M. Bernard Cazeau. MM. Jégou et Vasselle sont donc démagos ?
M. François Baroin, ministre. Pour ma part, j’attends de connaître la position des socialistes sur les retraites… Sans doute cela viendra-t-il un jour ! Pour le moment, je n’ai relevé qu’incohérences et contradictions. Étant de culture parlementaire, j’attends avec respect les contrepropositions que vous pourriez formuler dans le cadre de la discussion budgétaire, ce qui vous donnerait l’occasion d’assumer vos responsabilités.
Je ne comprends pas la ligne de la Rue de Solférino. Qui a raison ? M. Strauss-Kahn ? M. Hollande, qui souhaite une augmentation de la fiscalité ? Mme Royal, qui nous dit qu’on va raser gratis ? Mme Aubry, qui tente, tant bien que mal, de trouver une synthèse ?
Mme Raymonde Le Texier. Et ça, ce n’est pas de la démagogie ?
M. Guy Fischer. C’est de la provocation !
M. Bernard Cazeau. Regardez votre propre famille politique !
M. François Baroin, ministre. Nous sommes désormais dans un temps de responsabilité partagée. Le Gouvernement prend ses responsabilités, prenez les vôtres ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe UMP, je tiens à saluer une nouvelle fois le travail approfondi de notre collègue rapporteur général Alain Vasselle.
Oui, notre pays se trouve dans une bien mauvaise situation au regard de ses comptes sociaux. Fin 2010, les déficits cumulés du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse atteindront 53 milliards d’euros. Cet état d’endettement fait peser les déficits sur les générations futures et, à terme, met en péril notre système de sécurité sociale.
Une telle dégradation de nos finances publiques n’est pas irréversible, mais nous devons prendre dès maintenant des mesures crédibles et durables, structurelles, comme vient de le dire M. le ministre, en faveur de leur redressement, pour éviter qu’elles ne le deviennent.
C’est pourquoi notre majorité juge nécessaire d’agir au plus vite en faveur d’un retour à l’équilibre des comptes sociaux. Selon notre groupe, il convient d’approuver le projet de loi organique qui est soumis aujourd’hui à notre examen, ainsi que l’ensemble des autres dispositifs que le Gouvernement prévoit de mettre en œuvre pour redresser nos comptes sociaux.
Dans son plan de financement, le Gouvernement prévoit de résorber la dette sociale en agissant au moyen de trois leviers : premièrement, l’allongement de la durée de vie de la CADES ; deuxièmement, la mobilisation des actifs et recettes du Fonds de réserve pour les retraites ; troisièmement, l’affectation de 3,2 milliards d’euros de recettes nouvelles pour contenir la dette structurelle.
Comme nous l’a rappelé M. le ministre, ce choix est motivé par des questions d’« équité intergénérationnelle et de justice sociale », afin de « faire supporter par les générations actuelles d’actifs et de retraités le poids des déficits structurels ».
Je reviendrai uniquement sur les deux premiers points, le troisième devant faire l’objet d’un débat lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Concernant le premier point, à savoir l’allongement de la durée de vie de la CADES, le projet de loi organique déroge exceptionnellement au principe posé par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005, qui interdit de transférer de nouvelles dettes à la CADES sans lui affecter parallèlement les ressources nécessaires.
Comme l’a souligné M. Alain Vasselle, cette mesure est non seulement « nécessaire pour une question de principe », mais surtout « ne remet pas en cause ce principe », car elle est limitée le plus possible dans le temps.
La dérogation prévue par l’article 1er du projet de loi organique est ainsi autorisée jusqu’en 2025. Espérons qu’elle ne perdurera pas au-delà de cette date !
Ces quatre années d’allongement permettront de reprendre un peu plus de 30 milliards d’euros de dette, et ce sans accroissement des recettes affectées à la CADES. Autrement, il aurait fallu prévoir un doublement de ces recettes et, donc, une augmentation substantielle du taux de CRDS.
Le projet de loi prévoit, ensuite, le transfert à la CADES des actifs et recettes du Fonds de réserve pour les retraites. Rappelons que Lionel Jospin, lorsqu’il a créé ce fonds en 2000, exprimait sa « volonté d’affirmer et de garantir la solidarité entre générations ». C’est bien dans cet esprit que le Gouvernement a jugé ce transfert nécessaire au regard de notre situation d’endettement, amplifiée par la crise.
