M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. C’est pour la bonne cause !
M. Jean-Michel Baylet. Je serai là, moi ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous appuyant sur l’excellent rapport de Christian Cambon et André Vantomme, nous débattons ce matin des grandes orientations d’un document interne à l’exécutif, dont – cela a été rappelé – la commission des affaires étrangères n’a eu connaissance qu’hier soir, à dix-neuf heures.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Mieux vaut tard que jamais ! (Sourires.)
M. Robert Hue. Nous y avons consacré quelques heures cette nuit, mais cela n’a pas suffi pour analyser finement ce document-cadre qui définit, pour dix ans, la stratégie de la France pour l’aide au développement des pays pauvres.
J’avoue que je m’interroge sur la véritable portée de ce document-cadre, quand on sait que la politique étrangère de notre pays, en particulier l’aide au développement et la politique africaine, n’a peut-être jamais autant fait partie du « domaine réservé » du chef de l’État, voire de son conseiller diplomatique ou du secrétaire général de l’Élysée !
Monsieur le ministre, je m’interroge également sur l’avenir d’un tel texte. Après avoir réformé, au prix de nombreuses difficultés, l’action culturelle extérieure, vous vous attaquez maintenant à une réforme de la politique d’aide au développement. Accordez-moi que l’avenir de votre démarche est fortement hypothéqué par une conjoncture politique dont les perspectives à court terme apparaissent pour le locataire, présent ou futur, du Quai d’Orsay pour le moins instables. Ce contexte défavorable ne fait que souligner votre engagement personnel.
Toutefois, mes doutes sur le crédit à accorder à ce document se fondent essentiellement sur l’absence de chiffrage et de perspectives budgétaires, soulignée avec pertinence par nos deux rapporteurs. Je ne m’en étonne qu’à moitié, si l’on en juge par le flou et l’opacité des documents préparatoires à la discussion budgétaire.
Pourtant, il est bien nécessaire de réfléchir aujourd’hui à une redéfinition des objectifs, des enjeux et des moyens de notre politique de coopération et d’aide au développement, et ce non seulement parce que le contexte et les enjeux ont considérablement évolué en une dizaine d’années et que l’aide au développement a elle-même changé de nature, mais aussi parce que notre politique en la matière manque de clarté, de cohérence, de pilote et de stratégie.
Il est également significatif que, après la démission forcée du secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie, celui-ci n’ait pas été remplacé.
M. Robert Hue. Cela dit, je partage globalement les objectifs généraux que vous proposez et les priorités thématiques et géographiques que vous avez retenues.
Ainsi, la priorité accordée à l’Afrique subsaharienne en lui réservant l’essentiel de nos subventions et de nos prêts me semble impérative. Espérons que les actes suivront et qu’ils permettront d’effacer les effets dévastateurs du discours méprisant que le Président de la République a prononcé à Dakar.
Je crains que ce ne soit malheureusement pas le cas.
Le déroulement, au mois de juin dernier, du dernier sommet Afrique-France a montré combien le Président de la République avait du mal à convaincre qu’il avait tourné la page des relations ambiguës avec nos ex-colonies. Il est avéré que les pratiques de la Françafrique ont toujours cours en coulisses.
En effet, bien que le Président de la République ait proclamé sa volonté de rompre avec l’image d’une France pilleuse des richesses minières ou pétrolières de l’Afrique en nouant des partenariats « gagnant-gagnant », son combat contre la perte du pré carré au bénéfice des Chinois ou des Américains a tout simplement donné l’impression qu’il voulait uniquement préserver les marchés de la France, à savoir notre accès à l’uranium et au pétrole.
À cet égard, je m’inquiète du nouveau rôle dévolu au « bras séculier » de la politique d’aide au développement qu’est l’Agence française de développement. Depuis sa reprise en main par un proche du Président de la République, cet établissement public qui fonctionne comme une banque n’a, par exemple, toujours pas clairement arrêté sa politique concernant la distinction entre les prêts et les dons accordés aux États. Nous avons reçu récemment le directeur général de l’AFD, dont les propos ne m’ont absolument pas convaincu de la clarté des ambitions annoncées.
En outre, je crains que l’AFD ne continue d’échapper au Quai d’Orsay, car, à mon sens, ce document-cadre ne tranche pas clairement la question de l’autorité des ambassadeurs sur les responsables locaux de cet organisme.
