M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier, rapporteur pour avis.
M. Pierre Bordier, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des lois a confié à la commission de la culture le soin d’examiner au fond plusieurs articles de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit qui relèvent de ses domaines traditionnels de compétence, à savoir la presse pour la jeunesse, le patrimoine, l’éducation, le cinéma et l’audiovisuel.
Je souhaite attirer votre attention, en premier lieu, sur l’article 27 du présent texte, qui tend à modifier la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
À l’origine, cet article visait à rendre la réglementation relative à la presse en direction des jeunes conforme aux exigences du droit communautaire. Toutefois, en tant que représentant du Sénat à la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence, j’ai pu mesurer à quel point il est urgent d’adapter cette loi d’après-guerre aux réalités du secteur de l’édition jeunesse. L’ensemble de mes interlocuteurs, aussi bien les éditeurs que les représentants de l’État et des associations familiales, ont souligné la nécessité de débarrasser celle-ci de ses références obsolètes et de procéder aux aménagements nécessaires.
Dans ces conditions, les modifications adoptées par la commission de la culture ont porté principalement sur les deux points suivants.
D’une part, nous avons réduit de trente à seize le nombre de membres titulaires de la commission, tout en préservant la représentativité des différents collèges, afin de réduire ainsi le quorum nécessaire à la validité de ses délibérations et de la rendre plus réactive au caractère prolifique de l’édition jeunesse. À terme, ce que notre commission préconise, c’est une configuration s’inspirant du fonctionnement de la commission de classification des œuvres cinématographiques. En conséquence, il reviendra au pouvoir réglementaire d’instituer un fonctionnement en sous-commissions spécialisées en fonction de la nature de la publication – on pourrait en prévoir quatre : livres jeunesse, périodiques pédagogiques, périodiques de divertissement et publications non principalement destinées à la jeunesse – et d’adjoindre, le cas échéant, à chaque membre titulaire deux suppléants et, éventuellement, des adjoints, afin de permettre à la commission de disposer d’autant de rapporteurs que de besoin.
Je souhaiterais donc que le Gouvernement s’engage à prendre dans les meilleurs délais les textes réglementaires en ce sens.
D’autre part, à l’image de ce qui prévaut déjà aujourd’hui pour les jeux vidéo ou les films, nous entendons également introduire dans la loi le principe d’une auto-classification par les éditeurs des publications pornographiques. Dans ces conditions, la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence pourra recentrer ses moyens sur l’examen de publications plus problématiques qui, sans être classées pornographiques, peuvent heurter les mineurs lorsqu’elles sont mises librement à disposition du public, en raison de l’incitation au crime, à la violence ou aux préjugés ethniques ou sexistes qu’elles contiennent.
Par ailleurs, la commission de la culture est revenue sur la suppression par l’Assemblée nationale du Haut conseil de l’éducation, une structure légère dont le travail d’évaluation demeure indéniablement très utile.
Dans un souci de sécurisation de l’exercice de la profession d’architecte, notre commission a également souhaité clarifier et améliorer les modalités de fonctionnement et d’intervention de l’ordre des architectes.
Enfin, elle a introduit des dispositions visant à ratifier des ordonnances relatives au secteur du cinéma et à supprimer des renvois à des décrets devenus aujourd’hui obsolètes, prévus par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
En conclusion, la commission de la culture a donné un avis favorable à l’adoption des dispositions, modifiées par ses amendements, ressortissant à ses compétences. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc des commissions. – M. Nicolas About applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis.
M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons enfin, aujourd’hui, en séance publique cette proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, qui, je vous le rappelle, a été adoptée par les députés voilà plus d’un an, le 2 décembre 2009.
Le texte de la commission des lois est issu, quant à lui, de sa réunion du 6 octobre dernier, puisque nous devions initialement l’examiner en séance en octobre. La durée des débats sur le projet de loi portant réforme des retraites a conduit à son report à cette date.
S’agissant des différentes dispositions de cette proposition de loi, force est de constater leur caractère « fourre-tout » et l’absence d’unité de ce texte.
