M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, à mon tour, de me réjouir de la tenue de ce débat sur le document-cadre de coopération au développement. Il fait suite à la table ronde sur le même sujet, qui a été rappelée à l’instant par Michel Guerry. Je voudrais remercier les présidents Josselin de Rohan et Jean Arthuis d’avoir organisé ces deux débats. Je salue le travail des rapporteurs Christian Cambon et André Vantomme, pour la commission des affaires étrangères, et Yvon Collin, pour la commission des finances.
Monsieur le ministre, c’est un honneur de débattre avec vous sur ces sujets du développement et de l’action humanitaire, dont vous êtes non seulement un grand spécialiste, mais aussi un acteur important !
Je centrerai mon propos sur l’objectif du développement des pays d’Afrique subsaharienne et des pays en conflits ou fragiles.
Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à souligner l’importance de la politique française de développement. Notre pays est le premier contributeur européen d’aide publique au développement, en volume. Malgré la crise, il a maintenu son effort de solidarité.
Néanmoins, le niveau de l’aide publique au développement demeure en deçà de l’engagement pris en 2005 lors du sommet du G8. Nous devions consacrer 0,7 % de notre revenu national brut à l’échéance 2015 et 0,61 % dès cette année. Or nous avons un retard de près de 0,15 point sur l’objectif. Même si l’APD s’élève à 8,92 milliards d’euros, nous ne sommes pas dans le profil initialement prévu, ce qui représente un « manque à aider » compris entre 600 millions d’euros et 1,3 milliard d’euros, selon le mode d’évaluation choisi.
L’aide aux quatorze pays d’Afrique subsaharienne les plus pauvres ne représente que 9 % de l’APD. Je tiens aujourd’hui à plaider devant vous, monsieur le ministre, pour un renforcement de l’aide en faveur de ces pays particulièrement fragiles, confrontés à d’importantes difficultés, notamment une grande pauvreté.
À cet égard, je voudrais faire un certain nombre de constats.
Mme Tasca a rappelé le premier : ces pays connaissent une croissance forte, plus forte que d’autres zones du monde, mais cela masque mal une terrible réalité. Le PIB par habitant est loin de progresser aussi rapidement puisque la dynamique démographique y est très forte. La distribution à l’intérieur des groupes sociaux est très mal assurée, avec un effet de concentration de l’enrichissement sur un pourcentage très faible de la population.
Le deuxième constat pourra vous sembler très factuel, mais il est néanmoins important numériquement. Historiquement, au temps du service militaire obligatoire, environ 20 000 coopérants français – des médecins, des ingénieurs, des techniciens – intervenaient régulièrement, apportant souvent de belles compétences aux pays d’Afrique subsaharienne. Ils ne sont plus que 400 aujourd’hui.
Cela signifie, d’une part, qu’un tel apport de compétences n’existe presque plus, et, d’autre part, que la connaissance de ces pays, des défis qu’ils doivent relever, ainsi qu’un certain nombre de relations humaines et de réseaux d’amitié vont, au cours du temps, s’atténuer et progressivement disparaître.
Le troisième constat que je voudrais souligner, à la suite d’autres collègues, est le suivant : ces pays sont touchés par la double peine.
Celle-ci concerne tout d’abord le domaine écologique. Toutefois, une telle situation n’est en rien liée à leur mode de consommation, madame Tasca. Si l’électricité produite dans ces pays est peut-être plus riche en carbone, la consommation reste très modeste : l’émission de carbone d’un Africain est dix fois moins élevée que celle d’un Européen, et vingt fois moindre que celle d’un Américain ! « Décarboner » la consommation d’électricité de ces pays est un objectif louable, mais je ne pense pas que l’on puisse les culpabiliser sur le sujet.
Nous le savons tous, ce sont ces régions d’Afrique subsaharienne qui souffriront les premières – elles en souffrent d’ailleurs déjà – des effets de l’élévation de la température. Les conflits liés aux questions d’accès à l’eau et de propriété de l’eau – en général, un fleuve traverse plusieurs zones, plusieurs ethnies, plusieurs pays – en sont une illustration.
