. Assouline et Bérit-Débat, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Remplacer les mots :
dont bénéficie
par les mots :
ou l'application de la peine prévue au premier alinéa de l'article 78 de la loi n° 86–1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication pour
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Je serai bref, madame la présidente.
Le présent amendement est inspiré par une remarque – judicieuse– que M. le rapporteur avait faite en commission – les débats importent donc – au sujet des sanctions qui sont prévues, comme dans tout texte de loi. Aux termes de l’article 4, les sanctions ne concernent en effet que la presse écrite via la suspension des aides qui lui sont versées et ne touchent aucunement les médias audiovisuels.
Cette asymétrie est rectifiée par le présent amendement, qui vise à rétablir l’équilibre entre la presse écrite et les médias audiovisuels. Ainsi, le non-respect des obligations entraînera, pour la presse écrite, la suspension des aides directes ou indirectes et, pour les médias audiovisuels, les sanctions prévues à l’article 78 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Cet amendement ne fait que compliquer davantage la situation : il transforme en usine à gaz ce qui se ferait sur le plan de la presse écrite et audiovisuelle.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Madame la présidente, à la lumière des éclairages apportés par M. le rapporteur, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que si l’article 4 est rejeté, il n’y aura pas de vote sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les quatre articles qui la composent auront été rejetés.
Par conséquent, si certains d’entre vous souhaitent prendre la parole, c’est pour eux la dernière occasion de le faire.
La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Compte tenu de la procédure, mon explication de vote sur l’article 4 vaudra explication de vote sur l’ensemble du texte, ce qui me paraît être un minimum.
La dernière fois, j’avais été surpris par le fait qu’il est impossible de prendre la parole pour explication de vote lorsque l’ensemble des articles d’une proposition de loi ont été rejetés. Nous avions alors été frustrés de ce moment de conclusion.
Je demande le déclenchement des afficheurs de chronomètres pour me permettre de contrôler mon temps de parole
Aujourd’hui, chacun a exprimé son point de vue au cours du débat.
Un certain nombre de problèmes demeurent fondamentaux pour les Français, notamment pour ce qui touche aux conséquences sociales de la crise économique. Si ces difficultés ont une grande importance pour les parlementaires et pour tous ceux qui s’engagent politiquement – c’est d’abord à ces problèmes que ces derniers doivent en effet pouvoir donner des réponses –, une question demeure suspendue au-dessus de ces considérations, une question permanente et décisive tant pour la crédibilité de notre action que pour l’adhésion des citoyens à notre engagement et à notre travail dans cet hémicycle : celle de la démocratie et du rapport des citoyens à la démocratie.
Par conséquent, plus nous, parlementaires, prenons en charge dans toutes leurs dimensions les questions liées à la liberté d’expression, à la citoyenneté, à la démocratie, plus nous honorons le Parlement au sein de nos institutions. Or plus nous rendons service à notre pays dans son ensemble, plus nous lui donnons des armes pour lutter contre la crise économique et apporter des réponses aux problèmes sociaux que rencontrent nos concitoyens. Il est donc tout à fait à notre honneur que de tels sujets soient abordés dans cet hémicycle de temps à autre.
La question des médias est beaucoup plus fondamentale pour notre démocratie à l’heure actuelle qu’il y a quelques décennies. La télévision avait déjà bouleversé les habitudes, elle nous avait interpellés et nous avions dû légiférer et réguler en nous appuyant sur les dispositifs existants pour la presse écrite. L’évolution induite par Internet et le numérique en général a une tout autre dimension.
Cependant, ce qui ne change pas malgré ces évolutions, c’est l’importance de la place de l’information pour nos concitoyens : qu’ils soient riches ou pauvres, elle est ancrée dans leur quotidien, ils la consultent tout au long de la journée, par la presse, la télévision ou Internet.
Et ce qui perdure également, c’est la nécessité de faire en sorte que, par la régulation, cette information soit la moins biaisée possible, la plus diverse possible, afin que le citoyen ait toujours un tel éventail de choix.
Une telle exigence est d’autant plus justifiée quand on voit le contrôle du « tuyau » exercé par les géants comme Google : nous l’avions évoqué au sujet des créateurs de contenu, tous ceux qui produisent – de l’information mais aussi des contenus culturels – deviennent le dernier maillon de la chaîne. Il faut donc absolument les protéger et, à cette fin, continuer à légiférer.
L’évolution que j’ai voulu pointer s’agissant des concentrations concerne la presse nationale et les médias audiovisuels, mais j’ai surtout voulu insister sur son impact sur la presse quotidienne régionale. Pourquoi ? Parce que cette dernière est pour ainsi dire le symbole de la diversité et continue à susciter la confiance et l’adhésion de nos concitoyens. Sans elle, la presse écrite se trouverait absolument moribonde, quasiment insignifiante en termes de lectorat.
On parle des grands titres – Libération, Le Monde, Le Figaro – mais ce n’est pas ce que lisent les gens ; les Français lisent la presse quotidienne régionale ! Or le phénomène de concentration atténue et, à terme, tuera probablement la richesse de cette offre si nous ne réagissons pas.
C’est pourquoi mes collègues du groupe socialiste et moi-même avons pris l’initiative de lancer à nouveau ce débat en séance publique. Nous essayons d’apporter des solutions et tentons de faire entendre la voix collective des journalistes. J’ai essayé d’écouter ce que ces derniers expriment au sein de leurs syndicats au sujet de leur métier, de leur avenir, et une telle demande nous est adressée.
Ce débat n’est pas terminé et il ne se conclura pas aujourd’hui. Un tel sujet reviendra en discussion, et ce, bien entendu, devant tous les Français.
À cet égard, je souhaite que, au-delà des clivages, nous puissions à un moment donné reprendre tous ensemble le travail (Mme Lucienne Malovry s’impatiente.) – ce seront mes derniers mots – de tous ceux qui ont fait les lois que vous honorez et qui ont mis en œuvre la régulation du secteur depuis plus d’un siècle.
Chers collègues, vous tenez toujours les lois du passé pour merveilleuses, mais quand nos prédécesseurs se sont battus pour leur adoption, il y avait des personnes pour s’y opposer et affirmer qu’il n’était pas nécessaire de renforcer la régulation existante. (Mme Lucienne Malovry martèle son pupitre en signe d’impatience.)
Voilà bien longtemps que nous n’avons pas légiféré au sujet du phénomène de concentration des entreprises d’information. Je demande que l’on reprenne le flambeau de tous ceux qui ont permis à la liberté de la presse en France d’acquérir ses lettres de noblesse.