M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la simplification du droit est « une formule si creuse et si vague qu’elle ne peut donner son unité à un dispositif qui part dans tous les sens ». Ces propos du professeur Pierre Delvolvé résument très bien la situation.
Nous sommes aujourd’hui saisis du troisième texte de ce type depuis le début de cette législature, et du sixième depuis 2002 – je les ai tous vus défiler dans cet hémicycle.
À la lecture de l’intitulé de cette proposition de loi, on aurait pu légitimement s’attendre à ce que son seul objectif soit de résoudre les difficultés rédactionnelles, d’interprétation ou d’application de dispositions législatives existantes, soit que ces dernières soient imprécises, complexes ou obsolètes, soit qu’elles constituent des contraintes inutilement lourdes.
En réalité, cette proposition va largement au-delà d’une simplification à droit constant. En cela, elle s’inspire des textes précédents, et tend même à les dépasser.
Un petit nombre seulement des articles de ce texte visent à clarifier des normes contradictoires ou imprécises. Les autres visent non pas à simplifier le droit, mais à le modifier de façon substantielle.
L’intitulé de cette proposition de loi prête donc à sourire. Simplification, nous dites-vous ? En fait, seuls les projets qui se cachent derrière la grande majorité de ces alinéas sont simples à déceler ! Nul ne peut donc prétendre raisonnablement remettre de l’ordre avec un tel désordre, sinon la majorité, ou M. le garde des sceaux – cette proposition de loi ayant été déposée voilà plus d’un an, je reconnais toutefois que vous ne sauriez en être tenu pour responsable, monsieur Mercier ! (M. le garde des sceaux s’entretient avec M. le rapporteur.) Vous ne m’écoutez pas : ce n’est pas grave !
La simple lecture du texte nécessite un travail titanesque de décryptage. Vous y faites parler les mots avec excès, si bien qu’ils perdent constamment leur sens. La langue française, celle-là même que nos dirigeants entendent promouvoir lorsqu’ils évoquent à la pelle des problèmes d’assimilation, est pourtant très bien faite de ce point de vue : une amélioration signifie un changement, en mieux.
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Or ce texte s’inscrit au contraire dans la vaste entreprise de dégradation des conditions d’élaboration de notre droit, de même qu’il est truffé de dispositions qui amenuisent les droits de nos concitoyens et avalisent le « parlementarisme maîtrisé », cher au Président de la République et, semble-t-il, à la majorité. Il y a pléthore de termes que vous auriez pu employer pour nommer ce texte, mais, à l’évidence, ni « simplification », ni « amélioration » du droit !
Ce texte, qui compte cent cinquante-huit articles, comprend ainsi des dispositions qui touchent, tous azimuts, l’ensemble de nos codes.
Gardons en mémoire la loi du 12 mai 2009, déjà dite de simplification. Son article 124 comportait cinquante-sept dispositions législatives différentes, dont celle qui a fait scandale à propos de la scientologie. Vous voyez, mes chers collègues, qu’une petite mesure détestable parvient toujours à se glisser au travers de ces textes. En l’occurrence, il s’agissait, étrangement, de la trente-troisième mesure, perdue au milieu de toutes les autres…
En 2006, la Cour des comptes, sur lettre de mission de l’ancien secrétaire d’État à la réforme de l’État, M. Éric Woerth, avait rendu un rapport dans lequel elle était chargée d’évaluer les effets de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit par voie d’ordonnances sur la base d’« une analyse précise et objective du résultat obtenu » par lesdites ordonnances.
La Cour des comptes a relevé à cette occasion que cette loi, à l’image d’ailleurs de l’ensemble des prétendues lois de simplification, a été l’occasion d’un « effet d’aubaine législatif » et que, « si elle se montrait relativement efficace lorsque prédominaient les enjeux procéduraux, elle ne constituait pas un point d’entrée pertinent pour les réformes de fond et s’avérait inopérante lorsque la complexité des textes renvoyait à la complexité des réalités de notre société ». Dès lors, cette institution relevait que l’utilisation des « ordonnances de simplification pour produire du droit nouveau ne contribue pas à la lisibilité du processus ». Apparemment, vous n’en avez cure !