La double peine est également financière ; on l’a quelque peu oublié. Au moment de la crise financière mondiale, on a pris la mesure du fait que des pays qui n’avaient aucune responsabilité dans son déclenchement en avaient subi les effets, notamment l’augmentation des spreads, c’est-à-dire la hausse des taux d’intérêt auxquels ils avaient accès pour le refinancement, et, surtout, la difficulté à accéder aux marchés financiers au moment où la liquidité mondiale était mal assurée.
En outre, ces pays sont plus souvent qu’à leur tour victimes de catastrophes naturelles météorologiques – sécheresse, cyclone – ou sismiques.
Le quatrième constat, ce sont les difficultés liées au départ important d’une main-d’œuvre formée vers les pays occidentaux.
L’Organisation internationale pour les migrations estime à 20 000 le nombre de cadres ou de membres de professions libérales quittant l’Afrique chaque année. Un diplômé africain sur trois émigre, principalement vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Il s’agit en général des plus diplômés.
On comprend bien que certains facteurs pèsent sur les décisions individuelles : les difficultés économiques dans le pays d’origine, les conflits, le chômage, le problème de l’accès aux soins ou à l’éducation pour les familles. Cette perte de main-d’œuvre constitue néanmoins un obstacle, une faiblesse pour le développement de l’Afrique.
Monsieur le ministre, j’ai en tête une carte des migrations des médecins vers l’Europe. Celle-ci démontre que, plus les pays sont pauvres et peu dotés en systèmes de soins, plus la migration des personnes formées dans ce domaine est importante. C’est donc un défi tout à fait prioritaire.
Alors, quelles réponses apporter ? Le rapport évoque toute une série d’axes prioritaires, que je salue.
Permettez-moi cependant de plaider ici pour un moyen, déjà évoqué mais qui n’a pas encore été mis en œuvre : la taxe sur les transactions financières à l’échelle mondiale. Le Président Sarkozy l’a soutenue, le Gouvernement la défend, en particulier votre collègue Christine Lagarde, auprès de nombreuses instances internationales.
Cette taxe permettrait de dégager des moyens à la hauteur des défis, puisque l’on évalue sa recette annuelle potentielle à 30 milliards de dollars par an. Certes, elle serait compliquée à mettre en place, puisque tous les pays de la planète devraient accepter de la mettre en œuvre.
Cela étant, je tiens à souligner ici tout l’intérêt d’un tel dispositif.
Je mentionnerai également quelques points positifs au sujet de la coopération.
Je veux souligner la qualité de la coopération décentralisée mise en œuvre par des mairies, des départements, des régions, dont les actions, qui permettent d’établir des relations humaines autour de projets concrets…
M. Charles Revet. Et souvent plus efficaces !
Mme Fabienne Keller. … et de mobiliser facilement des techniciens, sont souvent efficaces sur le terrain. En général, ce type de projets aboutit de manière sûre à des mises en œuvre opérationnelles.
Parmi les éléments positifs, je souligne également la prise de conscience forte de nos concitoyens à l’égard des enjeux relatifs à l'ensemble de ces pays. Ils ont bien compris que le développement équilibré des différentes zones du monde était indispensable.
Ils sont conscients également que c’est la seule solution de long terme à la forte pression de l’immigration, laquelle est source de fragilité et de déséquilibres.
M. Charles Revet. Tout à fait !
Mme Fabienne Keller. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie une nouvelle fois de la qualité de ce débat et je salue l’engagement de la France. Par la même occasion, j’en appelle à une source de financement plus importante et plus pérenne pour un tel défi mondial.
Malgré l’usage régi par l’orthodoxie budgétaire et financière de la loi organique relative aux lois de finances, il ne me semble pas que l’aide au développement des pays les plus fragiles doive être considérée comme une dépense de fonctionnement. Je la classerais plutôt dans la catégorie des investissements d’avenir.
