M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Le groupe de l’Union centriste approuve la création du dossier médical en santé au travail et de la fiche d’exposition aux risques professionnels. Chacun, ici, estime d’ailleurs qu’il s’agit de mesures intéressantes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela dépend du cadre dans lequel elles s’inscrivent !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Au-delà des postures ou des discours un peu excessifs, tout le monde, dans le fond, approuve ces dispositions, qui permettront, vous l’avez tous souligné, mes chers collègues, de réaliser des avancées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Ces mesures sont non seulement intéressantes, mais aussi incontournables, essentielles. Ayant travaillé dans le bâtiment et l’industrie chimique, je peux vous dire que nous aurions aimé, à l’époque, disposer du suivi médical que nous inscrivons aujourd’hui dans la loi.
De même, dans le cadre de l’enquête que nous avons menée sur les victimes de l’amiante, nous avons pu mesurer combien ces dossiers manquaient – et ce n’est pas Jean-Pierre Godefroy qui me contredira – pour indemniser tous ces travailleurs cassés et dont l’espérance de vie est parfois très diminuée. Cet article était donc vraiment indispensable.
Les dispositions prévues à l’article 25 s’avèrent d’autant plus utiles à nos yeux que notre groupe a déposé un amendement sur la pénibilité à effet différé et sur l’exposition aux risques professionnels entraînant une baisse de l’espérance de vie – nous l’examinerons un peu plus tard : je ne peux être plus précis ! (Sourires.) Sans ces documents, sans la création d’un comité d’exposition aux risques professionnels, comment pourrions-nous agir ?
J’entends bien qu’on oppose l’individuel au collectif. Pour ma part, je ne serai pas aussi formel. En effet, le suivi individuel personnalisé est indispensable pour ce qui concerne une affection qui reste après tout, quand il s’agit d’espérance de vie, très personnelle. Toutefois, c’est vrai, certaines personnes ayant suivi un parcours professionnel identique peuvent être concernées par un même problème.
Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, le développement de la jurisprudence permettra d’étendre, au fil du temps, les mesures prises précédemment. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour les victimes de l’amiante, et nous nous en réjouissons. C’est comme cela que, depuis un siècle, en matière de droit du travail, des progrès ont été réalisés.
En conclusion, notre groupe se félicite de la rédaction de l’article 25, fort justement amendé par notre ami Jean-Pierre Godefroy et le groupe socialiste. Il convenait en effet de préserver la confidentialité de ces documents, pour pouvoir, à l’avenir, progresser encore en matière de pénibilité.
Nous voterons donc cet article. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour explication de vote.
M. André Trillard. Je ne pensais pas intervenir, mais je ne résiste pas à l’envie de répondre à M. Repentin, qui décrit la pénibilité avec tant de lyrisme !
Toutefois, notre collègue a oublié de citer certaines catégories, la pénibilité n’étant reconnue qu’aux seuls salariés. Il aurait fallu évoquer également les agriculteurs (M. Thierry Repentin acquiesce.), ainsi que les vétérinaires de campagne – des gens dont le travail est notoirement très facile ! –, lesquels, comme tous les membres des professions libérales non médicales, n’ont guère intéressé François Mitterrand, puisqu’ils ont été exclus de la retraite à 60 ans : ces professions sont toujours sous le régime de la retraite à 65 ans.
Or, comme les agriculteurs, aux côtés desquels ils vivent, les vétérinaires de campagne connaissent – n’est-ce pas, cher Jean Bizet ? – des conditions d’exercice pénibles. Ils méritent également notre respect.
Je n’oppose pas la pénibilité des uns à celles des autres, je veux simplement que le tableau soit complet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. Déposez un amendement ! Nous le voterons !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chers collègues, je crois que l’on est en train de s’égarer.
Que les choses soient claires : qui n’est pas pour un suivi médical individualisé ? Le problème, c’est le contexte !
Vous êtes en train d’essayer de nous faire croire, ou plutôt de faire croire à ceux qui lisent nos débats – car c’est sans doute votre souci principal –, que le dossier médical individualisé constitue un très grand progrès et qu’il faut supprimer la notion de pénibilité par branche.
Disons-le tout net : le suivi individuel des salariés, prévu par le projet de loi, n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais encore faudrait-il que la médecine du travail soit suffisamment développée en France ! En effet, à l’heure actuelle, elle ne parvient pas à réaliser un quelconque suivi des salariés faute de moyens et, comme je l’ai déjà dit, parce que le patronat dresse des obstacles incommensurables contre son libre exercice auprès des salariés.
