M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mieux vaut un bon compromis qu’un mauvais procès !
Mme Nicole Bricq. Nous aurons l’occasion d’en reparler.
S’agissant du Grand Paris, je voudrais rappeler les engagements qui ont été pris par le Gouvernement et le président de la République. En effet, l’article 15 de ce projet de loi de finances rectificative relativise totalement certaines déclarations.
Ainsi, la Société du Grand Paris devait être dotée de 4 milliards d’euros gagés sur le remboursement des prêts consentis aux constructeurs automobiles. Or non seulement ces derniers n’ont rendu que 2 milliards d’euros, mais le délai de remboursement n’est pas arrivé à terme. Le Gouvernement nous explique que cette dotation sera mobilisée par l’État au fur et à mesure de l’avancée du projet.
Aussi, étant donné que la Société du Grand Paris, aux termes de la loi de programmation des finances publiques, ne pourra ni emprunter au-delà d’un an ni recevoir des dotations de l’État avant trois ans, nous sommes très loin des annonces réalisées le 29 avril 2010 – cela n’est pas si ancien ! – par le Président de la République, aux termes desquelles les travaux devaient débuter en 2012.
Lors de l’examen de la loi relative au Grand Paris, l’opposition n’a cessé d’affirmer que ce projet était irréaliste et fumeux. Nous ne renions rien de ce que nous avons déclaré alors, et nous verrons quelle sera la situation à l’issue des deux débats publics engagés respectivement sur le projet du conseil régional d’Île-de-France et sur celui de l’État. Certes, il ne faut pas injurier l’avenir, car de bons compromis peuvent effectivement être conclus en ce qui concerne le financement. Toutefois, les recettes fiscales prévues par la mission Carrez devaient être, dans une première phase, clairement affectées aux priorités régionales.
L’article 16 modifie le zonage sur lequel repose le versement transport en Île-de-France. Monsieur le ministre, la proposition de l’Assemblée nationale nous semble bien meilleure que la version initiale du Gouvernement. Elle a néanmoins un défaut : contrairement aux préconisations de la mission Carrez, aucune augmentation des taux n’est prévue.
Dans la version transmise par l’Assemblée nationale, l’article 16 bis augmente le versement transport pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale dont la population est comprise entre 50 000 et 100 000 habitants. Le Gouvernement ne s’est pas opposé à cette mesure, ce dont nous nous félicitons, puisque nous avions, lors de l’examen de la loi de finances initiale, défendu un amendement identique au nom de notre collègue Roland Ries, président du GART, le Groupement des autorités responsables de transports. Cet amendement avait été rejeté au Sénat. Si ses dispositions sont aujourd’hui reprises, c’est tant mieux. Nous souhaitons donc que cette version soit adoptée.
En effet, il est fondamental de trouver des recettes pour financer les transports urbains. La mission Carrez, dans son rapport remis en 2009, avait le mérite de recenser, pour l’Île-de-France, certains financements qui sont sollicités au travers de ce texte. Elle avait également proposé de recourir à l’écotaxe poids lourds.
Or l’article 20 de ce projet de loi de finances rectificative se contente d’assurer la sécurité juridique du dispositif introduit par la loi du 3 août 2009. En revanche, monsieur le ministre, la date de la mise en œuvre de ce dernier demeure floue. Les professionnels évoquent 2013, l’ancien ministre des transports avait parlé de 2012 et le projet de loi de finances rectificative fait référence à cette dernière date.
M. Jean-Marc Todeschini. Après les élections !
Mme Nicole Bricq. Nous aimerions connaître la vérité sur ce point.
Je voudrais rappeler que, en Allemagne, l’écotaxe, qui avait fait l’objet d’une mise en œuvre assez difficile, a rapporté 4,4 milliards d’euros en 2009, ce qui n’est pas rien. Ces sommes permettent d’ailleurs à ce pays de rénover son réseau routier, qui ne l’avait pas été depuis la dernière guerre. Il est vrai que la fourchette des taux de la taxe allemande est large. Toutefois, même si l’écotaxe française ne rapportait qu’un milliard d’euros – c’est-à-dire ce qui est prévu à travers les estimations disponibles –, cette somme serait bien utile aux transports urbains, en Île-de-France comme ailleurs.