M. Charles Revet. Exactement !
Mme Fabienne Keller. En effet, nous ne connaîtrons pas de prospérité à moyen et long termes si nous ne nous donnons pas les moyens d’accompagner les pays les plus pauvres dans leur développement économique, social et démocratique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, je préfère intervenir dès à présent, afin que le dernier mot revienne à M. le ministre, qui aura à répondre aux différents orateurs.
Puisque ce débat s’achève, je me félicite tout d’abord de ce qu’il ait eu lieu, car n’en avons pas souvent tenu sur un tel sujet. Il a été, à mon sens, particulièrement riche : toutes les contributions furent extrêmement intéressantes. Il faudra renouveler l’expérience périodiquement.
Je me félicite également de l’excellent travail effectué par les deux rapporteurs, MM. Christian Cambon et André Vantomme. (Applaudissements.)
Comme ces derniers l’ont indiqué, avant de rédiger leur rapport, ils ont noué de nombreux contacts, effectué de multiples investigations et plusieurs déplacements, qui n’ont pas été inutiles, loin s’en faut ! D’ailleurs, toute l’année, ils se rendent sur place pour contrôler la manière dont nos contributions sont employées. Je tiens à les remercier pour l’excellent travail qu’ils fournissent.
De la même manière, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été heureuse de pouvoir contribuer au document qui nous est présenté par le ministre au travers de ce rapport.
Nous sommes extrêmement satisfaits de constater qu’un certain nombre des recommandations figurant dans le rapport ont été reprises dans le document-cadre, ce qui montre que la contribution du Parlement peut être efficace et apporter une sérieuse valeur ajoutée.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute constante et de votre désir de nous associer à l’élaboration de ce document ; sans vous, un tel travail n’aurait peut-être pas pu aboutir.
Mes chers collègues, certains d’entre vous ont affirmé que nous devions davantage axer nos efforts sur l’aide bilatérale ou rendre celle-ci plus visible. Étant donné l’effort que nous consentons, il serait tout à fait normal que ce dernier soit reconnu et que nous puissions en tirer un bénéfice sur le plan de notre politique étrangère.
Cependant, sachez que nous sommes souvent l’objet de critiques aux Nations unies pour l’insuffisance de notre aide multilatérale dans divers domaines. Ces reproches, nous les essuyons lorsque nous nous rendons au siège de l’ONU, chaque année, de la part de ceux qui sont responsables d’un certain nombre de fonds, notamment les fonds d’urgence.
Nous ne pouvons pas à la fois nous voir reprocher de ne pas consacrer suffisamment d’argent à l’aide multilatérale et avoir à répondre aux exigences de renforcement de l’aide bilatérale.
Dans le cadre de l’Union européenne, nous exécutons des obligations lorsque nous apportons notre participation aux fonds européens. Ainsi que les rapporteurs l’ont, à juste titre, suggéré – j’espère qu’une telle proposition sera mise en œuvre –, notre contribution à ces fonds doit être coordonnée avec l’action que nous menons. Si l’Union européenne et la France conjuguent leurs efforts dans un certain nombre de secteurs, cela aura un effet de levier important et notre aide se révélera d’autant plus efficace ; mais, pour y parvenir, il doit y avoir une coordination entre l’aide versée à l’Union européenne et l’aide nationale.
En attendant qu’une telle coordination soit mise en œuvre, je conclurai en indiquant que ce jour est important à nos yeux compte tenu de la nature du débat que nous venons de tenir. Il est surtout la démonstration que la politique de coopération est l’un des piliers essentiels de notre diplomatie ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Catherine Tasca et M. Robert Hue applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’avoir pu travailler avec vous, d’avoir bénéficié de plusieurs rencontres et d’avoir tant appris à votre contact. Je me réjouis également que ce débat ait eu lieu.
