M. le président. Veuillez conclure, monsieur Sueur !
M. Jean-Pierre Sueur. Je conclus, monsieur le président.
M. le rapporteur a évoqué l’article L. 4622–4 du code du travail. Je ferai de même dans sa version actuelle, il est fait deux fois référence à l’indépendance. Dans le texte proposé par la commission pour ce même article, ce mot a été retiré. Voilà qui est très clair.
Mme Marie-Thérèse Hermange. La commission a ajouté que les médecins du travail agissent « en coordination ». Que voulez-vous de plus en termes d’indépendance ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 263, 411 et 991.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 992, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. En décidant de déposer sur un projet de loi portant réforme des retraites une série d’amendements entraînant des modifications structurelles importantes en matière de médecine du travail, alors même que les groupes de l’opposition avaient, à l’Assemblée nationale, épuisé leur temps de parole, le Gouvernement a donné l’impression qu’il voulait en finir – en toute discrétion, oserai-je dire – avec la médecine du travail.
Je pense sincèrement qu’il faut faire grandir cette question de la fonction de médecin et de la médecine du travail. Sur ce sujet, monsieur le ministre, il faut écouter le monde du travail et lui donner plus de pouvoir.
Des travailleurs sont morts du cancer en raison de l’amiante ou de la nocivité d’un certain nombre de produits. On sait très bien que, lorsque les salariés de ces entreprises exposaient les raisons pour lesquelles leurs collègues étaient décédés, les patrons niaient l’existence de ces produits ou leur nocivité.
C’est pourquoi il faut élargir la question de la médecine du travail et donner plus de droits aux salariés des entreprises.
L’alinéa 1 que nous proposons de supprimer en est la parfaite démonstration. Il prévoit ni plus ni moins que d’autoriser l’employeur à rechercher auprès de ses propres salariés ceux qui pourraient « s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels ».
Sur la forme, la rédaction retenue me paraît particulièrement mal choisie. Quand il y va de la santé des salariés, il ne s’agit pas d’une « occupation ». Il aurait été préférable que le projet de loi retienne une formule plus positive et responsabilisante.
Sur le fond, ce ne sont pas à de simples salariés, choisis par un employeur, que doit revenir la tâche importante de garantir la non-altération de la santé des salariés, du fait de leur activité professionnelle.
Nous nous interrogeons sur les critères qui conduiront l’employeur à opter pour tel ou tel salarié. En effet, en l’absence de précisions, il est à craindre que l’employeur ne choisisse parmi les salariés en situation de grande précarité, ces derniers pouvant être sensibles à différentes formes de pression. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Je vais conclure rapidement, monsieur le président, mais je tenais à m’exprimer, car M. le ministre nous a attaqués sur cette question. (Nouvelles exclamations sur les travées de l’UMP.)
Vous ne voulez pas donner de droits supplémentaires aux salariés. Vous vous réfugiez derrière le code du travail, que les patrons, et le Gouvernement qui soutient le MEDEF, bafouent tous les jours ! (Brouhaha sur les mêmes travées.)
M. le président. Il vous faut conclure !
M. Thierry Foucaud. Que mes collègues m’en laissent la possibilité, monsieur le président !
Nous souhaitons que les choses se passent comme dans les CHSCT où les salariés sont élus et non pas choisis par les patrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je suis gêné pour M. Foucaud, car il va rendre M. Sueur chagrin ! Monsieur Sueur, vous nous avez lu le troisième alinéa de l’article L. 4622-4 du code du travail, qui est repris dans sa totalité à l’alinéa 26 de l’article 25 quater. C’est là que figure le terme « indépendance », garantie par le code du travail.
En outre, nous avons ajouté le mot « coordination », à la plus grande satisfaction des médecins du travail.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Thierry Foucaud. Puisque vous n’avez pas voulu me laisser terminer, je vais en faire plus, toute la nuit s’il le faut !
L’alinéa 1 soulève la question des critères qui vont conduire l’employeur à opter pour tel ou tel salarié. Je l’ai dit, en l’absence de précisions, il est à craindre que l’employeur ne choisisse parmi les salariés en situation de grande précarité, lesquels peuvent être sensibles à différentes formes de pressions.