Je voudrais que le flou qui existe sur la date d’application de cette mesure soit levé. Je sais bien que 2012 sera une année délicate en raison de la tenue d’une élection cardinale, mais il faut lever le mystère qui entoure la taxe poids lourds. Nos finances ne peuvent pas s’en priver, notamment pour aider les transports urbains.
M. Jean-Marc Todeschini. Très bien !
Mme Nicole Bricq. Enfin, l’article 34 prévoit la création d’un fonds exceptionnel de soutien aux départements en difficulté – à hauteur de 75 millions d’euros –, et une ouverture de crédits supplémentaires d’un même montant. Cette solution ponctuelle n’est évidemment pas à la hauteur des besoins des départements – nous avons plusieurs fois expliqué au Sénat notre position à ce sujet, par exemple lors de l’examen, le 9 décembre 2010, de notre proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements.
Compte tenu de la modicité des sommes dont dispose le Fonds national des solidarités actives, le FNSA, nous souhaitons que celles-ci soient ciblées sur les départements les plus en difficulté.
S’agissant des subventions exceptionnelles liées à la signature d’une convention entre l’État et les départements, les contreparties qui seraient exigées par l’État pourraient s’apparenter à une mise sous tutelle, ce qui n’est pas acceptable et ne sera pas admis par les départements. Nous disposons d’un financement de 75 millions d’euros alors que plusieurs milliards d’euros seraient nécessaires.
En définitive, le Gouvernement n’a pas mis à profit le temps dont il disposait pour chercher à compenser, dans les comptes de l’État, le coût de la suppression de la taxe professionnelle. Il n’a pas davantage cherché à corriger l’injustice de la fiscalité locale pesant sur les ménages. Enfin, il ne se dote pas des moyens de sortir les conseils généraux de leurs difficultés.
La loi de finances pour 2010 était un texte d’affichage, qui a vécu.
M. Jean-Marc Todeschini. Absolument.
Mme Nicole Bricq. Le Gouvernement a cherché à gagner du temps : il sera rattrapé par le temps. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2011 n’est pas encore adopté qu’il nous faut déjà examiner le collectif budgétaire.
Nous sommes habitués à cet exercice, qui est tout de même relativement insolite. Certains mauvais esprits diront qu’il s’agit plutôt d’une session de rattrapage qui ne veut pas dire son nom. D’autres préféreront voir dans ce texte l’ultime occasion de l’année pour tenter de redresser la barre en matière de déficits, tant ceux-ci deviennent abyssaux, malgré quelques effets, quelque peu pervers d’ailleurs, liés à la gestion de la dette publique.
Voilà un texte technique et « fourre-tout », le quatrième de ce genre de l’année 2010, qui porte diverses dispositions d’ordre économique et financier. Nous observons que les projets de loi de finances rectificative se succèdent sans jamais prendre à bras-le-corps les véritables difficultés du pays.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Évidemment, ils sont là pour rectifier.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est la fin de l’année…
M. François Fortassin. Certes ! Toutefois, à l’évidence, le véritable problème, et nos concitoyens le sentent bien, c’est que le rabot fiscal – le terme est joli – est devenu, dans certains cas, une lime à ongles et qu’il n’a pas produit les effets escomptés.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le rabot serait donc devenu un coupe-ongle ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Faites-nous des propositions pour raboter davantage !
M. François Fortassin. Je vais vous en faire immédiatement, monsieur le rapporteur général ! (Sourires.)
Si une loi de finances, comme son nom l’indique, est censée contribuer à l’assainissement des finances publiques, elle doit avant tout s’appuyer sur certains principes. À cet égard, vous ne ferez pas croire à nos concitoyens que ne pas supprimer le bouclier fiscal est une bonne chose. Monsieur le ministre, c’est le symbole de l’iniquité, le symbole de l’injustice !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien ! Excellent !
M. Éric Doligé. Cette suppression va venir !
M. François Fortassin. Ceux qui souffrent, ceux qui rencontrent des difficultés financières, ont le sentiment que l’on fait des cadeaux à ceux de nos concitoyens qui sont les plus aisés.
Si l’on avait décidé l’abrogation du bouclier fiscal, ceux qui en bénéficient n’auraient pas vu pour autant leur niveau de vie baisser trop sensiblement, pas plus que leur pouvoir d’achat.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est probable !