Fidèles à notre esprit de responsabilité, pragmatiques face aux risques de faillite qu’encourt notre système social, nous regardons la réalité en face. Et cette réalité, mes chers collègues, c’est que le déficit actuel de la branche vieillesse est d’ores et déjà celui qui était prévu pour 2030. C’est pourquoi nous soutenons cette mesure, qui permettra de financer les déficits de l’assurance vieillesse jusqu’en 2018.
Par ailleurs, la majorité approuve l’article 2 du projet de loi organique, qui vise à améliorer l’information du Parlement. Nous sommes favorables à l’examen par les deux assemblées de la situation patrimoniale des organismes chargés du financement de la sécurité sociale. Outre le tableau d’équilibre que nous approuvons dès à présent, nous aurons l’occasion d’étudier le tableau patrimonial – Marc Laménie soulignait ce point en commission des affaires sociales –, qui retracera la situation de l’ensemble des actifs et passifs de ces organismes. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette disposition, qui améliore l’information des parlementaires.
Enfin, nous soutenons l’initiative de M. le rapporteur général visant à donner à la représentation nationale un meilleur éclairage sur l’élaboration de l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP, dans sa majorité, votera ce projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste tient à remercier le Gouvernement de nous proposer des dispositions tendant à assurer le financement de la dette sociale. Le texte que nous examinons signe sans doute la fin de l’attentisme qui a prévalu jusqu’à présent.
L’exercice auquel nous nous livrons, les propos du ministre, ceux du rapporteur général de la commission des affaires sociales et du rapporteur pour avis de la commission des finances nous ont parfaitement éclairés sur le caractère aussi grave que pathétique de la situation de nos finances sociales.
Nous assistons en effet à une sorte de montée inexorable des déficits. On avait cru en 1996, lors de la mise en place de la CADES, que ceux-ci étaient liés à la grave crise de 1993 et donc exceptionnels. Or nous sommes aujourd’hui confrontés à une progression qui paraît presque inexorable. À la vérité, il s’agit d’un grave sujet de solidarité intergénérationnelle. Si l’on peut admettre que l’on s’endette pour investir, qui peut prétendre que le déficit social soit finançable par le recours à l’emprunt ?
Puis-je rappeler que la CADES s’est vu transférer, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, un peu plus de 130 milliards d’euros de dettes et qu’elle est parvenue à en rembourser un peu plus du tiers. Aujourd’hui, à titre prévisionnel, pour la période 2011-2018, nous lui affectons de nouveau 130 milliards d’euros, en espérant que les déficits des régimes de retraite réformés n’engendreront, de 2012 à 2018, que 62 milliards d’euros de déficit.
Dès lors, nous voyons se profiler le spectre d’une sorte de dette perpétuelle. Le mécanisme imaginé par le Gouvernement prévoit, d’une part, d’adosser la dette sociale sur le Fonds de réserve pour les retraites, consommant ainsi par anticipation les crédits dont nous aurons besoin à l’échéance 2020, lorsque se produira le choc démographique, et, d’autre part, d’attribuer à la CADES quatre années de vie supplémentaire, afin de prendre le temps d’éponger la dette et, je l’espère, de la faire disparaître.
Je ne reviendrai pas sur les mécanismes qui ont été amplement décrits à cette tribune. Au demeurant, il nous apparaît que ce projet de loi organique n’est pas à la hauteur des enjeux. Je l’ai dit, la consommation anticipée, étalée sur les quinze années qui viennent, du capital accumulé par le Fonds de réserve pour les retraites, lequel, par ailleurs, n’a été financé que par du déficit public, ne permettra pas de faire face au choc démographique qui se profile à l’horizon 2020.
Par ailleurs – première interrogation –, qui peut imaginer que, à compter de 2013, la branche santé et la branche famille seront équilibrées et n’auront pas besoin de recourir de nouveau à l’endettement ?
Deuxième interrogation : que penser de l’annonce de certaines concessions concernant la réforme des retraites, lesquelles devraient se traduire par un supplément de charges de l’ordre de 1 milliard d’euros ? Cette somme viendra par conséquent s’ajouter au déficit prévisionnel du régime des retraites de 2013 à 2018.