Enfin, je suis en total désaccord avec la notion de « vision globale du financement ». Celle-ci mélange des données de natures différentes, puisqu’elle englobe l’aide publique au développement, mais aussi les investissements directs des entreprises, les flux financiers des migrants et les recettes fiscales des pays en développement.
Je soupçonne qu’elle possède surtout aux yeux du Gouvernement la grande vertu de masquer la diminution de notre aide publique et l’accès débridé du marché africain à des entreprises dont le souci majeur sera la rentabilité financière, à mille lieues du développement et de la coopération. En cela, monsieur le ministre, cette « vision globale » se retrouve dans la présentation de vos documents budgétaires.
L’aide publique au développement représente officiellement près de 9 milliards d’euros, mais 4 milliards d’euros sont pur habillage statistique, puisque ce montant comprend les remises de dette. Par ailleurs, au moins 3 milliards d’euros sont versés à divers fonds multilatéraux à travers lesquels l’image de la France disparaît totalement.
Quant à la part de l’aide bilatérale aux pays les plus pauvres proprement dite, elle n’est que de 200 millions d’euros sous forme de subventions.
Voilà pourquoi, s’agissant de ce que l’on appelle « l’architecture internationale de l’aide au développement », je m’associe tout à fait à la proposition de simplification et de plus grande cohérence formulée par Christian Cambon et André Vantomme dans leur rapport d’information.
En définitive, la conception française de l’aide publique au développement, qui est aussi celle d’autres grands pays, explique largement que les Objectifs du millénaire pour le développement, fixés par l’ONU, non seulement ne soient pas encore atteints, mais restent tristement limités à 0,47 % en 2011 contre les 0,51 % promis. Notons que les Britanniques, cela a été dit hier, ont atteint leur objectif.
Le non-respect de l’engagement de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement est révélateur de l’absence de volonté politique du Gouvernement de se donner les moyens de relever le défi du développement.
Fondamentalement, il faudrait mettre en œuvre des stratégies économiques débarrassées de l’exigence de la rentabilité à court terme, afin que les économies des pays les plus pauvres ne soient plus dépendantes de l’aide internationale.
Je doute pourtant qu’à la veille de la présidence française du G20 le Président de la République ait cette volonté d’agir et qu’il saisisse cette occasion pour affirmer la nécessité d’un nouvel ordre économique et monétaire international qui refonderait aussi la politique de coopération Nord-Sud. Je crains que, comme d’habitude, nous n’assistions à des discours jamais suivis d’effet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur l’Afrique, priorité de notre coopération. C’est à juste titre que vous la désignez ainsi, monsieur le ministre.
En effet, ce continent connaît une mutation sans précédent.
Aujourd’hui, au sud du Sahara, deux Africains sur trois ont moins de 25 ans. En 2050, avec 1,8 milliard d’habitants, l’Afrique comptera plus d’habitants que la Chine et trois fois plus que l’Europe.
La mutation est tout autant démographique qu’urbaine. Les populations des villes d’Afrique subsaharienne seront multipliées par deux d’ici à 2050, passant de 300 millions à 600 millions d’individus.
La mutation est également d’ordre économique. Contre toute attente, l’Afrique connaît depuis une décennie une croissance supérieure à celle de l’Europe ou des États-Unis. Celle-ci s’appuie non pas seulement sur des économies rentières, mais également sur la naissance d’un marché intérieur : il y a aussi une Afrique émergente, une Afrique de la téléphonie et d’Internet, une Afrique dynamique qui attire les investisseurs des pays émergents.
Enfin, ce continent vit une mutation géopolitique : hier terre de colonisation européenne, l’Afrique indépendante est aujourd’hui courtisée par la Chine et l’Inde.
L’Afrique change d’échelle et de cap, et le regard que la France et l’Europe portent sur ce continent semble figé.
L’Afrique est encore trop souvent perçue comme un objet de compassion, qui appelle, au mieux, la charité, une charité bien ordonnée, c’est-à-dire celle qui commence par nos propres intérêts. Cette aide a été largement sous-traitée aux organisations multilatérales et européennes, alors que se mettait en place une politique migratoire toujours plus restrictive.
