compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. Jean-Paul Virapoullé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Cessation de mandat et remplacement de sénateurs

M. le président. Par courrier en date des 19 et 21 janvier derniers, MM. Nicolas About et Pierre Fauchon m’ont fait connaître qu’ils remettaient respectivement leur mandat de sénateur des Yvelines et de sénateur du Loir-et-Cher, à compter du samedi 22 janvier 2011 à minuit.

Acte est donné de ces décisions.

À la suite de la cessation du mandat de M. Pierre Fauchon, sénateur du Loir-et-Cher, le siège détenu par ce dernier est devenu vacant et sera pourvu, selon les termes de l’article L.O. 322 du code électoral, lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.

Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration m’a fait connaître que, en application de l’article L.O. 320 du même code, Mme Roselle Cros est appelée à remplacer, en qualité de sénateur des Yvelines, M. Nicolas About.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite la plus cordiale bienvenue à notre nouvelle collègue.

3

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine.

J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

4

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 20 janvier 2011, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel.

Acte est donné de cette communication.

5

Communication d'un avis de l'Assemblée de la Polynésie française

M. le président. En application de l’article 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, j’ai saisi, le 8 décembre 2010, le haut-commissaire de la République en Polynésie française en vue de la consultation de l’Assemblée de la Polynésie française sur la proposition de loi, présentée par M. Richard Tuheiava, visant à actualiser l’ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs.

Par lettre en date du 24 janvier 2011, j’ai reçu de M. le haut-commissaire de la République communication de l’avis favorable de l’Assemblée de la Polynésie française sur cette proposition de loi, qui sera examinée le jeudi 27 janvier 2011.

Acte est donné de cette communication.

6

Souhaits de bienvenue à M. le Président de la République de Colombie

M. le président. Mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, du Président de la République de Colombie. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Le Président Juan Manuel Santos Calderón, avec qui nous venons d’avoir un long et très cordial échange, effectue sa première visite officielle hors du continent sud-américain depuis son élection, il y a six mois, et nous sommes heureux et honorés qu’il nous fasse l’amitié de venir d’abord en France. Je lui souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue au Sénat de la République française.

Il est accompagné de son épouse et d’une délégation de haut niveau. Parmi les ministres présents, je me permets notamment de saluer Mme María Ángela Holguín Cuéllar, ministre des affaires étrangères, qui était déjà venue prononcer au Sénat un superbe discours à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance des pays d’Amérique latine. Il est également entouré de nos collègues Michel Doublet, président délégué du groupe d’amitié France-Pays Andins, et Roland du Luart, vice-président du Sénat.

Aujourd’hui, le Président Santos veille à lutter contre la violence en Colombie, mais il est aussi le maître d’œuvre d’un vaste plan de réformes économiques et sociales, destiné à construire une société plus équitable et plus juste.

Le Sénat entretient des relations interparlementaires nourries avec le Sénat de Colombie, et notre groupe d’amitié France-Pays Andins s’est rendu dans ce pays en septembre dernier. Nos collègues ont pu constater la force de nos liens culturels, lesquels seront bientôt renforcés par un accord linguistique et universitaire, ainsi que l’intensité de nos relations politiques et économiques.

Membre du Conseil de sécurité des Nations unies pour les deux prochaines années, la Colombie est un pays important d’une région, l’Amérique centrale et la Caraïbe, dont, ne l’oublions pas, nous faisons aussi partie, avec la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane.

Alors que notre pays préside le G20 avec l’ambition de faire progresser une mondialisation mieux régulée, nos échanges de ce matin ont été précieux. Je ne doute pas que les échanges de demain avec le Président de la République le seront également, comme l’ont été ceux d’hier avec le Premier ministre.

Je redis au Président Juan Manuel Santos Calderón et à sa délégation combien nous sommes honorés de leur visite, heureux de les recevoir et attentifs à l’approfondissement de nos relations. (Applaudissements.)

7

Démission d'un membre d'une mission commune d'information et candidature

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de Mme Raymonde Le Texier, comme membre de la mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom du candidat proposé en remplacement.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

8

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 21 janvier 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (n° 87-2010 QPC, n° 88-2010 QPC, n° 89-2010 QPC et n° 90-2010 QPC).

Acte est donné de ces communications.