Les différents articles de cette proposition de loi visent à réformer les normes comptables des PME, le droit de la santé publique, le statut des architectes, le droit de préemption en matière d’urbanisme – ce qui n’est pas une petite affaire ! –, les groupements d’intérêt public, en en supprimant au passage, et à transposer dans le droit français des directives européennes sur la TVA et les services… Et j’en passe !
Heureusement, M. le rapporteur a supprimé quelques articles qui apparaissaient vraiment abusifs.
Toutefois, de nombreuses dispositions de ce texte visent à transposer la directive Bolkestein, qui avait tant fait parler d’elle au moment du débat sur le traité constitutionnel européen, que les Français, je vous le rappelle, ont massivement rejeté. Vous avez choisi une méthode de transposition en catimini, critiquable tant sur la forme que sur le fond.
Par ailleurs, depuis 1991, dans les rapports qu’il publie annuellement, le Conseil d’État n’a eu de cesse d’exprimer son inquiétude devant la complexification du droit, en particulier dans son rapport de 2006, à l’intitulé révélateur : « Sécurité juridique et complexité du droit » ! Il déplorait à cette occasion la « logorrhée législative et réglementaire » et « l’instabilité incessante et parfois sans cause » des normes. Nous ne pouvons que confirmer cette dévaluation constante de notre droit parce que, non seulement nous légiférons trop, mais nous légiférons mal.
En tant que parlementaires, nous le regrettons profondément, car, au-delà de nos clivages politiques de fond, cela a pour corollaire une déconsidération sans précédent du travail inhérent à l’exercice de notre mandat.
Pire, l’insécurité juridique qu’elle génère pour nos concitoyens atteint des proportions particulièrement préoccupantes pour notre état de droit.
Nous sommes d’ailleurs aux premières loges pour constater à quel point cette dérive a été accentuée par le mandat de l’actuel Président de la République, la grande majorité des textes dont nous avons été saisis – et ils ont été très nombreux ! – faisant l’objet d’une procédure accélérée. Il est du reste à noter que 90 % d’entre eux étaient des projets de lois.
Au demeurant, il est aujourd’hui particulièrement délétère pour notre démocratie que le domaine d’initiative parlementaire serve de réceptacle aux caprices du Gouvernement. Et vous n’en êtes pas à votre premier ballon d’essai !
Cela a deux conséquences majeures : d’une part, sur la considération du travail parlementaire, comme je l’évoquais voilà un instant, et, d’autre part, sur l’exigence constitutionnelle de clarté et de lisibilité de la loi pour nos concitoyens.
Il me semble en effet nécessaire de rappeler que, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la loi est l’expression de la volonté générale »… Cela exclut a priori les intérêts particuliers, si bien portés par les lobbies ici même, mais c’est une chose que la majorité présidentielle a manifestement du mal à comprendre.
Aussi, il convient également de rappeler que, aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ».
Personne n’est au-dessus de notre loi fondamentale. L’ignorer relève d’une irrévérence, dont vous devrez répondre. En revanche, lorsqu’il s’agit de faire usage de l’article 40 pour balayer nos propositions d’un revers de main, pour des raisons fort obscures, voire même, parfois, incompréhensibles, nul besoin de vous aviser : vous maîtrisez parfaitement la technique !
Le Conseil constitutionnel a déduit de ces articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’ils imposaient le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, et en a fait la base de nombre de ses décisions.
Le premier manquement à ce principe de sincérité est d’affirmer que ce texte est une proposition de loi, alors qu’il s’agit de facto d’un projet de loi, au demeurant préparé par un cabinet privé. Belle gageure que d’avoir tenté de nous faire croire le contraire !
D’ailleurs, on ne peut que constater que M. Warsmann a été bien aidé dans son œuvre. En effet, à la suite de la saisine du Conseil d’État par le président de l’Assemblée nationale, onze rapporteurs ont été chargés de l’examen des différents articles, et les cinq sections administratives ont été saisies du texte. Des représentants du Gouvernement et de l’administration centrale ont apporté leur contribution au travail des rapporteurs. Vous conviendrez, mes chers collègues, qu’il y a là une disproportion flagrante, et contestable, entre les moyens déployés pour le travail administratif et technique et ceux qui sont alloués au bon fonctionnement du travail parlementaire. Comment voulez-vous qu’un parlementaire réalise en quelques jours ce qui a été brodé en plusieurs mois par un escadron de juristes émanant de cabinets et de l’administration ?