Je vous épargnerai mon discours ; j’en suis désolé pour ceux qui l’ont écrit. (Sourires.) Il sera bien sûr à votre disposition.
Je m’efforcerai très rapidement – trop rapidement ! – de répondre aux multiples remarques, souvent très positives, mais parfois critiques – c’est tout à fait normal –, qui m’ont été adressées.
Tout d’abord, messieurs les rapporteurs, j’ai beaucoup apprécié que vous ayez lu dans la nuit un document qui, officiellement, n’a été remis qu’hier, à vous comme à moi ! (Nouveaux sourires.) Il fallait évidemment obtenir l’imprimatur de Matignon, ce qui ne fut fait qu’au moment où nous étions réunis en commission.
Je commencerai en évoquant le document-cadre de coopération au développement.
À ce propos, j’ai bien noté votre remarque à propos d’une éventuelle loi d’orientation, madame Lepage ; j’y reviendrai.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois que nous nous trouvons devant une vision d’ensemble ; cependant, si celle-ci est assez précise, elle reste insuffisante dans ses développements.
Je reprendrai simplement l’exemple souligné par les rapporteurs. Tout le monde se demande pourquoi n’est pas mis en place un audit permanent, c’est-à-dire pourquoi n’est pas proposée une évaluation – elle serait sans doute critique – des résultats de notre aide au développement. Mais un tel travail est très difficile à mener ! Qui l’a déjà fait ? Personne !
Bien sûr, pour les ONG – je les salue toutes –, qui se concentrent sur des actions très précises au contact de la population, madame Keller, un tel travail est plus facile à mettre en place et, d’ailleurs, d’autant plus méritoire.
En revanche, concernant la politique en général, les aides, nous n’avons pas toujours la possibilité de quantifier ; par exemple, nous ne pouvons pas évaluer le nombre de malades sous antirétroviraux, contrairement au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le plus souvent, compte tenu de la façon dont les politiques d’aide au développement sont appliquées, il est bien difficile d’en mesurer immédiatement les résultats au moyen de critères objectifs, avec un crible qui serait suffisamment précis pour être accepté par tous.
Nous allons nous atteler à cette tâche. Dans le document-cadre sont évoqués des audits externes et des rapports croisés. Comme l’ont justement noté MM. Cambon et Vantomme, il faudrait bien entendu pouvoir comparer, additionner les aides au développement portant sur plusieurs sujets et théoriquement regroupées dans différents bilans. Sont-elles complémentaires ou, au contraire, contradictoires ? De telles opérations sont très difficiles à réaliser.
Nous allons essayer de nous y employer pour les aides versées à compter de l’année 1998. Une telle évaluation est d’ailleurs beaucoup plus facile à faire concernant les aides versées dans le passé ; cela reste cependant très insuffisant, j’en suis pleinement conscient.
Un tel travail est cependant tout à fait indispensable. Il a été fait allusion à des sondages qui montrent que les Français, dans une période difficile, sont favorables à l’aide au développement. Quand on pose à nos compatriotes des questions précises, le résultat est néanmoins un peu différent : s’ils approuvent effectivement l’aide au développement, ils expriment également leur volonté de connaître les résultats obtenus en la matière, ce que je comprends tout à fait.
Le président de la commission vient de le souligner, il est essentiel de communiquer sur un tel point ; mais cela n’a jamais été fait, sauf en matière de santé publique, où les indicateurs sont, parfois, sur des domaines très précis, relativement fiables.
Pour en revenir à ce que je disais tout à l’heure, je vous remercie, madame Lepage, d’avoir évoqué l’éventualité d’une loi d’orientation.
Sur le principe, je n’y suis pas opposé. Mais comment faire face à l’évolution de la conjoncture économique si nous fixons des directions et des pourcentages précis ? Je me méfie donc quelque peu des lois d’orientation, d’autant qu’elles évoluent elles-mêmes en fonction des circonstances. Je ne suis pas certain que l’on puisse adopter une telle loi applicable sur dix ans. Néanmoins, cela nous donnerait l’occasion de débattre, comme nous le faisons en ce moment. Il faut y réfléchir.