9

Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 21 janvier 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2011-113 QPC et n° 2011-114 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

10

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits
Discussion générale (suite)

Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental

Discussion d'une proposition de loi

(Texte de la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, présentée par MM. Jean-René Lecerf et Gilbert Barbier et Mme Christiane Demontès (proposition de loi n° 649 [2009-2010], texte de la commission n° 217, rapport n° 216).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, que j’ai déposée avec mes collègues Christiane Demontès et Gilbert Barbier, s’insère d’abord dans la continuité de la loi pénitentiaire et reflète l’obstination du Sénat, commune à l’ensemble des groupes qui le composent, à mettre fin à ce sinistre constat d’humiliation pour la République que nos prisons ont, hélas ! trop longtemps mérité.

Les dispositions adoptées quant à l’évolution des conditions de détention, à l’obligation d’activité, au développement de l’emploi et de la formation en milieu carcéral ainsi qu’au renforcement des aménagements de peine et des alternatives à l’enfermement marquent d’incontestables avancées. D’autres initiatives sont allées opportunément dans le même sens, comme la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Il ne peut donc surprendre que le Sénat veille d’abord à la pérennité de ces progrès lorsqu’il craint de les voir, même partiellement, remis en cause. Les débats d’hier sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – LOPPSI –, et ceux de demain sur le Défenseur des droits en portent et en porteront témoignage.

Toutefois, la loi pénitentiaire, sans doute parce qu’elle fut exclusivement initiée par le ministère de la justice, sans partenariat réel avec celui en charge de la santé, n’a pu appréhender l’un des problèmes essentiels auxquels la prison d’aujourd’hui se trouve confrontée, la présence nombreuse de malades mentaux lourds dans nos établissements pénitentiaires. Non seulement cette présence est terriblement dérangeante pour les codétenus de ces personnes et pour le personnel de surveillance, mais elle est aussi bien peu compatible avec les valeurs de la République.

Tous ceux qui visitent régulièrement nos prisons – c’est le cas de nombreux membres de la commission des lois –, usant pour ce faire d’un droit qui ne leur est guère reconnu que depuis 2000, vous diront combien ils sont agressés par la prégnance de la maladie mentale, par ces regards vides ou ces visages hallucinés trop vite croisés au détour d’une coursive, par ces détenus attendant un train fantôme à votre arrivée et s’étonnant de n’avoir pu s’en aller avec lui lors de votre départ.

Comment s’étonner, dans ces conditions, que surviennent des drames majeurs, comme ceux qu’a connus la prison de Rouen, où, en l’espace d’une année, deux détenus furent tués par leurs codétenus, l’un d’eux dans des conditions particulièrement atroces, son meurtrier lui dévorant en partie les viscères ? Si, comme le pensait Albert Camus, une civilisation se juge au sort qu’elle réserve aux personnes détenues, nul doute qu’il nous reste beaucoup à faire.

Quant au nombre de suicides que l’on déplore chaque année dans nos prisons, la seule explication que l’on puisse donner au fait qu’il dépasse largement celui qu’enregistrent des pays comparables au nôtre tient encore à ce fléau de la maladie mentale, dont on sait bien que ceux qui en souffrent sont davantage exposés à la tentation suicidaire.

Sans doute vous souvenez-vous, mes chers collègues, que le Sénat a souhaité insérer dans la loi pénitentiaire, en guise de préambule permettant d’éclairer les autres réformes, la disposition suivante, qui porte sur le sens de la peine : « Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions. » Néanmoins, quel sens la peine peut-elle bien revêtir pour ceux qui ne se rendent même pas compte de la nature de l’établissement où ils sont enfermés, pour ceux que terrorisent les voix qui les hantent et les dominent, ou encore pour ceux dont la totale abolition du discernement n’a pas été reconnue, dans la mesure où la prison est apparue aux cours d’assises comme le seul lieu susceptible de protéger durablement la société contre leur folie ?

C’est parce que l’on ne peut se satisfaire d’une pareille situation que les commissions des lois et des affaires sociales ont missionné un groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, composé des trois signataires de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, ainsi que de notre collègue Jean-Pierre Michel, qui n’a pas cosigné cette proposition de loi pour pouvoir en être le rapporteur.

Dans son rapport d’information intitulé « Prisons et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? », ce groupe de travail aborde nombre d’aspects qui ne seront pas examinés aujourd’hui, les auteurs de la proposition de loi s’étant bornés à reprendre les seules mesures de nature législative ayant fait l’objet d’un accord unanime.