Nous sommes certes convaincus que la représentation nationale devait se saisir de cette question, en débattre et tenter de lui apporter les réponses nécessaires à la clarification, à la lisibilité et à l’applicabilité des normes.
Dans son rapport, qui a néanmoins le mérite de l’honnêteté,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … M. Saugey estime qu’il faudra « à l’avenir revenir sur l’esprit qui a animé à l’origine cet utile mouvement de toilettage du droit ». Mais pourquoi ne pas conjuguer cette nécessité au présent, en rejetant ce projet et en tentant dès à présent de suivre une autre voie ? Ce constat, monsieur le rapporteur, nous l’avons déjà fait à six reprises ! Comprenez donc que nous ayons quelques difficultés à croire aujourd’hui ceux qui prétendent que nous ferons mieux à l’avenir.
Certains des sujets abordés dans ce texte exigent des discussions approfondies et spécifiques. Nous n’avons eu de cesse, sur certaines travées de cet hémicycle, d’affirmer notre volonté de reconquérir la maîtrise publique des services publics et des entreprises nationales. Cela passe évidemment par le rejet en bloc des dispositions et du projet de société que porte la directive Bolkestein. Ces sujets méritent débat. Mais voilà qu’au détour de cette proposition de loi, qui entend « simplifier le droit », on transpose à bon nombre de domaines et de professions cette directive, que nous considérons pour notre part comme scélérate.
Encore une fois, le Gouvernement, pressé par le temps, use de tous les procédés, aussi anti-démocratiques soient-ils, pour faire passer des dispositions partout et n’importe quand.
Les États membres de l’Union disposaient de trois ans à compter de la publication de la directive, c’est-à-dire jusqu’au 28 décembre 2009, pour assurer sa transposition. Le processus de transposition de la directive, qui est toujours en cours, constitue une étape déterminante dans la sanctuarisation de plusieurs services par rapport aux règles de la concurrence et du marché intérieur.
Outre le retard qu’ont pris les travaux, et le manque patent de moyens de la cellule interministérielle qui en est chargée, ce qui n’est guère étonnant, la méthode de transposition choisie a été très largement critiquée, y compris parmi les membres de la majorité. Le rapport d’information parlementaire sur la transposition de la « directive services », présenté par le sénateur Jean Bizet, levait toute ambiguïté quant à la possibilité pour la représentation nationale de débattre des nombreux enjeux de sa transposition quelques mois avant son entrée en vigueur.
Il affirmait que « le gouvernement français a abandonné l’objectif […] de déposer un projet de loi-cadre pour transposer la directive ». On savait déjà que la transposition se ferait via une multitude de projets de loi sectoriels, et c’est en effet ce qui se passe.
Le rapport nous indiquait aussi qu’il n’y aurait « pas de recours aux ordonnances, en principe », tout en prenant la sage précaution de mentionner qu’« il faut toutefois rester vigilant en la matière ». C’est le cas de le dire, mais pourrons-nous l’être ? Nous sommes aujourd’hui en droit de douter de vos « principes » au regard de la façon dont la France est gouvernée et la démocratie malmenée.
Dans ce contexte, il ne semble pas acceptable que les importants enjeux de la transposition soient débattus, par défaut, dans le cadre d’une proposition de loi de simplification du droit, censée, qui plus est, n’apporter de modifications qu’à droit constant !
Tout comme il paraît aussi quelque peu étrange qu’une proposition de loi ratifie une ordonnance prise par le Gouvernement.
Quant aux autorisations de légiférer par voie d’ordonnance pour transposer des directives, contenues à l’article 151, considérez-vous qu’elles constituent une simplification du droit ? Encore une fois, nous regrettons que l’on procède de la sorte.
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui plus est, nombre d’amendements déposés à la dernière minute relèvent du même tour de passe-passe. Par exemple, il est pour le moins surprenant, et à mon sens peu recevable, que M. Zocchetto ait pris l’initiative de déposer un amendement qui bouleverse une tradition contentieuse multiséculaire, basée sur un système inquisitorial, en modifiant substantiellement le rôle du rapporteur public.
