M. François Pillet, rapporteur. Mais non, ma chère collègue ! Le juge a la possibilité de prendre, dès qu’il est saisi, des mesures, et même, vu la manière dont le texte a été rédigé, d’ordonner des mesures d’instruction, comme une enquête sociale, sur lesquelles il pourra par la suite revenir.
Encore une fois, le texte ne doit supporter aucune critique au regard du principe fondamental qu’est le droit à un procès équitable.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur l'amendement n° 45. J’en suis convaincu, le texte tel qu’il a été amélioré par la commission permettra au juge, qui disposera d’éléments sérieux, d’intervenir immédiatement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, qui ne me semble absolument pas adapté en l’espèce. Il pourrait, par ailleurs, être déclaré non conforme à la Constitution.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 61, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Après les mots :
s'il estime
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
que des éléments sérieux produits devant lui et contradictoirement débattus rendent vraisemblables la commission des faits de violences alléguées et le danger auquel la victime est exposée.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Cet amendement a pour objet de préciser les conditions dans lesquelles le juge pourra rendre une ordonnance de protection. Pour protéger efficacement les victimes, il est important d’éviter toute confusion entre le rôle du juge pénal et celui du juge aux affaires familiales, qui intervient en matière civile.
Or, l’alinéa 7 tel qu’il est rédigé utilise la terminologie empruntée au code de procédure pénale pour le placement en garde à vue, en faisant référence aux raisons sérieuses de soupçonner la commission de faits pour définir les critères sur lesquels le juge aux affaires familiales doit se prononcer.
Cet emprunt, qui ne me semble pas indispensable, pourrait être source de confusion. Le rapport d’information de la délégation aux droits des femmes a fort justement souligné qu’il était nécessaire, non seulement pour les justiciables, mais également pour les praticiens, que le droit et les procédures soient lisibles. La commission proposant maintenant un amendement qui répond à ces observations, je retire le présent amendement.
M. le président. L'amendement n° 61 est retiré.
L'amendement n° 64, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Remplacer le mot :
soupçonner
par les mots :
considérer comme vraisemblables
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Le retrait de l’amendement du Gouvernement s’explique par la modification du texte qui nous a été suggérée par notre collègue François-Noël Buffet. Nous avons remplacé le terme « soupçonner », qui a une légère connotation pénale, par l’expression « considérer comme vraisemblables », qui semble avoir recueilli l’unanimité lors des débats en commission.
M. le président. Je présume que le Gouvernement est favorable à cet amendement, madame la secrétaire d'État...
M. le président. L'amendement n° 46, présenté par Mmes Terrade, Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat, Schurch et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 7, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
L'ordonnance de protection atteste la situation de danger subie par la partie demanderesse.
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Cet amendement vise à donner à l’ordonnance de protection une force probante en lui permettant d’attester la situation de danger subie par la femme victime.
Il ne s’agit pas de présager l’issue du litige au fond. Nous en avons bien conscience, l’ordonnance de protection est une décision provisoire, qui n’a pour objet que de stabiliser la situation juridique d’une femme victime exposée à des violences.
Nous avons également pris acte de la vaste palette de mesures qui peuvent être adoptées par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l’ordonnance de protection.
Cependant, malgré l’ampleur de son champ d’intervention, le juge aux affaires familiales ne sera pas le seul interlocuteur d’une femme victime de violences. Avant d’obtenir un jugement au fond, cette dernière pourra avoir besoin de bénéficier d’un revenu de solidarité active, d’un logement social ou de faire renouveler son titre de séjour. Dans chacune de ces hypothèses, il lui faudra prouver la situation particulière dans laquelle elle se trouve. Or la femme victime de violences est souvent dans une situation de grande détresse et de grand dénuement.
En conséquence, il paraît opportun de permettre à l’ordonnance de protection de jouer le rôle d’un « commencement de preuve » en lui permettant d’attester la situation de danger dans laquelle se trouve la femme victime.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Le texte a déjà été modifié sur ce point par la commission puisque nous avons supprimé le verbe « attester ». Dans la mesure où l’ordonnance de protection est rendue à titre temporaire, au terme d’une procédure qui ne présente pas les mêmes garanties qu’une procédure pénale, elle ne peut attester les faits allégués ni le danger auquel la victime serait exposée. Il faut éviter que la délivrance d’une ordonnance de protection ne devienne un enjeu de preuve dans une procédure civile ou pénale.
Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que l’ordonnance de protection atteste des violences ou un danger pour qu’elle produise tous ses effets de droit puisque ces derniers dépendent uniquement du fait qu’elle ait été ou non délivrée par le juge.