Les réformes suggérées partent d’un constat accablant. À la lumière de l’expérience des responsables des services médico-psychologiques régionaux, les SMPR, et de l’étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, conduite en 2003 et 2004, 35 à 42 % d’entre elles souffriraient de troubles mentaux, et la proportion de celles qui seraient atteintes des pathologies les plus graves – schizophrénie ou autres formes de psychose –, et pour lesquelles la peine ne revêt guère de sens, atteindrait 10 %, soit plus de 6 000 personnes.

Cette situation ne répond ni aux exigences de l’éthique médicale – la prison, malgré les progrès réalisés, ne sera jamais un lieu de soins adapté –, ni aux exigences de la sécurité – quel que soit le quantum de peine, il ne correspond en aucune manière à l’évolution d’une pathologie –, ni à nos valeurs démocratiques, lorsque l’on voit que des personnes dont le discernement s’avère considérablement altéré sont plus sévèrement punies que celles qui ont pleine conscience de la portée de leurs actes.

Cette dérive du système français s’explique largement par la diminution drastique de la capacité d’hospitalisation en psychiatrie générale, par le souci thérapeutique d’un certain nombre de psychiatres de responsabiliser les malades en retenant plutôt l’altération que l’abolition du discernement, enfin, par l’absence d’alternative proposée aux tribunaux correctionnels et, surtout, aux cours d’assises.

C’est pourquoi, sans remettre en cause la distinction entre abolition et altération du discernement, telle qu’elle a été insérée dans l’article 122-1 du nouveau code pénal, cette proposition de loi entend préciser les dispositions du deuxième alinéa de cet article, pour en revenir à l’intention initiale du législateur.

Selon les termes de cet article, « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime ». Les travaux préparatoires, notamment le rapport établi pour le Sénat par M. Marcel Rudloff, tout comme l’insertion de ces dispositions dans un chapitre du code pénal consacré aux causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité, ne laissent subsister aucune ambiguïté sur la volonté du législateur.

Pourtant, l’altération du discernement mène le plus souvent, et presque toujours devant les cours d’assises, à une aggravation de la peine. Comme le relève Jean-Pierre Michel dans son rapport, citant lui-même un document rédigé en 2005 par la commission santé-justice présidée par Jean-François Burgelin, ancien procureur général près la Cour de cassation, « ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que les individus dont le discernement a été diminué puissent être plus sévèrement sanctionnés que ceux dont on considère qu’ils étaient pleinement conscients de la portée de leurs actes ».

La proposition de loi prévoit donc une réduction du tiers de la peine encourue dans l’hypothèse d’une altération du discernement au moment des faits. Il appartiendra, en outre, en tout état de cause, à la juridiction de fixer, dans la limite du plafond ainsi déterminé, la durée la plus appropriée, en tenant compte du fait que plus la personne est souffrante, plus sa situation justifie une prise en charge sanitaire de préférence à une incarcération.

Recherchant un meilleur équilibre entre réponse pénale et prise en charge sanitaire, la proposition de loi vise à renforcer parallèlement les garanties concernant l’obligation de soins pendant et après la détention. Le texte initial prévoyait que, si un sursis avec mise à l’épreuve était prononcé, il devait nécessairement comporter une obligation de soins. M. le rapporteur a amélioré cette rédaction, en lui retirant son caractère trop systématique, et en prévoyant à la fois un avis médical préalable et la possibilité d’une décision contraire du juge.

L’article 2 de la proposition de loi tend à autoriser le juge de l’application des peines à retirer les réductions de peines en cas de refus de soins de la part d’une personne incarcérée dont le discernement était altéré au moment des faits. Ce mécanisme, conformément aux principes actuels, met en place un retrait facultatif, s’agissant du crédit de réduction de peine dit « automatique », et un retrait de principe, sauf décision contraire du juge, s’agissant de la réduction supplémentaire de peine. Là encore, ce dispositif a été amélioré par M. le rapporteur.

Enfin, l’article 3 de la proposition de loi vise à permettre d’appliquer aux personnes dont le discernement était altéré les mesures de sûreté introduites par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, destinées pour l’heure aux seules personnes reconnues irresponsables. Comme l’écrit M. le rapporteur, « si des personnes jugées pénalement irresponsables ont été considérées par le législateur en mesure de respecter des mesures de sûreté – et d’encourir une sanction pénale en cas de manquement –, tel devrait, a fortiori, être le cas pour des personnes reconnues responsables dont le discernement était seulement altéré au moment des faits ». Il appartiendrait au juge de l’application des peines d’ordonner de telles mesures, qui seraient complétées par l’obligation de soins. Cet article illustre une fois encore la volonté de concilier la réduction de la peine encourue par les personnes atteintes de troubles mentaux et la nécessaire sécurité due à la société.