Ne perdons pas de vue que le propre de la relation contractuelle en matière de travail est le lien de subordination, qui est un critère déterminant. Celui-ci est défini par l’autorité sous laquelle est placé le salarié : elle est détenue par l’employeur, qui dispose du pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Monsieur le ministre, si je suis l’argumentation que vous avez développée en réponse aux interventions sur l’article 25 quater, c’est précisément la raison pour laquelle les législateurs successifs, jusqu’à votre majorité, ont décidé d’instaurer, dans les entreprises de plus de 50 salariés, un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans lequel siègent des salariés : ils sont partis du postulat que, ces derniers étant les premiers intéressés, ils seraient les meilleurs conseillers.
Mais, à la différence de ce qui est proposé dans cet article, les délégués du personnel siégeant au CHSCT sont non pas nommés par l’employeur, mais élus par l’ensemble des salariés, et se trouvent, en raison de la protection dont ils bénéficient, partiellement extraits de l’emprise de l’employeur. Ils peuvent, par exemple, se déplacer dans l’entreprise sans l’autorisation de celui-ci, ont théoriquement accès à certains documents obligatoires et qui revêtent une certaine importance en termes de santé au travail, et bénéficient d’heures de délégation.
Tel n’est pas le cas des salariés visés à l’alinéa 1 de cet article. Force est de constater que, à ce stade du débat, nous n’avons aucune garantie quant à leur indépendance. C’est la raison pour laquelle nous en demandons la suppression. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Roger Romani au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je n’ai pas compris la logique de la réponse de M. le rapporteur à M. Sueur. Pour résumer, son propos revient à lui dire : « Je vous ai pris la main dans le sac, vous nous faites des procès d’intention. Mais si, il y a le terme “indépendance”, mais renvoyé au code du travail ! » Franchement, on ne peut pas dire que ce texte est avare de mots. Au contraire, beaucoup de choses y sont dites.
Monsieur le rapporteur, vous pouvez estimer que nous vous faisons un mauvais procès, mais la seule façon de lever l’ambigüité, c’est de remettre le terme d’« indépendance » dans cette loi.
M. David Assouline. Non, pas à cet article ! Il y était auparavant, mais vous l’avez retiré.
Vous pouvez tourner autour du pot, mais vous comprendrez que, depuis le début de la discussion, nous avons quelques raisons d’être vigilants sur les termes employés. Nous ne nous contentons pas de croire vos belles paroles, nous essayons de codifier les choses noir sur blanc dans la loi.
Si vous estimez qu’il n’y a pas de problème sur la question de l’indépendance, que tout cela n’est qu’un faux procès conduit par la gauche en collusion avec Sud et le diable, rétablissez donc la rédaction initiale de l’article !
Vous le savez, cette question a soulevé de nombreuses discussions, bien avant que le texte n’arrive en séance plénière : alors passons à autre chose !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Je l’affirme clairement, nous n’avons pas supprimé le terme « indépendance » dans le texte de loi. La rédaction actuelle de l’article L. 4622-4 du code du travail y est reprise in extenso ; voici les termes de son dernier aliéna : « Cet appel aux compétences est réalisé dans des conditions garantissant les règles d’indépendance des professions médicales et l’indépendance des personnes et organismes mentionnés au 1°, 2° et 3°. Ces conditions sont déterminées par un décret en Conseil d’État. » Il a simplement été replacé, car le code du travail est un texte vivant !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 992.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 54 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 184 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 993, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Nous demandons la suppression pure et simple de l’alinéa 2 de l’article 25 quater.
Comme l’ont excellemment montré les collègues de mon groupe qui sont intervenus sur cet article, ce que vous nous présentez, monsieur le ministre, comme un « remaniement » de la médecine du travail est intolérable.
Nous n’aurons de cesse de vous le dire, ces dispositions, présentées en catimini, sont inacceptables parce que, contrairement à vos dires, elles placent les médecins du travail sous la coupe du patronat. Elles ne peuvent donc nous satisfaire, car elles reviennent à donner les clés du poulailler au renard ! (Sourires.)
Dans le secteur industriel et commercial, environ 6 500 médecins et plus de 10 000 professionnels « non médicaux » suivent un peu plus de 15 millions de salariés, d’après un avis du Conseil économique, social et environnemental présenté en 2008.
