M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Sans vouloir relancer le débat sur les polypensionnés, cet article prévoit que le Gouvernement transmettra au Parlement un rapport sur la question. Étendre le champ de ce rapport ne me semble pas nécessaire.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur Desessard, vous avez eu raison de lire le début de l’article 3 octies, car il s’agit d’un excellent article, qui laisse la porte ouverte à une réflexion sur les polypensionnés.
La question des polypensionnés est complexe et exige que l’on y consacre du temps.
D’ailleurs, lorsque nous avons examiné cette question avec les caisses de retraite – il faut associer les acteurs qui gèrent chacune des caisses de retraite –, nous nous sommes aperçus que si nous options pour les vingt-cinq meilleures années et harmonisions les autres règles entre les caisses dites alignées – le régime général, la MSA et le RSI, le régime social des indépendants –, nous ferions plus de perdants que de gagnants, notamment chez ceux qui touchent de petites pensions.
À la vérité, nombreux sont ceux qui ont intérêt à être polypensionnés lorsqu’ils cumulent deux emplois, l’un en tant que salarié et l’autre, par exemple, en tant que commerçant. Ainsi, dans le calcul de ses pensions, ce salarié peut avoir plus de quatre trimestres par an et bénéficier d’un coefficient de proratisation allant au-delà de 1. En restant au régime général ou s’il est uniquement au RSI, ce coefficient sera plafonné à 1 au maximum, alors qu’il pourra être de 1,1 ou 1,2 avec le cumul des droits dans les différents régimes. Tous ces calculs demandent une analyse extrêmement fine. C’est pourquoi nous n’avons pas voulu trancher dès maintenant.
Nous sommes évidemment d’accord pour simplifier le système pour les bénéficiaires. Mais si c’est pour diminuer le montant de la pension des retraités, nous aurons quelque peine à l’assumer ! Et j’imagine que ce n’est pas non plus ce que vous souhaitez ! C’est pour cette raison que nous proposons de faire un rapport faisant le point sur la situation de ces salariés, qui sera rendu public et sera transmis au Parlement. Nous aurons bien l’occasion d’aborder cette question dans des conditions satisfaisantes lors de l’examen d’un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Reste que la seule façon de traiter définitivement la question des polypensionnés serait une réforme systémique, afin qu’il n’y ait plus de polypensionnés. Mais j’imagine que nous en reparlerons ultérieurement.
Avec ce texte, nous avons d’ores et déjà apporté une réponse aux TSD, les titulaires sans droit à pension dans les régimes de retraite de la fonction publique. (Brouhaha sur les travées de l’UMP.)
Avant cette réforme, si vous passiez moins de quinze ans dans la fonction publique, vos droits étaient transférés au régime de retraite relevant du secteur du privé, et vous deviez même payer des cotisations supplémentaires, puisque, comme vous le savez, celles-ci sont plus importantes dans le public que dans le privé. Certes, nous essayons de corriger cet écart, mais cela prendra du temps.
Or, maintenant, dès lors que vous aurez passé deux ans dans la fonction publique, ce qui correspond grosso modo à un an en tant que stagiaire et un an en tant que titulaire, vous pourrez bénéficier du régime public. Certes, cela augmentera le nombre de polypensionnés, mais j’estime que c’est une bonne chose, car un fonctionnaire ayant passé quasiment quinze ans dans la fonction publique trouve bizarre d’être rebasculé vers le régime de la CNAV.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous élaborerons ce rapport, monsieur Desessard.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, j’ai essayé de vous écouter attentivement, mais c’est difficile du fait du brouhaha. Je pense que je n’ai pas correctement entendu vos propos puisque je vous ai entendu dire que les cotisations étaient plus importantes dans le secteur public que dans le secteur privé.
M. Gérard Dériot. C’est l’inverse !
Mme Annie David. Je pense qu’il y a ici une erreur, puisque vous allez justement augmenter les cotisations du secteur public, qui seraient inférieures.