De ce point de vue, le document-cadre français de coopération au développement, que vous nous avez présenté au mois de juin, monsieur le ministre, et qui n’a été finalisé qu’hier soir, a le mérite d’abandonner le discours misérabiliste et compassionnel et de regarder en face les risques et les possibilités d’un continent de plus en plus contrasté.
En tout état de cause, vous avez raison de le dire, monsieur le ministre, notre avenir se joue en partie en Afrique.
À partir de 2030, ce continent s’apprête à accueillir 27 millions de jeunes actifs de plus chaque année. Si l’Afrique ne trouve pas le chemin d’une croissance durable, si ses enfants doivent partir pour mieux vivre, où iront-ils sinon en Europe ? Nous connaîtrons alors une pression migratoire sans précédent dans l’histoire européenne.
M. Robert Hue. Absolument !
Mme Catherine Tasca. Il s’agit d’anticiper pour ne pas subir, ni devoir prendre, dans l’urgence, des décisions peu humaines.
L’Afrique est au cœur des nouveaux enjeux de la planète, les intervenants précédents l’ont déjà évoqué.
En matière de réchauffement climatique, on pense souvent aux pays émergents, mais on oublie que l’Afrique sera la première victime du réchauffement de la planète. Aujourd’hui, 250 millions d’Africains vivent le long des côtes. En quarante ans, les précipitations enregistrées au Sahel ont diminué de plus de 40 %.
Victime, l’Afrique peut aussi devenir une source majeure de pollution. (M. le ministre acquiesce.)
Aujourd’hui, 10 % seulement des Africains ont accès à une électricité continue. Les pays d’Afrique subsaharienne ont une production électrique qui est, à la fois, la plus chère du monde et celle dont le contenu en carbone est le plus élevé. Imaginez la situation lorsque le continent comptera près de 2 milliards d’habitants ! Mais des progrès considérables peuvent être faits, car l’Afrique mobilise moins de 10 % de son potentiel hydroélectrique et seulement 1,5 % de son potentiel de géothermie.
Enfin, l’Afrique est un enjeu pour notre sécurité. Pensons à ce qui se passe actuellement au Sahel où cinq de nos ressortissants sont détenus comme otages. Cette zone de non-droit représente un risque majeur pour l’Europe et pour l’Afrique en termes de prolifération du terrorisme et des trafics et constitue inévitablement un obstacle au développement de ces pays.
Votre diagnostic des enjeux africains est juste, monsieur le ministre. Cependant, nous nous demandons si la réponse de la France et de l’Europe est à la hauteur de ces enjeux.
Au-delà des discours enthousiastes, des célébrations et des promesses, on assiste, sur le long terme, à un recul de la France et de l’Europe en Afrique. Depuis la chute du mur de Berlin, nous avons su offrir aux pays de l’Est un partenariat que nous ne savons pas proposer à l’Afrique.
Certes, il revient aux Africains de décider pour eux-mêmes. Les mieux intentionnés de leurs amis ne pourront se substituer à leurs choix d’épargne, de migration, d’investissements, à leur combat pour la démocratie, l’intégration régionale ou la croissance.
Mais nous devons procéder nous-mêmes à des choix.
Le premier de ces choix concerne les moyens que nous sommes prêts à mettre en œuvre. Sur ce point, votre document-cadre de coopération au développement est silencieux. Non seulement il est dépourvu de tout cadre budgétaire sérieux, mais force est de constater, au vu des chiffres de ces dernières années, que la part de l’Afrique stagne et, parfois, régresse. Ainsi, la part de l’Afrique subsaharienne dans l’aide publique au développement nette française est passée, de 2005 à 2008, de 54 % à 40 %. La part des pays les moins avancés a baissé, quant à elle, de 41 % à 28 %.
La diminution des subventions de l’aide bilatérale en est la principale raison, comme mon collègue André Vantomme l’a souligné. L’aide bilatérale nette aux quatorze pays prioritaires a été divisée par deux de 2004 à 2008. De ce point de vue, je ne pourrai que me réjouir de ce qui contribuera à une plus forte concentration de notre aide sur les pays d’Afrique subsaharienne qui en ont le plus besoin.
Je veux rappeler que, si nous sommes capables d’orienter la programmation de la Banque mondiale ou du Fonds européen de développement vers l’Afrique, c’est que nous disposons d’une expertise reconnue en Afrique. La diminution de notre aide bilatérale sur ce continent est en train de mettre à mal cette expertise.