Quelque 950 structures interviennent au sein même des entreprises ou à l’extérieur. C’est dire si le secteur de la santé au travail est un sujet très important, qu’il ne faut en aucun cas négliger. Voilà pourquoi il n’a pas sa place dans ce débat.
Avez-vous entendu au printemps dernier l’appel des 1 100 médecins du travail, des inspecteurs et contrôleurs du travail ainsi que des acteurs de santé au travail, qui a recueilli à ce jour plus de 30 000 signatures, critiquant les dispositions affichées par M. Darcos, le précédent ministre du travail ? Non, je ne le pense pas ! Pas plus que vous n’entendez depuis des semaines nos concitoyens de plus en plus nombreux vous dire leur désaccord avec ce texte, vous n’entendez le personnel de santé intégré aux entreprises.
Pour notre part, nous attendons une réforme beaucoup plus ambitieuse, distinguant bien l’évaluation des risques, qui doit être indépendante, de la gestion des risques et comprenant une gestion de la pénibilité, prenant en compte les nouveaux troubles auxquels sont confrontés les salariés.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous demandons d’adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 994, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. L’alinéa 3 de l’article 25 quater redéfinit les services de santé au travail en ajoutant quelques alinéas à la formulation pour le moins succincte du code du travail.
Cela étant, la véritable question qui semble bel et bien posée par cet article, c’est celle de l’indépendance et du rôle des médecins du travail.
Sur le fond, quand on appréhende le contenu des dispositions du texte, tout semble fait pour que les services de santé au travail soient sous l’influence des employeurs. Ainsi, l’action de prévention des risques professionnels est menée en collaboration avec les employeurs, les salariés référents choisis par les employeurs et les intervenants extérieurs toujours sollicités par les employeurs. C’est donc à une sorte de mise en coupe réglée de l’intervention des médecins du travail à laquelle nous assistons avec cet article 25 quater.
Pourquoi tant d’insistance et de volonté politique de conduire à cette organisation des tâches ?
On peut penser, comme le font certains, qu’il était important de lancer le débat législatif afin de définir les conditions d’intervention des médecins du travail dans la vie de l’entreprise et pour protéger l’intégrité des salariés. Toutefois, on est bien obligé de se demander pourquoi les choses se déroulent de cette manière, surtout dans un contexte où tout ce qui fait sens du côté du service public de l’inspection du travail, de la recherche, du conseil en sécurité et en prévention des risques professionnels est sérieusement remis en question.
Outre le fait que tout cela n’ait qu’un rapport pour le moins ténu avec la réforme des retraites, cela confirme simplement notre sentiment général sur le sens de la politique gouvernementale en la matière : faire en sorte que les entreprises passent du strict respect des obligations de sécurité à un management du risque.
Il s’agirait ainsi d’une sorte de prévention qui n’en est pas une, faisant du risque un élément naturel de l’activité professionnelle, une présence permanente qu’on s’attache à éloigner sans en faire disparaître nécessairement les causes, sans doute afin de pouvoir, au cas où le risque statistique prendrait corps, imputer sa réalisation non pas à l’organisation du travail, mais à l’imprudence du salarié, considéré dès lors comme insuffisamment attentif.
Les finalités de cet article ne sont pas acceptables. Aussi, nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je fais remarquer que cet alinéa est celui qui définit la médecine du travail dans le code du travail.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 995, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Beaucoup de choses ont été dites à propos de cet article, et singulièrement que cette réforme des retraites permet de remanier l’organisation et la définition même de la médecine du travail.
Nous le répétons encore une fois, si une réforme de la médecine du travail, acquis fondamental des salariés depuis 1946, devait se trouver sur le devant de la scène parlementaire, elle devrait faire l’objet d’un débat et d’un texte de loi autonome et non pas être imbriquée dans une réforme qui soulève déjà bien des contestations.
Tout d’abord, nous contestons logiquement la forme en elle-même de la tentative de réforme de la médecine du travail. Cette dernière se trouve « mise sur la table » et pas comme l’auraient souhaité les professionnels de la santé et nous-mêmes. À ce sujet, le président de l’association Santé et médecine du travail, Dominique Huez, précise : « Ce projet est arrivé devant les députés dans le cadre de la réforme des retraites, c’est bien la preuve que les politiques n’osent pas l’assumer ! ».