Mais, le plus grave, c’est que cet amendement a, me semble-t-il, reçu un avis favorable de la commission des lois sans aucune discussion préalable, à moins que je n’aie eu un moment d’inattention en plein débat sur les retraites, mais cela n’excuse en rien le résultat.
Au fond, sous le prétexte de simplifier le droit, le Parlement est dessaisi de son pouvoir législatif. Cette façon de faire est outrageante pour la représentation nationale. Nous regrettons de devoir aujourd’hui participer à une parodie de débat, qui, disons-le clairement, n’honore pas le Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ferai l’économie des propos à caractère général sur ce type de texte…
Mme Françoise Henneron, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. … puisque ces propos ont déjà été exprimés avec beaucoup de talent par les orateurs précédents. Par ailleurs, je suis prudent car j’ai naguère été député et je rapportais parfois, alors que je soutenais le gouvernement, des textes portant « diverses dispositions d’ordre social » ; il y eut même « diverses dispositions relatives aux collectivités locales » (M. le rapporteur opine.), « diverses dispositions d’ordre financier »… (Sourires.)
J’espère que la vertu à laquelle nous a appelés M. Maurey va s’instaurer dans la République et que le futur gouvernement que j’aurai l’honneur de soutenir – je n’en doute pas – n’aura pas recours à de telles formules législatives… (Nouveaux sourires.)
Mme Françoise Henneron, rapporteur pour avis. On espère que non !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais n’en étant point sûr, j’ai décidé, mes chers collègues, de me centrer (M. le garde des sceaux sourit.) sur les questions de fond auxquelles nous sommes confrontés.
M. Josselin de Rohan. C’est une bonne idée !
M. Jean-Pierre Sueur. Je dirai d’abord que nous avons décidé de ne voter aucune des dispositions relatives à la directive « Services ». Cette directive a beaucoup d’importance, elle a donné lieu à de très nombreux débats et il aurait été préférable, nous semble-t-il, qu’un texte de loi lui fût consacré ; ce n’est pas de bonne méthode que de la découper en morceaux comme cela est fait.
De la même manière, nous aurons une position très claire sur le recours aux ordonnances : nous y sommes toujours très réticents en raison des abus liés à cette procédure.
Je voulais aussi, avant d’en venir à d’autres points, souligner le travail de notre rapporteur, Bernard Saugey, et des rapporteurs pour avis. Je tiens à souligner, s’agissant des travaux que nous avons menés au sein de la commission des lois, que M. Bernard Saugey a fait preuve d’ouverture par rapport à un certain nombre de questions et de propositions.
Mme Catherine Tasca. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. Il a en particulier eu une attitude extrêmement nette sur certains points du texte que vous auriez pu devoir défendre, monsieur le garde des sceaux, et que vous auriez peut-être eu quelques difficultés à défendre. Je pense, notamment, à cet article vraiment absurde qui émanait de la proposition de loi dans lequel il était question, sans doute pour simplifier les choses, de supprimer les plans personnalisés de compensation du handicap, alors que c’était un point majeur de la dernière loi relative au handicap et que toutes les associations de handicapés, sans aucune exception, me semble-t-il, ont marqué l’importance de bâtir pour chaque personne concernée un plan personnalisé de compensation.
J’en viens maintenant à d’autres questions de fond et aux positions et propositions qui sont les nôtres car, comme tout un chacun, nous n’avons pas manqué de proposer des enrichissements à ce texte. Donc, ne disons pas le contraire, nous avons, comme toutes les commissions et tous les groupes, proposé un certain nombre de choses.
Premièrement, je dirai quelques mots sur la question de l’École nationale d’administration, l’ENA, mais d’autres collègues en parleront, en particulier Mme Catherine Tasca. Je ne m’attarderai donc pas sur ce sujet, mais il est, à nos yeux, essentiel parce que derrière la question de l’affectation des élèves issus de l’ENA se pose finalement une question essentielle au regard des principes républicains.