Celui-ci comprend ainsi, pêle-mêle, des articles portant sur les gérants d’auto-écoles, le personnel navigant de l’aviation civile, les sanctions applicables en matière de pollutions aquatiques et marines, pour ne prendre que quelques exemples des articles qui ont été délégués à notre commission.
Sur les 206 articles du texte adopté par les députés, la commission des lois en a délégué au fond vingt-cinq à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, qui m’a fait l’honneur de me nommer rapporteur pour avis le 17 février.
La commission de l’économie a proposé à la commission des lois une trentaine de modifications, que cette dernière a toutes retenues. Celles-ci ont plusieurs objectifs : supprimer des dispositions intégrées depuis décembre 2009 dans d’autres textes, notamment dans la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche ou dans la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, clarifier ou préciser certains articles, introduire de nouvelles dispositions de simplification, à l’exemple des règles relatives aux avances entre organismes d’HLM, enfin, supprimer certaines dispositions à nos yeux inopportunes, à l’exemple de la réforme du droit de préemption urbain, la commission de l’économie s’étant saisie pour avis des articles concernés.
Notre commission, tout comme la commission des lois, a en effet jugé, sur ce point, que la réforme adoptée par l’Assemblée nationale était inadaptée et présentait des inconvénients réels pour des avantages incertains.
Au-delà des différentes dispositions de cette proposition de loi, il me semble essentiel que le débat qui nous réunit aujourd’hui soit le dernier de ce type.
Notre discussion doit marquer le point final des lois générales de simplification. Je crois que M. le président et M. le rapporteur de la commission des lois partagent cet avis.
M. Jean-Pierre Sueur. Comme chaque fois !
M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis. Quelques chiffres illustreront mon propos.
Huit heures vingt : c’est la durée des débats sur la présente proposition de loi à l’Assemblée nationale, discussion générale comprise. Cela correspond à un rythme de deux minutes trente par article.
Deux cent quarante-quatre : c’est le nombre d’amendements à la proposition de loi qui ont été adoptés par la commission des lois lors de sa réunion du 6 octobre dernier. Parmi ces amendements, quarante-trois avaient été déposés par le Gouvernement.
Quarante-cinq : c’est le nombre d’articles ajoutés lors de la réunion de la commission des lois, qui correspond à peu près au nombre d’articles supprimés lors de cette même réunion.
Quarante-huit : c’est le nombre d’amendements déposés par le Gouvernement sur le texte de la commission.
Monsieur le garde des sceaux, est-il vraiment sérieux et raisonnable que le Gouvernement ait déposé plus de quarante amendements pour la réunion destinée à l’élaboration du texte de la commission, puis un nombre à peu près identique lors de la séance de la commission précédant l’examen en séance publique ?
Est-il également sérieux, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des lois, que le Gouvernement dépose ces amendements quelques heures seulement avant la réunion de commission, alors que certains ne comprennent pas moins de vingt-trois paragraphes ?...
Mes chers collègues, ces quelques chiffres démontrent que l’exercice auquel nous allons nous livrer aujourd’hui et demain n’est pas satisfaisant.
Au cours de mes auditions, j’ai souhaité m’intéresser à la démarche de simplification et, notamment, aux lois générales de simplification. Depuis le début des années 2000, quatre lois de simplification se sont en effet succédé : en 2003, en 2004, en 2007 et en 2009.
Les deux premiers textes ont été votés sur l’initiative du Gouvernement et le Parlement a d’ailleurs été en grande partie tenu à l’écart du processus de simplification puisque, par exemple, pas moins d’une soixantaine d’ordonnances ont été prises sur la base du texte de 2004.
Depuis 2004, l’initiative a changé de camp : la simplification est en effet devenue un des « chantiers prioritaires » de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Son président a été à l’initiative des textes de 2007 et de 2009, ainsi que de la présente proposition de loi.
Mais ces textes sont-ils des vecteurs permettant réellement la simplification et l’amélioration de la qualité du droit ? Ou sont-ils, comme l’a dit le professeur Pierre Delvolvé, que j’ai auditionné, des textes « indignes du Parlement » ?