Telles sont les raisons pour lesquelles j’émets un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’analyse de la commission : avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 41 rectifié, présenté par Mmes Dini, Bout et Henneron, MM. Laménie et Milon, Mme Payet et MM. Vanlerenberghe et Gournac, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 10, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
La jouissance de ce logement est attribuée au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences, sauf refus de sa part ou en cas de circonstances particulières.
II. - Alinéa 11
Après le mot :
violences
insérer les mots :
, sauf refus de sa part,
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Lorsque le juge aux affaires familiales a délivré une ordonnance de protection, il est compétent pour statuer sur la résidence des époux.
Aux termes du texte proposé pour le 3° de l’article 515-11 du code civil, le juge aux affaires familiales attribue la jouissance du logement du couple au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences. Le 3° bis prévoit le même dispositif au profit du partenaire de PACS ou du concubin.
Cette disposition, louable dans ses intentions, ne prend pas en compte le fait que, dans certains cas, la victime ne souhaite pas rester dans un lieu connu de son partenaire ou qui lui rappelle de très mauvais souvenirs.
Le présent amendement vise donc à préciser que l'attribution du logement du couple à la victime reste automatique, à moins que celle-ci ne s'y oppose. Une telle disposition conduira le juge à lui poser expressément la question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Nous sommes totalement d’accord, madame Dini : il faut éviter que la victime ne se voie attribuer le domicile par le juge alors qu’elle ne souhaiterait pas y demeurer.
Cela étant, l’alinéa 10 envisage déjà expressément le cas où des circonstances particulières justifient de ne pas accorder la jouissance du logement à celui qui n’est pas l’auteur des violences. De plus, selon un principe de droit, le juge ne peut statuer ultra petita : si la victime ne sollicite pas l’attribution du logement, le juge ne peut le lui accorder.
Je pense donc que, tant au regard des principes du droit que compte tenu de la rédaction actuelle de l’alinéa 10, votre amendement est satisfait et je vous invite à le retirer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’analyse de la commission : avis défavorable.
Mme Muguette Dini. Je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 41 rectifié est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 47, présenté par Mmes Terrade, Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat, Schurch et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 7° Avec l'accord de l'intéressée, désigner une personne morale habilitée qui sera chargée d'assurer l'accompagnement de la partie demanderesse pendant toute la durée de l'ordonnance de protection.
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Cet amendement a pour objet de rétablir le texte dans la version adoptée par l’Assemblée nationale dans la mesure où celle-ci est plus protectrice des droits de la victime.
Certes, la femme victime de violences peut recevoir le soutien bénévole d’une association sans que ce soutien ait été formellement décidé par le juge. Cependant, la femme victime est souvent désorientée et fragilisée. Elle peut donc avoir un impérieux besoin de soutien pour entreprendre des démarches juridiques complexes durant les quatre mois de validité de l’ordonnance de protection.
Lui présenter une liste d’associations qualifiées susceptibles de l’accompagner dans ses démarches ne suffira pas : la femme victime de violences aura besoin d’être prise en charge par une association unique désignée par le juge, avec son accord : elle pourra dès lors disposer d’un cadre rassurant, d’un interlocuteur privilégié et spécialisé, apte à l’accompagner tout au long de la procédure judiciaire et de l’assister dans ses démarches administratives et sociales.
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Chevènement et Collin, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Plancade, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Après les mots :
personnes morales qualifiées
insérer les mots :
conventionnées avec le ministère de la justice
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. La victime de violences doit bénéficier d'une prise en charge globale par des équipes pluridisciplinaires, en partenariat avec les divers professionnels des secteurs public et privé, notamment pendant les audiences.
Les associations généralistes d'aide aux victimes ayant fait l'objet d'un conventionnement par les chefs de cours d'appel offrent une garantie de sérieux pour la victime durant son parcours judiciaire.
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut, avec son accord, transmettre à la personne morale qualifiée les coordonnées de la partie demanderesse, afin qu'elle la contacte.
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoyait que le juge pouvait désigner une personne morale habilitée chargée d’accompagner la victime, bien entendu avec son accord.
La commission des lois du Sénat ayant considéré que, dans l’intérêt de la victime, recevoir cette aide bénévole d’une association ne nécessitait pas obligatoirement une habilitation judiciaire, elle a prévu la présentation à la victime d’une simple liste d’associations pouvant la soutenir.