S’agissant de l’amendement n° 879, je regrette que vous ne nous suiviez pas. En effet, pour les polypensionnés, l’exclusion d’un calcul global du salaire moyen pour choisir un calcul au prorata en fonction du temps passé par l’assuré dans chacun des régimes est souvent justifiée par la conservation d’un lien étroit entre la pension versée à un assuré par un régime de retraite et les cotisations dont il s’est acquitté sous ce régime. Mais s’arrêter à cet argument revient souvent à rester « au milieu du gué ». (Brouhaha sur les travées de l’UMP.) Monsieur le président, il est très difficile de suivre sereinement ce débat, qui est pourtant particulièrement important. Il s’agit en effet de la question des polypensionnés, mes chers collègues. (Le brouhaha persiste sur les travées de l’UMP où plusieurs sénateurs se lèvent et quittent l’hémicycle.)
M. le président. Ce n’est pas possible !
Un sénateur du groupe socialiste. Ils font leur manifestation ! (Sourires.)
M. le président. Mon cher collègue Trillard, si vous pouviez soit vous asseoir, soit sortir…
Mme Annie David. Soit écouter le débat, car il s’agit de la question des polypensionnés !
M. le président. … de façon que nous puissions continuer, car nous atteignons un niveau phonique qui finira par fatiguer tout le monde.
Mme David a, seule, la parole.
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Annie David. Il faut reconnaître, comme l’a souligné le cinquième rapport du COR, le Conseil d’orientation des retraites, publié en novembre 2007, que « la législation dans le domaine des retraites soulève encore plusieurs questions relatives à l’égalité de traitement en fonction des parcours professionnels qui concernent notamment les polypensionnés et ceux qui ont une carrière accidentée. »
Le recours au prorata est, pour ce même Conseil d’orientation des retraites, une correction partielle à la « pénalisation » des polypensionnés car « le mécanisme […] conduit à ne retenir au total que vingt-cinq salaires annuels […] mais très rarement les vingt-cinq meilleurs salaires de toute la carrière. »
Par cet amendement, nous proposons de ne calculer la retraite de ceux qui ont vu leur vie active partagée entre le secteur public et le secteur privé qu’au prorata des périodes réellement passées en dehors de la fonction publique. Une telle mesure permettrait de corriger totalement la pénalisation dont les anciens agents publics devenus salariés du secteur privé font l’objet.
Je demande un scrutin public, cet amendement étant des plus importants pour les polypensionnés.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Tout à l’heure, dans le feu de l’action, j’ai peut-être inversé les termes « privé » et « public ». Aussi, je souhaite préciser que les cotisations sont aujourd’hui plus importantes dans le secteur privé que dans le secteur public. Il y a donc un rattrapage de dix ans à faire.
Une personne qui est aujourd’hui titulaire sans droit dans le secteur public et qui passe quatorze ans dans ce secteur avant de changer de métier pour repartir dans le secteur privé va se voir redemander des cotisations. Cette personne sera effectivement basculée dans le régime général, et sera surprise qu’on lui demande des cotisations pour la simple raison que dans le public, elle a moins cotisé.
S’agissant de l’amendement n° 879, il est satisfait en ce concerne les quinze ans. Il est toutefois très compliqué d’effectuer un calcul au prorata entre des régimes qui ont des règles très différentes. Entre les « six mois » et les « vingt-cinq ans », c’est en effet très compliqué.
Mme Annie David. C’est vrai.
M. Éric Woerth, ministre. Il est possible, aujourd’hui, d’établir un prorata sur des régimes qui sont alignés.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. S’agissant de cet amendement, M. le ministre nous a dit qu’il avait voulu ouvrir des portes. Il a affirmé qu’il s’agissait d’un problème très grave, et a dit en substance : Monsieur Desessard, nous pensons, nous aussi, que c’est un problème très grave, mais nous avons un petit problème d’ajustement.