En fait, vous plaidez pour la reconnaissance de l’invalidité survenue chez les salariés les plus âgés ou les plus exposés. Soit. Mais cela ne saurait suffire ! (Clameurs impatientes sur les travées de l’UMP.)
La « pénibilité par branche », c’est tout à fait autre chose : c’est une garantie collective pour ceux qui, exerçant des métiers intrinsèquement pénibles, ont le droit de partir à la retraite avant les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Odette Terrade. C’est ça, la modernité !
M. le président. Je mets aux voix l'article 25, modifié.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés pour l’adoption de cet article.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 53 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 212 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 107 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 29 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
M. Jean Bizet. Et jusqu’à quelle heure ?
M. le président. Vous le savez, mon cher collègue, la conférence des présidents, a prévu que cette séance se poursuivrait « éventuellement la nuit ».
M. Jean Bizet. Et la nuit va jusqu’à quelle heure ? (Sourires.)
M. le président. Eh bien, jusqu’au lever du soleil, me semble-t-il. (Nouveaux sourires.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 25 bis.
Article 25 bis
(Non modifié)
Le 1° de l’article L. 4121-1 du même code est complété par les mots : « et de la pénibilité au travail ».
M. le président. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle, sur l'article.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Par cet article, vous introduisez dans le code du travail la notion de pénibilité au travail, mais vous ne prenez en compte que l’invalidité constatée. Pour intervenir, vous attendez donc que les salariés soient « cassés » par le travail.
M. Thierry Repentin. Eh oui !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. La pénibilité au travail est un problème de société qui tend à s’étendre. Selon l’enquête SUMER – surveillance médicale des risques – de 2002-2003, la proportion de salariés exposés à au moins une pénibilité physique, en France, se situe à 56 %, toutes durées hebdomadaires d’exposition confondues – moins de deux heures à plus de vingt heures –, soit 9 800 000 salariés. En intégrant le critère de cumul de pénibilités physiques, 4 % des salariés, soit 700 000, cumulent au moins deux pénibilités physiques, dont la durée d’exposition est, pour chacune, supérieure ou égale à vingt heures par semaine. Et la liste des statistiques pourrait être longue dans le domaine.
Trois facteurs sont généralement retenus pour définir la notion de pénibilité : le travail de nuit, qui est une des premières causes de vieillissement prématuré ; le travail à la chaîne et le déplacement de charges lourdes, qui provoquent des troubles physiques aux conséquences souvent irréversibles ; l’exposition à des produits toxiques comme l’amiante, qui est à l’origine de nombreuses maladies et de multiples cancers.
Les emplois évoluent et un métier jugé pénible il y a cinquante ans peut l’être un peu moins aujourd’hui. Dans le même temps, avec l’émergence de certains nouveaux emplois, de nouvelles formes de pénibilité sont apparues. Par exemple, avec la généralisation du travail de bureau sur ordinateur, de nouveaux troubles musculo-squelettiques ont été constatés, entraînant parfois une véritable détérioration physique.
Comme l’a montré la commission des affaires sociales dans le rapport qu’elle y a consacré, le mal-être progresse sous l’effet des mutations du monde du travail. Le stress, la pression, voire le harcèlement au travail sont à l’origine de troubles psychosociaux dont l’impact sur la santé est perceptible, même s’il est difficilement évaluable.
Depuis le début de l’examen de ce projet de loi, monsieur le ministre, vous vous gargarisez du fait que la pénibilité est enfin prise en compte. (M. le ministre lève les yeux au ciel.) Or vous n’envisagez pas de la traduire par une bonification du nombre de trimestres cotisés.
Par ailleurs, vous demandez aux employeurs de mettre en place des actions de prévention de la pénibilité sans donner les moyens à l’inspection du travail de contrôler la pertinence des mesures et leur application.
Ce volet préventif est essentiel et efficace, mais votre texte ne prévoit aucune obligation pour l’employeur et on a bien l’impression qu’il ne comportera finalement que peu d’avancées, comme dans le domaine social.
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, sur l'article.
Mme Christiane Demontès. La Haute Assemblée s’est saisie de la question du mal-être au travail à la suite d’une série de drames survenus dans plusieurs grandes entreprises de taille internationale.
Il aura malheureusement fallu ces drames pour que la question du mal-être au travail cesse d’être considérée comme une simple conséquence du harcèlement individuel.
Il est désormais démontré que certaines méthodes de management sont susceptibles, par leur brutalité psychique, la pression exercée, l’isolement des salariés, en un mot la négation de toute humanité, de provoquer des troubles graves, à la fois sur le plan moral et sur le plan physique.
