M. Alain Gournac. Très bien !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. … où chaque pays avait inventé son propre système d’électrification et de signalisation. Il s’agit de ne pas prévoir de système de lecture qui transforme l’avant des camions en cabine de conduite. La mise en place du dispositif en 2012 constitue donc déjà une prouesse technique et un défi pour les entreprises ; j’espère que nous réussirons.
J’en viens aux camions de 44 tonnes. Il s’agit non pas de les généraliser, mais de permettre, à la demande du monde agricole, la circulation des produits agricoles et agroalimentaires. Je vous rappelle qu’il existait déjà de nombreuses dérogations autour des ports maritimes et fluviaux, ainsi que pour transporter les chablis ou les récoltes après les moissons. Il s’agit en réalité de mettre un peu d’ordre dans ce régime dérogatoire et de le limiter aux activités liées à l’agriculture et à l’agroalimentaire.
Je conclurai en évoquant quelques-uns des sujets connexes que vous avez abordés, mesdames, messieurs les sénateurs.
En ce qui concerne la réforme portuaire, ce qui se passe à Marseille est en effet dramatique, monsieur Nègre. (M. Louis Nègre acquiesce.)
Les lignes se détournent sur Civitavecchia, Gênes, Barcelone, Tanger Med ou encore Tunis ; il ne sera pas évident de les faire revenir. Pourtant, partout ailleurs, la réforme de la gouvernance a été mise en œuvre et les transferts, y compris de personnels, ont lieu. Il subsiste un abcès de fixation sur une petite partie du port de Marseille, les instigateurs de cette action étant d’ailleurs en désaccord avec d’autres syndicats à Marseille ainsi qu’avec la CGT à l’échelon national. Il s’agit donc d’un phénomène local, mais il touche le premier port de France et peut priver la deuxième ville française d’une activité économique importante et tuer des milliers d’emplois.
M. Alain Gournac. C’est terrible !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. C’est assez dramatique, en effet. Le Gouvernement en est conscient et ne restera pas sans agir.
Enfin, le projet de liaison Lyon-Turin avance bien et l’on ne perdra pas le bénéfice des crédits de l’Union européenne, ceux-ci étant reportés jusqu’en 2015. Nos amis italiens ne partagent pas complètement notre vision des choses quant aux modalités de financement. Les discussions sont donc vives, mais restent amicales !
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention fut un peu longue, je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Mon collègue Alain Marleix vient d’arriver et je le vois déjà trépigner, ce qui constitue pour lui un exercice très difficile étant donné les circonstances. (Sourires. –M. le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales sourit également.) J’espère avoir répondu à vos questions et démontré que le fret ferroviaire était une préoccupation du Sénat, du Gouvernement, mais aussi de tous les Français. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Considérant que l’article 10 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement donne pour objectif au niveau national de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre dues aux transports d’ici à 2020 ;
Estime que le transport ferroviaire de marchandises correspond à une activité d’intérêt général ;
Considère que le Gouvernement doit se fixer comme objectif le rééquilibrage modal, fondé sur une législation spécifique au secteur routier permettant d’internaliser les coûts externes notamment environnementaux ;
Appelle par conséquent de ses vœux l’instauration rapide d’une taxe poids lourds dont les ressources doivent être fléchées pour les investissements sur le réseau ferré ;
Propose également un moratoire sur l’abandon partiel de l’activité wagon isolé et la préservation des installations ferroviaires.
Explications de vote
M. le président. Je rappelle que la conférence des présidents a fixé la durée des explications de vote à cinq minutes par groupe, les non-inscrits disposant de trois minutes.
La parole à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous parlerai de Miramas, une ville des Bouches-du-Rhône à mi-chemin entre Marseille et Fos-sur-Mer, deux grands ports de la Méditerranée qui, juridiquement tout du moins, n’en font qu’un : le Grand Port maritime de Marseille. Ce port n’est rien moins que le quatrième port européen, avec un trafic de près de 100 millions de tonnes, le troisième port pétrolier mondial et le premier port de la Méditerranée pour les conteneurs devant Gênes et Barcelone. Non seulement il sert de plateforme d’échanges avec les pays sud-méditerranéens, mais, surtout, il est situé dans l’une des cinq premières zones logistiques françaises. C’est un port en pleine expansion puisqu’il va doubler son activité dans les cinq prochaines années.
