M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur Frimat, le texte porte sur les retraites, et non sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, mais il améliore très concrètement la situation des femmes en matière de retraite. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Si nous avons voulu faire figurer des mesures dans ce texte, c’est parce qu’il était naturel qu’elles y soient, parce que l’égalité en termes de retraites dépend de l’égalité salariale. C'est la raison pour laquelle nous avons notamment introduit un dispositif de sanctions à l’égard des entreprises. Nous irons plus loin et j’espère que vous nous accompagnerez.
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, permettez-moi simplement de vous faire remarquer que vous n’avez pas provoqué ce débat sur la retraite des femmes lorsque vous étiez au pouvoir et que M. Jospin a créé le Conseil d’orientation des retraites et le Fonds de réserve pour les retraites. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Et pourtant vous avez eu quelques années pour vous poser alors toutes les questions que vous posez aujourd'hui la main sur le cœur.
Où sont vos réformes en ce qui concerne les retraites des femmes ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Alain Fouché. Il n’y en a aucune !
M. Éric Woerth, ministre. Et je ne parle pas d’il y a vingt ou trente ans : c’était dans les années 2000 ! À l’époque, vous avez bénéficié d’une période de croissance inespérée. Pourquoi n’avez-vous pas réparti les fruits de cette croissance sur les retraites des femmes ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. François Zocchetto applaudit également.) Posez-vous donc ces questions !
M. le président. Je mets aux voix l'article 31, modifié.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés pour l’adoption de cet article.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 65 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Roland Courteau. Vous n’avez pas de quoi être fiers !
3
Cessation du mandat d’un sénateur
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Alain Lambert une lettre par laquelle il remet son mandat de sénateur de l’Orne, à compter du lundi 18 octobre 2010 à minuit.
Acte est donné de cette décision.
À la suite de la cessation du mandat de M. Alain Lambert, sénateur de l’Orne, le siège détenu par ce dernier est devenu vacant et sera pourvu selon les termes de l’article L.O. 322 du code électoral lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.
4
Réforme des retraites
Suite de la discussion d'un projet de loi en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites.
Articles additionnels après l'article 31 (réservés)
M. le président. Je rappelle que l’ensemble des amendements tendant à insérer des articles additionnels ont été réservés jusqu’après l’article 33.
Article 31 bis
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article L. 2242-5 du code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette négociation porte également sur l’application de l’article L. 241-3-1 du code de la sécurité sociale. »
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, sur l'article.
Mme Maryvonne Blondin. L’article 31 bis va, me semble-t-il, soulever moins de passion, même s’il concerne le même public féminin travaillant à temps partiel.
Cet article a été rajouté par amendement à l’Assemblée nationale sur la recommandation de la Délégation aux droits des femmes et s’adresse à ces femmes travaillant à temps partiel, voire très partiel.
À celles-ci s’applique une double peine : la précarité dans l’emploi et la pauvreté à la retraite.
On le sait bien désormais, si 83 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes,... elles représentent aussi près de 76 % des allocations du minimum vieillesse tandis que leur niveau de pension demeure inférieur de 40 % en moyenne à celui des hommes !
En outre, les périodes de temps partiel se traduisent la plupart du temps par une importante décote qui contraint les femmes à partir plus tard à la retraite pour accéder au taux plein.
Enfin, le système de majoration de durée d’assurance, venant compenser les désavantages de carrière pour les femmes, s’est notablement dégradé et est désormais en complet décalage avec nos modèles contemporains d’organisation familiale et sociale. Tout à l’heure, ma collègue Christiane Demontès vous a parlé de cette sociologie qui changeait.
En reculant encore l’âge légal de départ à la retraite, les femmes sont bien les premières victimes de cette réforme ! Il nous faut donc trouver ici ou là de bien maigres compensations...
Cet article 31 bis complète les dispositions de l’article 31 en ce qu’il se rapporte au contenu des négociations relatives aux objectifs d’égalité professionnelle. Il vient ainsi compléter l’article L. 2242-5 du code travail.
