M. Yves Krattinger. … alors qu’ils s’expriment abondamment sur ce sujet dans les territoires.
Je ne citerai qu’une phrase, issue du rapport d’octobre 2010 du Conseil des prélèvements obligatoires, intitulé Entreprises et « niches » fiscales et sociales – Des dispositifs dérogatoires nombreux : « Les 293 dépenses fiscales qui bénéficient aux entreprises recensées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010 ont un coût total évalué à 35,3 milliards d’euros en 2010 […]. »
Vous m’avez bien entendu ! Mes chers collègues, comment pouvons-nous dire ensuite qu’il n’existe aucune marge de manœuvre et que les départements doivent attendre ?
Nous faisons aujourd’hui, et nous ferons demain, le choix de la solidarité et de la justice. C’est la raison pour laquelle, mon cher Yves Daudigny, nous voterons avec enthousiasme cette proposition de loi, qui doit, n’en doutons pas, marquer une étape cruciale dans la pérennisation de notre pacte social républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mes chers collègues, à l’instar de nos collègues des groupes socialiste et CRC-SPG, la très grande majorité des membres du RDSE vous demande aujourd’hui, par cette proposition de loi, de prendre enfin vos responsabilités, madame la secrétaire d'État, en permettant aux conseils généraux de financer les prestations sociales dont ils ont la charge.
La réforme constitutionnelle de 2003, pilotée par Jean-Pierre Raffarin, devait parachever la décentralisation, dont, je le rappelle, la gauche a pris l’initiative en 1982.
Huit années plus tard, son application s’est en réalité traduite, dans les faits, par un recul historique des libertés locales, l’État ayant refusé de mettre en œuvre ses obligations, lesquelles sont pourtant inscrites dans la loi !
Certes, l’autonomie financière des collectivités territoriales est un principe constitutionnel, mais l’autonomie fiscale, qui est au cœur du principe même de libre administration, n’a jamais – hélas ! – été reconnue comme règle constitutionnelle.
La désastreuse suppression de la taxe professionnelle a achevé de mettre en pièces l’autonomie fiscale, déjà largement battue en brèche depuis 2002 par une succession de lois ôtant aux collectivités, en premier lieu aux départements, leurs outils d’intervention fiscale.
La contribution économique territoriale, qui nous avait été présentée comme un progrès pour nos libertés locales, a surtout contribué à complexifier la fiscalité locale et à réduire les ressources autonomes des départements. Leur pouvoir de modulation fiscale est ainsi passé de 36 % à 12 % !
Où est désormais l’autonomie ? Où sont les garanties financières que le Gouvernement nous promettait en cas de carence budgétaire ?
Madame la secrétaire d'État, qu’avez-vous à répondre aux affirmations de notre collègue député Gilles Carrez, qui a calculé que le coût de la suppression de la taxe professionnelle serait, en réalité, de 7 milliards d’euros en 2010, et non de 3,9 milliards, comme l’annonçait le Gouvernement ? Comment l’État va-t-il financer ce surcoût sans l’imputer sur les collectivités ?
Cette régression est d’autant plus inacceptable que les départements sont soumis à un effet de ciseaux créé par des charges toujours plus lourdes et des ressources toujours plus rares.
Les transferts massifs de compétences et des personnels y afférents opérés depuis 2004 vers les départements n’ont jamais été accompagnés de la compensation intégrale et concomitante que la Constitution et la loi requièrent de l’État.
En 2010, vingt-sept départements sont au bord de la cessation de paiement ; l’an prochain, ils seront vraisemblablement quarante, peut-être cinquante, du seul fait de leur impossibilité de faire face à leurs charges.
Évidemment, le gel pour trois ans des dotations de l’État inscrit dans la loi de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 va encore assombrir les perspectives de l’ensemble des collectivités, aggraver la situation, en particulier pour celles d’entre elles qui ne bénéficieront pas du fonds national de garantie individuelle des ressources ou de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle.
Prenons l’exemple de la Seine-Saint-Denis, qui a été, en 2010, le premier département contraint de voter, en dépit de la loi, je le reconnais, un budget primitif déficitaire de 75 millions d’euros, soit le montant des compensations que l’État n’avait jamais versées !
