Article 1er
I. – Le livre Ier du code civil est complété par un titre XIV ainsi rédigé :
« Titre XIV
« Des mesures de protection des victimes de violences
« Art. 515-9. – Lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection.
« Art. 515-10. – L’ordonnance de protection est délivrée par le juge, saisi par la personne en danger, si besoin assistée, ou, avec l’accord de celle-ci, par le ministère public.
« Dès la réception de la demande d’ordonnance de protection, le juge convoque, par tous moyens adaptés, pour une audition, la partie demanderesse et la partie défenderesse, assistées, le cas échéant, d’un avocat, ainsi que le ministère public. Ces auditions peuvent avoir lieu séparément. Elles peuvent se tenir en chambre du conseil.
« Art. 515-11. – L’ordonnance de protection est délivrée par le juge aux affaires familiales, s’il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime est exposée. À l’occasion de sa délivrance, le juge aux affaires familiales est compétent pour :
« 1° Interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge aux affaires familiales, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;
« 2° Interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme et, le cas échéant, lui ordonner de remettre au greffe contre récépissé les armes dont elle est détentrice ;
« 3° Statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal et sur les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement. Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences ;
« 3° bis Attribuer la jouissance du logement ou de la résidence du couple au partenaire ou au concubin qui n’est pas l’auteur des violences et préciser les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement ;
« 3° ter Se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et, le cas échéant, sur la contribution aux charges du mariage pour les couples mariés, sur l’aide matérielle au sens de l’article 515-4 pour les partenaires d’un pacte civil de solidarité et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ;
« 4° (Suppression maintenue)
« 5° Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile chez l’avocat qui l’assiste ou la représente ou auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance pour toutes les instances civiles dans lesquelles elle est également partie. Si, pour les besoins de l’exécution d’une décision de justice, l’huissier chargé de cette exécution doit avoir connaissance de l’adresse de cette personne, celle-ci lui est communiquée, sans qu’il puisse la révéler à son mandant ;
« 6° Prononcer l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle de la partie demanderesse en application du premier alinéa de l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
« Le cas échéant, le juge présente à la partie demanderesse une liste des personnes morales qualifiées susceptibles de l’accompagner pendant toute la durée de l’ordonnance de protection.
« Art. 515-12. – Les mesures mentionnées à l’article 515-11 sont prises pour une durée maximale de quatre mois. Elles peuvent être prolongées au-delà si, durant ce délai, une requête en divorce ou en séparation de corps a été déposée. Le juge aux affaires familiales peut, à tout moment, à la demande du ministère public ou de l’une ou l’autre des parties, ou après avoir fait procéder à toute mesure d’instruction utile, et après avoir invité chacune d’entre elles à s’exprimer, supprimer ou modifier tout ou partie des mesures énoncées dans l’ordonnance de protection, en décider de nouvelles, accorder à la personne défenderesse une dispense temporaire d’observer certaines des obligations qui lui ont été imposées ou rapporter l’ordonnance de protection.
« Art. 515-13. – Une ordonnance de protection peut également être délivrée par le juge à la personne majeure menacée de mariage forcé, dans les conditions fixées à l’article 515-10.
« Le juge est compétent pour prendre les mesures mentionnées aux 1°, 2°, 5° et 6° de l’article 515-11. Il peut également ordonner, à sa demande, l’interdiction temporaire de sortie du territoire de la personne menacée. Cette interdiction de sortie du territoire est inscrite au fichier des personnes recherchées par le procureur de la République. L’article 515-12 est applicable aux mesures prises sur le fondement du présent article. »
II. – (Non modifié) Le même code est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa de l’article 220-1 est supprimé ;
2° Au dernier alinéa de l’article 220-1, le mot : « autres » est supprimé ;
3° À la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 257, après la référence : « 220-1 », sont insérés les mots : « et du titre XIV du présent livre ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette, sur l'article.
M. Jean-Etienne Antoinette. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, si l'examen de ce texte est à mes yeux, d’une manière générale, l’un de ces moments qui redonnent espoir et confiance en la justice, son article 1er introduit dans notre droit une novation majeure, qui mérite d’être saluée.
Il crée en effet un nouvel outil pour la protection en urgence de la victime de violences au sein du couple, à savoir l’ordonnance de protection ; les mesures prévues s’apparentent à une démarche globale d’accompagnement de la victime.