Je suis d’accord avec vous, monsieur Cambon, lorsque vous dites que notre démarche ne doit plus être seulement caritative. Pour autant, en cas de besoin, le caritatif, ce n’est pas si mal !
J’ai longtemps été très hostile, puis très favorable, puis plus nuancé, sur la question des aides ponctuelles. Lorsqu’il y a une urgence, il faut y répondre, et les ONG savent très bien le faire.
Vous dites également qu’il n’y a jamais assez d’argent pour les ONG. Mais où le prend-on ? Il vient bien de quelque part ! Nous devons participer au financement des ONG, tout en leur laissant la possibilité de formuler des critiques et d’être indépendantes.
Au Centre de crise du ministère des affaires étrangères et européennes, nous ne travaillons qu’avec des ONG ! C’est tout à fait nécessaire lorsqu’il s’agit de répondre à des situations d’urgence et de mener des actions caritatives. D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite tous, comme je l’ai déjà fait en commission, à venir voir comment ce centre fonctionne, en liaison avec les ONG, comment l’aide est distribuée, comment des rapports humains se nouent et des contacts permanents s’établissent entre le Centre de crise, ces ONG et la population locale.
J’ai aussi bien noté cette observation selon laquelle mieux valait travailler avec les Africains eux-mêmes qu’avec leurs gouvernements. Il faut faire les deux ! Les chiffres nous indiquent que beaucoup d’argent s’évapore…
M. Charles Revet. Beaucoup trop !
M. Bernard Kouchner, ministre. Mais que doit-on faire ! Dites-le-moi, monsieur Revet !
Lorsque les gouvernements nous sollicitent pour financer certains projets, on peut penser, logiquement, que les ministères concernés vont faire un bon usage de l’aide que nous leur apportons.
On nous parle de surveillance. Je sais bien qu’il y a des problèmes d’évasion d’argent. Je rappelle, cependant, que tel n’est pas le fait des seuls pays africains ; dans d’autres États, c’est la moitié de l’aide qui s’évanouit dans la nature !
Bien entendu, nous devons apporter de l’aide, lorsque c’est nécessaire, en passant par les structures gouvernementales qui existent sur place. C’est le cas lorsqu’un plan d’action a été lancé. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, par exemple, ne pourrait pas fonctionner s’il ne travaillait pas, au niveau local, avec les différents ministères de la santé.
Vous l’avez noté à juste titre, messieurs les rapporteurs, lorsque aucune structure n’existe sur place, rien n’est possible ! Pour que l’argent distribué soit utile, il faut pouvoir trouver, localement, un minimum de structures administratives et techniques. Dans le domaine de la santé, c’est évident !
Nous ne pouvons pas faire autrement que de travailler avec les gouvernements, mais il nous appartient aussi d’agir, et le plus possible, avec les collectivités et les ONG locales, au plus près des populations. C’est ma conviction la plus profonde !
Il est certes difficile d’intervenir, à la fois, à tous ces niveaux. Il faut pour cela beaucoup d’expérience, y compris de l’échec. Nous connaissons aussi des succès.
M. Charles Revet. Heureusement !
M. Bernard Kouchner, ministre. Il nous revient de mener une réflexion d’ensemble sur notre démarche caritative.
Vous avez dit, monsieur Cambon, que la France ne serait plus jamais seule. En termes politiques, c’est-à-dire en considérant notre passé colonial, puis la décolonisation et l’indépendance qui ont suivi, c’est vrai ! Cependant, je le répète, il est très compliqué d’additionner et de juxtaposer des aides sans les faire entrer en concurrence.
J’ai pris hier, devant la commission, l’exemple de la République démocratique du Congo, le plus grand pays francophone du monde. Avec 130 millions d’euros, les Britanniques lui donnent près de quatre fois plus que la France, dont le montant de l’aide s’élève à 35 millions d’euros.