Le choix porte aussi sur les modalités de notre partenariat.
Il nous faut construire un partenariat avec l’Afrique et non pas seulement avec ses dirigeants, un partenariat avec des pays, des peuples, des économies.
De ce point de vue, les accords de gestion concertée des flux migratoires que la France souhaite signer avec l’ensemble des pays africains sont trop déséquilibrés au profit du contrôle des migrations pour apparaître comme des accords de partenariat. À ce jour, huit accords ont été signés depuis 2008, mais avec des pays qui ne sont que faiblement sources d’émigration vers notre territoire. Il est important de noter à ce propos que le Mali s’est refusé jusqu’à présent à conclure un accord de cette nature.
La tentative d’articuler les politiques de l’immigration et du développement constituait en soi une piste prometteuse. Ces accords, portés par le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, devraient reposer sur un double équilibre : l’équilibre entre la facilitation de l’immigration légale et la lutte contre l’immigration clandestine, d’une part, et l’équilibre entre la maîtrise des flux migratoires et le co-développement, d’autre part.
Or, l’étroitesse des crédits du co-développement, désormais dénommé « développement solidaire », destinés à conforter les initiatives prises par les migrants pour soutenir des projets de développement dans leur pays d’origine ne permet pas à cette politique de dépasser le stade des expérimentations ponctuelles.
Ainsi, pour 2010, les crédits du budget général de l’État consacrés au développement solidaire s’élèvent seulement à 35 millions d’euros, soit 1 % des 3,5 milliards d’euros de crédits de l’aide publique au développement.
Par ailleurs, certains dispositifs, comme les cartes compétences et talents, les visas circulaires ou le compte épargne co-développement, peinent à se concrétiser et restent très marginaux. Face à la modestie des moyens, quel peut être l’avenir de ces accords et en quoi peuvent-ils transformer notre partenariat avec ces pays ?
De son histoire africaine, la France a hérité une intimité avec l’Afrique. Mais saurons-nous prendre le tournant d’une Afrique qui avance à toute vitesse ? J’en doute.
Nos atouts pour bâtir ce partenariat sont pourtant nombreux.
Il y a cette histoire commune, qui est un atout autant qu’un handicap. Il y a la géographie et cette diaspora africaine que nous ne savons pas accueillir dignement sur notre territoire.
Il y a ces générations de coopérants passionnés de l’Afrique, dont le nombre tend malheureusement à se réduire d’année en année.
Il y a aussi la francophonie. N’oublions pas que l’Afrique représente potentiellement 600 millions de locuteurs français en 2050. C’est un enjeu majeur pour l’avenir de notre langue, que nous délaissons quand nous délaissons les systèmes éducatifs africains.
Soyons clairs, dans un monde où le centre stratégique est en train de se déplacer vers l’Asie, l’Europe a autant besoin du développement de l’Afrique que l’Afrique a besoin de notre aide au développement. Quelle place la France compte-t-elle y tenir ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Michel Guerry.
M. Michel Guerry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier le président de la commission des affaires étrangères, Josselin de Rohan, d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour. C’est la preuve que la révision constitutionnelle de 2008 permet à notre assemblée d’exercer pleinement son rôle de contrôle et d’initiative.
Ce débat intervient alors que s’achève la rédaction du futur document-cadre définissant la stratégie française en matière de politique de coopération et de développement.
Je me réjouis de la volonté du ministère des affaires étrangères de consulter le Parlement et les commissions concernées. Cette démarche était nécessaire, dans la mesure où ce document-cadre est à la politique de coopération et d’aide au développement ce que le Livre blanc est à la défense.
Au nom du groupe UMP, je forme le vœu que les justes recommandations du rapport de mes collègues Christian Cambon et André Vantomme soient prises en compte.
Je souhaite également saluer tout le travail préparatoire accompli dans cette assemblée et la méthode retenue. En effet, le 12 mai dernier, la commission des finances et la commission des affaires étrangères ont organisé conjointement une audition publique des principaux représentants des organismes et acteurs français de notre politique d’aide au développement et de coopération, notamment M. Séverino, ancien directeur général de l’Agence française de développement, et M. Vielajus, président de Coordination Sud, organisme regroupant cent trente organisations non gouvernementales françaises. Pour une fois, l’aide publique au développement, sujet primordial pour la planète, ne sera pas évoquée dans cet hémicycle à la seule occasion du débat budgétaire.