M. Bernard Saugey, rapporteur. Oh ! C’est outrancier !
M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis. Quelques éléments de réponse.
Tout d’abord, bon nombre de leurs dispositions ont un intérêt plus que limité : il s’agit souvent d’actualiser des terminologies, de procéder à des coordinations, de corriger des erreurs de référence et, parfois, de supprimer des dispositions obsolètes ou des références devenues inutiles à des mesures réglementaires.
Si je comprends l’utilité de ces dispositions du point de vue de la qualité du droit, je ne crois pas que cela constitue la priorité du travail parlementaire.
Par ailleurs, l’examen de ce type de textes par le Parlement n’est pas satisfaisant. Plusieurs commissions les instruisant, cela conduit à un numéro d’équilibriste entre rapporteurs. Par ailleurs, ces textes étant « fourre-tout », il est très difficile d’organiser les débats et d’intéresser nos collègues en passant sans transition d’une disposition ayant trait au logement à une autre relative à la santé.
Enfin, ces textes sont eux-mêmes extrêmement complexes, et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, lors de chaque examen, les différents ministères exhument de leurs tiroirs des dispositions de coordination, de correction rédactionnelle et de simplification. D’autre part, nous les parlementaires, nous déposons aussi à cette occasion des amendements sur l’ensemble des sujets imaginables.
D’où le « gonflement » de ces textes : la précédente proposition de loi est ainsi passée de 50 à 140 articles au cours de l’examen parlementaire.
Cela explique d’ailleurs que ces textes peuvent conduire à des erreurs, à l’exemple justement de la précédente loi.
La présente proposition de loi illustre tout à fait cette tendance. Je note ainsi que pas moins de vingt amendements ont été déposés sur le logement, dont certains ne constituent pas, à l’évidence, des mesures de simplification : c’est le cas, par exemple, de la possibilité de fixer par décret en Conseil d’État le niveau des loyers des logements neufs en Île-de-France ou du champ d’application des règles en matière d’accessibilité aux handicapés.
Cette proposition de loi ne constitue pas le vecteur adéquat pour débattre de ces sujets de fond.
Certains de nos collègues profitent même de ce texte pour « rejouer le match », c’est-à-dire pour proposer des dispositions rejetées dans un autre cadre : il en est ainsi des amendements que nous aurons à examiner qui correspondent aux dispositions d’une proposition de loi portant sur la lutte contre le logement vacant, examinée et rejetée en novembre 2009 par notre assemblée !
Ces textes constituent donc une mauvaise réponse à un vrai problème, à savoir les dysfonctionnements de notre démocratie parlementaire.
C’est pour cela qu’il faut avant tout changer certaines pratiques. Je pense notamment à l’inflation législative, qui conduit à légiférer trop, trop vite, et par là même de manière peu satisfaisante. Entre 2000 et 2006, le rythme de production normative a ainsi été de 70 lois, 50 ordonnances et 1 500 décrets par an !
Un seul exemple de la frénésie législative : l’ordonnance de 1945 sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France a été réformée 70 fois entre 1945 et 2006 !
Alors quelle alternative aux lois générales de simplification ?
Personne, parmi nous, n’est naturellement hostile à la démarche de simplification, bien au contraire : l’excessive complexité du droit est en effet une réalité et le souvenir de la réforme de la taxe professionnelle – un article de 135 pages et de 1 200 alinéas – est là pour nous la rappeler.
Face à l’imperfection de la démarche législative française, je me suis intéressé aux démarches équivalentes engagées par les autres pays développés.
Les exemples étrangers attestent que notre démarche constitue une exception : aucun des autres pays ne recourt à des lois « fourre-tout » ; ils recourent tous à des lois de simplification sectorielles, qui constituent une bien meilleure solution.
Prévoir l’adoption chaque année d’une loi de simplification dans un secteur précis permettrait d’adopter une démarche tout autre, avec notamment de larges consultations en amont.