M. Philippe Dallier. Vous avez, à ce sujet, fait de la communication tous azimuts !
M. Jean-Michel Baylet. Voilà quelques jours, trois conseils généraux, l’Hérault, la Loire-Atlantique et la Haute-Garonne, ont chacun déposé devant les tribunaux administratifs une question prioritaire de constitutionnalité pour contester la non-compensation financière des charges qui leur ont été transférées, comme à l’ensemble des départements, par l’État.
Le Conseil d’État lui-même a d’ailleurs, madame la secrétaire d'État, reconnu les carences de l’État, et, en décembre 2009, a jugé ce dernier fautif de ne pas avoir publié le décret organisant la compensation financière des charges résultant du transfert aux départements des compétences en matière de protection sociale et d’aide sociale à l’enfance, soit une charge annuelle de 30 millions d’euros, que les conseils généraux doivent assumer seuls !
Mes chers collègues, nous sommes bien là au cœur de la problématique qui justifie que soit adoptée notre proposition de loi : donner aux conseils généraux les moyens financiers d’assurer les compétences que la loi leur attribue. Quoi de plus normal ?
C’est exactement pour cette raison que l’Assemblée des départements de France – dont je salue à mon tour le président, Claudy Lebreton, présent dans les tribunes avec une délégation du bureau – a adopté à l’unanimité, lors de son congrès à Avignon en octobre, une motion réclamant au Gouvernement des « ressources durables et pérennes ».
Madame la secrétaire d'État, ce vote unanime – une exception dans l’histoire de notre association ! –, donc toutes tendances confondues, illustre malheureusement l’inquiétude des départements quant à la dégradation de leurs finances, liée notamment aux allocations universelles de solidarité versées pour le compte de l’État.
En conséquence, la proposition de loi que nous défendons vise à mettre l’État face à ses responsabilités, car, contrairement à lui, les départements n’ont pas le droit de présenter des budgets en déficit.
Pourtant, madame la secrétaire d'État, le Gouvernement, et plus largement la majorité qui dirige ce pays depuis 2002, prétend donner des leçons de bonne gestion budgétaire, alors que vous avez porté notre dette publique de 900 milliards d’euros en 2002 à 1 700 milliards d’euros en 2011. Les conseillers généraux, qui œuvrent tous dans des conditions extrêmement contraintes, n’ont donc aucune leçon à recevoir en matière de gestion !
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Jean-Michel Baylet. La décentralisation des déficits est une aberration politique que les Radicaux de gauche dénoncent avec vigueur !
MM. Jean-Pierre Plancade et Jacques Mézard. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. La solidarité nationale est au cœur de notre pacte républicain. Elle assure à tous nos concitoyens en grande difficulté sociale ou frappés par les aléas de la vie la garantie que la nation se mobilise pour leur offrir des conditions de vie décentes.
Les conseils généraux, dont la vocation sociale est inscrite dans la loi, se mobilisent pour assurer le maintien de ce lien social avec des personnes frappées par l’exclusion, le handicap ou la perte d’autonomie. Par leur proximité, ces collectivités sont les mieux à même de mettre en œuvre une politique sociale adaptée aux spécificités d’un territoire.
C’est dire si l’urgence est grande de leur donner les ressources nécessaires qui leur font aujourd’hui cruellement défaut ! Or, en créant les métropoles dans le cadre de la funeste réforme des collectivités territoriales, votre majorité a entériné l’inverse. En effet, ces métropoles absorberont toutes les ressources fiscales et les bassins de population les plus dynamiques, tandis que les conseils généraux devront utiliser comme ils le pourront des ressources exsangues pour servir leurs prestations sociales obligatoires.
Les ressources propres des départements ont été par d’ailleurs lourdement affectées par la conjoncture. M. Pierre Jamet, dans son Rapport à Monsieur le Premier ministre sur les finances départementales, que vous avez cité, madame la secrétaire d'État, a reconnu que le dynamisme des dépenses sociales des départements, en particulier le panier RMI-APA-PCH, avait fragilisé l’équilibre des finances départementales.
À cela, bien sûr, se sont ajoutés les effets de la crise sur le produit des droits de mutation, ainsi que sur les ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, conduisant à une « perte de la capacité locale d’initiative ».
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-Michel Baylet. En 2008, le panier RMI-APA-PCH représentait une dépense de 11,4 milliards d’euros, dont 3,8 milliards d’euros à la charge définitive des départements, soit un taux de couverture de 66 %.