Il nous revient donc de nous interroger ce matin sur notre future politique de coopération et d’aide au développement. Il convient d’envisager les impulsions et les orientations à donner.
Cependant, avant de décider de ce que doit être notre politique de coopération, je profiterai de mon intervention pour lancer un appel. Oui, monsieur le ministre, il n’est plus possible ni soutenable que nous ne puissions disposer d’un véritable bilan de la politique de coopération que nous menons et dont nous votons les crédits chaque année ! Pour les élus que nous sommes, la politique de développement ne peut se limiter au sempiternel constat que les crédits accordés ne sont et ne seront jamais assez importants, en particulier dans une période de crise financière internationale.
S’il ne s’agit pas d’ouvrir avant l’heure le débat budgétaire, il me semble pourtant capital d’appréhender cette politique sous un autre angle, dans un contexte budgétaire des plus contraints qui nous enjoint de raisonner différemment, ce qui, après tout, n’est pas une mauvaise chose.
Certes, le projet de document-cadre fixe les priorités géographiques, telles que l’Afrique subsaharienne, et les axes prioritaires, tels que la prévention des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, le défi de la croissance et la préservation des biens publics mondiaux.
Mais cela ne saurait suffire : l’élaboration de ce document nous offre une formidable occasion d’aller plus loin et de proposer enfin une évaluation chiffrée.
Pour cela, il est indispensable de redéfinir les indicateurs du développement, en retenant des critères plus précis, plus en adéquation avec la réalité. Bien sûr, à l’ONU, la France s’est positionnée sur ce point à l’occasion du sommet sur les Objectifs du millénaire pour le développement.
Il nous faut sortir du piège de certaines politiques d’affichage qui, au final, peuvent se révéler totalement contre-productives. Elles sont en effet inadmissibles, non pas tant au regard des comptes publics que du respect dû à toutes les personnes pour qui l’aide au développement ne doit plus être un substitut de survie, mais un levier de croissance.
Dans l’intérêt même des pays qui bénéficient de ces budgets, il me paraît indécent de ne pas procéder à une véritable autopsie, en engageant un examen approfondi de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.
Si j’étais provocateur, je vous dirais qu’une bonne politique de coopération doit avoir pour objectif, à terme, de disparaître. Cela signifie qu’elle rime avec la mise en place de systèmes et d’outils de développement dans les pays qui n’en ont ni les moyens ni les structures.
Chacun sait que la pauvreté est mère nourricière des crises humanitaires, du terrorisme, de la piraterie et des conflits. Je pense en particulier à l’Afrique qui, ces dernières années, connaît une recrudescence dramatique des fléaux que je viens de mentionner. Face à ces fléaux, la France ne peut agir seule. L’impulsion ne peut venir que d’une meilleure gouvernance internationale, qui se doit d’être cohérente avant tout.
À cet égard, je citerai deux exemples.
Le premier concerne le cas du Soudan. La France s’implique pleinement pour restaurer le dialogue entre le Tchad et le Soudan et pour créer les conditions d’une sortie de crise au Darfour, et ce par la voie tant diplomatique – vos entretiens et déplacements à Khartoum l’ont démontré, monsieur le ministre – que militaire, avec l’opération Épervier.
La République populaire de Chine, au nom du respect de la sacro-sainte règle de non-ingérence, est parvenue à y implanter deux usines d’armements légers, ce qui conduit ni plus ni moins au contournement des embargos sur les ventes d’armes.
Les investissements chinois dans les champs pétrolifères au Soudan se chiffrent en milliards de dollars, au moment même où ce pays sert de refuge à des groupes appartenant à la nébuleuse Al-Qaïda.
Rappelons, par ailleurs, que la China National Petroleum Corporation a investi 8 milliards de dollars dans des opérations conjointes d’exploration et que, parallèlement, elle détient 40 % du principal consortium de forage pétrolier du pays.
Le 16 novembre 2009, s’est tenu à Rome le sommet de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO. À l’issue de ce sommet, la sonnette d’alarme a été tirée pour la énième fois, comme en 2008, notamment, afin d’alerter les grandes puissances internationales sur la crise alimentaire mondiale.