Plusieurs expériences, notamment celle du parquet de Versailles, montrent que l’accompagnement des victimes par les associations est primordial. Or la victime n’a pas toujours l’énergie nécessaire pour se tourner vers elles. Nous proposons donc de renforcer le dispositif d’aide aux victimes en permettant aux associations, avec l’accord de la victime, d’entrer elles-mêmes en relation avec celle-ci.
Si l’on devait nous répondre qu’une telle mesure ne relève pas du domaine législatif, nous souhaiterions que le Gouvernement prenne l’engagement de la faire figurer dans le décret.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Nous sommes unanimes pour saluer le travail remarquable et essentiel des associations dans ce domaine. Toutefois, si l’on veut qu’elles puissent l’accomplir, encore faut-il ne pas leur confier des responsabilités qui dépassent le cadre de leur action.
La désignation, avec l’accord de la victime, d’une personne morale habilitée, chargée d’assurer son accompagnement pendant toute la durée d’application de l’ordonnance de protection, comme le préconise l’amendement n° 47, n’apparaît pas opportune. En effet, on risquerait alors de conférer à l’association ainsi mandatée par la victime le rôle de partie, ce qui compliquerait considérablement la procédure. En outre, ce ne serait pas servir les associations que de leur attribuer un tel rôle. Ce qu’il faut en revanche souligner, notamment auprès des victimes, c’est leur rôle d’accompagnement.
Par ailleurs, la mesure préconisée paraît calquée sur celles qui sont applicables en matière de protection juridique des majeurs incapables ou d’assistance éducative, et cela n’est pas souhaitable.
Et puis qu’adviendra-il lorsque, en cours de procédure, la victime désirera changer d’association en raison d’un désaccord avec la méthode de défense choisie ou la présentation de son cas ?
Je le répète, un tel dispositif compliquerait la situation et ferait jouer aux associations un rôle qui n’est pas le leur, et dans lequel elles n’excelleront d’ailleurs pas forcément. Voilà pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 47.
L’amendement n° 7 rectifié, qui vise à réserver aux seules associations qualifiées conventionnées avec le ministère de la justice l’accompagnement des victimes bénéficiant d’une ordonnance de protection, a également reçu un avis défavorable.
À l’évidence, l’ajout de la condition de conventionnement à celle de qualification réduira le nombre d’associations susceptibles d’intervenir. L’effet risque donc d’être à l’opposé de celui qui est recherché. En outre, il semble que la référence au conventionnement relève plutôt du domaine réglementaire.
Concernant l’amendement n° 14, je rappelle que la commission a préféré retenir le principe d’une présentation à la victime de l’ensemble des associations qualifiées auxquelles elle est susceptible de s’adresser, ce qui laisse l’intéressé libre de son choix. À mon avis, c’est dans les modalités de prise de contact, avec l’offre faite à la victime de rencontrer une association, que nous pouvons renforcer le système. Cependant, une telle mesure relevant du décret, voire de la circulaire, la commission aimerait recueillir les explications du Gouvernement, qui nous rassureront peut-être, avant de se prononcer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage en tout point l’analyse de la commission, et j’émets donc un avis défavorable sur les trois amendements.
J’ajoute simplement que l’accompagnement ne sera vraiment efficace que s’il repose sur une adhésion volontaire de la victime. À cet égard, la prise de contact est souvent déterminante.
Le ministère de la justice sensibilise les magistrats à l’importance de l’accompagnement de la victime par des associations, conventionnées ou non, lesquelles deviennent en quelque sorte des partenaires de la justice.
M. le président. Quel est, finalement, l’avis de la commission sur l’amendement n° 14 ?
M. François Pillet, rapporteur. Défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur l'amendement n° 47.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je tiens à insister, car le texte auquel vise à revenir l’amendement de notre groupe a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Le Gouvernement a donc, à ce moment-là, je le suppose, approuvé le dispositif que la commission des lois du Sénat entend supprimer.
Il est anormal aujourd’hui d’être en deçà du texte initial, car, on le sait bien, le problème de l’accompagnement est très important. Bien entendu, il ne s’agit pas de l’imposer, et l’accord de l’intéressée sera requis, mais il faut s’assurer que la victime pourra se faire aider par une association.
Mme Mireille Schurch. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote sur l'amendement n° 14.
Mme Muguette Dini. Je voterai cet amendement : ne pas le faire, ce serait vraiment ignorer la fragilité des femmes qui sont victimes de violence.
Je peux vous assurer, mes chers collègues, que ce n’est pas la même chose de transmettre à la personne morale qualifiée les coordonnées de la victime, bien entendu avec son accord, ou une liste à celle-ci. Si cet amendement est adopté, contact sera à coup sûr pris avec la victime, alors qu’elle-même n’est pas toujours en mesure d’entreprendre la démarche.