« Avec un investissement global de 3 milliards d’euros sur les prochaines années, 83 millions de tonnes de marchandises en 2009 passant à 120 millions d’ici à 2013, avec une volonté écrite et affichée des décideurs et chargeurs de porter la part du transport ferroviaire de 13 % à 30 %, placé à côté d’un monstre économique qu’est le port et dans une région fortement industrialisée, le triage automatisé de Miramas doit vivre et se développer. » Voilà résumé, en quelques mots, le projet économique présenté par les cheminots à la direction du fret pour le maintien du tri par gravité sur le site de Miramas.
Ce site faisait partie des gares menacées par le plan de « rationalisation » annoncé par la SNCF au mois de septembre 2009, une décision paradoxale au moment où le Gouvernement confiait justement une mission pour améliorer les dessertes du port de Marseille, afin de promouvoir le développement durable dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
Des propositions sont d’ailleurs en cours d’élaboration pour améliorer la fluidité des trafics à l’intérieur du port ainsi que son accessibilité dans les trente prochaines années.
Dans ce contexte, le ferroviaire est un atout considérable. La direction de la SNCF a été obligée de le reconnaître puisque, le 25 octobre dernier, elle a annoncé le maintien du tri à gravité à Miramas. Elle a été contrainte de prendre en compte les propositions portées par les organisations syndicales et, en premier lieu, par la CGT, lesquelles s’appuyaient sur une argumentation très précise, en termes tant de coûts économiques que de réponses aux problématiques environnementales.
C’est une victoire importante pour les cheminots, leurs organisations syndicales et la population, tous particulièrement mobilisés sur ce dossier majeur pour le développement du fret et, plus largement, pour le développement économique de la région PACA. L’arrêt du triage signifiait la perte de deux cents emplois et la mise sur nos routes de 300 000 camions supplémentaires par an.
Ce retournement de situation est le fruit de l’acharnement de tous les acteurs concernés pour sauver « leur » triage. Il aura fallu plusieurs mois de mobilisation et de multiples interventions des élus – maire, conseillers généraux, conseillers régionaux, parlementaires – auprès de la direction de la SNCF, du préfet et des ministres – certaines sont malheureusement restées sans réponse – pour qu’enfin la raison l’emporte.
Je profite de cette intervention pour saluer le travail considérable accompli par les organisations syndicales, notamment la CGT. Elles ont fait preuve d’une très grande responsabilité en sollicitant tant les élus que les pouvoirs publics avec beaucoup de persévérance.
Cela nous renvoie à notre propre responsabilité en tant que parlementaire et à notre capacité d’écoute. Nous avons en l’occurrence la démonstration que le dialogue est la clef de résolution de bien des conflits et que les organisations syndicales, loin d’être des fauteurs de troubles, sont d’abord porteuses de propositions crédibles et argumentées qui méritent d’être étudiées consciencieusement, pour peu que l’on prenne le temps de les écouter et de travailler avec elles.
Si je prends cet exemple, c’est qu’il m’est cher à plusieurs titres. Certes, il s’agit de mon département, de mon entreprise, et je suis convaincue que le fret est le moteur du développement économique des régions. Mais, surtout, il montre que d’autres solutions existent et qu’il convient d’étudier toutes les possibilités en lien avec les partenaires sociaux pour que, enfin, soit mise en œuvre une politique du transport de marchandises rationnelle du point de vue économique et écologique, sécurisée, juste et équilibrée.
Cela passe d’abord par l’adoption de cette proposition de résolution, sur laquelle nous demandons un vote par scrutin public. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le secrétaire d’État, si vous avez communiqué un certain nombre d’informations intéressantes sur des dossiers relatifs au transport ferroviaire, particulièrement dans le domaine du fret ferroviaire, vous n’avez en revanche pas répondu sur les principaux points de la proposition de résolution du groupe CRC-SPG.
Je ne prendrai que quelques exemples.
Premièrement, vous n’avez répondu ni sur l’organisation d’états généraux ou d’un Grenelle du fret ferroviaire ni sur la mise en place d’un moratoire sur l’abandon partiel de l’activité wagon isolé et la préservation des installations ferroviaires.
Deuxièmement, vous n’avez pas apporté de réponse à notre demande de mise en place d’un plan de résorption de l’énorme dette de Réseau ferré de France, qui doit s’élever aujourd’hui à 28 milliards d’euros et qui interdit quasiment aux gestionnaires du réseau de pouvoir consacrer les crédits nécessaires à une régénération rapide du réseau ferroviaire existant.
Mme Évelyne Didier. C’est l’héritage !
M. Michel Teston. Troisièmement, vous n’avez pris aucun engagement en matière de rééquilibrage modal, qui suppose à notre sens de pouvoir intégrer les coûts externes du transport routier dans la tarification du transport.