M. François Fortassin. Tant que vous ne voudrez pas prendre en compte ces données, vous ne ferez que du replâtrage !
De la même façon, et nous avons déjà eu l’occasion de vous le dire, nos concitoyens n’acceptent pas que les revenus du travail soient beaucoup plus taxés que les revenus du capital ou du patrimoine. Il en résulte une perte de confiance dans les élus politiques, et dans le Gouvernement, aussi.
Dans un tel contexte de perte de confiance, le redressement de notre pays devient une véritable gageure !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est juste !
M. François Fortassin. Nous aurions pu corriger ce défaut majeur grâce au présent projet de loi de finances rectificative.
Sur le plan technique, de bons arguments plaident en faveur de ce texte ; ils ne résistent cependant pas à une analyse politique. C’est la raison pour laquelle les déficits continueront malheureusement de s’accroître.
Le groupe du RDSE ne peut que vous inciter à redresser promptement la barre, afin d’orienter ce texte vers une plus grande équité, vers une plus grande égalité, ce qui permettra de restaurer véritablement et la confiance et les finances de ce pays.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. François Fortassin. Sinon, nous pourrons toujours affirmer que la France se porte un peu moins mal que l’Irlande, l’Espagne, la Grèce ou le Portugal ; mais est-ce avec ce type d’affirmation que l’on permettra à notre pays de sortir de la crise ?
Ne l’oublions pas, cette crise n’est responsable que d’un tiers de nos difficultés financières. Les deux autres tiers sont liés à des facteurs plus profonds que le Gouvernement et sa majorité n’ont pas voulu aborder en profondeur.
C’est la raison pour laquelle la majorité du groupe du RDSE votera contre ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des finances applaudit également.).
M. Alain Gournac. Parlez donc des 35 heures !
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le quatrième collectif budgétaire de l’année 2010. Nous le savons, le contexte économique et financier international nous oblige à un grand pragmatisme et une réactivité accrue.
La croissance est de retour, mais elle est encore fragile et de faible niveau. L’exemple de l’Irlande, mais aussi celui de l’Espagne ou du Portugal, nous montre à quel point la nécessité d’assainir nos finances publiques est devenue prégnante.
Nous devons cheminer sur un chemin de crête entre deux nécessités, le soutien de la croissance, de la consommation et de l’emploi et la réduction de notre déficit public et, à terme, de notre endettement.
Le collectif budgétaire de fin d’année se situe entre le plan de relance, en mode « gestion de crise », et le rabot des niches fiscales, en mode « sortie de crise ». C’est tout dire !
La commission mixte paritaire qui s’est réunie avant-hier pour examiner les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2011 a fourni l’illustration des difficultés rencontrées pour parvenir à cet équilibre entre des logiques économique et financière parfois contradictoires.
La succession de collectifs budgétaires entraîne un affinement de nos prévisions. Ainsi, le montant du déficit budgétaire arrêté dans le présent projet de loi de finances rectificative est globalement conforme aux dernières prévisions, et même en légère amélioration, puisqu’il s’élèvera, M. le rapporteur général l’a rappelé tout à l’heure, en exécution 2010, à 149,7 milliards d’euros, au lieu des 152 milliards d’euros prévus dans la dernière loi de finances rectificative.
Toutefois, l’écart avec la prévision de la loi de finances initiale pour 2010, c'est-à-dire 117,4 milliards d’euros, est bien plus important. Il convient en effet de tenir compte des investissements d’avenir liés au Grand emprunt et des prêts consacrés à la Grèce.
Par ailleurs, si le respect de la norme de dépense « zéro volume », objectif fixé pour l’évolution des dépenses de l’État en 2010, est confirmé dans ce collectif, il résulte aussi d’un double effet d’aubaine, très bien décrit par M. le rapporteur général, relatif aux prélèvements sur recettes et à la charge de la dette.
Ce collectif nous montre donc que la situation demeure fragile. Bien entendu, nous devons surveiller l’évolution des taux auxquels nous empruntons. Et si, pour le moment, nous profitons, en quelque sorte, du fait que les investisseurs se sont détournés des obligations irlandaises et, dans une moindre mesure, espagnoles, portugaises ou italiennes, souvenons-nous toutefois que nous ne sommes pas à l’abri d’une remontée des taux !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !
M. Adrien Gouteyron. La preuve en est que, pour la première fois en deux ans, les taux des crédits immobiliers remontent en cette fin d’année en France. Quant à l’Allemagne, émetteur le plus solide de la zone euro, elle est touchée à son tour et, pour la première fois depuis de nombreux mois, on constate une remontée au-delà de la barre des 3 % du taux de ses emprunts à dix ans, alors que ce même taux avait enregistré, au début du mois de novembre, un record historique à la baisse, puisqu’il s’établissait alors à 2,4 %.
N’oublions pas que nous sommes tributaires des évolutions du marché obligataire américain.
Face à cette volatilité ambiante, les réformes doivent être tout à la fois solides et pérennes.
La réforme des retraites menée en 2010 a été de ce point de vue salutaire. Le chantier de la dépendance a d’ores et déjà été annoncé, et le groupe UMP soutiendra bien entendu la réforme, qui devrait permettre de soulager les finances de nos départements. Il s’agit d’un sujet difficile, et nous devons nous engager avec détermination.
Dans l’attente de décisions plus importantes, la mise en place, proposée par le présent collectif, d’un fonds exceptionnel de soutien en faveur des départements, doté de 150 millions d’euros, va dans le bon sens, bien que les sommes affectées demeurent faibles au regard de l’ampleur du problème.
M. le ministre a tout à l’heure présenté ce fonds, qui bénéficiera aux départements en difficulté. Ses ressources proviendront, pour moitié, des crédits du programme Concours spécifiques et administration, répartis entre les départements suivant leur situation financière, et, pour l’autre moitié, d’un prélèvement de 75 millions d’euros sur les réserves de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui sera ventilé entre les départements dont la proportion d’habitants de plus de 75 ans est supérieure à la moyenne nationale, en fonction du revenu disponible des personnes âgées des départements concernés et de leur potentiel fiscal.
La pondération de ces trois critères sera précisée par décret, monsieur le ministre, mais je souhaiterais d’ores et déjà que vous nous en disiez plus sur les futures modalités de répartition, si du moins celles-ci sont déjà arrêtées.
Je me félicite par ailleurs, au nom du groupe UMP, de la révision tant attendue des valeurs locatives foncières, que vous avez évoquée tout à l’heure, monsieur le ministre. Même si, pour le moment, ne sont concernés que les locaux professionnels, et dans cinq départements seulement, de surcroît uniquement à titre expérimental, le mouvement est lancé et devrait aboutir à une entrée en vigueur, que nous attendons depuis longtemps, en 2014.
Concernant les collectivités territoriales, je rappelle que nous avions décidé de les associer en 2009 au plan de relance, via le remboursement anticipé du FCTVA, le Fonds de compensation pour la TVA. Ainsi, les collectivités qui s’engageaient auprès de l’État à accroître ou à maintenir leurs investissements par rapport aux quatre années précédentes pouvaient en bénéficier.
Cette mesure avait rencontré un vif succès auprès des collectivités, qui ont été nombreuses à s’engager dans le plan de relance, contribuant ainsi à soutenir l’activité économique pendant la crise. Ce sont au total près de 22 000 collectivités territoriales qui se sont engagées sur un montant d’investissement de 57 milliards d’euros.
L’an dernier, le Parlement avait souhaité un assouplissement de la mesure, du fait des difficultés rencontrées notamment par les petites communes pour mandater toutes les dépenses relatives aux investissements concernés. Il avait été ainsi décidé en loi de finances que les restes à réaliser seraient pris en compte, en plus des dépenses mandatées, afin d’évaluer l’engagement des collectivités.
Mon collègue Charles Guené présentera un amendement tendant à prévoir un tel assouplissement pour les collectivités locales engagées dans le plan de relance en 2010. Je l’indique tout de suite, notre groupe est très favorable à l’adoption de cette mesure en faveur de nos collectivités.
Nous soutiendrons également la très pertinente réforme des taxes d’urbanisme.
Quant à la réforme des sociétés de personnes, nous soutiendrons la commission des finances du Sénat, qui a jugé, comme l’Assemblée nationale, que les conditions d’examen quelque peu précipité du collectif de fin d’année n’étaient pas propices à l’élaboration d’une analyse pertinente et à une réforme aussi complexe. Notre commission propose donc d’attendre le collectif de juin prochain sur la réforme de la fiscalité du patrimoine pour prendre une décision.