À ce jour, les entreprises de plus 300 salariés doivent engager, chaque année, nous l’avons dit, une négociation sur les éléments devant figurer dans leur rapport de situation comparée, soit sur les conditions d’accès à l’emploi, à la formation professionnelle et à la promotion professionnelle, les conditions de travail et d’emploi, en particulier celles des salariés à temps partiel, et l’articulation entre la vie professionnelle et les responsabilités familiales.
Avec cet article 31 bis, il est prévu que ces négociations portent également sur la possibilité de surcotiser à hauteur du salaire d’un temps plein, en cas de temps partiel.
En effet, si cette possibilité existe, vous l’avez dit, monsieur le ministre, elle est largement restée lettre morte. Il s’agit donc ici d’inscrire l’obligation de traiter de cette possibilité lors des négociations collectives.
Il faut bien reconnaître que cette possibilité de surcotisation est bien la moindre des concessions que l’on puisse accorder aux femmes précaires afin de tenter de compenser le faible niveau de leur pension.
Certes, avec l’amendement n° 310 à l’article 3, nous avons déjà adopté un renforcement du droit à l’information sur la possibilité de surcotiser.
Cet article s’inscrit dans cette même démarche, mais il vise à permettre la prise en charge des cotisations du salarié par l’employeur car les salariés n’ont pas toujours la possibilité de payer davantage.
Une réforme ambitieuse et innovante pour les retraites des femmes eût été, toutefois, de plaider pour une réelle déconnexion entre temps travaillé et temps cotisé ; d’accorder une réelle reconnaissance à leur rôle fondateur pour l’institution tant familiale que nationale, ou encore de lisser pleinement les effets de seuil des carrières incomplètes.
Mais, pour cela, il aurait fallu une réelle volonté politique : celle de prendre en considération l’iniquité de la situation des femmes et d’envisager de changer cet ordre sociétal actuel. Mais cette volonté, de toute évidence, fait encore défaut à ce jour au Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin applaudit également.)
M. Jean-Claude Gaudin. Mon Dieu !
M. le président. L'amendement n° 461, présenté par Mmes Blondin et Demontès, MM. Bel, Teulade, Le Menn, Godefroy, Daudigny, Kerdraon et Desessard, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Schillinger et Printz, MM. Cazeau et Jeannerot, Mmes Ghali, Alquier, Campion et San Vicente-Baudrin, MM. Gillot, S. Larcher, Domeizel, Assouline et Bérit-Débat, Mmes M. André, Bourzai et Khiari, MM. Bourquin, Botrel, Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume, Haut, Mahéas, Mirassou, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
et sur les conditions dans lesquelles l'employeur peut prendre en charge tout ou partie du supplément de cotisations
La parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 31 bis complète les dispositions de l’article 31 en ce qu’il se rapporte au contenu des négociations collectives relatives aux objectifs d’égalité professionnelle.
Avec cet article, il est prévu que ces négociations portent également sur la possibilité, en cas de temps partiel, de maintenir l’assiette de cotisations à hauteur du salaire correspondant à un temps plein, c’est-à-dire de surcotiser.
Cette possibilité de surcotiser à l’assurance vieillesse en cas de temps partiel existe depuis 1993 et a été étendue par la loi de 2003 portant réforme des retraites.
Toutefois, cette disposition n’a pas été suivie d’effet.
L’article 31 bis vise à inscrire dans la négociation collective l’obligation de traiter de cette possibilité.
Néanmoins, il ne garantit pas que les négociations portent sur la répartition de la charge du supplément de cotisations vieillesses entre le salarié et l’employeur. Or, on sait très bien que les chefs d’entreprise refusent de surcotiser pour leurs employées.
Cet amendement vise donc à renforcer l’incitation de l’employeur à prendre en charge tout ou partie du supplément de cotisations.
Ce dispositif de surcotisation vise à instaurer un système allégeant la précarité et la pauvreté des femmes, déjà fortement touchées par des interruptions de carrières. Dès lors, il paraît normal que le supplément de cotisations soit pris en charge par l’employeur afin de ne pas pénaliser davantage encore les femmes en leur imposant une nouvelle charge.