Notre législation n’avait pas, quand elle a été élaborée, prévu ces situations, et ce pour deux raisons, me semble-t-il.
Notre structure de production, essentiellement industrielle, était constituée de grandes unités regroupant un nombre important de salariés. Les processus de production, souvent tayloriens, et les rapports avec la hiérarchie étaient certes durs, mais clairement définis. La solidarité dans le travail et aussi dans la revendication, chers collègues, fonctionnait.
Notre économie a connu une mutation considérable, passant de la domination industrielle à la prépondérance des services. Les structures de production et de solidarité ont éclaté. La précarité s’est développée. C’est la concurrence de tous contre tous qui est érigée en principe et en mode de gestion, comme si cela était inévitable. La mondialisation en est à la fois la cause et le prétexte.
Nous avons donc vu apparaître des méthodes d’organisation du travail et de gestion du personnel importées des pays anglo-saxons. Elles ont heurté de plein fouet nos traditions, nos méthodes et nos valeurs et ont provoqué les désastres que j’ai évoqués.
Notre collègue Gérard Dériot, au nom de la mission sénatoriale d’information sur le mal-être au travail, a signé un rapport dans lequel sont formulées plusieurs propositions relatives au management. Nous avons adopté ce rapport à l’unanimité ; ces propositions sont donc les nôtres.
Nous ne sommes pas là dans le cadre de la pénibilité telle que vous l’entendez, c’est-à-dire le risque professionnel causé par des critères matériels et mesurables. Et vous avez raison. Le mal-être au travail n’entre pas dans la pénibilité, mais il est de la responsabilité de l’employeur, en application des mêmes dispositions du code du travail, de veiller à ce que la santé mentale et physique des salariés ne soit pas menacée.
Il nous paraît donc indispensable que notre droit prenne en compte l’introduction de ces modes de production éclatés et les modes de gestion du personnel qui leur ont été associés, et dise clairement que de telles pratiques sont interdites sur notre sol. Nous aurons l’occasion d’y revenir. (M. Thierry Repentin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.
Mme Odette Terrade. L’article L. 4121–1 du code du travail rappelle, en matière de sécurité et de prévention des risques professionnels, les obligations principales des employeurs du point de vue de la santé de leurs salariés :
« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
« Ces mesures comprennent :
« 1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
« 2° Des actions d’information et de formation ;
« 3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
« L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »
Il nous est proposé d’ajouter à la prévention des risques professionnels celle de la pénibilité du travail. Nous pourrions nous interroger : sommes-nous encore dans le débat sur la réforme des retraites ou sommes-nous en train de récrire les articles génériques du code du travail, articles au demeurant relativement clairs dans leur rédaction actuelle ?
Poser la question est toutefois y répondre par avance, puisque certains de nos collègues du côté droit de l’hémicycle ont déposé un amendement de suppression de cet article en arguant du fait que la pénibilité étant une notion relativement évolutive, il semble difficile d’imposer aux employeurs de la prévenir.
La pénibilité sur le fond procède de trois catégories de problèmes et de douze critères différents.
Ce sont les contraintes physiques – manutention et port de charges lourdes ; contraintes posturales et articulaires ; vibrations –, un environnement agressif – exposition à des produits toxiques, cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques ; exposition aux poussières et fumées ; exposition à des températures extrêmes et aux intempéries ; exposition aux bruits intenses ; les rayonnements ionisants –, les contraintes liées aux rythmes de travail – travail de nuit ; travail alterné, décalé, travail posté en discontinu, travail par relais en équipe alternante ; longs déplacements fréquents ; gestes répétitifs, travail de chaîne, cadences imposées.
Cela constitue à nos yeux une première base de réflexion. Mais la question qui nous est posée est cependant doublée par les formes nouvelles de la pénibilité, fondées notamment sur la pression du résultat, les contraintes psychologiques, tout ce qui peut procéder du harcèlement moral du salarié et qui n’a parfois que des effets de caractère psychosomatique.
De plus, l’un des problèmes posés par la pénibilité réside dans le fait que ses effets se font parfois ressentir bien après l’exposition à tel ou tel facteur aggravant de la difficulté des conditions de travail.
Le scandale de l’amiante a suffisamment montré, de ce point de vue, comment les salariés sérieusement exposés au matériau avaient découvert, bien souvent des années après, les affections dont ils étaient atteints.
Enfin, on peut se demander, à ce stade du débat, si le texte ne devient pas une sorte de DDOS puisqu’il entretient une regrettable confusion entre amélioration nécessaire des conditions de travail et droit à la retraite.