M. le président. L'amendement n° 30, présenté par MM. Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher, Lise, Tuheiava et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 16
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ...° Statuer le cas échéant sur la perception et l'administration temporaire, par la personne morale habilitée, des allocations familiales versées pour l'éducation des enfants ».
La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette.
M. Jean-Etienne Antoinette. Dans le droit en vigueur, c’est l’allocataire en titre qui est l’attributaire des allocations familiales. En cas de retrait total de l’autorité parentale de l’allocataire, les prestations sont versées à son conjoint ou à son concubin. En outre, lorsque les prestations ne sont pas employées dans l’intérêt de l’enfant, le juge des enfants ou le juge des tutelles peut décider qu’elles seront versées à une personne physique ou morale qualifiée, appelée « tutelle aux prestations familiales » ou, depuis peu, « aide à la gestion des budgets des familles ».
Il me paraîtrait judicieux que le juge aux affaires familiales ait à statuer sur le versement des allocations familiales à une personne morale qualifiée dans le contexte d’une ordonnance de protection lorsque la situation administrative ou économique de la victime ne permet pas de lui attribuer directement ces allocations.
En effet, les associations font souvent état de la dépendance financière à l’égard de leur conjoint des femmes victimes de violence, dans un contexte d’emprise, situation encore plus critique lorsqu’il s’agit d’une femme étrangère pour laquelle la procédure de regroupement familial n’a pas été demandée par le conjoint ou est en cours. Dans ce cas, seul le conjoint ou le compagnon possédant une carte de séjour en cours de validité est allocataire de la caisse d’allocations familiales, ce qui maintient la mère en situation de dépendance.
Précisons ici que le juge aux affaires familiales est certes juge des tutelles pour les mineurs, mais en principe pas pour les majeurs, alors que les enfants ouvrent droit aux allocations familiales jusqu’à vingt ans. Par ailleurs, la tutelle aux prestations familiales n’est en principe décidée que si l’allocataire n’emploie pas ces allocations dans l’intérêt de l’enfant et qu’elles sont détournées pour un autre usage.
Dans le contexte de l’ordonnance de protection, ces éléments ne sont pas forcément en cause. C’est principalement le statut d’étrangère en situation irrégulière de la victime qui ne lui permet pas d’être elle-même l’allocataire, ou encore le fait de n’avoir aucune ressource personnelle et de ne pas disposer de compte en banque. Dans ce cas, les enfants peuvent ne pas avoir de difficultés financières tant que la mère reste dans son foyer, et un juge pourrait ne pas examiner la question particulière des allocations familiales, qui est normalement gérée directement entre les parents et la caisse d’allocations familiales.
Il serait intéressant d’inscrire cette disposition dans le présent texte parce que, dans le cadre de l’ordonnance de protection, avant engagement de toute autre procédure, le juge aux affaires familiales aura à soulever cette question et pourra statuer sans contestation possible pour la remise des prestations soit à la victime, soit à la personne morale qualifiée qui l’accompagne. Par ailleurs, la décision pourra être rendue pour les enfants mineurs comme pour les ayants droit majeurs, même quand ni la gestion des allocations par l’allocataire en titre ni la situation budgétaire du foyer ne sont en cause.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Etienne Antoinette. Enfin, cette disposition donne également aux femmes, notamment aux mères étrangères en séjour irrégulier, un signal fort quant à la possibilité de sortir de la dépendance du conjoint ou de l’autre parent dès lors qu’elles peuvent être accompagnées par une personne morale qualifiée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Je voudrais définitivement vous rassurer sur ce point, monsieur Antoinette.
Dans le cadre de l’ordonnance de protection, le juge aux affaires familiales peut statuer sur la contribution aux charges du ménage. Il a déjà parfaitement la possibilité d’indiquer que c’est tel ou tel des parents qui percevra les allocations familiales quand bien même elles interviendraient du chef d’un autre.
Je peux d’ailleurs vous dire par expérience que cette phrase figure dans les trames des juges aux affaires familiales et que, d’ores et déjà, même en l’absence de violences, chaque fois qu’un juge fixe la résidence chez l’un des parents, il indique systématiquement que celui-ci percevra les allocations familiales.
Il n’y a donc aucune difficulté sur ce point : vous êtes déjà satisfait par le droit actuel, par le texte de la proposition de loi, qui fait référence aux contributions du ménage, et par la pratique courante des juges.