Les concours et les classements présentent, il est vrai, des imperfections, mais l’absence de critères donne lieu à des connivences, ce qui est contraire aux principes républicains. Notre collègue Catherine Tasca ainsi que d’autres collègues reviendront sur ce sujet, et j’espère que ces discussions permettront au Sénat d’adopter une position, sur laquelle nous étions d’ailleurs accordés, monsieur de Rohan, lors d’un débat qui eut lieu il y a un an ou deux.
Monsieur le garde des sceaux, nous proposerons une disposition qui, j’en suis sûr, concernant les écoutes administratives, vous ira droit au cœur en votre qualité de garde des sceaux. (M. le garde des sceaux tend l’oreille.) Vous avez raison de tendre l’oreille ! (Sourires.)
Vous avez suivi l’actualité, lu la presse, et vous êtes bien informé. Il y a actuellement un vrai malaise. Et quand je dis « malaise », j’emploie un mot qui n’est pas suffisamment fort !
Il est inadmissible que la Direction centrale du renseignement intérieur se préoccupe de rechercher l’origine des appels téléphoniques passés ou reçus par des journalistes, par un membre du cabinet de votre prédécesseur, et même par des magistrats. On ne peut absolument pas utiliser la loi de 1991 pour justifier de telles pratiques.
M. le directeur de cabinet de M. le Premier ministre a écrit une lettre à M. le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, et M. François Fillon a déclaré à l'Assemblée nationale : « le strict respect des libertés publiques impose que les interceptions et toutes les données qui s’y rattachent soient strictement limitées, et soient contrôlées de façon étroite ».
Nous estimons que les amendements que nous avons déposés et dont nous allons discuter font assurément œuvre de clarification, laquelle est nécessaire eu égard aux événements que nous avons connus dans le passé récent.
De la même manière, concernant les fichiers, nous pensons qu’il est nécessaire de transmettre à la délégation parlementaire au renseignement tout décret en Conseil d’État créant un traitement de données dont il a été prévu une dispense de publication au Journal officiel.
Nous connaissons tous, mes chers collègues, la grande rigueur et le sens de l’État avec lesquels les membres de la délégation parlementaire au renseignement accomplissent leur tâche. Là encore, il nous semble que ces garanties seraient très utiles.
Par ailleurs, nous vous proposerons, monsieur le garde des sceaux, une simplification, à savoir la suppression d’un article de notre droit tout à fait inutile ; je veux parler de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, qui concerne ce que l’on nomme « le délit de solidarité ».
Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans notre corpus législatif, le fait d’apporter une aide directe ou indirecte à des étrangers en situation irrégulière peut donner lieu à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
Très franchement, cette disposition est choquante. Bien sûr, vous pourrez toujours invoquer, monsieur le garde des sceaux, l’argument consistant à dire que ce n’est pas l’objet du texte. Mais comme, précisément, ce texte n’a pas d’objet, cet argument n’a pas non plus d’objet, d’autant qu’une lecture vigilante du texte montre que l’article 124 de cette proposition de loi vise à modifier le CESEDA. Vous le voyez, cet argument est donc inopérant.
Si vous avez un peu de temps, je me permets de vous conseiller un livre qui ne coûte que trois euros et pourrait faire l’objet d’un cadeau de Noël ; celui de mon ami Stéphane Hessel intitulé Indignez-vous !
M. Jean-Pierre Sueur. Stéphane Hessel est une personnalité d’une haute valeur morale,…
M. Jean-Pierre Sueur. … qui, vous le savez, a rejoint le général de Gaulle en 1941, a été résistant, déporté, torturé et a contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
M. Jean-Pierre Sueur. Il énonce dans ce livre quelques paroles fortes.
Il serait à l’honneur de la France d’affirmer que le fait de porter secours à des personnes sans papiers, qui sont dans le dénuement, le désarroi et la solitude, n’est pas un délit. Ces citoyennes et citoyens de notre pays, de même que les associations qui les soutiennent, font simplement œuvre d’humanité.
Cette simplification aurait une haute valeur morale, et serait lourde de signification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Je reviendrai également sur la question du rapporteur public évoquée par plusieurs de mes collègues, notamment Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Monsieur le garde des sceaux, il ne serait pas correct – j’espère que nous allons voter en conséquence ! – que, au détour d’un amendement, on décide tout d’un coup que le rapporteur public au sein des tribunaux administratifs est dispensé de prononcer ses conclusions sur des sujets qui seraient fixés par décret.