Sommes-nous en train de faire comme si l’action nécessaire contre la détérioration des conditions d’exercice de telle ou telle profession n’avait de sens que lorsque les salariés approcheraient de la retraite, alors même que la lutte contre la pénibilité commence peut-être dès l’embauche de l’apprenti ?
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot, sur l'article.
M. Claude Jeannerot. L’article 25 bis renforce, et je m’en réjouis, les obligations de l’employeur en matière de prévention de la pénibilité au travail.
Chacun sait que les situations de pénibilité naissent aussi des conditions de travail et de l’organisation de celui-ci. Or ce domaine reste de la responsabilité de l’employeur. De ce point de vue, il s’agit en effet d’une avancée.
Toutefois, cet article demeure incomplet et imprécis, tout simplement parce qu’il s’adosse à une définition de la pénibilité sur laquelle je souhaite revenir, même si elle a alimenté notre débat de tout à l’heure, car elle est à nos yeux est trop restrictive et source d’injustice.
Certes, les salariés en situation d’usure professionnelle et dont l’incapacité physique constatée lors d’une visite médicale est supérieure ou égale à 20 % pourront partir à 60 ans. Mais la pénibilité constatée au cas par cas se confond, nous l’avons dit, avec le handicap constaté.
Or le fait de demander à un salarié de prouver à un médecin qu’il souffre et que ses moyens physiques sont diminués afin de pouvoir faire valoir son droit à partir à 60 ans est nécessaire, mais pas suffisant.
Monsieur le ministre, je tiens à nouveau à préciser notre position. Ce que nous récusons, ce n’est pas l’intervention du médecin, contrairement à ce que vous nous avez reproché tout à l’heure ; au contraire, nous y sommes favorables. Ce qui nous paraît contestable, je le répète une nouvelle fois, c’est de limiter la prise en compte de la pénibilité au seul aspect individuel. Les travailleurs confrontés aux situations de pénibilité ont, chacun le sait, une espérance de vie plus courte. Il s’agit donc d’un problème de justice et d’équité.
Il me semble que les négociations interprofessionnelles qui se sont terminées en juillet 2008 ont permis de nous doter d’un certain nombre de critères qui définissent relativement précisément ce qu’est la pénibilité.
Nous sommes, me semble-t-il, en mesure de proposer une véritable définition – et c’est bien le sens de nos propositions – des critères de pénibilité : par exemple, des contraintes physiques, notamment le port de charges lourdes, des contraintes posturales, un environnement agressif, notamment l’exposition à des produits toxiques… Je pourrais prolonger cette liste qui a été remarquablement illustrée tout à l’heure sur le plan humain par notre camarade et ami Thierry Repentin.
Le refus d’identifier l’exposition à certains risques ne résiste pas à l’énumération des conditions dans lesquelles beaucoup de Français exercent leur métier.
La pénibilité est un problème majeur. La représentation nationale a, me semble-t-il, la responsabilité politique d’intégrer la pénibilité non pas au cas par cas et après qu’elle a fait son œuvre, mais de façon collective et juste.
Dans cette perspective, nous proposons, je veux le redire avec force, que toutes les périodes de travail pénible fassent l’objet d’une majoration des annuités permettant de partir plus tôt à la retraite. C’est cela, intégrer la pénibilité dans la retraite ! C’est une mesure de justice sociale pour les quelque deux millions de salariés concernés par des conditions de travail particulièrement difficiles, exposés à des facteurs de risque et pour lesquels, nous ne nous lasserons pas de le répéter, l’espérance de vie est plus courte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. L'amendement n° 608 rectifié, présenté par MM. P. Dominati et Beaumont, Mme Hermange et M. Darniche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. L’article 25 bis, qui a été ajouté par l’Assemblée nationale, étend le principe de responsabilité de l'employeur, posé par l'article L. 4121-1 du code du travail, en matière de sécurité dans l'entreprise et de santé physique et mentale des travailleurs à la prévention des facteurs de pénibilité. Parmi les mesures nécessaires, cet article institue, à côté des actions de prévention des risques professionnels, des actions de prévention de la pénibilité au travail.
Pourtant, la notion de pénibilité n'est pas encore clairement ni précisément définie. L'article 25 du présent projet de loi renvoie en effet l'identification des facteurs de risques professionnels générant de la pénibilité à un décret ultérieur.