Quatrièmement, enfin, le Gouvernement ne semble pas non plus favorable à notre proposition visant à reconnaître le caractère d’intérêt général du fret ferroviaire. Or c’est vraisemblablement la seule solution de nature à permettre son développement.
En fait, monsieur le secrétaire d’État, vous rejetez toutes les avancées que Mireille Schurch, pour le groupe CRC-SPG, et moi-même, pour le groupe socialiste, avons formulées dans le cadre du groupe de travail sur l’avenir du fret ferroviaire. Pourtant, celles-ci sont clairement exposées dans la proposition de résolution soumise à notre assemblée.
C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de résolution.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC-SPG et, l'autre, du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 92 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme Mireille Schurch. C’est dommage !
10
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe de l’Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des finances et une pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, membre de la commission des finances, à la place laissée vacante par M. Alain Lambert, dont le mandat de sénateur a cessé ;
- Mlle Sophie Joissains, membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, démissionnaire.
11
Indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique
Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir l’indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique, présentée par Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Éliane Assassi et Josiane Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et des sénateurs du Parti de gauche (proposition n° 603 rectifié [2009-2010], rapport n° 40) (demande du groupe communiste républicain citoyen et des sénateurs du Parti de gauche).
Dans la discussion générale, la parole est Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de loi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter une proposition de loi constitutionnelle visant à mieux garantir l’indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique.
Comme le souligne M. Gélard dans son rapport, « la volonté de mettre les dirigeants politiques et les responsables publics au-dessus de tout soupçon et de garantir aux citoyens que l’exercice de mandats électoraux ou de fonctions électives ne soit pas, pour ceux qui les détiennent, l’occasion d’un enrichissement personnel, a été une préoccupation constante tout au long de l’histoire de notre pays : dès 1795, des obligations de déclaration de patrimoine sont imposées aux élus par la Convention, qui entendait ainsi assurer la confiance des mandés en leurs mandants ».
M. le rapporteur évoque ensuite la loi organique du 11 mars 1988, qui est relativement récente et donc tardive dans la France postrévolutionnaire.
Certes, la République s’est dotée d’un cadre juridique destiné à éviter la confusion d’intérêts – ou conflit d’intérêt – entre les missions publiques et les intérêts privés ou particuliers de ceux qui les exercent.
L’indépendance des acteurs publics, la morale publique peuvent, en principe, faire partie de notre consensus républicain.
Force est de constater toutefois qu’en matière de transparence financière notre législation est récente et bien modeste.
En effet, les différentes situations sur lesquelles le législateur a éprouvé la nécessité de prévenir ou de sanctionner d’éventuels manquements aux vertus républicaines concernant les élus et les fonctionnaires ont donné lieu à des règles d’inéligibilité, d’incompatibilités entre fonctions électives et professions ou fonctions.
Les obligations de transparence concernent principalement le financement des partis politiques – on en voit les insuffisances –, les campagnes électorales et le patrimoine des élus.
Hélas ! on peut constater tous les jours que ce cadre juridique, s’il est utile, n’est pas suffisant, voire se révèle dépassé, tant s’est établie une proximité, une « porosité » pourrait-on même dire, entre les pouvoirs publics et l’argent.
Bien évidemment, cette proximité est d’autant plus grande dans le monde et en France, et la frontière entre intérêt général et intérêts particuliers est d’autant plus fragile que l’idéologie libérale, voire ultralibérale que vous défendez prône la primauté des intérêts privés sur l’intérêt général, la primauté de l’économie sur le politique, et que sont imbriqués les pouvoirs économiques et politiques dans les classes dirigeantes.
Ajoutons que notre pays est le champion de l’extrême concentration des pouvoirs, tant économiques que politiques. Le débat sur le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale qui s’est déroulé ce matin et celui sur les mandats dans les conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises hier après-midi en ont été l’illustration.
Ajoutons aussi que l’évolution récente, avec la privatisation des grandes entreprises publiques et des banques, le recours aux partenariats public-privé, la délégation croissante de services publics au privé, est telle que se multiplient les possibilités de créer des liens étroits entre pouvoirs politiques et pouvoirs économiques ainsi que les passerelles entre fonctions publiques et fonctions économiques.
Ajoutons, enfin, que cette réalité est encore plus manifeste depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président de la République : il affiche lui-même sa proximité avec le monde des affaires, il en a fait un symbole en fêtant son élection au Fouquet’s avec ses amis de la finance, puis sur le yacht de Vincent Bolloré !