Je rappelle que le gouvernement français, répondant à la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en 1998, a affirmé que le rapporteur public, qui s’appelait alors le commissaire du gouvernement, appartenait aux meilleures traditions du droit français. Puisque tel est le cas, il nous faut être très vigilants. Qui plus est, il serait précisé que c’est un décret – alors que cela relève éminemment de la loi ! – qui prévoira dans quelles matières le rapporteur public est autorisé à ne rien dire, au motif qu’il y a, paraît-il, beaucoup de travail Cela ne nous semble pas correct. C’est pourquoi notre opposition sera très nette.
De même, plusieurs de nos collègues proposeront des dispositions de simplification, notamment pour éviter à certains de nos concitoyens – je sais que notre collègue Richard Yung est très sensible à cette question – nés à l’étranger d’être en butte à des tracasseries et à des comportements vexatoires en cas de renouvellement de leur carte d’identité ou de leur passeport. En effet, à force de leur demander sans cesse des renseignements sur leur identité, ils ont l’impression de ne plus faire partie d’une nation à laquelle ils appartiennent.
De même, nous ferons des propositions dans le secteur du logement locatif, singulièrement du parc locatif privé, en raison notamment de la flambée des prix en Île-de-France, nombre de nos concitoyens rencontrant des difficultés pour se loger.
Nous serons également attentifs à la défense du service public ; je pense notamment aux dispositions relatives aux GRETA, les groupements d’établissements. Un certain nombre de nos collègues auront l’occasion de défendre ce qui fait la spécificité du service public des GRETA, car un GRETA est fort différent d’un groupement d’intérêt public.
Enfin, nous avons repris un certain nombre de dispositions sur des sujets qui nous tiennent à cœur. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir bien voulu, avec la commission, reprendre nos propositions en matière d’autopsie judiciaire.
Nous aurons l’occasion d’en parler, il existe un grand vide dans le code de procédure pénale au sujet de l’information des familles, de la dignité, des conditions dans lesquelles les corps sont rendus, de la formation des médecins qui pratiquent les autopsies, ou encore du statut des prélèvements humains. Il serait sage qu’à la faveur de cette loi nous puissions avancer sur ce sujet, tout comme j’aimerais que nous avancions sur la question des dons d’organe.
Vous le savez, mes chers collègues, il existe aujourd’hui un registre pour consigner le nom des citoyens qui refusent le don d’organe – et c’est leur droit – ; de la même façon, nous souhaiterions que soit mis en place un registre consignant le libre choix de citoyens voulant donner leurs organes.
Nous avons aussi repris un certain nombre de dispositions sur les entrées de ville, qui ont été adoptées par le Sénat. Le Gouvernement a proposé de les supprimer, alors qu’elles ont été adoptées à l’unanimité par notre assemblée. Il serait donc souhaitable que nous leur donnions une suite législative effective.
J’ai bien conscience, comme tous mes collègues, du caractère quelque peu disparate de toutes ces dispositions – mais telle est la loi du genre. Sur ces différents sujets que nous traiterons ce soir et demain, nous serons guidés par les valeurs qui sont les nôtres : le souci de prendre des mesures propices à la justice, à la solidarité et à nos conceptions républicaines. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à récemment, le droit français a représenté un modèle dont s’inspiraient de nombreux États dans le monde. Il constituait alors un ensemble cohérent, intelligible, rédigé dans une langue claire, dense et précise.
Force est de constater que, aujourd’hui, ces caractéristiques se sont pour le moins altérées, et cela pour diverses raisons : l’importance des normes européennes et internationales que nous devons transposer dans notre ordre juridique interne ou encore le transfert de compétences de l’État aux collectivités territoriales.
Le droit positif de notre pays assure l’unité de celui-ci. Il est l’indispensable garant de l’égalité entre tous ; c’est la raison pour laquelle il doit être accessible à chacun. Or l’accumulation de textes, dont nous sommes d’ailleurs les premiers responsables, a conduit à le complexifier et à l’éloigner quelque peu de nos concitoyens.