Il est délicat pour le législateur de pouvoir mettre en cause la responsabilité des employeurs à partir d'une notion qui ne sera clairement définie que dans le futur. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. L’amendement de M. Dominati soulève une question délicate et difficile : d’une part, l’absence de définition juridique de la pénibilité peut, on le comprend, poser un problème ; d’autre part, en tant qu’élus, nous devons donner un signe et montrer tout notre attachement à la lutte contre la pénibilité et à sa prévention. Compte tenu de cette dualité, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat. (M. Jean-Pierre Caffet s’exclame.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Avant de donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement, je tiens à indiquer que le nombre d’inspecteurs du travail a non pas diminué, contrairement à ce qui a été dit à plusieurs reprises par des intervenants, mais au contraire progressé. Il est passé en quatre ans de 1 300 à 2 000 dans le cadre du plan de développement et de modernisation de l’inspection du travail, soit une augmentation de 700 postes.
Monsieur Dominati, je comprends que l’absence de définition de la pénibilité pose un problème juridique, mais je ne suis pas persuadé qu’il suffirait de ne pas intégrer la pénibilité dans le projet de loi pour régler ce problème. Par ailleurs, le champ de l’article L. 4121-1 du code du travail est suffisamment vaste pour l’intégrer.
Nous essayons d’installer l’idée qu’il faut faire de la prévention, lutter contre la pénibilité. L’Assemblée nationale a souhaité inscrire la « pénibilité au travail » dans le projet de loi. Supprimer cette mention ne me paraît pas être un bon signal. Je suis donc plutôt défavorable à cet amendement.
M. Jean-Pierre Caffet. Il va le retirer !
M. Thierry Repentin. Il a l’habitude !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. L’objectif de cet article est intéressant. Il s’agit de renforcer les obligations de l’employeur en matière de prévention des risques professionnels et, nouveauté, de pénibilité, avec tout le débat que cela sous-entend.
Mais, une fois encore, on bute sur l’absence de définition de ce qu’est la pénibilité au travail. Comment mettre en place des actions de prévention de la pénibilité si l’on ne sait pas ce qu’est la pénibilité ?
Or, monsieur le ministre, il existe une définition qui fait consensus parmi les partenaires sociaux ; Claude Jeannerot y a fait allusion tout à l’heure. Nous pourrions donc y faire référence.
De plus, cela apporterait un élément de sécurité juridique aux employeurs, qui disposeraient ainsi d’un cadre d’action. Je rappelle que l’article L. 4121-1 du code du travail pose le principe de la responsabilité de l’employeur en matière de sécurité dans l’entreprise et de protection de la santé physique et mentale des travailleurs. C’est pour cela qu’il est tenu de prendre : « les mesures nécessaires parmi lesquelles des actions de prévention des risques professionnels » et, désormais, de la pénibilité.
M Dominati s’inquiète, lui aussi, de l’absence de définition de la pénibilité et il en tire la conclusion qu’il faut supprimer l’article 25 bis. C’est une solution de facilité, mon cher collègue. L’adoption d’une telle position constituerait un colossal retour en arrière. Et cela ne constituerait en rien une plus-value pour le présent projet de loi, bien au contraire.
Nous considérons a contrario qu’il faut absolument maintenir cet article et le compléter en donnant une base légale à la définition de la pénibilité. C’est d’ailleurs l’objet de plusieurs de nos amendements portant articles additionnels, qui ne seront examinés qu’à la fin de la discussion.
Nous déposons des amendements visant à insérer des articles additionnels pour essayer de trouver des pistes, pour ouvrir le dialogue, mais leur discussion est reportée à la fin de l’examen des articles, lorsque tout est joué ! Voilà une curieuse façon de dialoguer ! Cette méthode est préjudiciable à la clarté des débats.
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous en avons une nouvelle preuve avec l’amendement de M. Dominati, car nous considérons que l’article 25 bis ne doit absolument pas être supprimé.
M. le président. Monsieur Dominati, l'amendement n° 608 rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe Dominati. Je serais tenté de suivre mon collègue Jean-Pierre Godefroy : je préférerais que l’examen de cet amendement soit reporté à la fin de la discussion du projet de loi, après que nous aurons vu si nous sommes ou non parvenus à définir la notion de pénibilité.
Il s’agit d’un problème de droit et non pas d’un problème lié à la nature de l’article. En tant que législateur, il m’apparaît dangereux de voter un article dont la portée sera définie par un décret. Si nous adoptions cet article, nous pourrions à l’avenir être amenés à adopter des articles présentant les mêmes failles, ce qui me paraît problématique.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaite la réserve du vote de cet amendement jusqu’à la fin de la discussion.
M. Philippe Dominati. Dans ces conditions, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 608 rectifié est retiré.
M. Jean-Pierre Caffet. Nous l’avions bien dit ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. C’est un bon petit soldat !