La taxation des réserves de capitalisation des sociétés d’assurance n’aura d’effet qu’en 2011, si le Gouvernement décide d’utiliser ce prélèvement intégralement à cette date. Peut-être celui-ci sera-t-il étalé sur 2011 et 2012. Toutefois, il n’y aura rien pour 2013, sauf à accroître ce prélèvement.
De même, les prélèvements sociaux sur les contrats d’assurance-vie multi-supports sont censés engendrer un sursaut de ressources. Convenons que le système est assez complexe, car le terme de « multi-supports » implique une référence à la valeur d’actifs boursiers. Or nous ne sommes pas sûrs que les plus-values soient telles qu’elles entraînent, chaque année, le paiement d’un impôt. Par ailleurs, on le voit bien, si on anticipe la perception de cette ressource, celle qui était en vigueur jusqu’à maintenant ne va pas tarder à s’étioler. Par conséquent se posera immanquablement le problème du financement de l’amortissement de la CADES à compter de 2013.
De même, cela a déjà été dit, on ne peut pas écarter un risque de taux, lequel, s’il venait à se manifester, serait naturellement tout à fait préjudiciable aux capacités d’amortissement de la dette sociale.
Concernant la taxe sur les conventions d’assurance des « contrats santé responsables », il s’agit de corriger une niche fiscale. En effet, un taux de 3,5 % leur serait institué, alors que le taux du régime commun est de 7 %. Toutefois, il faut espérer que l’institution de cette taxe ne portera pas atteinte aux conventions d’assurance conclues par les mutuelles, faute de quoi l’assiette viendrait à se rétrécir.
J’ai écouté attentivement François Baroin nous rappeler, avant qu’il ne soit contraint de prendre congé du Sénat, les termes de la politique conduite par le Gouvernement. Nous partageons sa volonté de réduire les déficits publics et de résorber progressivement ces niches fiscales qui sont autant d’atteintes au pacte républicain. Nombreuses, non seulement elles coûtent cher – 75 milliards d’euros –, mais encore elles créent de la complexité et suscitent des opérations d’optimisation fiscale qui, parfois, frisent l’abus de droit et le scandale. Si elles atteignent parfois leur objectif, tel n’est pas toujours le cas et, dès lors, elles entraînent un gâchis des fonds publics et créent une sorte d’inégalité des Français devant l’impôt. En outre, j’ai la conviction qu’elles perturbent considérablement la fixation des prix, l’avantage fiscal étant capté par le fournisseur.
Avec le Gouvernement, nous convenons qu’il faut réduire toutes ces niches fiscales, mais je voudrais être bien certain qu’il n’y aura pas de découplage entre l’annonce et les propositions qui seront soumises au Parlement.
Mme Christiane Demontès. Ça… !
M. Bernard Cazeau. Comptez là-dessus !
M. Jean Arthuis. À cet égard, monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que, dans la mesure où la CRDS a été créée pour amortir la dette sociale, ce n’est pas trahir l’exigence de solidarité intergénérationnelle que d’en augmenter quelque peu le taux.
Mes chers collègues, souvenez-vous-en, voilà un an, nous défendions ensemble, tant en commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, qu’en commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis, l’idée d’une augmentation de 0,15 % du taux de la CRDS. Si nous avions obtenu gain de cause, il eût été possible d’affecter 20 milliards d’euros à la CADES plutôt que de les faire supporter, depuis lors, par l’ACOSS. Toujours est-il que le Gouvernement s’était opposé à cette suggestion, probablement, monsieur le ministre – j’en fais l’hypothèse – parce que celle-ci aurait eu pour conséquence d’entamer le bouclier fiscal. C’est la raison pour laquelle nous devrons ouvrir de nouveau le débat sur le bouclier fiscal au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2011.
M. Guy Fischer. Il faut le supprimer ! (Sourires.)
M. Jean Arthuis. Oui, il faut le supprimer, mon cher collègue, mais il faut le supprimer parce qu’il est injuste, parce qu’il s’applique non pas au revenu de référence, mais au revenu fiscal, c’est-à-dire après déduction d’un certain nombre d’abattements et de niches fiscales. Cela étant, monsieur Fischer, dans la mesure où c’était une mauvaise réponse au très mauvais impôt qu’était l’ISF, je compte sur vous pour demander la suppression tout à la fois du bouclier fiscal et de l’impôt de solidarité sur la fortune.