Comment peut-on additionner ces deux aides ? Après tout, réjouissons-nous que les Britanniques aident la République démocratique du Congo, si leur argent, comme le nôtre, est bien utilisé. Mais comment savoir si c’est le cas, alors que nombre d’autres États aident ce pays majeur, central, à la fois vaste et doté de nombreuses richesses ? Je ne veux pas souligner uniquement les difficultés, mais force est de constater qu’elles ne manquent pas !
Je suis tout à fait convaincu qu’il faut faire le bilan des objectifs, celui des moyens et l’analyse critique des résultats. Nous avons prévu cet objectif dans le document-cadre, et nous nous efforcerons de le réaliser.
Monsieur Vantomme, vous avez évoqué des objectifs majeurs, que je ne détaillerai pas ici. Notre aide publique au développement est répartie de la façon suivante : 60 % pour l’Afrique, 20 % pour la Méditerranée, seulement 10 % pour les pays émergents, et 10 % pour les situations de crise. Une telle répartition est de nature à recueillir une approbation assez large, d’autant qu’il est toujours possible de l’ajuster ; c’est d’ailleurs le cas dans les situations de crise. En effet, même si une crise est prévisible, par définition, on ne connaît pas dans l’immédiat les besoins requis.
Je partage bien sûr votre sentiment sur la croissance par les échanges. Encore faudrait-il que nos produits soient compétitifs...
Monsieur Guerry, vous-même avez rappelé que les investissements de la Chine étaient sans comparaison avec les nôtres. Certes ! Mais nous savons tous que la compétition est grande entre les entreprises. Alors, que fait-on ?
Certaines entreprises chinoises ou turques sont beaucoup plus compétitives que les nôtres. C’est un constat ! Nous devons donc aider le plus possible les entreprises françaises, mais pas jusqu’au point de les imposer ou de compenser notre handicap par des prêts ou des dons.
M. Robert Hue. C’est certain !
M. Bernard Kouchner, ministre. Comment faire ? Nos entreprises sont tout à fait performantes sur le plan social, car elles développent des projets plus structurés à ce niveau, mais elles sont moins performantes que d’autres pays lorsqu’il s’agit de répondre aux appels d’offre.
Il est très difficile de développer les échanges avec nos partenaires tout en soutenant les industries locales. C’est au sein de ce difficile équilibre que notre politique d’aide au développement doit trouver sa place : en dehors du domaine caritatif et dans la réalité de la compétition économique.
Je ne suis pas responsable de l’insuffisance des perspectives financières et de la conjoncture économique ! Je rappelle que personne n’avait prévu la crise européenne et mondiale dont nous avons été victimes. Sans cette crise, sans doute aurait-il été plus facile d’atteindre le fameux objectif de 0,7 %. Cela ne veut pas dire que nous devons abandonner complètement une telle perspective pour 2015 !
Dois-je le rappeler, la France, en 2000, lorsque la croissance était forte, consacrait 0,30 % de son RNB à l’aide au développement, puis a porté son effort à 0,32 % en 2001. Dix ans plus tard, nous avons réussi à rattraper ce retard, avec un taux qui s’élève, selon les interprétations, à 0,47 % ou 0,49 %.
Pourquoi n’atteindrions-nous pas l’objectif de 0,7 % ? En tout cas, nous faisons tout pour y parvenir en 2015.
Je m’attarderai quelque peu sur les financements innovants, qu’a évoqués M. Collin.
Ils ne sont pas destinés à se substituer à l’aide publique au développement ou à justifier sa diminution. Ils doivent servir, au contraire, à compléter ou à augmenter cette aide.
Nous avons été très surpris, lors de la préparation du sommet Afrique-France de Nice, qui comptait près de la moitié de pays anglophones, qu’un certain nombre de pays africains déclarent se méfier des financements innovants. Cette propagande hostile émanait de pays favorables à un libéralisme total, que l’idée même de taxe effraie, alors que nous n’employons jamais ce terme, lui préférant celui de « contribution ».