Alors que l’intelligibilité et l’accessibilité du droit ont valeur constitutionnelle, notre droit est paradoxalement devenu si complexe et obscur que nos concitoyens s’y perdent. Notre pays souffre aujourd’hui d’un trop-plein de lois et de règlements. Comment le principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi peut-il s’appliquer réellement dans ces conditions ?
Cette complexité est lourde de conséquences, ainsi que l’a régulièrement souligné le Conseil d’État depuis 1991. La loi doit être claire, intelligible, stable et cohérente. Trop difficile à comprendre, la règle est souvent mal appliquée ou pas appliquée du tout.
Le second risque inhérent à cette complexité est celui de la fragilité de la règle édictée : il y va de la sécurité juridique des actes et décisions, donc du bon fonctionnement de la démocratie.
Le groupe UMP se félicite par conséquent de cette initiative législative et de l’important travail fourni afin de supprimer de nombreuses dispositions incohérentes ou inutiles.
Il ne s’agit pas, pour autant, de fustiger une éventuelle boulimie législative ou réglementaire : nul ne peut pointer du doigt un législateur dont l’intention est d’apporter une solution concrète à tel ou tel problème. Mais, bien souvent, les lois sur un même sujet se succèdent et viennent brouiller le message.
Notre droit peut donc quelquefois ressembler à un enchevêtrement de mesures, à un imbroglio juridique au sein duquel les justiciables et les administrés sont trop souvent perdus. Il est de notre responsabilité d’aider les Français à y voir plus clair dans ce que beaucoup considèrent encore comme un capharnaüm.
Pour la troisième fois sous cette législature, il nous est proposé de nous prononcer sur une proposition de loi visant à simplifier notre droit. Celle-ci s’inscrit entièrement dans l’esprit des deux précédents textes, de 2007 et de 2009. Elle est issue d’une très large concertation avec les professionnels concernés.
Enfin, comble de la légitimité, ce texte est le premier à avoir été soumis par l’Assemblée nationale au Conseil d’État, lequel a émis un avis favorable à la proposition de loi sous le bénéfice d’observations et de suggestions de rédaction.
L’ambition qui sous-tend cette proposition de loi est résumée par le titre de celle-ci : elle vise à simplifier et à améliorer la qualité de notre droit. Il s’agit, plus particulièrement, d’abroger un grand nombre de textes désuets, de clarifier bien des pans de notre législation, d’alléger les procédures, de corriger des erreurs de rédaction et de simplifier, voire de supprimer, certaines démarches administratives qui pèsent sur nos concitoyens.
Enfin, de nombreux articles tendent à conformer notre droit aux exigences européennes, avec la transposition de plusieurs dispositions de la directive Services simplifiant l’exercice de certaines professions.
Nous sont ainsi proposées des mesures concrètes qui concernent l’ensemble de la société. Certaines d’entre elles simplifieront réellement la vie des Français. Je prendrai deux exemples parlants pour les élus que nous sommes, nous qui sommes régulièrement confrontés à ce genre de remarques.
Premièrement, les administrations auront désormais l’obligation d’échanger entre elles les pièces justificatives nécessaires aux démarches des usagers, lorsque ce sont elles qui les détiennent, afin que les usagers n’aient plus à produire à nouveau des justificatifs qu’ils ont déjà adressés à une administration.
Deuxièmement, les autorités administratives devront désormais informer de leur erreur les citoyens qui ont produit une demande comportant un vice de forme et leur indiquer quelle démarche poursuivre.
Ces mesures permettront de continuer l’effort engagé afin d’améliorer le service rendu au public par nos administrations.
Sans entrer dans le détail, certaines mesures témoignent d’une volonté de cohérence et d’allégement des procédures : meilleur traitement des informations par les autorités administratives, traitement plus humain de certains cas de handicap, simplification dans le domaine de la santé, chasse aux rapports inutiles ou facilitation de la lutte contre la corruption ; autant de mesures décisives qui aideront les particuliers, les professionnels ou même les collectivités territoriales.
De nouvelles dispositions permettront une simplification dans la gouvernance des entreprises. Ainsi les petites entreprises soumises au régime simplifié d’imposition pourront-elles utiliser une annexe comptable très simplifiée, selon un modèle qui sera fixé par l’Autorité des normes comptables. Ces entreprises pourront également tenir leur comptabilité en cours d’exercice, selon des règles simplifiées. Il en résultera une réduction non négligeable des coûts, sans pour autant que la fiabilité de la comptabilité et de l’information financière y perde.