M. Guy Fischer. Bien sûr… (Sourires.)
M. Jean Arthuis. Et, pour accroître encore un peu les ressources budgétaires, je vous proposerai également d’instituer une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu à 45 % (Mme Catherine Procaccia applaudit.) et de revisiter le barème d’imposition des plus-values mobilières et immobilières, au nom de la justice fiscale.
Mme Raymonde Le Texier. Allons-y !
Mme Christiane Demontès. Chiche !
M. Jean Arthuis. Ainsi que l’ont souligné M. le rapporteur général et M. le rapporteur pour avis, nos procédures de discussion budgétaire ne nous permettent guère d’avoir une vision globale de la situation des finances publiques ; c’est pourquoi il conviendrait peut-être d’examiner les ressources procurées par les prélèvements obligatoires sociaux et fiscaux dans un article d’équilibre unique. Pour ne citer que cet exemple, il y a fort à parier que, cette année, nous discuterons de certains aspects de l’assurance vie dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et de certains autres dans le cadre du projet de loi de finances.
Mes chers collègues, nous sommes là dans l’incohérence, et nous devons nous préparer à réviser nos procédures de discussion.
M. Guy Fischer. On est d’accord !
M. Jean Arthuis. Je le répète, nous aurons une vision plus complète des choses, nous serons plus en mesure d’apprécier la cohérence de ce que nous votons si le Gouvernement nous présente un article d’équilibre unique pour l’ensemble des prélèvements obligatoires.
Toujours est-il, monsieur le ministre, que le principal problème, c’est celui de la croissance, et la croissance, c’est la compétitivité !
M. Jean Arthuis. Tant que les branches santé et famille seront financées par des cotisations assises sur les salaires, ces cotisations s’apparenteront à des impôts de production et accéléreront les mouvements de délocalisation d’activités et d’emplois.
M. Jean-Paul Virapoullé. Tout à fait !
M. Jean Arthuis. Le débat sur la réforme à engager dans ce domaine n’a que trop tardé. Ce n’est qu’ainsi, monsieur le ministre, que nous pourrons lutter efficacement pour la sauvegarde de nos emplois, pour l’équilibre de nos finances publiques et donc pour la solidarité intergénérationnelle.
Pour conclure, j’indique que le groupe Union centriste votera ce projet de loi organique, qui introduit deux dispositions, à savoir l’adossement du fonds de réserves pour les retraites à la CADES et l’accroissement de la durée d’amortissement de la dette sociale dans la limite de quatre années.
Pour la suite, c’est lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances que nous devrons assumer nos responsabilités. Ce sera en quelque sorte l’heure de vérité. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Dans l’exposé des motifs du projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale que vous nous soumettez aujourd’hui, monsieur le ministre, il est souligné que « le Gouvernement souhaite apporter cette année une solution durable à la dette sociale ». Il s’agit là d’un objectif que nous pouvons partager.
Jusqu’à un passé récent, le Gouvernement nous avait plutôt habitués à laisser dériver les comptes sociaux, sans prendre les mesures, notamment structurelles, nécessaires pour atténuer cette dette sociale. Ainsi, si la sécurité sociale n’avait pas été sévèrement handicapée par un déficit structurel de 10 milliards d’euros, elle aurait pu affronter dans des conditions différentes la situation de crise économique qui, hélas ! n’a pas épargné notre pays.
Quoi qu’il en soit, si l’objectif peut être partagé, les moyens proposés pour l’atteindre ne sauraient recueillir notre accord. Ce projet de loi organique, en effet, n’est pas à la hauteur des enjeux, comme l’a souligné Jean Arthuis, sans toutefois que notre collègue en tire les mêmes conclusions que nous, comme l’attestera son vote final.
L’objectif peut être partagé pour au moins trois raisons.
Première raison : le report de la charge de la dette sociale sur les générations futures – celles de nos enfants et de nos petits-enfants – est une démarche irresponsable que nous ne saurions cautionner.
Deuxième raison : on ne peut laisser des déficits conjoncturels se transformer en des déficits structurels, dont on déplore déjà suffisamment l’ampleur. Je pense bien sûr aux déficits conjoncturels provoqués par ce qu’il est convenu d’appeler « la crise ».
Troisième raison : il est inconcevable de continuer à faire jouer à l’ACOSS un rôle qui n’est pas le sien. Cet organisme, créé pour permettre la couverture d’un besoin de trésorerie courante, n’a pas pour mission de couvrir un déficit permanent des comptes sociaux.