En 2009, la situation s’est encore détériorée,…
M. Jean-Pierre Plancade. Et ce n’est pas fini !
M. Jean-Michel Baylet. … puisque l’augmentation du nombre de bénéficiaires du RMI et la baisse des rentrées de cotisations sociales ont contribué à porter la charge définitive des départements à 4,5 milliards d’euros, soit un taux de couverture de 63,1 %.
Les premières estimations pour 2010 sont encore pires, puisque les dépenses devraient atteindre 13,3 milliards d’euros, dont 5,2 milliards d’euros à la charge des départements, soit un taux de couverture de 61 %.
Tous ces éléments attestent donc l’irresponsabilité de l’État, qui met sciemment en coupes réglées les conseils généraux. Peut-être est-ce pour fournir demain un prétexte à la suppression des départements, que d’aucuns appellent, paraît-il, ardemment de leurs vœux ?
En tout cas, l’assèchement, aujourd’hui prévisible, des ressources départementales conduira, si rien n’est fait, à mettre gravement en péril l’existence même de prestations que les conseils généraux versent – je le rappelle – pour le compte de l’État en grande partie sur leurs ressources propres.
M. Didier Guillaume. Exactement !
M. Jean-Michel Baylet. Mes chers collègues, il n’est pas logique que les départements soient responsables financièrement de compétences qui ne leur ont pas été transférées et pour lesquelles ils n’ont pas la possibilité de fixer les règles d’attribution.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. À terme, le mode de financement actuel fragilisera la capacité des conseils généraux à garantir la pérennité des solidarités sociales et territoriales, particulièrement dans les territoires les plus fragiles comme les zones rurales ou les zones urbaines sensibles.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Jean-Michel Baylet. Ces services de proximité, indispensables au maintien du lien social, seront directement menacés dans leur existence même.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, cette proposition de loi portée par l’ensemble de la gauche sénatoriale est un appel à l’aide des conseils généraux, comme l’a énoncé le président Claudy Lebreton. L’urgence est patente !
Si la décentralisation, en transférant le pouvoir de décision aux niveaux de proximité les plus appropriés, a permis de rapprocher nos concitoyens de leurs élus, il est inacceptable que les contribuables locaux paient la facture de l’incurie budgétaire de l’État ! C’est pourquoi, comme mon collègue Yves Krattinger, je vous invite à voter ce texte avec enthousiasme. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Plancade. On va le faire !
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, dire, devant vous qui êtes des représentants des collectivités et des territoires, mes chers collègues, qu’un nombre toujours plus important de départements connaît une situation budgétaire compliquée, n’est qu’une introduction de pure forme. Il convient toutefois de le rappeler, puisque l’an dernier, un département – sans doute l’un des plus exposés en matière de dépenses sociales –, la Seine-Saint-Denis, a adopté un budget déséquilibré, risquant la mise sous tutelle du département par l’État, dans le seul objectif d’alerter ce dernier sur la dégradation sans précédent de ses finances.
M. Philippe Dallier. Et sa situation s’est réglée comme par miracle !
Mme Odette Terrade. Le moins que l’on puisse dire, personne n’en disconviendra, c’est que ce phénomène s’amplifie. D’ailleurs, n’est-ce pas le président du Sénat, Gérard Larcher, qui affirmait ceci en 2009 : « D’ici à quelques années, une quinzaine de départements vont se retrouver en situation de rupture de charge financière. […] » Il ajoutait : « On ne va pas laisser les départements déposer le bilan à cause de la solidarité intergénérationnelle. [...] Il faut imaginer une nouvelle dynamique. »
Or, un peu plus d’un an après, la situation n’a guère évolué, si ce n’est que le nombre de départements en grande difficulté a considérablement augmenté. En croisant les données issues du travail commun réalisé en 2009 par l’Assemblée des départements de France et les services du ministère de l’intérieur à ceux qui ont été fournis par la commission Carrez-Thénault, qui a travaillé sur des données plus récentes fournies par la direction générale des finances publiques, il y aurait, début 2010, trente départements en difficulté.