Lorsque l’on a un petit problème d’ajustement et que l’on veut en informer les parlementaires, il faut préciser en premier lieu quels sont les problèmes qui se posent. Je sais qu’il n’est plus dans les habitudes de la maison d’informer les parlementaires. Il se trouve que vous préférez l’opposition frontale – que nous soyons là à parler et à parler encore – (Exclamations sur les travées de l’UMP.), plutôt que de nous donner des documents qui nous permettraient d’avoir le même niveau d’information que vous ! (Même mouvement.)
Oui ! nous aurions souhaité avoir connaissance des problèmes de calcul qu’a évoqués M. le ministre. Nous aurions aimé recevoir de votre ministère, de vous, monsieur le ministre, trois ou quatre pages posant la problématique. Cela nous aurait « mis à niveau ». Nous n’avons pas les éléments de comparaison. Voilà quel était le premier point que je voulais évoquer.
M. Alain Gournac. Vous parlez, vous parlez !
M. Jean Desessard. C’est vous qui parlez : vous demandez un rapport !
Par ailleurs, il n’y a pas de proposition. Vous faites confiance au ministre (Oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.) parce que, sur de nombreux points, il vous dit : on ne peut pas faire autrement. Là encore, il affirme qu’il n’est pas possible de faire autrement que de laisser les portes ouvertes. Je le répète : il n’y a aucune proposition. Le ministre nous dit qu’il faut s’occuper de cette question. Bien, merci, nous le savions !
La seule chose qui se trouve dans le projet de loi, c’est que les portes sont laissées ouvertes et que nous pourrons rediscuter de la question plus tard.
En tant que commissaires de la commission des affaires sociales, nous n’avons pas reçu de document soulevant cette problématique : c’est dommage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 879.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 24 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l'article 3 octies.
M. Jean Desessard. Je serai bref.
Je regrette que, malgré toutes les explications que le ministre a bien voulu fournir, et je l’en remercie, il n’y ait pas eu plus d’avancées dans cet article sur les polypensionnés.
Comme le texte laisse des portes ouvertes, nous ne pouvons pas nous y opposer. Toutefois, le Gouvernement a la possibilité d’avancer très rapidement, avant même 2011. Octobre 2011, c’est dans un an. Par conséquent, nous pourrions imaginer que cette question des « réglages » nécessaires à tous pourrait être résolue dans les trois mois qui viennent.
Je ne peux que m’abstenir sur cet article, considérant, d’une part, qu’il est nécessaire que quelque chose soit fait et, d’autre part, que le Gouvernement pourrait agir beaucoup plus rapidement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Mon propos ne sera pas forcément une explication de vote. J’attends toujours une réponse à la question que j’ai posée à M. le rapporteur et à M. le ministre. En effet, plutôt que des polypensionnés, nous risquons d’avoir des « hémipensionnés ». (M. Jean Desessard s’esclaffe.)
Pour les personnes qui ont fait l’objet d’un PSE, un plan de sauvegarde de l’emploi, et qui ont été prises en charge par un organisme extérieur à l’entreprise, et ce dans le contexte juridique que nous connaissions à l’époque – si l’on considère notamment l’engagement du Président de la République de ne pas changer l’âge de départ à la retraite, réforme pour laquelle il n’avait « pas de mandat » –, les choses étaient claires : elles prenaient leur retraite à 60 ans. Les fonds ont par conséquent été versés aux organismes pour assurer le départ à la retraite à 60 ans des personnes licenciées pour des raisons économiques et n’ayant pas le droit de travailler.
Après quarante ans de cotisation, ou de travail dans leur entreprise, ces personnes vont être contraintes d’aller à Pôle emploi et se retrouveront dans une situation de chômeurs.
Comment ce problème de transition sera-t-il réglé ? Des mesures transitoires sont nécessaires pour ces personnes qui ont fait l’objet d’un PSE. Et il ne s’agit pas de quelques exceptions.
Mme Christiane Demontès. C’est une vraie question !