Depuis, les exemples de proximité se sont multipliés, tant par les nominations de conseillers du Gouvernement à la tête d’entreprises en voie de privatisation que par les rapports étroits de membres du Gouvernement ou de parlementaires avec le monde des affaires.
Je n’ai pas l’intention de faire ici la chronique des gazettes.
En revanche, ce que tout le monde peut constater, ce sont les nombreuses dérives, qu’elles puissent ou non faire l’objet d’une sanction au vu de notre législation actuelle. C’est le lot d’une société hyper-médiatisée. C’est une forme de transparence, mais une transparence extrêmement dangereuse.
Les dérives que s’autorisent certains rejaillissent sur tous les autres. Elles nourrissent chez nos concitoyens le rejet des politiques, des institutions et nuisent gravement à la santé de la démocratie !
Il est navrant de constater que, au pays de Saint-Just, de Jaurès et de Zola, 60 % à 70 % de nos concitoyens pensent que leurs élus sont corrompus ou sensibles à la corruption.
On est loin, bien loin, de la République « irréprochable » dont parlait le candidat Nicolas Sarkozy. Paroles, paroles !
Tout cela est tel, d’ailleurs, qu’à la rentrée de septembre – après un été édifiant sur la question – la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique est devenue un sujet d’actualité et qu’une commission d’« experts » a été chargée par décret du 10 septembre 2010 d’y réfléchir et de formuler des propositions. Nous verrons ce qu’il en ressortira !
La proposition de loi constitutionnelle que je présente aujourd’hui n’est donc pas hors sujet. Elle est antérieure à l’institution de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, même si elle est discutée aujourd'hui dans le cadre de la semaine d’initiative sénatoriale. Elle est modeste et s’attache à une question qui n’est pas forcément directement liée aux conflits d’intérêts. Cependant, elle traite de situations bien réelles pouvant concerner non seulement les membres du Gouvernement, mais aussi le Président de la République lui-même.
Je constate d’ailleurs que M. le rapporteur signale, pour mieux le repousser, que ce texte « soulève des questions cruciales ». Il a d’abord tenté de s’y opposer sur la forme, en déposant une motion d’irrecevabilité. Nous savons que la majorité use de procédures sur la plupart des propositions de loi de l’opposition pour éviter les débats de fond. En la matière, les exemples sont nombreux et répétés. Nous avons donc rectifié ce texte hier en le transformant en proposition de loi constitutionnelle. Il n’en reste pas moins que M. le rapporteur invoque diverses raisons pour en demander le rejet, raisons qui me paraissent peu convaincantes.
Ce texte a pour objet d’étendre au Président de la République et aux membres du Gouvernement l’interdiction de recevoir tout don ou avantage de personnes morales, sous quelque forme que ce soit, et de créer une obligation de déclaration des dons provenant de personnes physiques lorsque ceux-ci excèdent un montant annuel fixé par la loi ordinaire. Vous remarquerez, mes chers collègues, que le montant ne figure plus dans cette proposition de loi constitutionnelle : nous renvoyons à une loi ordinaire le soin de le fixer, ce qui est juridiquement normal.
Les dons concernés sont soit directs, soit indirects. Tout don ou avantage en nature effectué par une tierce personne, mais dont les personnes visées par ce texte bénéficient également, est pris en compte dans le calcul des sommes déclarées. Ces nouvelles dispositions seront applicables au Président de la République et aux membres du Gouvernement.
Si la loi de 1995 exclut partiellement les personnes morales du financement des campagnes électorales et des partis politiques, rien n’est prévu pour le Président de la République, les membres du Gouvernement et les élus.
Par ailleurs, en vertu de la loi de 1988, la Commission pour la transparence financière de la vie politique, la CTVP, « contrôle » certes les patrimoines des élus et des membres du Gouvernement en début et fin de mandat, mais elle ne contrôle ni les revenus ni les cadeaux et donations qui ne sont pas des biens patrimoniaux. Rien n’empêche donc une personne physique ou une personne morale d’octroyer certains avantages financiers ou en nature, de façon directe ou indirecte, aux élus, aux membres du Gouvernement ou au Président de la République.
Monsieur le rapporteur, vous essayez de décrédibiliser cette proposition de loi constitutionnelle en affirmant que notre texte pourrait priver les ministres ou le Président de la République des moyens d’exercer leur mandat. Pourtant, vous ne pouvez pas confondre la notion de dons effectués par des personnes morales avec celle de moyens matériels dévolus à l’exercice d’une fonction !