Ensuite, nous contestons le fond même de ce remaniement, qui, toujours selon Dominique Huez, « porte ni plus ni moins la démédicalisation de la santé au travail ».
Mme Marie-Thérèse Hermange. Ce n’est pas vrai !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le Conseil national de l’ordre des médecins a été critique, estimant que le texte voté à l’Assemblée nationale « ne répond pas aux attentes des salariés qui doivent bénéficier d’une prise en charge globale de leur santé, ni aux nécessités de l’exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique ».
Il paraît, monsieur le ministre, que vous les avez convaincus. Nous verrons…
Nous déplorons donc qu’une telle redéfinition d’un acquis fondamental de notre société s’effectue sous la forme d’un cavalier législatif, alors que « le projet de réforme aurait mérité un vrai débat au niveau national », comme le souligne Jean-François Naton, conseiller confédéral, responsable du secteur travail-santé à la CGT, qui se prononce également en faveur d’une profonde transformation des services de santé au travail.
Refuser votre réforme, ce n’est pas refuser une réforme de progrès.
M. Alain Gournac. Mais si !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pour toutes ces raisons, le groupe CRC-SPG propose de supprimer l’alinéa 4 de l’article 25 quater.
M. le président. L'amendement n° 412, présenté par M. Godefroy, Mme Demontès, MM. Bel, Teulade, Le Menn, Daudigny et Desessard, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Schillinger et Printz, MM. Cazeau, Jeannerot et Kerdraon, Mmes Ghali, Alquier, Campion et San Vicente-Baudrin, MM. Gillot, S. Larcher, Domeizel, Assouline et Bérit-Débat, Mmes M. André, Blondin, Bourzai et Khiari, MM. Bourquin, Botrel, Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume, Haut, Mahéas, Mirassou, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
et à l'issue de ce parcours en prévention de la survenue éventuelle de pathologies à effet différé
La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Par cet amendement, nous revenons sur la question des pathologies à effet différé. Notre proposition pourrait être qualifiée de cohérente, à l’égard non du projet de loi, mais de l’action des services de santé au travail.
Il est bien évident que si les services de santé au travail accomplissent leurs missions, à condition bien entendu qu’ils en aient les moyens, les effets de leur action devront dépasser le temps du parcours professionnel.
Nous avons malheureusement par le passé eu à constater la carence des services de médecine du travail dans le drame de l’amiante ou des éthers de glycol, aveuglement auquel certaines pressions n’étaient pas étrangères. Cela ne doit pas se reproduire !
Le dernier rapport de la mission d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante a montré que plusieurs maladies se déclarent trente-sept ans après le premier contact avec le produit. En d’autres termes, les travailleurs en contact avec les substances CMR partiront à la retraite apparemment en bonne santé, alors que leur durée de vie et leur santé sont gravement obérées par une maladie à effet différé.
Combien de salariés employés dans les services de nettoiement, dans le secteur de l’agroalimentaire ou du bâtiment ressentent bien avant leur retraite des problèmes articulaires, qui, avec l’âge, deviendront de plus en plus graves et aboutiront à de véritables handicaps.
Combien de salariés travaillant la nuit, par équipes, en horaires décalés, ressentent l’épuisement de leur organisme et ont une durée de vie diminuée.
En juillet dernier, le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, rendait un avis sur le travail de nuit, qui touche près d’un salarié sur cinq. Le travail prolongé la nuit, note le Conseil, présente des dangers pour la santé et devrait rester une exception. Il propose en particulier de renforcer la surveillance médicale, notamment pour les salariés de plus de 50 ans, et de développer la surveillance épidémiologique afin d’améliorer les connaissances sur les risques à long terme.
En effet, c’est par une surveillance au-delà de la durée d’emploi, par les médecins de ville en liaison avec les médecins du travail, que l’on peut déterminer avec précision non seulement le dommage causé, mais également les moyens d’y remédier. Je pense, par exemple, à de nouveaux temps de pause.