Cet amendement répond à la recommandation n° 8 de la Délégation aux droits des femmes qui insiste sur la nécessité d’inciter les salariés à temps partiel et leurs employeurs à surcotiser.
Enfin, cette disposition ne présage pas le résultat des négociations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cet amendement vise à mettre l’accent sur une mesure qui peut s’avérer intéressante. En conséquence, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 31 bis, modifié.
M. Guy Fischer. Le groupe CRC-SPG vote contre.
(L'article 31 bis est adopté.)
Article additionnel après l'article 31 bis (réservé)
M. le président. Je rappelle que l’ensemble des amendements tendant à insérer des articles additionnels ont été réservés jusqu’après l’article 33.
TITRE V BIS
MESURES RELATIVES À L’EMPLOI DES SENIORS
Articles additionnels avant l'article 32 (réservés)
M. le président. Je rappelle que l’ensemble des amendements tendant à insérer des articles additionnels ont été réservés jusqu’après l’article 33.
Article 32
I. – Le chapitre III du titre III du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est complété par une section 3 ainsi rédigée :
« Section 3
« Aide à l’embauche des seniors
« Art. L. 5133-11. – Les employeurs, qui se trouvent dans le champ d’éligibilité de la réduction prévue à l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, perçoivent sur leur demande une aide à l’embauche, en contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée d’au moins six mois, de demandeurs d’emploi âgés de cinquante-cinq ans ou plus, inscrits sur la liste des demandeurs d’emploi mentionnée à l’article L. 5411-1 du présent code.
« L’aide, à la charge de l’État, représente, pour une durée déterminée, une fraction du salaire brut versé chaque mois au salarié dans la limite du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale.
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions et modalités d’application de l’aide. »
II. – (Supprimé)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, sur l'article.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne le répétera jamais assez : l’avenir des retraites se joue aussi et surtout sur le marché du travail.
Aujourd’hui, le taux de chômage des jeunes explose : 23,7 %.
Parallèlement, le taux d’emploi de la classe d’âge de 55 à 64 ans est en France de 38,9 %, ce qui au regard de la moyenne européenne nous place dans une situation difficile car elle est de 46 %.
Plutôt que de mettre à plat les dispositifs existant en matière d’insertion professionnelle des jeunes et des seniors, évaluant ainsi les mesures qui fonctionnent et celles qui ne font qu’entretenir la précarité et la sortie de l’emploi de ces catégories de salariés, plutôt que de prendre des mesures d’envergure qui s’imposent à nous en cette période de crise et alors que Pôle Emploi dérive, vous décidez de nous proposer cet article 32, dans lequel il n’y a aucune mention des jeunes !
Vous attendez sans doute le projet de loi de finances pour 2011 pour nous annoncer la suppression des outils d’insertion pourtant indispensables pour aider les jeunes à trouver un emploi !
Monsieur le ministre, pensez-vous sérieusement que l’article 32 soit la solution miraculeuse à la résolution du problème de l’emploi des seniors ?
Belle originalité ! Souvenons-nous : à la suite de l’accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005, des mesures avaient été prises et sont demeurées pratiquement sans effet. Seulement quelques « CDD seniors », réservés aux plus de 57 ans, pour dix-huit mois renouvelables une fois, ont été signés.
Constatant que ce CDD ne fonctionne pas, vous en créez un nouveau : une sorte de « CDD senior nouvelle génération ».
Il s’agit de faire bénéficier, pendant un an, les entreprises qui recrutent en CDI ou CDD de plus de six mois des demandeurs d’emploi de plus de 55 ans d’une aide égale à 14 % du salaire brut.
Une question au préalable : considérez-vous sérieusement qu’un CDD d’au moins six mois définisse un emploi stable ?
Que va-t-il se passer à l’issue du contrat ?
L’employeur est libre de ne pas reconduire le CDD du salarié et d’en recruter un autre, pour bénéficier lui aussi de cette mesure.