Cet accompagnement est nécessaire pour assurer non seulement la sécurisation personnelle de la victime, mais également son autonomisation, éventuellement son intégration sociale et la reprise en main de sa vie dans toutes ses composantes.
C’est pourquoi, eu égard à l’intérêt même de ce nouveau dispositif, je me permets ici d’exprimer un regret et une préoccupation.
Je regrette d’abord que la proposition de loi soit passée au filtre de l’article 40 de la Constitution, conduisant même ses auteurs et les signataires des amendements à s’autocensurer dès lors qu’il s’agissait de formuler des propositions susceptibles d’apporter à la loi, une fois celle-ci votée, la garantie des moyens de son application.
S’agissant plus spécifiquement de l’ordonnance de protection, nous devons garder à l’esprit que, faute de rapidité dans l’exécution, faute d’accès parallèle au logement ou à l’emploi, faute de sécurité administrative pérenne sur le plan de la régularité du séjour sur notre territoire ou faute de possibilité d’organiser sa mobilité géographique, le cas échéant, pour se soustraire à la proximité d’avec l’auteur des violences, les bénéficiaires les plus vulnérables de l’ordonnance de protection auront tôt fait de se retrouver à la case départ.
Pis, les victimes ont actuellement tendance à rebasculer dans leur situation antérieure, avec le risque de subir des violences encore plus graves, et ce au grand désespoir des associations qui, pour l’heure, doivent elles aussi faire trop souvent face à cette réalité.
J’espère vivement que la prochaine loi de finances tiendra compte des dispositions prévues dans ce texte. Il importe non seulement de prévoir le financement des associations venant en aides aux victimes de violences, mais également d’inscrire les crédits suffisants pour augmenter les places d’accueil dans les structures d’hébergement d’urgence ou temporaire, ainsi que les moyens des institutions chargées de la protection des victimes, ceux des tribunaux, voire des préfectures, qui auront à traiter les nouveaux dossiers relevant d’une ordonnance de protection.
Pour l’heure, j’ai déposé des amendements propres à faciliter ce parcours vers l’autonomie de la personne victime de violences au sein du couple, sans oublier ces victimes collatérales que sont les enfants.
Ma préoccupation, c’est que toutes les autorités publiques, notamment dans les commissariats, gendarmeries et préfectures « s’approprient » véritablement cet article 1er et qu’elles en respectent à la fois la lettre et l’esprit, afin que plus jamais une femme, quelle qu’elle soit, qui souhaite porter plainte pour violences ou harcèlement ne soit incitée à déposer une simple main courante ou, pis encore, entraînée dans l’engrenage d’une reconduite à la frontière.
Au-delà de l’outil de protection qu’il offre aux victimes, cet article doit être un pas de plus vers le respect des droits de toute personne, femme ou homme, de quelque origine qu’elle soit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens d’abord à dire que je partage le souhait qu’a exprimé le président Hyest de voir le Sénat achever ce soir l’examen de ce texte.
Qu’il me soit néanmoins permis de formuler, au moment où nous entamons l’examen des articles, un certain nombre de remarques.
Voilà quatre ans, nous avons légiféré pour tenter de lutter contre les violences faites aux femmes, mais la loi de 2006 – je l’avais, ainsi que d’autres, souligné à l’époque – a surtout pris en compte le volet répressif de cette lutte. De ce fait, nous n’avons pu agir de manière efficace sur la prise en charge et la protection des femmes victimes de violences, ni renforcer réellement la prévention en la matière, alors qu’il s’agit d’éléments clefs pour empêcher le plus possible que ces violences soient commises.
Ainsi, quatre ans après le vote de cette loi de 2006, nous sommes encore loin d’avoir atteint nos objectifs. Le bilan est lourd et les chiffres sont éloquents, en ce qui concerne tant le nombre de morts que la fréquence des cas de maltraitance ; et l’on estime encore aujourd’hui à 8 % seulement la proportion de victimes qui osent porter plainte.
Tout cela atteste la prégnance de la domination masculine dans la société et dans les mentalités. On peut même constater une dégradation récente de la situation au regard du respect de la mixité, notamment dans la jeunesse.
Voilà donc un phénomène de société qui soulève de fortes interrogations. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le Gouvernement ait décidé de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une grande cause nationale en 2010.
Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale, laquelle l’a voté à l’unanimité, est le fruit d’un long travail des associations féministes, mené à partir de leur expérience de terrain, et d’un dialogue avec des députés qui ont constitué une commission spéciale pour élaborer cette proposition de loi. Celle-ci est porteuse d’innovations qui sont autant d’avancées, parfois dérogatoires aux procédures en vigueur, afin, justement, de prendre en compte à la fois la spécificité et l’ampleur du phénomène que représentent les violences faites aux femmes dans notre société.
Pour notre part, nous croyons possible d’améliorer les dispositifs prévus et, surtout, de leur donner une réelle efficacité en mettant en place les moyens adéquats. Cela doit se traduire par un effort accru pour améliorer l’accueil des victimes, renforcer la prévention, développer la formation des personnels et l’éducation des jeunes.
Il serait donc pour le moins regrettable que notre assemblée en vienne à édulcorer un tant soit peu le texte, comme certaines des modifications apportées par la commission nous le donnent à penser. Sans entrer maintenant dans le détail, je dirai que nombre de points suscitent des interrogations, qu’il s’agisse de l’intitulé du texte, du rôle finalement dévolu aux associations, du poids de l’ordonnance de protection, de la portée de l’autorité parentale, de l’efficacité de la médiation pénale, réintroduite de façon « lourde ».
Nous nous opposerons à tout ce qui est de nature à banaliser les violences faites aux femmes, à nier la spécificité de ce phénomène de société si particulier, à assimiler finalement de telles violences à de simples conflits au sein des couples.
Je tenais à exprimer dès à présent notre refus de voter un texte qui resterait en deçà de ce qui a d’ores et déjà été voté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Odette Terrade. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann, sur l'article.
Mme Christiane Kammermann. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ayant entendu, hier, le poignant témoignage de Mme la présidente Muguette Dini, je souhaiterais à mon tour vous rapporter une histoire véridique sur ce sujet des violences morales ou psychologiques.
Elle est arrivée à une personne qui m’est proche. Je la nommerai Julie.
Julie, trente-huit ans, en instance de divorce, mère de deux enfants, rencontre un jour un homme de dix ans son aîné, aux allures de prince charmant, galant, bien éduqué, issu soi-disant d’une grande famille. Elle tombe éperdument amoureuse de ce Pierre, qui, très vite, s’installe chez elle. Deux mois à peine après le début de leur relation, Pierre devient ponctuellement, dans un premier temps, agressif, méprisant à l’égard de Julie, critiquant la maison qu’elle loue, l’éducation qu’elle donne à ses enfants, ses capacités professionnelles, son physique, ses amis, sa famille… Tout y passe !
Elle ne revient pas de cette attitude si soudaine, mais elle lui donne des excuses, encore et toujours des excuses : Julie est sous l’emprise de cet homme. Il se rend indispensable dans le quotidien de la jeune femme, qui perd son emploi, subit un divorce difficile et se trouve dans une situation financière de plus en plus critique.
Agent immobilier, elle décide de monter sa propre affaire. Pierre se propose de créer son site Internet et enregistre le nom de domaine du site en son nom propre, sans en prévenir Julie, qui n’a aucune connaissance en matière de droit de l’internet.
Julie se noie dans ses soucis professionnels et personnels. Pierre en profite pour lui plonger plus encore la tête sous l’eau, la traitant constamment d’incapable, l’isolant de sa famille et de ses amis, la renvoyant constamment à un pseudo-mal-être psychologique. Pierre vit aux frais de la jeune femme et refuse toute contribution au loyer ou taxes qu’elle paye. Il se livre à une véritable entreprise de démolition psychologique de cette jeune femme, pourtant très intelligente et très forte.
N’en pouvant plus et finissant par se rendre compte du danger que représente cet homme, elle ose le quitter un an et demi plus tard. Et là, c’est le déluge : harcèlement, méchancetés, menaces, notamment de fermeture de son agence, envois de textos malveillants à ses enfants, à ses amis…
Pierre lui fait valoir que, sans lui, elle n’est rien, qu’elle est malade psychologiquement, qu’elle est folle. Or Julie n’a jamais eu de problèmes psychologiques ; elle a été mariée pendant douze ans, sans la moindre vague. C’est une femme équilibrée, une mère très présente et aimante.