S’agissant précisément des consultations, je vous livrerai une simple anecdote relative à mes travaux en tant que rapporteur : au cours de mes auditions, il est apparu que certaines professions concernées au premier chef par la proposition de loi n’étaient même pas informées de l’existence de certaines dispositions les intéressant très directement, près de neuf mois après leur adoption par l’Assemblée nationale !
Pour conclure, et puisque nous approchons de la période des vœux, je formule celui que ce texte – dont l’intitulé « simplification et amélioration de la qualité du droit » ne semble pas vraiment correspondre à la réalité – soit le dernier de ce type.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis. Comme l’a rappelé le président du Sénat lors de la clôture de la dernière session ordinaire, « il nous faut des textes allégés, moins touffus, plus compacts et constitutionnellement législatifs [...], des lois compréhensibles et cohérentes, éclairées par un débat parlementaire plus attractif et plus lisible ».
Vous conviendrez, mes chers collègues, que nous en sommes bien loin avec ce texte.
Toutefois, je vous rassure, la commission de l’économie a donné un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi,…
M. Jean-Pierre Sueur. On respire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Catherine Tasca. Vous nous avez fait peur ! (Même mouvement.)
M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis. … dont une partie des dispositions lui a été déléguée. (M. Jacques Mézard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (Mme Catherine Tasca applaudit.)
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, au diagnostic que vous avez posé, vous ne semblez pas prescrire un bon remède. J’ai d’ailleurs l’impression que la prescription remontait à votre prédécesseur.
« Simplification et amélioration de la qualité du droit », quel magnifique titre pour cette troisième édition de la saga mise en scène par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale ! Vous fûtes au moins deux à utiliser le terme « toilettage ». Nos lois ne méritent pas cet adjectif, d’ailleurs assez révélateur !
Tout observateur averti notera que depuis l’acte II, c’est-à-dire la précédente loi du 12 mai 2009, le titre a été modifié : nous sommes passés de « clarification du droit et allègement des procédures » à « amélioration de la qualité du droit », nuance sémantique ou aveu de l’inadéquation du titre précédent avec la réalité ?
N’oublions pas, en effet, que la précédente loi de simplification avait donné lieu à une polémique, car l’une de ses dispositions, noyée au milieu des 139 articles du texte, avait franchi tous les sas de sécurité juridique, dont le nôtre – il était peut-être moins compétent que nombre d’autres –, et avait supprimé la possibilité pour le juge de prononcer la dissolution d’une personne morale pour faits d’escroquerie, et ce à l’heure où l’Église de scientologie était poursuivie de tels faits...
Cette polémique illustre les limites de l’exercice de simplification auquel entend se livrer depuis maintenant trois ans l’auteur de ce texte : en fait de simplification ou de clarification, ce type de proposition de loi touche des dispositions extrêmement éparses et hétéroclites – le rapporteur qui m’a précédé à cette tribune vient de le confirmer avec beaucoup de pertinence – sans ligne directrice, et modifie des dizaines de codes et de renvois, nonobstant l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi. Des réformes de grande ampleur qui ne sont pas des simplifications se glissent parmi les articles. Ainsi en a-t-il été de la réforme de l’indivision et de la procédure pénale de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou CRPC, en 2009.
Certes, le texte qui nous est soumis est le premier à avoir fait l’objet d’un avis préalable du Conseil d’État – non publié, me semble-t-il – à la demande expresse de son auteur, lequel, il faut le rappeler, a cru également opportun de recourir, sans publicité auprès de ses collègues, à un cabinet d’affaires privé LexisNexis pour l’élaboration de cette nouvelle proposition de loi, pour un coût de 84 000 euros !
Nous ne considérons pas que ce soit une méthode orthodoxe. Il y a déjà suffisamment de cabinets d’affaires qui pèsent sur la rédaction de notre législation, parfois trop de « transfert » entre la haute fonction publique, voire les cabinets, et le privé, avec les conséquences surprenantes et dommageables permettant la « transfusion » de certaines propositions législatives vers des textes accueillants, avec le maximum de discrétion – je pense à l’exemple récent de la loi relative aux réseaux consulaires.