L’hétérogénéité de cette liste quant à la nature des départements concernés – urbains ou ruraux –, à leurs tailles ou aux majorités qui les gèrent, permet d’écarter immédiatement un débat qui ne m’apparaît pas opportun, celui de la qualité de la gestion de ces derniers, débat que le Gouvernement tente pourtant de lancer.
Je note d’ailleurs avec satisfaction que M. le rapporteur, Charles Guené, a évité ce travers, même si je regrette qu’il ait précisé dans son rapport que, si elle était adoptée, la présente proposition de loi aurait pour effet de déresponsabiliser les départements. Je reviendrai sur ce point.
Si je le souligne, c’est que cela revêt une très grande importance et nous renvoie au contenu même de la proposition de loi que nous avons déposée simultanément avec le groupe RDSE et le groupe socialiste, et dont l’élaboration a été réfléchie et travaillée avec l’Assemblée des départements de France, naturellement impliquée sur le sujet, dont je salue, à mon tour, la délégation présente dans les tribunes.
Il ne s’agit pas, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, d’imposer à l’État la prise en charge d’une partie du déficit dont souffrent les départements. Au contraire, cette proposition de loi se borne à rappeler à l’État ses engagements premiers, c’est-à-dire la garantie pour toutes et tous de l’existence de dispositifs individuels, solidaires, nationaux – j’insiste bien sur ce caractère national. Voilà l’objet de cette proposition de loi !
Comme vous le savez, depuis l’adoption des lois de décentralisation du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, la solidarité repose en partie – en large partie – sur les collectivités territoriales, dont les départements. Se sont ainsi multipliées les lois de transferts de compétences, à l’image de la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, qui a décentralisé la gestion du revenu minimum d’activité, d’extension des compétences, telle la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, de création de compétences à la charge des départements, comme ce fut notamment le cas avec l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap.
Nous le voyons, avec ces trois allocations individuelles de solidarité – le RSA s’étant substitué au RMI –, les départements jouent aujourd’hui un rôle central dans les dispositifs destinés aux plus démunis ou aux plus fragiles de nos concitoyens.
Ces trois allocations sont, chacun le mesure, de très grande importance pour celles et ceux qui en bénéficient et correspondent à la traduction dans les faits – bien que beaucoup reste encore à faire – du principe fondamental posé par le préambule de notre Constitution, selon lequel « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
C’est pourquoi, en tant qu’acteurs de terrain côtoyant au plus près nos concitoyens et ayant pour mission au Sénat de veiller au respect des collectivités et des territoires, nous devons, au delà nos divergences et nos oppositions politiques, tout faire pour éviter que la dégradation des finances publiques et locales n’ait un jour pour conséquence de priver d’accès à ces allocations celles et ceux qui en ont besoin pour vivre dans la dignité, ou d’en réduire le champ.
C’est afin d’éviter cette situation que les membres du groupe CRC-SPG ont déposé, comme leurs collègues du groupe socialiste et du groupe du RDSE, cette proposition de loi, laquelle pose le principe simple de la compensation intégrale des dépenses engagées par les départements au titre du RSA et de la PCH et à hauteur de 90 % pour celles de l’APA.
Nous sommes actuellement loin de cette compensation puisque, de l’aveu même du rapporteur, l’adoption de cette proposition de loi – et j’y vois là le réel et seul motif d’opposition – aurait pour conséquence de coûter 3,34 milliards d’euros à l’État.
Comme le souligne Charles Guené dans son rapport, la situation est connue de tous : « Le coût de ces prestations augmente et les compensations versées par l’État ne couvrent pas cette augmentation, qui pèse lourdement sur les budgets départementaux. »
À titre d’exemple, madame la secrétaire d’État, de 2004 à 2010, pour le Val-de-Marne – département que nous connaissons bien et que nous aimons toutes les deux, j’en suis sûre ! –, les dépenses non compensées se montent à 260 millions d’euros. Pour 2011, cela correspond à 95 millions d’euros, soit le coût de construction de cinq nouveaux collègues !
Vous voyez donc bien que ces chiffres sont importants pour les départements !
Dès lors, mes chers collègues, il n’existe aucune autre voie possible, à moins de considérer – ce que nous ne pouvons accepter –, que, un jour, ces allocations perdent définitivement tout caractère national, ce qui ne manquerait pas d’entraîner d’importantes disparités entre nos concitoyens et constituerait ainsi une atteinte sans précédent au principe d’égalité.