Cette proposition de loi ne pouvait évidemment pas reprendre les nombreuses suggestions du groupe de travail qui n’entrent pas dans le domaine législatif, comme le fait de prévoir l’affectation systématique des personnes dont le discernement est altéré dans les établissements pénitentiaires dotés d’un SMPR, de créer une spécialisation de niveau master en psychiatrie pour les infirmiers, de développer les formations communes aux professionnels de la justice et de la santé appelés à intervenir auprès des auteurs d’infractions atteints de troubles mentaux, ou encore d’améliorer les conditions de l’expertise. Sur ces points, je vous renvoie, mes chers collègues, au rapport d’information.

Je tiens néanmoins à évoquer, avant de conclure, un certain nombre de réflexions et d’interrogations, sans doute moins consensuelles, mais que je pense largement partagées par les deux corapporteurs du groupe de travail de la commission des lois, Jean-Pierre Michel et moi-même.

Les unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, instituées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002, posent ainsi un certain nombre de questions. Ces structures seront implantées dans des établissements de santé, et sécurisées par l’administration pénitentiaire, afin d’assurer l’hospitalisation, avec ou sans consentement, des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. La première unité de ce genre vient d’être construite à Lyon.

Ces structures marquent bien sûr un progrès dans la prise en charge médicale des personnes détenues, mais ne risquent-elles pas, dans le même temps, d’encourager à condamner et à incarcérer un nombre croissant de personnes atteintes de troubles mentaux, en toute bonne conscience de surcroît, puisque des structures psychiatriques existeront – enfin ! –, mais qu’elles seront réservées aux personnes condamnées ?

Le dispositif français nous apparaît souvent excessivement manichéen : soit la personne est reconnue irresponsable, et son suivi relève exclusivement du médecin, soit la personne est condamnée, et elle relève alors du juge.

De même, les barrières qui séparent les malades mentaux selon qu’ils ont commis une infraction ou non, et selon qu’ils ont été reconnus irresponsables ou responsables pénalement, ne sont-elles pas bien aléatoires ?

Alors que les unités pour malades difficiles, les UMD, pour lesquelles les listes d’attente sont considérables, accueillent indifféremment toutes les catégories de malades mentaux, ne pourrait-il pas en être de même pour les UHSA, à tout le moins pour ce qui concerne les personnes ayant commis de graves infractions ?

Sinon, n’en arrive-t-on pas à priver de soins ceux qui, souvent par chance, n’ont pas encore commis l’irréparable ? Combien de courriers recevons-nous, mes chers collègues, de parents désespérés nous racontant la tragédie vécue par l’un de leurs enfants ? Alors qu’ils avaient, en vain, alerté plusieurs autorités sur sa dangerosité, personne ne les a écoutés, et le drame mille fois annoncé a fini par se produire.

Enfin, alors que l’avenir de la prison de Château-Thierry a parfois semblé menacé, permettez-moi de rendre un hommage admiratif au personnel pénitentiaire qui y travaille et qui s’est peu à peu spécialisé dans la prise en charge d’une population pénale comptant 85 % de détenus psychotiques. À force d’écoute, de patience et de respect, avec des gestes simples comme celui de la main tendue, des résultats remarquables sont obtenus dans la stabilisation et le suivi des personnes détenues en souffrance. Nous sommes nombreux à penser que ce type d’établissement mériterait non seulement d’être préservé, mais aussi de faire école, car ni les UMD ni les UHSA, dont le prix de journée est sans commune mesure, ne suffiront à faire face à la dimension du problème posé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’histoire de ce texte est liée au rapport qui avait été présenté par quatre membres de notre assemblée. Je ne m’attarderai toutefois pas sur ce point, que Jean-René Lecerf, l’un des auteurs de la proposition de loi, vient à l’instant d’évoquer dans son intervention.

Cette proposition de loi part d’un constat accablant : 10 % des détenus environ souffriraient de troubles psychiatriques très graves, et peuvent donc être véritablement considérés comme des malades mentaux, ce chiffre n’incluant pas les personnes souffrant de troubles du comportement, de troubles dus à des addictions ou de troubles dus à l’enfermement pénitentiaire lui-même.