Si nous avons bien compris les explications de l’auteur de la proposition de loi avec le cabinet LexisNexis, une quinzaine de professeurs d’université ont épluché l’ensemble des codes pour y relever des dispositions obsolètes et « ont fourni des fiches » ; de plus, selon M. Warsmann, « un certain nombre de mesures provient de sollicitations de nos concitoyens, notamment par l’intermédiaire du site Internet “Simplifions la loi”. Il s’agirait donc d’une double paternité « universito-citoyenne » ! Vous nous permettrez de rester incrédules.
La véritable question à se poser aujourd’hui est celle de la pertinence de telles propositions de loi. Nous considérons que ce concerto cacophonique en trois actes ne justifie pas un quatrième acte, en tout cas pas de cette manière. Et je rejoins tout à fait les observations du précédent rapporteur Hervé Maurey
Non pas que nous considérions que tout est négatif dans ce texte – et à ce niveau je tiens à saluer le travail de raison et de sagesse du rapporteur Bernard Saugey –, mais nous sommes persuadés que ces propositions de loi dites de simplification deviennent en réalité un facteur de complexification, voire d’opacité.
Pourquoi ? Parce qu’elles deviennent un véhicule législatif sous forme de voiture-balai, un bric-à-brac législatif où chacun – nous aussi, mais également le Gouvernement – aperçoit la possibilité de glisser une proposition plus ou moins importante à laquelle il est attaché. C’est la session de rattrapage des propositions de loi avortées ou rejetées ! Aussi, il faut le dire, ces textes deviennent un moyen pour certains lobbies de faire passer, noyée dans la masse, telle ou telle disposition.
Quelle est la maladie à traiter ? Cette maladie s’appelle l’inflation législative et réglementaire. Elle fait l’objet d’un accroissement géométrique auquel aucun barrage ne résiste. Les praticiens – ils sont un certain nombre ici – qui ont dans leur bibliothèque le Codes et Lois ont constaté que, entre l’édit de Villers-Cotterêts de 1539 et l’avènement de la Ve République, le nombre de volumes est beaucoup moins important que depuis 1958, et ce de manière exponentielle.
De la même manière, le recueil des lois publié par l’Assemblée nationale est passé de 620 pages et 912 grammes en 1970 à 2 556 pages et 3 266 grammes en 2004. Aux 9 000 lois et 120 000 décrets recensés en 2000 s’ajoutent chaque année presque une centaine de lois, plus de 50 ordonnances et 1 500 décrets.
Le texte a incontestablement une utilité lorsqu’il supprime des lois ou des commissions administratives.
C’est ainsi que l’article 136 de la présente proposition de loi abroge une cinquantaine de lois devenues inapplicables, faute de mesures réglementaires d’application, mettant en évidence le fossé toujours plus grand entre la précipitation à légiférer, souvent pour des raisons médiatiques – on peut renvoyer à l’accumulation de textes sécuritaires –, et les retards ou l’absence d’édiction des décrets.
C’est ainsi également que l’article 33 évapore diverses commissions. Nous considérons qu’il ne faut pas confondre les genres : le travail de suppression ne doit pas être mélangé avec l’introduction de nouvelles dispositions donnant ce côté « fourre-tout ». De ce fait, ce texte alimente ce qu’il est censé combattre.
Dans son rapport de 2006, le Conseil d’État a relevé que « l’effort de simplification ne conduisait pas, dans l’immense majorité des cas, à une réduction du nombre d’articles ou de dispositions applicables », mais « qu’il entraînait, au contraire, un alourdissement de certains textes, ce qui ne peut que rendre plus incertain l’apport concret pour les citoyens de telles mesures. » C’est un euphémisme ! On peut ainsi songer à la loi de simplification de 2009 qui avait, par exemple, réformé le régime de l’indivision, lui-même modifié en 2007, ou encore modifié le régime de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité lui-même créé en 2004.