L’Afrique, faut-il le rappeler, est déjà dramatiquement touchée par des années de famine et ne parvient que très difficilement à l’autosuffisance alimentaire.
Je prendrai, comme deuxième exemple, le cas du Niger, dont les surfaces cultivables sont très limitées et qui bénéficie très largement des programmes d’aide alimentaire mondiaux.
Les exportations de minerai d’uranium de ce pays, à un moment où le marché est au plus haut, devraient assurer sa sécurité alimentaire. Or ce n’est pas le cas : ses ressources naturelles permettent, en réalité, de gager des prêts concessionnels, accordés par la Chine et dont le remboursement s’effectuera en quantité et en temps. Il ne s’agit en aucun cas pour moi de stigmatiser la République populaire de Chine. Je souhaite simplement qu’il soit tiré des enseignements de cette situation, notamment à la lumière du taux de croissance de l’Afrique, qui s’élève à 5 % l’an.
Aujourd’hui, la Chine est devenue l’un des premiers bailleurs de fonds au Soudan, au Nigeria, en Angola et en Égypte. Le montant total des prêts d’origine chinoise s’établissait, à la fin du premier semestre 2007, à 20 milliards de dollars. Cela doit nous conduire à repenser notre vision de l’aide au développement. Il faut que la France envisage sa politique de coopération sous l’angle d’un double partenariat avec les pays bénéficiaires, ceux avec lesquels elle collabore au sein des programmes multilatéraux.
Pour autant, la coopération intergouvernementale ne doit pas nous priver d’une juste évaluation. Ainsi pourrons-nous, à terme, mieux cibler notre action et mieux apprécier si tel projet multilatéral est plus efficace que tel autre projet bilatéral.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens enfin à attirer votre attention sur le fait que l’aide au développement doit répondre à de nouveaux défis. En notre qualité de pays développé, il nous appartient de créer les conditions d’un nouveau type de développement répondant à de nouvelles exigences. Les bouleversements climatiques et l’appauvrissement des ressources naturelles nous y obligent. Pour les pays en voie de développement, nous devons favoriser un nouveau modèle de croissance, celui d’une croissance « consciente ».
Cependant, comment éviter que ces pays ne nous reprochent de leur imposer des normes contraignantes, issues de nos propres erreurs ? Plus que jamais, il nous faut être imaginatifs et pragmatiques !
Pour conclure, je souhaiterais rappeler devant vous l’importance que représentent les programmes de scolarisation, pour les femmes en particulier. L’école et l’instruction demeurent le préambule incontestable de la paix, notamment dans les sociétés matriarcales. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on parler d’objectifs sans évoquer les moyens pour les atteindre ? Si la France respectait ses engagements, elle devrait consacrer, en 2011, 0,51 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement, l’APD. Or elle n’y contribuera vraisemblablement qu’à hauteur de 0,47 %, soit un niveau égal à celui de 2006.
Dès aujourd’hui, on peut pressentir qu’il sera donc difficile, voire impossible, d’atteindre 0,7 % du RNB en 2015, ce qui nous éloigne des engagements pris pour remplir les Objectifs du millénaire pour le développement, notamment sur la pauvreté, la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes, la santé, l’environnement durable et la mise en place d’un partenariat pour le développement.
De plus, les chiffres de l’APD annoncés par la France à l’OCDE et la réalité de cette aide ne coïncident pas. Ainsi l’APD réelle, c’est-à-dire allégée des dépenses artificielles, ne représente que 70,3 % de l’APD officielle en 2010.
En effet, la France prend en compte comme une part significative de son aide publique au développement des dépenses « artificielles », telles que l’accueil des étudiants étrangers, l’aide aux réfugiés, ainsi que les dépenses allouées aux territoires d’outre-mer, ce qui ramène l’APD réelle à 0,31 % du RNB.
L’APD officielle intègre, en outre, la contribution de la France à l’allègement des dettes des pays en difficulté, comme j’ai pu m’en rendre compte récemment au Cameroun avec la mise en place du contrat de désendettement et de développement, ou C2D. L’allègement de la dette s’inscrit donc comme une part majeure de la contribution française à l’APD, ce qui renvoie, selon moi, a contrario, à la faiblesse des engagements français envers les pays les plus pauvres du continent africain.