La fragilité du financement même de l’ACOSS est avérée. Le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, son principal bailleur de fonds, a déjà attiré l’attention du prédécesseur de M. Baroin, M. Woerth, par un courrier en date du 23 octobre 2009, sur les tensions générées par les montages financiers impliquant la Caisse des dépôts qui sont prévus, certes d’une manière exceptionnelle, par l’ACOSS pour faire face à ses besoins. Cela ne peut plus continuer.
Cela dit, les moyens proposés par le Gouvernement pour atteindre l’objectif fixé ne sont pas acceptables, car ils ne permettront pas d’apporter des réponses adaptées et équitables aux enjeux en cause.
Le premier enjeu, qui est de ne pas faire supporter aux générations futures la dette sociale, n’est pas satisfait puisque l’une des propositions fortes de ce projet de loi organique consiste à permettre une prolongation de quatre ans de la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale.
Même si le Gouvernement nous dit qu’il s’agit là d’une dérogation tout à fait exceptionnelle, rien ne nous incline à croire que d’autres dérogations, tout aussi exceptionnelles, ne nous seront pas présentées dans l’avenir, que ce soit pour reprendre une nouvelle dette de crise ou, l’habitude étant prise, pour faire face à tout autre type de dette.
Le Gouvernement voudrait nous faire croire que cette prolongation est techniquement la seule solution possible. Nous ne sommes pas dupes : cette proposition, sous son apparence technique, masque en réalité une approche très politique, voire idéologique, à savoir préserver le dogme défendu par le Président de la République de ne pas recourir à la fiscalité.
Rappelons pour mémoire que, lors de sa création en 1996, la CADES, établissement public érigé pour apurer la dette cumulée du régime de sécurité sociale à la fin de 1996, ne devait durer que jusqu’en 2009. Par la suite, d’autres missions lui ayant été confiées – d’autres dettes devant être apurées –, sa durée de vie fut prolongée jusqu’en 2021.
Aujourd’hui, le Gouvernement nous propose de persévérer dans cette fuite en avant et repousse à 2025 l’achèvement de la mission de la CADES. Nous refusons cette proposition, contraire à l’objectif visé.
Le deuxième enjeu touche à une « gestion temporelle » équitable des retraites entre les générations. Là aussi, l’approche du Gouvernement et la nôtre divergent fondamentalement. En effet, le Gouvernement propose de sacrifier la gestion raisonnée des retraites pour les générations à venir sur l’autel de l’urgence d’aujourd’hui que constitue la dette sociale.
Ainsi, il s’en prend au Fonds de réserve pour les retraites. Il nous invite à transférer les actifs de ce fonds à la CADES, ce qui n’ira pas sans poser des problèmes juridiques et opérationnels concernant leur gestion, et à mobiliser les ressources de ce fonds comme ressources nouvelles pour la CADES afin de couvrir la fraction de la dette sociale liée à la branche vieillesse, soit 10 milliards d’euros, mais aussi à anticiper sur les dettes à venir de cette branche pour un montant qu’il fixe globalement à 62 milliards d’euros.
Le Gouvernement justifie cette proposition par des arguments pour le moins spécieux que nous ne saurions accepter.
Ce faisant, monsieur le ministre, le Gouvernement dénature la mission du Fonds de réserve pour les retraites créé par Lionel Jospin pour répondre au défi des retraites à servir aux générations à venir.
Ce fonds n’est pas une « cagnotte » dans laquelle on puiserait à la première difficulté. Vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce fonds a pour mission de lisser le financement des retraites sur plusieurs générations. De manière condensée, on peut dire que le Fonds de réserve pour les retraites prélève sur les générations d’actifs 2000-2010 pour amortir les hausses de prélèvements sur les générations 2020-2040 par décaissements progressifs sur la période. Il faut absolument préserver cette mission.
Un comblement du besoin de financement actuel par un « siphonage » des réserves – déjà amoindries – de ce fonds constituerait une violation directe et grave de sa mission spécifique et une vraie injustice intergénérationnelle.
J’ajoute, en reprenant l’analyse du professeur Fabrice Lenseigne, maître de conférences à Sciences Po, qu’il s’agit d’une mauvaise gestion des ressources publiques, et ce pour plusieurs raisons. J’en retiendrai deux.