Autre scénario envisageable : le salarié en fin de CDD peut se voir proposé par l’employeur un autre contrat précaire sur un poste différent, avec un salaire diminué de 14 %...
Et le pire, c’est que le salarié serait contraint d’accepter de telles décisions car il devra attendre 62 ans pour avoir le droit de partir à la retraite et 67 ans pour avoir une retraite à taux plein.
Vous devriez requalifier la section 3 du chapitre III du titre III du livre Ier de la cinquième partie du code du travail : Aide à la précarité des seniors. Cela aurait le mérite de la cohérence !
Avouez quand même qu’il n’y a pas matière à s’enthousiasmer... et même Laurence Parisot a déclaré : « Un allégement par cibles de personnes est assez peu efficace et même discriminatoire. »
En reculant l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, vous transformez des retraités en chômeurs.
En refusant de prendre des mesures d’envergure pour résoudre le problème du chômage des seniors, vous les cantonnez à être des chômeurs de longue durée.
M. Nicolas About. Mais non !
M. Ronan Kerdraon. Vous pouvez critiquer les politiques mises en place, telles que la préretraite, qui selon vous sacrifiait l’emploi des seniors...
Mais quand même, il vous faut comprendre que tant que les employeurs et les salariés souhaiteront, pour des raisons différentes, mettre fin au contrat de travail, supprimer les dispositifs de préretraites n’y changera rien. D’autant plus que la procédure de rupture conventionnelle du contrat de travail, mise en place en 2008, fait un véritable tabac : pas moins de 20 000 ruptures enregistrées par le ministère du travail chaque mois !
Monsieur le ministre, c’est la place des seniors dans l’entreprise qu’il faut réinventer. C’est la vision que notre société a de ses aînés qu’il faut modifier.
Vous êtes convaincus que le seul recul de l’âge légal de 60 à 62 ans aura un effet direct sur l’employabilité des seniors. Sans doute, mais, permettez-moi de vous le dire, si vous croyez sérieusement que ce raisonnement peut s’appliquer à la seconde borne d’âge, vous vous trompez.
Et ce n’est certainement pas le CDD senior nouvelle génération que vous nous proposez qui changera cela !
Non, monsieur le ministre, ce qu’il faut faire, c’est accompagner véritablement les salariés et les entreprises.
C’est aider les entreprises à mettre en place des plans d’action efficaces en matière d’emploi des seniors, notamment avec un accompagnement relatif à l’amélioration de l’accès à l’emploi et à la formation professionnelle.
C’est mettre en place, tous les deux ou trois ans, un rendez-vous pour tous les salariés dès 45 ans, spécifiquement destiné à envisager leur évolution dans l’emploi.
C’est aménager les conditions de travail des plus de 55 ans en limitant ou en supprimant le travail de nuit et les tâches physiques et en augmentant les temps de pause.
C’est établir une négociation triennale obligatoire de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les entreprises de plus de 300 salariés.
C’est renforcer le tutorat entre les seniors et les jeunes pour faciliter la transmission des savoirs.
C’est, enfin, créer un mécanisme de bonus-malus, comme la modulation de 1 point des cotisations patronales, en fonction de la part des seniors parmi les salariés.
Vous le voyez, monsieur le ministre, les socialistes ont des propositions : ils les mettent à votre disposition ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle, sur l'article.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Le report de l’âge de la retraite aura comme conséquence de transformer les retraités actifs en chômeurs déprimés et inactifs.
Monsieur le ministre, vous voulez faire croire que le report de l’âge légal de départ à la retraite stimulera l’emploi des seniors. Malheureusement, rien n’est moins sûr.
Le problème de l’emploi des seniors est déjà ancien puisqu’il remonte aux années soixante-dix. En effet, entre 1970 et 1983, le taux d’emploi des hommes de plus de 55 ans a diminué de 19 % ; la baisse s’est poursuivie pour atteindre 25 % sur la période 1970-2003. En revanche, pour la même période, on a constaté une hausse de 10 % du taux d’emploi des femmes.