En l’occurrence, le présent texte modifie près de 48 codes, parfois même en contradiction avec d’autres projets de loi en navette. Ainsi en est-il, aux articles 29 octies et 29 nonies, du droit de rectification des fichiers dont dispose le procureur de la République, qui n’est pas cohérent avec les dispositions du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2.
En matière pénale, nous disons souvent qu’il convient de mener une politique de prévention, afin d’éviter la commission des infractions. En matière de production législative, il en est de même. Il est indispensable de freiner la production de textes réactifs en fonction de l’opinion publique, modifiant d’autres textes souvent non encore appliqués.
Nous déplorons un empilement de normes stratifiées, que ni le mouvement récent de codification, ni la multiplication des ordonnances de simplification, ni la prise de conscience manifeste de l’illisibilité croissante du droit n’ont pu enrayer.
Quand bien même le Conseil constitutionnel a pu édicter en 1999 un objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi, sur lequel il s’est d’ailleurs déjà appuyé pour censurer des dispositions, le législateur demeure un producteur d’inflation législative.
De surcroît, l’abolition de la barrière entre domaine de la loi et domaine du règlement a conduit à l’adoption de textes formellement législatifs mais matériellement réglementaires, ce que Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, qualifiait de « neutrons législatifs ».
En conséquence, nous avons déposé nombre d’amendements de suppression. Nous sommes satisfaits que M. le rapporteur lui-même ait proposé la suppression des articles relatifs au droit de préemption constituant une novation globale contestée par les élus locaux, n’ayant rien à faire dans une loi de simplification et dont on peut légitimement se demander qui en était à l’origine ; nous avons la même analyse sur les articles relatifs au groupement d’intérêt public, ou GIP.
M. le rapporteur a aussi, à juste titre, proposé la suppression de l’article 107 modifiant les peines encourues en cas de prise d’otage ; que vient faire un tel article dans une loi de simplification ?
Nous relevons 33 articles concernant les dispositions pénales. Outre le problème de l’article 103, est-il par exemple raisonnable d’utiliser ce texte de simplification pour modifier l’article 221-3 du code pénal, en ajoutant l’application de la circonstance aggravante de guet-apens au meurtre sous le prétexte contestable de réparer une lacune, voire une « incohérence », de la loi du 5 mars 2007 ?
À la lecture du rapport, on constate que même notre éminent rapporteur approuve, à la page 203, la suppression de l’article 104 de la proposition de loi, suppression proposée par M. Warsmann sans que la commission des lois puisse en expliciter les motifs... Bravo !
Il est non moins inquiétant de souligner que nombre de dispositions incluses dans la proposition de loi de simplification se télescopent avec des projets et propositions de loi en cours d’élaboration ou en navette.
Ces textes sont porteurs d’insécurité juridique, car ils sont à l’opposé du travail de synthèse, de codification, de définition d’une ligne juridique. Ils sont l’illustration d’une dissociation de la pensée juridique. Cela porte un nom différent dans d’autres matières.
De la même façon, l’amélioration du droit devrait passer par l’amélioration de la « légistique ». À cet égard, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a voulu renforcer les pouvoirs du Parlement en lui donnant à la fois des capacités d’analyse plus importantes et davantage de temps pour examiner les textes. Ces prérogatives demeurent limitées dans leurs effets, tant le Gouvernement comme une partie des parlementaires choisissent de se caler sur le temps médiatique plutôt que de prendre le recul nécessaire…
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, tout récemment, la justice a pris le temps de la réflexion… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mézard. … – mais je ne doute pas, monsieur le garde des sceaux, que vous changerez cet état de fait. C’est particulièrement vrai en matière de droit pénal ou de droit du travail.
Renaud Denoix de Saint Marc, alors vice-président du Conseil d’État, déclarait en 2005 : « L’action politique a pris la forme d’une gesticulation législative. […] La loi doit être solennelle, brève et permanente. Aujourd’hui elle est bavarde, précaire et banalisée ».
La présente proposition de loi de simplification relève, hélas ! de cette dernière catégorie ; c’est pour cela que majoritairement nous ne l’approuvons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)