Enfin, imaginons, par exemple, qu’aucun des parents ne soit en mesure de gérer les allocations familiales : eh bien, d’autres mécanismes existent, comme les tutelles aux prestations sociales, ou encore le mécanisme du délégué aux prestations familiales prévu par l’article 375-9-1 du code civil.
C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, qui lui paraît inutile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement et souscrit pleinement aux explications de M. le rapporteur.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 15, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 17, deuxième phrase
Compléter cette phrase par les mots :
ou si des procédures civiles et pénales liées aux violences sont en cours
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. La proposition de loi prévoit que les mesures prises dans le cadre de l’ordonnance de protection le sont pour une période de quatre mois. Le texte précise toutefois que ces mesures peuvent être prolongées au-delà si, durant ce délai, une requête en divorce ou en séparation de corps a été déposée.
Or l’ordonnance de protection ne concerne pas uniquement les personnes mariées ; elle peut également concerner des couples vivant en concubinage ou des personnes pacsées, des ex-conjoints, ex-concubins ou ex-pacsés. Une procédure de rupture de pacte civil de solidarité peut être en cours ; le juge aux affaires familiales, dans le cas d’une séparation de concubins ou de pacsés, a pu être saisi par l’un des parents afin d’organiser définitivement les modalités d’exercice de l’autorité parentale et de fixer la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Une procédure pénale a pu également être mise en œuvre.
Il nous paraît tout à fait discriminatoire de ne permettre une éventuelle prolongation des mesures que dans le cas où une demande en divorce ou en séparation de corps serait en cours. Il est essentiel que les effets de l’ordonnance de protection puissent se poursuivre durant toutes les procédures, qu’elles soient civiles ou pénales.
M. le président. L'amendement n° 31, présenté par MM. Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher, Lise, Tuheiava et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 17, après la deuxième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Elles peuvent être également prolongées jusqu'au procès lorsqu'une procédure pénale est engagée à l'encontre de l'auteur des violences.
La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette.
M. Jean-Etienne Antoinette. Là encore, il s’agit de tenir compte de la vie réelle, de la longueur des procédures, de la fragilité et, souvent, de la précarité de la victime.
Il faut donner au juge la possibilité de prolonger l’ordonnance de protection, le cas échéant jusqu’au procès, lorsque les mesures parallèles prennent du temps, que la situation de danger se maintient ou qu’il y a un risque de représailles une fois la mesure de protection levée.
Cette possibilité donne de plus à la victime le temps de stabiliser et de sécuriser sa situation administrative, ainsi que sa situation sur le plan du logement et de l’emploi. À défaut, l’ordonnance de protection restera inefficace.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 15 vise à prévoir la prolongation de l’ordonnance de protection pour toute la durée des instances civiles ou pénales relatives aux faits de violence.
À mon sens, il procède d’une légère confusion sur le véritable rôle de l’ordonnance de protection : celle-ci n’a pour objet de garantir la protection de la victime que le temps nécessaire pour elle de se séparer de l’auteur des violences et, éventuellement, d’engager les poursuites pénales qui s’imposent.
À cette fin, l’ordonnance de protection organise temporairement, sur le plan civil, la séparation du couple ; elle prévoit, le cas échéant, des interdictions de rencontre avec l’auteur des violences.
Aussi, en dehors d’une instance de divorce ou en séparation de corps, la prolongation de l’ordonnance de protection au-delà du délai de quatre mois ne se justifie pas puisque, dès la séparation des pacsés ou des concubins, c’est le juge civil classique qui intervient et qui a tous les pouvoirs que nous souhaitons. Au plan civil, nous sommes donc garantis.
Dans le cas d’une procédure pénale, le juge pénal devient immédiatement compétent et prend le relais ; il dispose alors de pouvoirs infiniment plus importants que le juge civil.
C’est la raison pour laquelle la mesure que vous préconisez, monsieur Courteau, aurait l’effet inverse de celui que nous recherchons. Elle pourrait même se retourner contre la victime, qui a intérêt à aller au-delà de l’ordonnance de protection, à déposer plainte et à saisir le juge aux affaires familiales en vue d’autres mesures.
Ne créons pas de confusion ! Pour que l’ordonnance de protection ait une force pertinente, provisoirement « atomique », en quelque sorte, ne modifions pas les termes qui l’organisent, car nous perdrions l’efficacité des autres procédures existantes, qui sont beaucoup plus puissantes.
Sous le bénéfice de ces observations, qui valent également pour l’amendement défendu par M. Antoinette, je souhaiterais le retrait de ces deux amendements.