À cet égard, je voudrais réfuter l’argument, avancé par M. le rapporteur, selon lequel l’adoption de cette proposition de loi aurait pour effet – vous l’avez dit et cela a été répété – de déresponsabiliser les départements dans l’attribution de ces allocations.
C’est bien mal connaître les départements et ceux qui participent à leur direction au sein des exécutifs que de croire cela ! Mais, surtout, c’est oublier un élément important puisque, en raison du partage opéré entre l’État et les départements, c’est à l’État, au nom de la solidarité nationale et du principe d’égalité dont je viens de parler, qu’incombe la compétence générale de détermination des normes et de la définition des conditions d’accès.
Toutes les autres propositions sont donc insatisfaisantes, notamment celles qui consistent à espérer que se réduise, après la crise, l’écart entre les dépenses liées à ces trois allocations et les ressources propres aux départements. Ce raisonnement, exact du point de vue strictement comptable, part cependant du postulat – que nous ne pouvons accepter – selon lequel ce serait aux départements d’assumer seuls les évolutions passées et à venir de ces allocations.
Ce raisonnement entérine le désengagement total de l’État dans le financement de ces allocations, ce que nous avions d’ailleurs dénoncé lors de l’adoption des lois de décentralisation et à l’occasion de l’examen de chacune des lois créant ces allocations ou transférant leur gestion aux départements.
De plus, quand bien même nous accepterions cette logique – ce qui n’est pas le cas –, les mécanismes actuels de financement ne peuvent suffire et ne sont pas de nature à garantir un financement pérenne et durable. Je pense notamment aux ressources issues de la CNSA et destinées au financement de l’APA et de la PCH. En effet, la contribution solidarité autonomie, tout comme la fraction de 0,1 % de la CSG perçue sur les revenus d’activité, dépend très fortement de l’activité économique, singulièrement du taux d’emploi. Quant aux recettes tirées des droits de mutation à titre onéreux, elles sont trop volatiles et sont elles aussi soumises à la conjoncture économique, comme l’atteste leur effondrement en raison des effets de la crise économique sur le secteur de l’immobilier.
À tout cela, il convient d’ajouter, comme le rappelle justement M. le rapporteur, que « les difficultés des départements pourraient être accentuées par la réforme de la taxe professionnelle », puisque, selon la commission Carrez-Thénault, avec cette réforme, les conseils généraux ne peuvent plus utiliser qu’un levier sur des recettes fiscales réduites de moitié, c’est-à-dire représentant 16 % de leurs ressources contre 35 % auparavant.
Au final, compte tenu de tous ces éléments, le reste à charge net supporté par les départements devrait atteindre près de 10 % de leurs dépenses de fonctionnement, soit un peu plus de 5 milliards d’euros. Il s’agit d’un montant d’autant plus important que les départements ne disposent plus de levier d’ajustement, à moins de réduire encore plus qu’ils ne le font déjà leurs investissements ou d’augmenter considérablement la fiscalité locale, notamment celle qui est supportée par nos concitoyens.
D’autres invitent également les départements à se concentrer sur les seules dépenses obligatoires. Cela n’est pas sans rappeler la suppression de la clause de compétence générale, prévue pour 2015. Ces deux propositions sont différentes, mais sont issues d’une même matrice, celle de la baisse des dépenses publiques par le biais de la réduction des missions, qui n’est naturellement pas satisfaisante.
D’ailleurs, Pierre Jamet, dans le rapport sur les finances départementales dont il s’est vu confier la rédaction et qu’il a remis au Premier ministre le 22 avril dernier, confirme la situation et l’analyse que nous faisons aujourd’hui avec mes collègues du groupe socialiste et du groupe du RDSE. Il rappelle en ces termes que cette solution n’en est pas une puisque « la simple recommandation adressée aux départements de se recentrer sur leurs dépenses obligatoires est simpliste et illusoire ». Il précise en outre que, « à la fois en matière d’investissement et surtout en matière de fonctionnement, nombre des politiques facultatives dans le domaine scolaire, culturel, sportif ont un impact social réel ».