M. Daniel Raoul. Ainsi, dans ma ville, où nous avons rencontré des problèmes dans les domaines de l’informatique et de l’électronique, une telle situation correspond à celle d’un certain nombre de personnes. Je souhaite par conséquent une réponse !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Cette question est tout à fait légitime.
Dans la grande majorité des cas – nous avons prêté une grande attention à ces accords –, c’est l’âge légal de départ à la retraite qui est indiqué. Ce n’est pas « à 60 ans », mais « à l’âge légal » ou « à l’âge d’obtention des droits à pension à taux plein ». Ces conventions peuvent prévoir 60 ans, mais parfois un âge plus avancé.
Effectivement, quelques conventions ciblent 60 ans exactement ; là, c’est à l’entreprise de répondre et d’augmenter l’âge. Mais, en général, l’écrasante majorité des conventions fait référence à l’âge légal du taux plein. En décalant celui-ci, vous décalez aussi le droit.
M. Daniel Raoul. Et quand l’entreprise n’existe plus ?...
M. le président. Je mets aux voix l'article 3 octies.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 25 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 167 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 147 |
Le Sénat a adopté.
Articles additionnels après l'article 3 octies (réservés)
M. le président. Je rappelle que l’ensemble des amendements tendant à insérer des articles additionnels ont été réservés jusqu’après l’article 33.
Chapitre II
Durée d’assurance ou de services et bonifications
Article 4
(Non modifié)
L’article 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites est ainsi modifié :
1° Le IV est ainsi rédigé :
« IV. – Pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1955, la durée d’assurance ou de services et bonifications permettant d’assurer le respect de la règle énoncée au I est fixée par décret, pris après avis technique du Conseil d’orientation des retraites portant sur l’évolution du rapport entre la durée d’assurance ou la durée de services et bonifications et la durée moyenne de retraite, et publié avant le 31 décembre de l’année au cours de laquelle ces assurés atteignent l’âge mentionné au dernier alinéa du même I, minoré de quatre années.
« Pour les assurés nés en 1953 ou en 1954, la durée d’assurance ou de services et bonifications permettant d’assurer le respect de la règle énoncée au I est fixée par un décret publié avant le 31 décembre 2010. » ;
2° À la fin du premier alinéa du V, les mots : « prévu au premier alinéa de l’article L. 351-1 du même code » sont remplacés par les mots : « mentionné au troisième alinéa du I du présent article » ;
3° Le VI est ainsi modifié :
a) Après le mot : « âge », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « mentionné au troisième alinéa du I » et la seconde phrase est supprimée ;
b) Il est ajouté deux alinéas ainsi rédigés :
« Par dérogation au premier alinéa, la durée des services et bonifications exigée des fonctionnaires de l’État et des militaires qui remplissent les conditions de liquidation d’une pension avant l’âge mentionné au troisième alinéa du I est celle exigée des fonctionnaires atteignant l’âge mentionné au même troisième alinéa l’année à compter de laquelle la liquidation peut intervenir.
« Le présent VI s’applique également aux fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et aux ouvriers des établissements industriels de l’État. » ;
4° Le IX est abrogé.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Le présent article porte une attaque sans précédent au droit à la retraite.
M. Robert del Picchia. Allons bon !
M. Guy Fischer. Il fait en effet partie des deux ou trois articles emblématiques dont les dispositions conjuguées auront des conséquences très préjudiciables pour les futurs retraités.
Alors que les résultats de la réforme de 2003 ne sont pas particulièrement performants, cet article vise à confirmer le principe d’allongement de la durée de cotisation à proportion de l’allongement de l’espérance de vie.
Un raisonnement aussi binaire est forcément contestable, notamment parce que, au-delà de l’espérance de vie, se pose la question de la qualité de vie. Vivre plus longtemps est une chose ; une autre est de vivre en bonne santé !