Premièrement, les rendements du FRR étant supérieurs aux taux auxquels l’État finance sa dette, nous liquiderions donc un capital qui rapporte plus que le coût du service de la dette pour financer une dette de fonctionnement.
Deuxièmement, le FRR participe au financement de l’économie réelle puisque son portefeuille est investi pour près de 50 % en actions.
Je rappelle enfin que la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat, que préside Alain Vasselle, s’est prononcée, 18 mai dernier, à l’unanimité, pour sa « sanctuarisation ». Ce fut aussi la position de la commission des affaires sociales.
Hélas, avec le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui, nous n’en prenons pas le chemin !
Le troisième enjeu est celui de l’action : la France ne peut pas s’offrir le luxe d’avoir, à côté du budget de l’État structurellement et lourdement déficitaire, un budget social qui serait lui-même lesté par une lourde dette, l’ensemble contribuant à hypothéquer dangereusement l’avenir de notre pays, ce que nous ne souhaitons pas.
Mes chers collègues, le champ des solutions possibles pour faire face à cette dette sociale existe. Aucun scénario ne s’impose absolument à nous, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire. Il nous faut effectivement dégager des ressources supplémentaires pour répondre aux obligations de notre génération vis-à-vis de sa dette sociale. Il en va de notre responsabilité, mais c’est aussi une question de choix de société.
La question est bien de savoir comment répartir équitablement entre nos concitoyens l’effort pour financer cette dette.
Il nous a été dit qu’il n’y avait pas de solution. Pour ma part, je vois trois pistes à privilégier avec des solutions dont l’articulation nous permettrait de ne pas être obligés de prolonger la durée de vie de la CADES au-delà de l’année 2021 ni à détourner le Fonds de réserve pour les retraites de sa mission vertueuse telle qu’elle a été définie lors de sa création.
Première piste : une intervention ajustée de l’État dans la reprise d’une partie de la dette sociale.
En effet, le choix avait été fait en 1996 de créer un établissement spécifique, la CADES, dans le but d’isoler le traitement de la dette sociale du reste de la dette publique afin de tenir compte de la particularité des dépenses sociales, qui sont effectivement, par nature, des dépenses courantes.
Ce choix faisait cependant l’impasse sur les situations de crise sévères qu’aurait pu rencontrer notre économie, telles que celles susceptibles d’entraîner une dégradation brutale de l’ensemble des paramètres financiers structurant l’économie ; or c’est ce que l’on observe pour la période 2008-2010, comme le confirme la Commission des comptes de la sécurité sociale, ou CCSS.
Celle-ci souligne en effet, dans son rapport du 9 juin 2010, que « le déficit du régime général, qui avait peu varié entre 2003 et 2008, s’établissant chaque année autour d’une dizaine de milliards d’euros, a doublé en 2009 pour atteindre 20,3 milliards d’euros. Cette très forte dégradation est due pour l’essentiel à l’impact de la récession sur les recettes », recettes sur lesquelles sont assis nos budgets sociaux, le déficit tendanciel estimé pour 2010 étant de près de 26,8 milliards d’euros.
Dans ces conditions, le Gouvernement, dans sa stratégie de remise à niveau des comptes publics, doit naturellement intégrer la prise en charge par l’État de la détérioration des comptes sociaux pour la période considérée – 2008-2011 –, c’est-à-dire la reprise directe par celui-ci d’une partie de la dette sociale.
La première possibilité serait d’y procéder par l’intermédiaire de la fiscalité, fiscalité que nous souhaiterions plus juste et plus solidaire.
À cette fin on pourrait par exemple revenir sur la défense acharnée du bouclier fiscal, qui à force d’entêtement présidentiel est passé du statut de dogme à celui de « fétiche ». L’enjeu est de 800 millions d’euros par an, dont on pourrait récupérer le quart pour l’apurement de la dette sociale, ce qui permettrait une reprise de 2 milliards d’euros de dette.
On pourrait également revenir en partie sur le cadeau fait aux restaurateurs depuis le 1er juillet 2009 : en faisant passer la TVA de 19,6 % à 5,5 %, le Gouvernement a privé les finances publiques de 3 milliards d’euros de recettes par an alors que les contreparties annoncées – baisse des prix, créations d’emplois, amélioration de la situation des salariés – ne sont pas à la hauteur des attentes.