J’ajouterai un élément, même si on en parle trop peu : combien de cadres, de commerciaux vivent un stress permanent en raison de la pression des résultats qui pèse sur eux, ce qui obère aussi leur santé à long terme. On en arrive à un tel point que se développent des addictions dans ces populations, notamment à l’alcool et à la cocaïne, pour tenir le rythme effréné qui leur est imposé.
C’est un monde absurde que celui où des êtres humains en viennent à s’autodétruire pour obtenir seulement de quoi assurer leur survie, alors que le vrai profit est accaparé par quelques-uns qui coulent des jours dorés. Paraphrasant Brassens, je dirai : c’est perdre sa vie pour que d’autres la gagnent.
Les services de santé au travail ont donc parmi leurs missions de prévenir toutes ces atteintes durables à la santé. Celles-ci ne se mesureront pas en pourcentage d’invalidité, mais elles auront des effets délétères sur les victimes.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Je termine, monsieur le président. (Marques de satisfaction sur plusieurs travées de l’UMP.)
L’absence de prise en compte par votre texte des maladies à effet différé nous conduit à insister sur le rôle des services de santé au travail dans la prévention de l’apparition de ces douleurs et de ces souffrances. Voilà pourquoi nous demandons que cette précision soit inscrite dans la loi. (Mme Odette Terrade et M. Guy Fischer applaudissent.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote sur l'amendement n° 412.
M. Yann Gaillard. Je ne comprends absolument pas la logique du groupe socialiste : alors qu’il a passé son temps à nous expliquer que la médecine du travail n’avait rien à faire dans ce projet de loi, il propose maintenant d’étendre le dispositif. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Yves Daudigny. Ce n’est pas la même logique !
M. le président. L'amendement n° 996, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Depuis des jours que dure notre débat, nous voyons bien que réformer les retraites est un vaste sujet qui se suffit à lui-même. Or, dans l’alinéa 5 de l’article 25 quater, quoi que vous en disiez, vous redéfinissez ni plus ni moins les rôles assignés à la médecine du travail auprès des employeurs, des travailleurs et de leurs représentants.
La question d’une éventuelle réforme de la médecine du travail devrait faire l’objet d’un débat et d’un texte de loi autonomes. En effet, on ne peut pas accepter que ce sujet aussi sensible soit examiné ici sous la forme d’un scandaleux cavalier législatif.
À ce sujet, le Gouvernement – cela a été dit, mais il faut le répéter – s’était tout de même engagé à mener une grande réforme de la médecine du travail afin, notamment, de faire face à la pénurie de médecins. Preuve qu’il n’assume pas ce débat, puisque, avec l’amendement qui a été introduit à l’Assemblée nationale, il veut faire passer cette discussion quasiment en catimini pour que ni les syndicats, ni les salariés, ni les employeurs ne puissent s’emparer de la question.
Puisque la mémoire des luttes sociales se perd dans le velours pourpre de ces fauteuils,…
M. André Trillard. Que c’est beau ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Éliane Assassi. … permettez-moi de faire ici une petite piqûre de rappel.
M. André Trillard. Aïe aïe aïe !
Mme Éliane Assassi. Visiblement, c’est nécessaire !
De nombreux acquis sociaux ont été conquis en 1946. La médecine du travail ne fait pas exception. Il serait trop long de vous exposer le combat de longue haleine qui a été nécessaire pour obtenir cet acquis social : un combat aussi ardu et gratifiant que celui qui a conduit le peuple français à conquérir des droits, dont celui d’accéder à la retraite à 60 ans.
La médecine du travail est le fruit de deux siècles de luttes, de débats, d’évolution des consciences et, à ce titre, elle mérite autre chose que la place que le Gouvernement veut lui donner dans cet article. Celle-ci est la preuve du manque de considération accordée aux professionnels de ce milieu et au travail qu’ils fournissent chaque jour dans des conditions de plus en plus difficiles.
Cependant, force est de constater qu’il y a une certaine logique derrière ce processus. En effet, pénibilité et médecine du travail sont intimement liées puisque l’une est la condition de l’autre.
Or, la pénibilité fait l’objet d’un véritable dénigrement par le Gouvernement.
Mme Éliane Assassi. En effet, c’est en relativisant son impact sur la santé des travailleurs que cette réforme repousse l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans en toute impunité. Et qui d’autre que la médecine du travail est plus à même d’incarner ce concept de pénibilité ?