Par ailleurs, vous nous reprochez de ne pas avoir fixé de sanctions afférentes à l’interdiction des dons, dont le plafond pourrait être limité à 4 600 euros, à l’instar de ce qui est prévu dans le cadre des campagnes électorales ou du financement des partis politiques. Vous auriez pu amender notre texte en ce sens ! En revanche, vous êtes resté bien discret sur notre souhait d’améliorer la transparence en exigeant une déclaration publique de ces dons.
Transparence rime avec indépendance. La sanction politique évoquée par M. le rapporteur comme la seule sanction possible, notamment contre le Président de la République, celle des urnes, ne pourra intervenir que si la publicité des liens financiers existe. Ce n’est que si les citoyens sont informés en dehors du jeu médiatique qu’ils pourront former leur jugement !
M. le rapporteur considère également que cette proposition de loi constitutionnelle aurait pour effet de réglementer la vie quotidienne de ceux qui exercent des responsabilités et de mettre en quelque sorte leur vie privée sous les yeux des citoyens. Passez-moi l’expression, mais c’est un peu fort !
Nombre de responsables politiques, à commencer par le Président de la République lui-même, étalent leur vie privée, ce que, pour notre part, nous réprouvons. Mais la transparence de leur situation financière, c’est tout autre chose !
Aujourd’hui, les médias s’emparent de dérives inacceptables. C’est à la loi d’organiser la transparence, le contrôle et la sanction s’il y a lieu. Nul n’est obligé d’être élu, membre d’un Gouvernement ou Président de la République ! La contrepartie est d’accepter que sa situation financière soit publique et irréprochable.
Mes chers collègues, nous défendons l’honneur des élus qui, dans leur grande majorité, n’ont rien à se reprocher…
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de loi. … et, par là même, la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir l’indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique, qui est présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres de son groupe et dont nous sommes saisis, est loin d’être inintéressante.
Toutefois, nous avons déjà examiné par le passé un certain nombre de textes qui régissent actuellement le statut du Président de la République et des membres du Gouvernement dans leurs relations avec les puissances d’argent.
Ainsi la loi organique du 11 mars 1988 impose-t-elle au Président de la République de faire une déclaration de situation patrimoniale, dont l’évolution fait l’objet d’une publication.
Nous disposons également d’une législation particulièrement importante qui reprend le code électoral, pour ce qui concerne notamment l’élection présidentielle. Ainsi, l’article L. 52-4 du code électoral prévoit l’obligation pour tout candidat à une élection de recourir à un mandataire financier ; l’article L. 52-8 du même code prohibe les dons de personnes morales et plafonne les dons des personnes physiques à 4 600 euros, tandis que l’article L. 52-15 permet à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de saisir le parquet en cas d’irrégularités.
Le texte initial – une proposition de loi ordinaire – était irrecevable dans la mesure où un texte d’une telle nature ne peut modifier le statut du Président de la République. Nous l’avions souligné lors de son examen en commission et avions indiqué à Mme Borvo Cohen-Seat qu’il fallait déposer une proposition de loi constitutionnelle. C’est désormais chose faite et le texte que nous examinons est recevable.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est plus qu’une rectification !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela dit, même sous une forme adéquate, ce nouveau texte n’est pas sans poser plusieurs problèmes.
Avant de les évoquer, je ferai remarquer qu’une proposition de loi constitutionnelle doit d’abord être approuvée en termes identiques par l’Assemblée nationale et par le Sénat, puis transmise au chef de l’État, qui devra recourir au référendum. Or je crains qu’un référendum sur un tel sujet ne suscite pas l’enthousiasme des foules et ne recueille un nombre considérable d’abstentions. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Je profite de cette occasion pour rappeler que je regrette, pour ma part, que nous n’ayons pas fixé, lors de la dernière révision constitutionnelle, un taux de participation au moins égal à 50 % des votants pour valider un référendum.
Tout d’abord, cette proposition de loi constitutionnelle est sans portée juridique. Elle fixe une interdiction, sans constituer de délit ou de crime. Par conséquent, les intéressés pourront faire ce qu’ils voudront ! Il est évident que les agissements visés ne sont pas moralement acceptables, mais tout cela relève du domaine de la vertu et non pas du domaine législatif.
En outre, en cas de manquement aux dispositions prévues, il ne sera pas possible de poursuivre les membres du Gouvernement devant la Cour de justice de la République. Quant au Président de la République, à moins de le poursuivre devant la Haute Cour, je ne vois pas très bien quelle sanction nous pourrions lui appliquer. Ce texte n’a donc aucune portée juridique, car il ne prévoit pas de sanction.