Il apparaît donc que l’abaissement à 60 ans de l’âge d’ouverture des droits en 1983 a accompagné un mouvement de retrait des plus de 55 ans du monde du travail salarié, plus qu’il ne l’a incité, mais, surtout, il a permis de le faire dans des conditions décentes.
La situation des femmes est sensiblement différente : souvent cantonnées dans des emplois tertiaires sous-qualifiés et sous-payés, elles ont maintenu un taux d’emploi élevé pour compenser leur situation précaire.
Aujourd’hui, notre pays connaît le plus faible taux de travail des plus de 55 ans de toute l’Europe. Cela a été dit plusieurs fois, chez les 55-65 ans, ce taux est de 38,9 % et celui des 55-59 ans est de 58,5 %, contre 61,4 % en moyenne européenne. Seuls 25 % des seniors retrouvent un emploi après six mois de chômage. Or rien ou presque rien n’est prévu pour pallier cette situation.
Ce projet de loi prévoit une aide à l’embauche des seniors de plus de 55 ans en CDI ou en CDD de plus de six mois pendant un an à hauteur de 14 % du salaire brut plafonné à 2 885 euros par mois.
Mais que se passera-t-il après six mois ? Soit le salarié en fin de CDD sera remercié et l’employeur en prendra un autre, soit on lui proposera un nouveau CDD avec une baisse de salaire de 14 %, ce qu’il sera bien obligé d’accepter, compte tenu du recul de l’âge d’ouverture des droits à la retraite. On arrive à la logique des pays anglo-saxons, où les salaires baissent de 10 % à 15 % après 55 ans.
Mais, monsieur le ministre, il y a un aspect de votre projet de loi que vous n’avez pas présenté, c’est son impact sur les comptes de l’assurance chômage.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Selon les chiffres de la DARES, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, à 59 ans, plus d’un senior sur deux s’est retiré du marché du travail et, à 60 ans, seules trois personnes sur dix continuent à être actives.
Votre projet de report de l’âge légal de la retraite obligera donc ces milliers de personnes à rester plus longtemps en situation de non-emploi, étant ainsi à la charge de l’UNEDIC, des minima sociaux ou du RSA.
Selon l’UNEDIC, le report de 60 ans à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite aura, en 2018, un surcoût pour l’organisme de 440 millions à 530 millions d’euros par an, soit le double de ce que rapportera le recul de l’âge légal en cotisations.
Vous nous proposez un véritable jeu de bonneteau, qui consiste à remplir les caisses des organismes de retraite aux dépens de celles de l’assurance chômage ou des minima sociaux, sans régler le problème de l’emploi des seniors.
De surcroît, vous prévoyez une nouvelle aide financière pour les entreprises, qui se surajoute aux anciennes mesures pour l’embauche des seniors, lesquelles ont, pourtant, démontré leur inefficacité.
Monsieur le ministre, supprimez les exonérations sur les heures supplémentaires de la loi TEPA et vous créerez plus de 100 000 emplois par an ! Engagez-vous sur une plus grande justice sociale et fiscale ! Dialoguez avec les partenaires sociaux ! Donnez du sens à votre politique et, là, vous serez sans aucun doute mieux compris par tous les Français, qui ne cherchent qu’à vivre sereinement !
Malheureusement, votre politique va aujourd'hui à contresens, et nous ne pourrons jamais nous satisfaire de tant d’injustices et de mauvaise foi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, sur l'article.
Mme Raymonde Le Texier. Nous avons eu de nombreuses fois à le déplorer dans cette enceinte, la problématique de l’emploi est à peine effleurée dans le cadre de cette réforme – et l’article 32 du projet de loi n’y fait pas exception ! –, alors que ce sujet est au cœur de toute réflexion relative aux retraites.
Sous l’intitulé « Mesures relatives à l’emploi des seniors », on ne trouve, en tout et pour tout, qu’un dispositif visant à délivrer une aide à l’embauche des seniors demandeurs d’emploi âgés de 55 ans ou plus ! Pour un enjeu aussi déterminant, l’ambition de ce texte peut sembler médiocre.