Il se livre à un piratage de tous ses comptes mails et Internet, saisit le site de son agence, inscrit son agence avec de fausses coordonnées sur un nombre incalculable de sites, usurpant son identité, faisant perdre à la jeune femme tout contact avec ses clients. Il fait en sorte qu’elle subisse un contrôle de l’URSSAF, rôde constamment autour de chez elle, la poursuit en voiture, la harcèle sans cesse, la menace au téléphone et par SMS, la diffame auprès de ses confrères, lui coupe son téléphone à la maison et la prive du moindre accès à une adresse électronique valide.
Julie, réellement terrorisée par cet homme, perd pied, ne parvient plus à travailler sereinement. De ce fait, elle perd de nombreux clients. Elle prend néanmoins le chemin de la gendarmerie, où elle portera plusieurs fois plainte pour harcèlement, piratage informatique, menaces, diffamation, appels malveillants, usurpation d’identité. Bien entendu, elle a suffisamment de preuves de ce qu’elle avance, avec les nombreuses traces écrites dont elle dispose.
Entre-temps, Julie a fait sa propre enquête et a retrouvé une des anciennes victimes de Pierre, Hélène, qui, elle aussi, avait porté plainte contre lui cinq ans plus tôt. Il avait notamment tenté, alors qu’elle était au volant de sa voiture, de la faire sortir de la route – il aurait pu la tuer ! –, avait crevé ses pneus à maintes reprises, avait porté des coups sur elle, rôdait autour de chez elle, où il s’introduisait sans scrupule.
Hélène, malgré des témoignages et des preuves, n’avait pas obtenu une reconnaissance de son statut de victime ni la culpabilité de Pierre et avait dû fuir à l’étranger pour être tranquille. Elle savait que Pierre recommencerait et décide donc de joindre son témoignage et sa plainte au dossier de Julie.
Ce n’est que cinq mois plus tard – cinq mois d’enfer pour Julie – que Pierre est convoqué en gendarmerie et placé pour quelques heures en garde à vue.
M. le président. Veuillez conclure, madame. Je suis désolé de devoir ainsi vous interrompre, mais il nous faut tenir les horaires.
Mme Christiane Kammermann. Dans ces conditions, monsieur le président, je m’arrête là. Mais croyez bien que je le regrette, car il y avait bien des choses à dire. Et si on les passe sous silence, on n’arrivera à rien !
M. le président. J’en suis navré, mais je ne fais que relayer la demande du président Hyest. En tout état de cause, une prise de parole sur un article ne doit pas excéder cinq minutes.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 59, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le juge organise l'audience au cours de laquelle les parties peuvent être entendues séparément.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité. L’alinéa 6 de l’article 1er est relatif aux modalités de convocation des parties dans le cadre d’une procédure civile, modalités qui relèvent normalement, je le signale, du domaine réglementaire.
Dans la rédaction qui vous est soumise, cet alinéa prévoit qu’il appartient au juge de convoquer les parties par tous moyens : il empêche donc une saisine du juge par voie d’assignation, en l’obligeant à recourir à la convocation par lettre recommandée avec avis de réception.
Si le Gouvernement partage le souci de permettre une saisine très rapide du juge pour délivrer l’ordonnance de protection, il estime que la rapidité ne doit pas nuire à la sécurité et à l’efficacité. Or, pour saisir le juge, seule l’assignation permet de garantir à la fois le respect de ces trois exigences.
Mme Kammermann a montré dans son intervention combien une procédure rapide était nécessaire. Avec une assignation en référé d’heure à heure, une audience peut se tenir dans les quarante-huit heures. J’ajoute que, si la victime n’est pas en mesure de faire l’avance des frais d’huissier, elle peut solliciter une aide auprès du bureau d’aide juridictionnelle. Une fois le dossier d’aide juridictionnelle déposé, l’huissier pourra délivrer une assignation le jour même.
L’assignation répond également aux exigences de sécurité et d’efficacité, car, même si l’huissier n’arrive pas à délivrer cette assignation au défendeur, l’audience pourra malgré tout se tenir à la date indiquée dans l’assignation.
La convocation par lettre recommandée n’offre pas les mêmes avantages : l’envoi d’un tel courrier imposera d’attendre l’expiration du délai de retrait, qui est de quinze jours, avant de pouvoir tenir l’audience. Au demeurant, si le défendeur ne retire pas la lettre recommandée, il faut recourir à une assignation. Beaucoup de temps aura donc été perdu, et ce au détriment de la victime des violences.