Le code de procédure pénale prévoit pourtant une expertise, obligatoire en matière criminelle, facultative en matière correctionnelle. Les personnes déclarées pénalement irresponsables sont envoyées en hôpital psychiatrique sous le régime de l’hospitalisation d’office, et celles dont la responsabilité est simplement altérée encourent une sanction pénale dont la juridiction fixe la durée et les modalités d’application. Toutefois, les psychiatres préfèrent souvent ne pas conclure à l’irresponsabilité totale, et l’on constate en effet que les rapports d’expertise qui vont dans ce sens tendent à se raréfier.

Quant aux jurys d’assises, lorsqu’ils sont confrontés à un délinquant dont la responsabilité peut être altérée en raison de troubles mentaux, ils ont tendance, par mesure de sécurité – on peut les comprendre ! –, à le condamner plus lourdement encore.

Pour remédier à ces difficultés, la proposition de loi qui vous est soumise prévoit que l’atténuation de la responsabilité résultant du rapport de l’expert constitue un facteur d’allègement du quantum de la peine encourue. En contrepartie, elle renforce toute une série d’obligations de soins pendant et après la détention de la personne concernée.

Le principe de l’atténuation de la responsabilité a été initialement posé par un arrêt de la Cour de cassation de 1885 puis, en 1905, par la fameuse circulaire Chaumié, du nom du garde des sceaux de l’époque. L’évolution de la psychiatrie a par la suite montré qu’il existait des gradations dans la maladie mentale et dans la conscience de la personne malade. C’est ainsi qu’est née l’alternative de l’article 122-1 du code pénal, qui distingue l’irresponsabilité totale et l’atténuation de responsabilité.

Cette distinction aurait dû limiter le nombre de malades mentaux graves en prison. Or, il n’en est rien, avec toutes les conséquences désastreuses qui en résultent pour le délinquant malade, pour l’établissement pénitentiaire, mais aussi, nous y reviendrons, pour la société.

L’altération du discernement devrait entraîner une diminution de la durée de la peine. Le rapporteur pour le Sénat de la loi portant réforme des dispositions générales du code pénal, Marcel Rudloff, avait conclu en ce sens. Les travaux préparatoires de ce texte attestent de cette volonté du législateur, également relevée par Jean-François Burgelin dans son rapport de 2005. Enfin, le Conseil constitutionnel a rappelé ce principe à propos de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, en indiquant que la juridiction peut toujours, sur le fondement de l’article 122-1 du code pénal, prononcer une peine inférieure aux peines prévues.

Dès lors, la prise en compte de l’altération du discernement comme cause de réduction de la peine ne constituerait nullement un précédent dans notre droit. Un tel système est d'ailleurs appliqué dans d’autres pays, notamment en Espagne et en Italie.

La proposition de loi prévoit que la peine encourue est réduite d’un tiers dans le cas où le discernement est altéré : une peine de trente ans serait ainsi ramenée à vingt ans. On peut certes discuter de l’ampleur de cette réduction – nos collègues du groupe CRC-SPG déposeront d'ailleurs un amendement sur ce point –, mais ce choix, opéré dans un souci d’équilibre, est le fruit d’un compromis acceptable par le plus grand nombre d’entre nous.

Je remarque que cette méthode, propre au Sénat, et particulièrement à la commission des lois, grâce à son président Jean-Jacques Hyest, permet de faire évoluer notre législation dans le bon sens. À l’avenir, d’autres propositions de loi, émanant de divers groupes politiques, feront également l’objet de compromis porteurs d’avancées.

Dans la limite de ce plafond abaissé d’un tiers, le juge peut décider de la durée de la peine la plus appropriée, en fonction des circonstances de l’infraction, de la personnalité du délinquant et, éventuellement, de son casier judiciaire. Le principe d’individualisation de la peine est donc pleinement respecté, je le dis solennellement. Le juge reste totalement libre, bien qu’il soit, comme toujours, contraint par un plafond : lorsqu’il juge un escroc qui encourt cinq ans d’emprisonnement, il ne peut pas le condamner à six ou sept ans d’emprisonnement !

Le code pénal contient d’ailleurs d’autres causes légales de diminution du quantum de la peine : c’est le cas pour les mineurs âgés de plus de treize ans, qui se voient appliquer une réduction de 50 %, mais aussi lorsque l’auteur ou le complice d’une infraction de terrorisme, de trafic de stupéfiants ou de fausse monnaie livre des informations qui permettent de pousser plus loin les investigations et de trouver d’autres auteurs de ces infractions particulièrement graves.