Même vos obligés du MEDEF n’y croient pas ! Laurence Parisot a d’ailleurs déclaré : « Un allégement par cibles de personnes est assez peu efficace et même discriminatoire. » Un tel enthousiasme augure mal des effets concrets d’une telle aide !
Il est vrai que le passé a de quoi alimenter ces doutes. L’ensemble des mesures mises en œuvre après l’accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 relatif à l’emploi des seniors « en vue de promouvoir leur maintien et leur retour à l’emploi » est demeuré pratiquement sans effet : seule une vingtaine de CDD seniors ont été mis en place !
Pourtant, la question mérite que l’on s’y intéresse. La France a un taux d’emploi des 55-64 ans des plus faibles d’Europe. Avec 38 % des seniors au travail, nous sommes bien loin des 45,6 % de la moyenne européenne et encore plus loin de l’objectif affiché de 50 %.
Or, en éliminant les plus âgés sans aider pour autant l’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi, on n’aboutit qu’à concentrer toute la productivité sur une partie de plus en plus réduite de ceux qui sont en âge de travailler. Cette situation durcit, de fait, les conditions de travail, sature les contraintes, augmente la pénibilité, multiplie la charge de travail, etc. Elle empêche aussi toute avancée sur l’organisation du travail, tout changement du regard porté sur les cycles d’âge, tout investissement sur le bien-être au travail, toute évolution sur un autre mode de gestion des carrières.
Ce gouvernement n’a cessé de nous vanter le mérite de son projet de loi. Or, dès qu’il s’agit d’aborder concrètement les questions d’emploi, le texte est si creux que cela en dit long sur les objectifs réels du Gouvernement. Après tout, il ne s’agissait que de faire passer le recul des bornes d’âge ! Dès lors, pourquoi s’encombrer de politiques actives en matière d’emploi ?
Les bonnes recettes que les Finlandais ont su mettre en œuvre, ce gouvernement ne semble même pas daigner les étudier. Pourtant, une telle situation mériterait de ne pas être balayée d’un « en relevant les bornes d’âge, on changera la donne ». Car la seule donne qui risque de changer, avec votre réforme, c’est la dignité avec laquelle on pourra sortir de l’emploi.
En effet, aujourd’hui, si l’âge effectif de sortie du marché du travail est de 58 ans, alors que celui où les salariés font valoir leurs droits à la retraite est de 61 ans, c’est parce que les gens sortent du travail non pas par la retraite, mais par le chômage, le licenciement, la maladie.
L’abaissement, au début des années quatre-vingt, de l’âge d’ouverture des droits à 60 ans n’a pas suscité, contrairement à ce que vous n’avez cessé de dire ici même, un mouvement de retrait des salariés de plus de 55 ans du monde du travail ! On observe un tel mouvement depuis le début des années soixante-dix. En revanche, cette loi a permis de faire en sorte que ces départs se fassent dans des conditions décentes. Mais, avec votre réforme, on en est loin !
Le seul résultat tangible de votre politique se traduira par la baisse drastique du revenu des seniors, niant ainsi l’esprit même de notre système, alors que vous feignez d’en respecter la lettre.
Dommage ! L’emploi des seniors méritait mieux que ces mesures sur lesquelles nous n’avons aucune illusion !
Tout comme pour l’article relatif à l’égalité entre les hommes et les femmes, dont nous venons de parler si longuement, nous aurions aimé non seulement une loi forte, mais une parole forte. Or nous n’avons ni l’une ni l’autre !
Dans notre pays, l’emploi des seniors ne s’améliorera pas plus que le sort des femmes. Et si cela finit par bouger un jour, ce ne sera pas grâce à la volonté de ce gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Selon nous, l’article 32 est vraiment révélateur de la réforme qui nous est proposée.
En effet, monsieur le ministre, vous avez fait le choix de reculer l’âge légal de départ à la retraite, alors qu’aujourd’hui six salariés sur dix sont hors emploi à l’heure de la retraite. Les salariés les plus âgés sont la première variable d’ajustement des plans de modernisation ou, autrement dit, des plans de sauvegarde de l’emploi qui, en vérité, sont des plans de suppression d’emplois !