La majorité du groupe UMP estime également qu’il convient de mettre en conformité avec le droit communautaire les règles françaises en matière de détention et de circulation des produits de tabac, sujet sur lequel j’ai bien noté ce que vous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre.
Dans ces conditions, et pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe UMP votera le présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’évoquer quelques éléments qui permettront de compléter mon propos liminaire, tout en apportant les éclairages supplémentaires que vous avez souhaités, dans vos interventions respectives.
Monsieur le rapporteur général, vous m’avez notamment interrogé, s’agissant des modalités du soutien à l’Irlande, sur la garantie de l’État. Je rappelle que, pour un montant compris entre 4 milliards d’euros et 5 milliards d’euros, cette garantie porte uniquement sur les emprunts qui seront émis par le Fonds européen de stabilité financière, soit 17,7 milliards d’euros sur les 85 milliards d’euros.
Le Fonds devrait émettre dans le courant du mois de janvier. Auparavant, les États seront invités à engager leur garantie via un titre de garantie qui sera remis aux investisseurs. C’est alors que Mme la ministre de l’économie, Christine Lagarde, apportera au Parlement toutes les informations utiles, conformément à ce qui est prévu par la troisième loi de finances rectificative pour 2010, texte que vous avez examiné avant l’été.
Le plan de soutien à l’Irlande s’inscrit lui-même dans un plan d’ajustement très rigoureux, préparé en toute indépendance par la Commission européenne et le FMI, en lien avec la BCE. Tous les acteurs sont donc à la manœuvre.
Ce plan est loin d’être un chèque en blanc. Vous ne pouvez pas dire qu’aucune contrepartie n’a été demandée à l’Irlande ! Il n’est que de constater la dureté des dispositifs contenus dans ce qu’il faut bien qualifier de plan d’austérité – il est susceptible de pousser au départ une partie de la jeunesse irlandaise -,…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Qu’ils augmentent leurs impôts !
M. François Baroin, ministre. … pour mieux mesurer le courage de l’actuel gouvernement irlandais, dont le destin est, naturellement, lié à la situation budgétaire du pays.
On ne peut que saluer une telle volonté politique, qui se traduit par la mise en place de dispositifs d’une rigueur extrême. Si ce n’est pas une contrepartie, je ne sais pas ce que c’est, mesdames, messieurs les sénateurs !
Quant à la question de l’évolution de la fiscalité, notamment celle des entreprises, selon moi, il nous faut procéder étape par étape concernant l’Irlande.
Nous soutenons ce plan de rigueur. (M. le président de la commission des finances s’exclame.)
Jamais un pays n’est allé aussi loin, qu’il s’agisse de baisse des salaires des fonctionnaires, de suppressions de postes, de révision des dépenses de protection sociale, de hausse de la TVA.
Monsieur le rapporteur général, je comprends ce qui motive vos demandes ; cependant, en responsabilité, je ne peux pas vous suivre sur ce terrain.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Dommage !
M. François Baroin, ministre. Vous avez évoqué par ailleurs, s’agissant cette fois des ouvertures de crédits, la persistance de sous-budgétisations en loi de finances initiale. Je vous répondrai brièvement, en mettant en avant deux idées principales.
D’une part, nous finançons en 2010 un dépassement de dépenses très exceptionnel, essentiellement lié à la situation économique. Il n’est pas illogique de mettre en regard une ressource, elle aussi ponctuelle, sur les charges de la dette notamment. Cette opération ne remet pas en cause la sincérité du projet de loi de finances pour 2011.
D’autre part, concernant les dépenses d’intervention, nous présentons dans ce collectif plus de 3 milliards d’euros d’ouvertures de crédits, lesquelles sont bien évidemment gagées par des annulations de crédits à due concurrence. Nous respectons ainsi la norme de dépense, et ce dans un contexte difficile, je vous remercie de l’avoir reconnu.