Réduire les moyens financiers des départements, en n’assurant pas, par exemple, le financement des missions qui leur sont transférées et en les obligeant à puiser dans leurs propres ressources, est une manière de les empêcher d’accomplir les missions qu’ils se sont, certes, eux-mêmes confiées, mais dans le seul but – faut-il le rappeler ! – de pallier les carences de l’État dans de nombreux domaines par l’utilisation de cette clause. Je voudrais notamment citer le secteur du logement, qui souffre, encore une fois, de la baisse constante de crédits inscrits en loi de finances.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout est fait, pas à pas, pour empêcher les départements de jouer leur rôle de garant d’une solidarité efficace et de proximité.
Mme Françoise Laborde. Très bien !
Mme Odette Terrade. Laquelle notion de proximité n’exclut pas – tout au contraire – qu’elle soit et demeure, par certains aspects, une solidarité nationale.
En octobre 2009, le président du Sénat, Gérard Larcher, avait, après sa déclaration sur les départements en faillite, affirmé qu’au premier trimestre 2010, « il y [aurait] un débat sur la répartition des richesses » au Sénat, puis un projet de loi spécifique sur le sujet. C’était pour lui l’occasion de poser « la question du financement de la solidarité intergénérationnelle ».
Mme Françoise Laborde. Il l’a oublié !
Mme Odette Terrade. Or, avec la réforme des collectivités territoriales, qui bride la possibilité d’intervention des départements, avec la réforme de la taxe professionnelle, qui participera grandement, demain, à l’asphyxie financière des départements et des régions, avec la réforme des retraites, qui permettait d’aborder la question de la solidarité entre les générations, ou encore avec la proposition de loi de notre collègue Paul Blanc tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, on s’aperçoit en réalité que le Gouvernement, comme sa majorité, refuse que l’on prenne à bras-le-corps, et de manière globale, la question du financement des départements au titre de ses missions obligatoires, même au-delà de tout ce qui relève de la solidarité.
Il suffit pour s’en convaincre de regarder la manière avec laquelle le Gouvernement a fait le choix de ne plus réunir la Conférence nationale des finances publiques pour lui substituer la Conférence de la dette publique. La différence n’est pas uniquement sémantique : avant même que cette dernière ne se réunisse, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, en avait déjà tracé les grandes lignes, à savoir la réduction des dépenses publiques, notamment locales et territoriales. Cette déclaration avait d’ailleurs conduit Bernard Accoyer à déclarer « qu’une injonction au niveau national aux collectivités locales n’était pas tout à fait constitutionnelle et pas vraiment démocratique ». On ne saurait mieux dire !
Face à cette situation d’urgence, le rapport Jamet préconise un abondement exceptionnel par l’État des recettes destinées au financement des trois allocations individuelles, mais un abondement concentré sur les quelques départements les plus en souffrance. Si cette proposition atteste l’urgence de la situation, nous ne pourrions nous en satisfaire, car elle ne règle ni la question des dettes cumulées par le passé ni celle – sans doute plus importante – des réformes structurelles qui s’imposent, pour éviter que, demain, de nouvelles dettes ne se créent.
Notre collègue Charles Guené croit voir dans cette proposition de loi la volonté, de la part des trois groupes de l’opposition, de « mettre l’accent sur les difficultés financières que rencontrent les départements dans leur ensemble ». Je vous le dis avec le plus grand respect, mon cher collègue : vous vous trompez ! Il ne s’agit pour nous que de garantir, demain, sur tout le territoire national, de manière égale et solidaire, le financement des trois allocations de substance – car c’est bien de « substance » qu’il s’agit aujourd’hui – dans la mesure où seul un tel financement est de nature à garantir une attribution tout autant égale, juste et solidaire de ces allocations.
Il s’agit moins de parler de la situation difficile des départements – bien qu’il s’agisse là d’un sujet important – que de la manière dont l’État doit garantir à tous nos concitoyens le versement de ces allocations, qu’il faudrait d’ailleurs revoir pour les rendre encore plus pertinentes et efficaces, dans le contexte de dégradation économique et sociale que nous connaissons.
Il s’agit de disposer aujourd’hui des outils législatifs pour éviter que l’État ne persévère – comme c’est le cas aujourd’hui – dans la réduction du champ des solidarités et de l’intervention publique et n’amplifie à l’avenir – comme nous le craignons – ce mouvement.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite, vous qui connaissez les besoins de nos populations, à voter ces propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)