Cet affichage officiel de l’aide publique au développement est donc trompeur et permet à l’État d’accroître, à moindre coût, le volume des crédits qui y sont comptabilisés. Les annulations de dette, lesquelles portent, d’ailleurs, sur des créances de toute façon impayables, relèvent, pour finir, davantage de l’exercice comptable que de l’aide française au financement du développement des pays concernés.
Contribuer efficacement à la lutte contre les inégalités et la pauvreté requiert une diversité d’instruments allant des dons, largement insuffisants aujourd’hui, destinés aux pays les plus pauvres, aux prêts octroyés à des pays émergents.
Le volume des prêts octroyés par l’AFD et comptabilisés dans l’APD a très fortement augmenté depuis 2008, contrairement aux dons. Accordés à des taux proches de ceux du marché, ces prêts ne peuvent évidemment s’adresser qu’aux pays émergents. Je ne citerai, à titre d’exemples, que la Chine, l’Inde, ce qui ne manque pas d’étonner parfois le Français moyen, et les pays de la zone Méditerranée-Moyen-Orient. Ce sont les seuls en mesure de s’endetter, contrairement aux pays les plus pauvres.
Il faut mentionner qu’une part importante de l’APD française est également allouée aux organisations européennes et multilatérales : elle représente 41 %, contre 59 % pour l’aide bilatérale. Il est, certes, normal que la France y ait sa place. Notre contribution ne cesse d’augmenter, sans répondre forcément à une vision stratégique de la coopération française au développement.
L’aide aux pays les plus pauvres, particulièrement en Afrique subsaharienne, est, en réalité, illusoire. Le volume de l’enveloppe « dons » consacrée au financement de projets dans les secteurs sociaux est en baisse de 46 % par rapport à 2006. Là encore, il serait intéressant de connaître les montants exacts affectés aux dons-projets de l’AFD pour 2011.
Pour souligner encore nos craintes, je précise que le volume des crédits publics transitant par les ONG reste mineur et bien en deçà des besoins. Les ONG, notamment de volontariat, s’inquiètent de ne disposer, pour l’instant, d’aucune information fiable sur les montants qui seront disponibles pour leurs projets en 2011.
Je dirai un mot encore sur les enjeux définis en matière de politique de coopération au développement de la France par le projet annuel de performance attaché au projet de loi de finances pour 2011. Je veux parler de « la prévention et la gestion des crises qui menacent à la fois le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays ».
Ce dernier point établit un parallèle entre le développement des pays concernés et la sécurité de notre pays, laissant entrevoir une justification de notre coopération au développement perçue comme un moyen d’endiguer d’éventuels risques sécuritaires à nos frontières.
Je ne pense pas, quant à moi, que l’on puisse réduire la complexité du problème et expliquer la situation à nos concitoyens en ces seuls termes sécuritaires. Ceux-ci ne sont-ils pas à même de comprendre que la prévention des crises passe par la lutte contre la pauvreté ? Ne sont-ils pas à même de comprendre la nécessité de participer, par la contribution nationale, à l’émergence d’un monde plus solidaire, plus égalitaire et, finalement, plus sûr ? Selon deux sondages, l’un de l’IFOP, l’autre de BVA, publiés à l’automne 2009, les Français, malgré la crise, approuvent l’aide au développement et souhaitent mieux en connaître les résultats.
Non, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions de pauvreté, de santé, d’environnement et de démocratie, où qu’elles se posent, ne peuvent nous laisser indifférents ! Le développement des pays pauvres ou émergents n’est pas sans conséquence pour la France et l’Europe. Nous avons un devoir de solidarité, celui de mener une politique d’aide cohérente, juste et efficace.
Il nous faut définir, outre nos objectifs, les moyens réels mis en place pour les atteindre et présenter, ensuite, un bilan des actions menées. Comme le préconisent MM. Cambon et Vantomme dans leur rapport, il importe d’avoir « une vision claire du coût budgétaire de nos interventions dans les pays émergents ».
Je partage l’avis de la commission quand elle préconise une loi de programmation et d’orientation consacrée à l’APD adoptée à échéances régulières. Cela permettra de rendre notre aide plus lisible, plus prévisible, plus transparente ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Fabienne Keller applaudit également.)