Voilà pour les dispositions figurant dans la première partie de la proposition de loi.

Dans la deuxième partie du texte, et par souci d’équilibre, les auteurs de la proposition de loi ont prévu que les personnes dont le discernement est altéré par une maladie mentale, et qui seraient condamnées moins lourdement qu’aujourd’hui, se voient imposer diverses obligations de soins – ce qui, il faut bien le dire, n’est pas le cas à l’heure actuelle.

Ainsi, si un sursis avec mise à l’épreuve est prononcé, avec ou sans peine ferme, il devra comporter une obligation de soins, laquelle ne sera toutefois pas automatique, le juge ayant la possibilité de passer outre, après avis médical. Notons que le suivi socio-judiciaire peut déjà être prononcé par le juge pour un très grand nombre d’infractions.

Par ailleurs, l’article 2 de la proposition de loi vise à permettre au juge de l’application des peines de retirer les réductions de peine pendant la détention en cas de refus de soins de la part d’une personne incarcérée dont le discernement était altéré au moment des faits. Cette décision serait également prise après avis médical.

Les psychiatres que nous avons entendus, s’ils étaient d’accord avec la proposition de loi, se sont montrés plus réticents sur ce dernier point, jugeant que l’on ne pouvait pas contraindre à une obligation de soins des personnes détenues, et que le fait de les inciter à se soigner était déjà, en soi, une thérapie.

Mes chers collègues, nous devons être conscients des contradictions de la pratique actuelle.

Une personne qui commet une infraction grave, par exemple un assassinat, et qui est déclarée pénalement irresponsable, sera hospitalisée d’office dans un hôpital psychiatrique. On ne lui demandera pas son avis et, pour son bien, on la soignera, y compris par les méthodes les plus dures, en la plaçant, par exemple, en chambre de contention ou d’isolement, ainsi que nous avons pu le constater dans les UMD que nous avons visitées.

En revanche, une personne qui commettrait la même infraction, mais dont le discernement serait simplement altéré au moment des faits, se retrouverait en prison, même si le quantum de peine venait à être atténué par ce texte. Elle serait, certes, vraisemblablement incarcérée dans un établissement doté d’un SMPR, voire, par périodes, placée en UMD, mais ne serait nullement soumise à une obligation de soins. Or les psychiatres ont eux-mêmes souligné que leurs rapports n’étaient pas des objets scientifiques incontestables et qu’ils pouvaient varier d’une personne à l’autre.

On nous dit bien que, dans un tel cas, les détenus seront incités à se soigner, l’infirmerie offrant un meilleur régime que la simple détention. Il n’en reste pas moins qu’une telle différence de traitement me paraît tout simplement impensable, mes chers collègues !

C’est la raison pour laquelle nous avons prévu que, dans ce cas-là, le juge de l’application des peines puisse faire jouer une série de mesures qui, nous l’espérons, conduiront les personnes en détention à suivre les soins que nécessite leur état de santé mentale.

Enfin, l’article 3 de la proposition de loi vise à permettre l’application des mesures de sûreté prévues à l’article 706-136 du code de procédure pénale aux personnes dont le discernement est altéré à l’issue de leur détention. La décision du juge serait soumise à un avis médical ; il n’y aurait donc aucune automaticité, conformément aux remarques formulées par les représentants de la Chancellerie lors de leur audition.

En conclusion, je le répète, ce texte permet d’établir un meilleur équilibre entre la réponse pénale et la prise en charge sanitaire. Le dispositif a été approuvé à l’unanimité par la commission des lois, certains commissaires n’ayant pas pris part au vote.

Cette proposition de loi, que je vous propose d’adopter, mes chers collègues, est conforme au principe de proportionnalité, en ce qu’elle permet d’assurer à la fois la réduction de la peine encourue par les personnes atteintes de troubles mentaux et la nécessaire sécurité due à la société.

Elle ne vise nullement, comme je l’ai lu à tort dans des journaux qui pratiquent la désinformation, à prendre le contre-pied de la politique sécuritaire du Gouvernement. Un tel raisonnement n’a, en l’espèce, aucun sens.

Elle permet simplement de prendre en compte le malade mental délinquant, de le soigner mieux qu’il ne l’est aujourd’hui, mais aussi de l’y obliger, afin d’éviter la récidive et de protéger la société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de lUnion centriste et de lUMP.)