Dans ce cadre, toutes vos statistiques ne sont pas forcément pertinentes. Pourtant, cet élément de « qualité de vie » est déterminant et doit être pris en compte. À ce titre, la politique menée en termes de déremboursements des médicaments et de franchises médicales, ainsi que la casse de l’hôpital public risquent de priver d’accès à la santé nombre de salariés qui n’auront pas les moyens de se payer non seulement les consultations, mais également les médicaments. Nous pouvons donc légitimement craindre que la santé des seniors, notamment les plus démunis, ne se dégrade par manque de soins.
Nicolas Sarkozy, Président de la République, s’est fait élire avec le slogan : « Travailler plus, pour gagner plus ! ». Par cette réforme, c’est bien l’inverse qui va se passer. Les salariés travailleront plus longtemps et gagneront moins. Beau progrès de civilisation, alors que notre pays compte parmi les plus riches, puisqu’il est la cinquième puissance mondiale !
De plus, allonger le temps de cotisation constitue un recul particulièrement important pour les femmes, qui ont d’ores et déjà des difficultés à obtenir des carrières complètes du fait de leur engagement familial et de la précarité salariale qui les touchent plus que les hommes.
À ce titre, nous trouvons particulièrement scandaleux que les périodes de congé maternité, si elles sont prises en compte dans les annuités, ne le soient pas au titre des cotisations, ce qui affaiblit irrémédiablement le niveau du revenu de référence. C’est donc la triple peine pour les femmes !
Pour les personnes nées en 1953 et en 1954, c’est également un traitement injuste qui les attend, puisque leur régime sera dérogatoire, fixé par un décret devant intervenir avant le 31 décembre de cette année et permettant de définir la durée d’assurance et de services nécessaire à l’obtention du taux plein.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que votre réforme est injuste et constitue une contre-performance.
À l’inverse, au lieu de pénaliser les salariés, nous considérons que les financements doivent être pris ailleurs que dans la poche des salariés. Nous souhaitons notamment, pour financer les retraites, que les capitaux financiers contribuent à l’effort financier.
Certes, la crise a affaibli l’économie du pays, mais, au lieu d’en tirer les conséquences, vous accentuez le décalage entre revenus salariaux et revenus du capital, quitte à reproduire sans cesse les mêmes erreurs. Nous étions opposés à la réforme de 2003 ; nous restons opposés à celle-ci.
Denis Kessler, ancien numéro deux du MEDEF, avait, voilà quelques années, donné le sens profond de cette politique gouvernementale.
« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. [...] Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la sécurité sociale, paritarisme... ». J’ajouterai la privatisation des entreprises publiques fondées en 1946.
« À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. »
Non, messieurs, les acquis du Conseil national de la Résistance ne sont pas à liquider, ni même à vendre ! Les valeurs qui ont guidé les résistants, à qui nous restons attachés et dont nous portons le message, à savoir cet espoir d’un monde juste, d’un monde de paix et d’un progrès social partagé, ne sont pas d’un autre temps, ne sont pas une figure de l’histoire à ranger dans les armoires.
Parce qu’ils voulaient défendre la vie, certains sont morts. Soixante ans plus tard, vous organisez la mort sociale de la France. Nous ne pouvons l’admettre. Voilà pourquoi nous sommes résolument contre l’article 4. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Gisèle Printz et M. Rachel Mazuir applaudissent également.)
M. Alain Gournac. Qui a écrit ça ? Ce n’est pas possible !
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. L’allongement de la durée de cotisation comporte de graves conséquences sur la situation de l’ensemble des travailleurs. Couplé avec le recul de l’âge légal de départ à la retraite, avec la montée du chômage et la baisse importante des revenus et des salaires dans certaines branches d’activité, la prolongation de la durée d’assurance va peser plus lourdement sur certains salariés et travailleurs indépendants.
Mes chers collègues, je voudrais aborder la question des activités agricoles. L’agriculture connaît sa plus grave crise depuis trente ans ; toutes ses filières sont touchées par une baisse de revenus.