De même, tout comme les licenciements, les ruptures conventionnelles concernent plus souvent les salariés âgés, soit un cas sur cinq. Ce phénomène a d’ailleurs été qualifié de « consensus paradoxal » par M. Xavier Gaullier, sociologue au CNRS, ou encore de « faux consensus » par Guillaume Huyez-Leva, chercheur au Centre d’études de l’emploi.
Aujourd’hui encore, pas un jour ne se passe sans que l’on annonce des licenciements et des suppressions de postes. Les quinquagénaires sont massivement touchés et restent pratiquement sans espoir de retrouver un emploi. Des dizaines de milliers de seniors continuent de se retrouver au chômage. Cette situation est dramatique non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour notre système de protection sociale.
Dans ces conditions, comment pouvez-vous affirmer qu’il faut travailler plus longtemps, alors qu’on est incapable d’interdire ces licenciements sans véritable reclassement ?
Votre gouvernement a pris plusieurs mesures supposées maintenir les seniors dans l’emploi : la libéralisation du cumul emploi-retraite, l’instauration d’une surcote, mais surtout d’une décote, la taxation des préretraites, la suppression des mises à la retraite d’office.
Pourtant, force est de constater que ces mesures sont sans succès, puisque le taux d’emploi des seniors avoisinait les 39,1 % au quatrième trimestre 2009 pour les 55-64 ans. Ce taux reste l’un des plus faibles d’Europe, la moyenne étant de 45 %.
Devant ce constat d’échec, et pour rendre crédible votre contre-réforme des retraites, vous proposez avec cet article ce qui vous semble être la panacée pour l’emploi : des exonérations de charges patronales avec, en filigrane, l’idée que les seniors coûtent trop cher aux entreprises. C’est faire fi de la corrélation positive entre ancienneté et productivité !
Non seulement ces exonérations coûtent très cher à l’État, mais, à ce jour, aucune étude d’impact n’a été réalisée sur l’ensemble des exonérations qui ont été réalisées ces dernières années.
En outre, d’après de nombreux économistes, elles sont souvent contre-productives pour l’emploi. On a pu le constater avec les exonérations sur les bas salaires, qui ont encore plus tiré les salaires vers le bas, ou encore avec les exonérations des heures supplémentaires, lesquelles ont mis en concurrence le temps de travail et l’emploi, cela, bien évidemment, au détriment de l’emploi. Et je ne parle pas des effets d’aubaine qu’elles ont générés... En fait, dans la majorité des cas, l’entreprise aurait de toute façon embauché !
Vous le savez, dans un contexte marqué par une faible croissance et un taux de chômage élevé, les exonérations de charges patronales sur une population ciblée ne sont pas efficaces et pénalisent les autres catégories de salariés. Vous ne faites donc qu’inverser le problème.
Aujourd’hui, ce dont a besoin notre pays, c’est véritablement d’une politique de l’emploi axée notamment sur la prévention, afin de rendre le travail « soutenable », selon les propos de la sociologue Anne-Marie Guillemard. C’est là toute la question de la pénibilité et du mal-être au travail évoquée à plusieurs reprises par Annie David.
L’exemple de l’entreprise Lejaby dans le Rhône est très révélateur, car six des dix ruptures conventionnelles en 2009 ont touché les plus de 50 ans, dont « des ouvrières à bout de souffle », selon une déléguée syndicale.
Ce dont a besoin notre pays pour notamment garantir et développer notre système de retraite par répartition, c’est d’une réforme profonde du marché du travail, d’une politique qui permettrait de tendre vers le plein-emploi, avec des emplois stables et rémunérateurs !
Chers collègues, vous le voyez, le débat sur le report de l’âge légal de départ en retraite avec, comme corollaire, l’augmentation de l’emploi des seniors à travers les exonérations n’a vraiment pas de sens. C’est la raison pour laquelle le groupe CRC-SPG votera contre cet article.