Les groupements d’intérêt public, objet d’un chapitre entier, se voient enfin dotés d’un statut qui est cohérent et souple ; il sera donc utilisé davantage et permettra à des personnes morales de droit public, et même de droit privé, de travailler ensemble. Les collectivités territoriales disposeront ainsi d’un outil amélioré.
Les administrations elles-mêmes ne sont pas oubliées. Nous le savons bien, les assemblées votent régulièrement des dispositions impliquant la remise d’un rapport qui n’est pas toujours justifié. L’article 34 a été modifié par la commission des lois pour continuer de mettre en œuvre la logique de « chasse aux rapports », qui a longtemps prévalu, avec l’abrogation automatique de tout rapport au Parlement au bout de cinq ans.
En outre, les autorités administratives pourront être plus efficaces dans leurs consultations préalables à la prise d’une décision affectant des organismes ou des administrés, grâce à la possibilité nouvelle qui est offerte d’utiliser Internet ou tout autre moyen pour organiser des consultations ouvertes auprès des personnes concernées.
Enfin, un certain nombre de commissions administratives inutiles seront supprimées.
Il nous est également proposé, au travers de ce texte, d’abroger quarante-quatre lois ou articles devenus désuets ou obsolètes et de tirer les conséquences du défaut d’adoption de textes d’application.
Il est vrai que cette proposition de loi, longue de deux cent six articles après le vote de l’Assemblée nationale, comporte des mesures extrêmement hétérogènes.
Par définition, les textes de simplification du droit couvrent un champ extrêmement large et des notions très différentes y sont abordées : dispositions relatives aux fichiers de police, articles relatifs à la protection de l’identité, aux groupements d’intérêt public, à l’urbanisme... Le texte sur lequel nous avons eu à travailler était dense et manquait parfois de clarté et de concision.
Je souhaite remercier le rapporteur et les rapporteurs pour avis de leur travail minutieux et décisif, car ils nous présentent aujourd’hui un texte plus cohérent, indispensable à la bonne compréhension du droit.
Je ne reviendrai pas sur les autres points brillamment développés par nos rapporteurs. Toutefois, je tiens à saluer cet effort essentiel du Sénat pour recentrer le texte sur son objet simplificateur.
Ainsi, mes chers collègues, vous avez souhaité supprimer les articles relatifs à la réforme du droit de préemption, en distinguant notamment le droit de préemption urbain de celui qui s’applique en matière de périmètres d’aménagement – une réforme d’ampleur, insérée dans le texte lors des débats à l’Assemblée nationale. Nous nous réjouissons de cette suppression.
Vous nous proposez également de supprimer l’article 40, qui donnait, à titre expérimental, aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel une mission consultative sur les actes administratifs auprès des collectivités territoriales. En raison de cet article, en effet, le respect de délais de jugement raisonnables risquait d’être mis en cause.
Mes chers collègues, nous faisons aujourd’hui œuvre utile. Simplifier le droit est un acte essentiel et nécessaire, non seulement afin d’assurer une plus grande sécurité juridique, de garantir, au nom de l’économie, une plus grande souplesse et de rationaliser le travail des services publics, mais aussi afin d’améliorer le fonctionnement de nos institutions.
Les observations régulièrement formulées sur la nécessité de légiférer moins pour légiférer mieux apparaissent totalement fondées lorsque l’on constate tout le travail que nous devons fournir a posteriori.
C’est un fait : le champ de la proposition de loi est très large. Le travail de nos commissions a cependant permis de recentrer le texte sur son objet initial. Les mesures qui y sont prévues constituent ainsi des avancées concrètes et utiles pour atteindre notre objectif commun, largement partagé sur toutes les travées de cet hémicycle.
L’attente était forte chez nos concitoyens : entrepreneurs, élus locaux, juges et fonctionnaires. Nous nous devions d’agir avec résolution, afin de permettre à tous de comprendre les règles qui régissent notre vie en société. Pour cette raison, le groupe UMP adoptera avec conviction cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)