Soyons sérieux : si les pays africains refusaient les financements innovants, à quoi serviraient-ils ?
Nous avons convaincu les États concernés qu’il s’agissait d’une aide supplémentaire « aux investissements », et non pas simplement d’une aide en plus. Le sujet a été abordé lors de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, en septembre dernier, et il figurera à l’ordre du jour du prochain G8, à Muskoka. C’est donc une idée qui fait son chemin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai dit en commission, nous vous ferons parvenir le dernier rapport du Groupe pilote sur les financements innovants, présidé par le Japon, et dont la France est secrétaire.
Tous les rapports de ce groupe vont dans le même sens : il est beaucoup moins difficile de financer ces projets que de lancer le Fonds global, comme l’a fait la France. Il existe trois hypothèses pour le financement. Selon nous, il devrait prendre la forme d’une contribution sur les transactions mobilières, c’est-à-dire sur tous les échanges financiers. Les limites du dispositif restent à définir, pour savoir qui sera concerné : les entreprises, la spéculation, les échanges personnels, etc.
La solution que nous avons retenue est une contribution de 0,005 %, ce qui représente, je ne cesserai de le répéter, 5 centimes d’euros prélevés sur mille euros échangés. C’est tout à fait inoffensif et inodore !
Quelques pays importants peuvent-ils lancer ce projet, ou faut-il un lancement collectif nécessitant l’accord des 192 pays siégeant à l’Assemblée générale des Nations unies ? C’est clairement la première solution qui doit prévaloir.
Si nous ne prenons pas l’initiative, cela ne marchera jamais ! C’est ainsi que les fonds éthiques ont démarré, lancés par quelques établissements bancaires et quelques pays. Finalement, cela fonctionne très bien !
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Bernard Kouchner, ministre. Je pense, pour ma part, et nous verrons ce qu’il en sera du G8 et du G20, qu’un groupe de cinq ou six pays européens, mais non les moindres, favorables à cette idée, pourraient lancer ce projet.
Cette idée avance, monsieur Collin, même si nous n’avons, pour le moment, aucun bénéfice matériel à en attendre. Il sera très facile, par l’intermédiaire des banques et des établissements financiers, de prélever une contribution de 0,005 % sur les échanges. Ce n’est tout de même pas énorme !
S’agissant du Fonds global, monsieur le président de Rohan, vous avez raison : si nous contribuons plus encore par l’intermédiaire de l’ONU, on nous reprochera de ne pas être assez présents. Ce fonds global doit-il passer par l’ONU ? C’était le cas au début, avant qu’il n’en soit détaché pour être plus autonome. Mais l’idée est née au sein des Nations unies.
Avec une contribution de 0,005 %, on parviendra à réunir une somme de 30 à 40 milliards d’euros par an, ce qui permettra, madame Keller, d’assurer l’éducation de tous les enfants des pays pauvres. Ce n’est pas mal !
Faut-il créer un fonds pour cela ? Comment l’aide serait-elle distribuée ? Qui contrôlerait ce fonds et les résultats de l’aide ? Voilà des questions ardues ! Nous devons en discuter.
Nous avons, je le redis, l’expérience du Fonds global, dont la France a été à l’origine : au début, on ne savait pas comment le contrôler. Il doit représenter pour nous un modèle, dans la mesure où, depuis sa création, les évasions et les scandales ont été peu nombreux, même s’il arrive de temps en temps que l’on cesse d’aider un pays.
Monsieur Hue, vous avez évoqué le domaine réservé. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe depuis bien longtemps. Or je me souviens que, dans les années passées, certaines réserves vous étaient plus sympathiques ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) La politique étrangère constitue le domaine réservé par excellence : c’est là une tradition de la Ve République.
Vous avez également pointé du doigt les profits réalisés par les entreprises. Oui, les entreprises font des profits, et c’est bien naturel ! Si elles n’en faisaient pas,…