Ces ouvertures de crédits sont exceptionnelles et conjoncturelles. Ainsi, près de 1,4 milliard d’euros de crédits sont ouverts en faveur respectivement de la politique de l’emploi – il était indispensable de soutenir l’activité et l’emploi des plus fragiles –, en faveur de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » – en raison évidemment des difficultés plus grandes de retour à l’emploi des personnes handicapées, ce qui pèse notamment sur les dépenses liées à l’allocation aux adultes handicapés –, et en faveur de l’hébergement d’urgence ou des aides au logement, dépenses qui sont, là encore, très sensibles à la situation économique.
En votre éminente qualité de maire, monsieur le rapporteur général, vous pouvez mieux que quiconque mesurer l’importance des dépenses budgétaires consenties en faveur des politiques de proximité et d’accompagnement menées à destination des publics les plus fragiles.
En regard de ces dépassements exceptionnels, il faut signaler la baisse, elle aussi ponctuelle, de la charge de la dette, et, dans une moindre mesure, des prélèvements en faveur des collectivités locales et de l’Union européenne.
De notre point de vue, ce schéma équilibré nous permet de faire face à des dépenses pour l’essentiel obligatoires sans pour autant remettre en cause nos engagements de maîtrise des dépenses.
Concernant le caractère structurel ou reconductible de ces dépassements pour l’année 2010 et leur répercussion sur les comptes de l’année 2011, je veux vous rassurer : les dépassements étaient attendus et, dans leur grande majorité, ils ont été anticipés et intégrés dans le projet de loi de finances pour 2011. Autrement dit, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne cachons rien sous le tapis, tout est sur la table, tout est transparent !
À l’appui de ma démonstration, je citerai quelques exemples.
Les crédits en faveur de l’emploi, sur lesquels nous économisons entre 1 milliard d’euros et 1,5 milliard d’euros en 2011, restent stables en valeur parce que nous avons tenu compte des effets en 2011 des dérapages constatés en 2010.
Interrogé sur ce même sujet à l’Assemblée nationale, je n’ai pas fait de réponse différente : à interrogation logique, réponse étayée !
Les contrats aidés seront moins nombreux l’année prochaine en raison de l’amélioration de la situation économique, mais la dotation afférente augmentera de 400 millions d’euros en 2011.
De même, la dotation pour l’AAH, quant à elle, est réévaluée de près de 700 millions d’euros : cette réévaluation s’explique, pour une moitié, par le coût de la revalorisation annuelle et la progression anticipée du nombre de bénéficiaires, mais, surtout, pour l’autre moitié, par une vraie remise à niveau de la dotation, qui tire les conséquences des ouvertures demandées dans le cadre du présent projet de loi de finances rectificative.
Je précise d’ailleurs que le Président de la République a lui-même rendu un arbitrage en ce sens pour tenir l’engagement pris d’augmenter de 25 % l’AAH sur la durée du quinquennat.
De la même façon, nous tenons compte du dépassement consécutif à une baisse du nombre des départs à la retraite, en 2009 et en 2010, dans la budgétisation des crédits de personnel des différents ministères en 2011.
Vous avez souligné, cher Philippe Marini, le caractère plus contraignant, ou plus vertueux, de la norme de dépense « zéro valeur » que l’État s’est fixée à compter de 2011. Je remercie également Adrien Gouteyron d’avoir souligné que nous respections cette norme cette année, tout comme nous la respecterons bien évidemment l’année prochaine, même si les contraintes sont plus fortes.
Madame Morin-Desailly, j’ai bien noté vos inquiétudes quant aux effets sur les salles de cinéma de la réforme de l’évaluation des valeurs locatives. Je rappelle néanmoins que, dans un premier temps, cette réforme sera expérimentale et limitée à quelques départements, ce qui permettra d’en juger les effets sur certaines professions.
À cet égard, je souligne que ces expérimentations ont été rendues possibles grâce à la révision constitutionnelle. Sans cet outil constitutionnel mis à la disposition du Gouvernement ou du Parlement, nous n’aurions probablement pas la possibilité de mesurer, pendant un temps défini, l’impact d’une politique publique nouvelle.
Personne ne peut sérieusement contester la nécessité de réviser les valeurs locatives professionnelles, même s’il faut être conscient des difficultés que cela pourra susciter. Si nous ne sommes jamais parvenus, dans le passé, à engager cette révision, c’est bien qu’il y avait un obstacle difficilement franchissable. L’expérimentation à laquelle nous allons procéder dans cinq départements l’année prochaine…