Lors de son discours au sommet de l’élevage, voilà un an, le ministre de l’agriculture déclarait avec enjouement : « Je suis très sensible à la dette que la nation a envers les générations d’agriculteurs. Ce sont eux qui ont façonné le paysage. Ce sont eux qui ont construit une agriculture française forte. Ce sont eux qui ont permis de préserver le modèle agricole pour lequel je me bats aujourd’hui. Le Premier ministre a accepté deux mesures que nombre d’entre vous m’avaient réclamées : le relèvement du plafond de ressources de 750 euros à 800 euros, soit un gain de 17 millions d’euros pour 60 000 retraités ; l’amélioration de la revalorisation pour les conjoints participants qui ont racheté des périodes de conjoints collaborateurs, soit un gain de 1 million d’euros pour les conjoints. »
De notre point de vue, ces annonces faites par le ministre de l’agriculture aux retraités agricoles sont une provocation.
Tout d’abord, les agriculteurs ne sont pas responsables du manque à gagner de la Mutualité sociale agricole, ou MSA. La politique agricole commune, sous l’égide de l’Union européenne et de l’Organisation mondiale du commerce, a réduit dramatiquement le nombre d’agriculteurs, le ramenant de plus de 2 millions à moins de 500 000 aujourd’hui, et à 200 000 d’ici à dix ans.
De plus, la libéralisation des prix imposée par l’Union européenne a abouti au résultat que les agriculteurs n’ont plus de revenu, le négoce, la transformation et la grande distribution imposant des prix toujours à la baisse. Comment leur demander de payer leurs cotisations sociales sans revenu ?
Les exonérations proposées dans le plan d’urgence de Nicolas Sarkozy ne sont pas une solution viable sur le long terme. La question centrale, qui n’est absolument pas réglée par la loi de modernisation de l’agriculture, est celle du revenu agricole.
Tant que le Gouvernement refusera de prendre des mesures fortes pour assurer un revenu décent aux agriculteurs et des prix rémunérateurs, il n’y aura pas d’issue pour les travailleurs du secteur.
Aujourd’hui, un grand nombre de retraités paysans doivent survivre avec 400 euros par mois ; vous le savez bien, mes chers collègues !
La droite de Nicolas Sarkozy condamne toute cette catégorie socioprofessionnelle à s’accommoder de vivre sous le seuil de pauvreté, qui est fixé en France à 817 euros par mois. Scandaleux paradoxe pour celles et ceux dont la mission était de nourrir leurs semblables que d’aller, à l’heure de la retraite, chercher un repas, parfois un toit, des vêtements auprès d’associations !
Depuis plusieurs années, les agriculteurs retraités revendiquent sans concession l’amélioration de leur situation. Le diagnostic, partagé, est on ne peut plus clair. Un exploitant agricole ayant eu une carrière complète touche en moyenne une retraite de base de 633 euros, son conjoint percevant 506 euros, contre 980 euros pour un nouveau retraité du régime général en 2009.
À cela s’ajoute depuis 2003, pour 1,8 million d’agriculteurs retraités, une retraite complémentaire obligatoire d’une moyenne mensuelle de 90 euros, dont sont toujours privés les conjoints et aides familiaux.
Ensuite, on ne peut pas aborder la question des retraites sans aborder celle du travail. Monsieur Woerth, lors des questions au Gouvernement de la séance du jeudi 30 septembre dernier, vous déclariez que la retraite était une question d’âge. De notre point de vue, c’est une vision très réductrice !
Défendre un niveau acceptable de retraite ne relève pas de la gestion comptable. Il est nécessaire de s’attacher au niveau de revenu, au temps journalier que les travailleurs consacrent à leur activité et à la pénibilité qu’ils endurent.
Sur cette question, et nous y reviendrons tout au long des débats, les métiers agricoles sont difficiles physiquement et, au regard du contexte économique délétère, les tensions psychologiques deviennent de plus en plus lourdes.
Je tenais à préciser tous ces éléments sur le monde agricole à l’occasion de l’examen de l’article 4. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)