J’ai entendu qu’il était envisagé que cette convocation se fasse par officier de police judiciaire. Je le dis clairement, cette hypothèse n’est pas réaliste. Il importe d’éviter d’accroître les charges des forces de police en leur attribuant des tâches très « chronophages », qui ne sont pas en lien direct avec leurs compétences naturelles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite donc à adopter l’amendement déposé par le Gouvernement, qui répond au mieux aux préoccupations de célérité et d’efficacité, au service des femmes victimes de violences.
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Collin, Barbier et Plancade, Mme Escoffier et MM. Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
à l'issue de ces auditions, le juge statue sans délai sur la demande
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. L'objectif de l'ordonnance de protection est l'ouverture rapide de droits opposables au profit de la victime. Il est donc essentiel que la justice, saisie dans l'urgence, prenne sa décision dans les plus brefs délais, afin d’extraire la victime de la situation de violence dans laquelle elle se trouve. L'expérience espagnole montre bien que la brièveté du délai est déterminante pour garantir l'efficacité du mécanisme de l'ordonnance de protection.
Le code civil ne prévoyant justement aucun délai en cas de référé, quelle que soit la situation, cet amendement tend simplement à préciser que la décision du juge aux affaires familiales interviendra « sans délai ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, je souhaite tout d’abord répondre à Mme Kammermann.
Ma chère collègue, je ne voudrais pas que vous puissiez croire une seconde qu’il en est un seul ou une seule parmi nous aujourd'hui qui n’ait été sensible à votre intervention. Même si, en vertu des dispositions du règlement, vous n’avez pas pu achever votre propos, nous avons bien entendu les faits poignants que vous avez évoqués, et nous voulons y apporter rapidement des solutions. Chacun d’entre nous a eu connaissance de faits similaires, soit à titre personnel, soit, je l’évoquerai peut-être plus tard, à titre professionnel.
J’en viens aux amendements.
La commission a créé un dispositif totalement innovant, l’ordonnance de protection, qui n’existe ni en droit de la famille ni en procédure civile. Appliquer les techniques de convocation existantes en matière de procédure civile à la procédure de l’ordonnance de protection serait synonyme d’échec.
Nous avons à dessein retiré la notion de « partie assignée » précisément parce que l’assignation implique la fixation d’un délai. Il a été indiqué tout à l’heure qu’il pourrait être procédé par assignation à jour fixe ou par référé d’heure à heure. J’attire votre attention sur le fait que, du point de vue de la procédure, l’assignation échappera totalement aux personnes qui souhaitent se défendre elles-mêmes, alors que, avec le dispositif que nous avons prévu, il n’y a pas de monopole d’avocat.
En effet, il faut adresser une requête à fin d’assignation à un juge pour que celui-ci fixe, dans la journée, la date de l’audience, ce qui suppose de s’adresser à un huissier pour la délivrer. Aucun citoyen n’est en mesure de suivre cette procédure sans l’assistance d’un avocat : dès lors, l’objectif de rapidité et de facilité ne pourra être atteint.
C’est la raison pour laquelle, madame la secrétaire d'État, la commission est très attachée à l’efficacité de la saisine du juge. Au reste, le juge décide du système de convocation qui lui semble le mieux adapté en fonction des circonstances : il aura donc tout à fait la possibilité de demander à la partie demanderesse qu’elle procède à une assignation. J’ai, par conséquent, le regret d’émettre un avis défavorable sur votre amendement.
Madame Laborde, n’ayez crainte, le magistrat doit juger dans les plus brefs délais puisque nous sommes en matière de référé. Réaffirmer ce principe dans la loi n’apportera rien, car, par définition, en procédure civile, le juge des référés doit statuer promptement, quelquefois « sur le siège », c'est-à-dire immédiatement.
Votre amendement se comprend parfaitement sur le fond, mais je peux vous assurer que, en termes de procédure, il n’apporte rien. Par conséquent, je vous demande de le retirer ; à défaut, j’y serai défavorable.
Mme Françoise Laborde. Il s’agissait d’un amendement d’appel. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 59.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 45, présenté par Mmes Terrade, Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat, Schurch et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de besoin, le juge aux affaires familiales peut statuer par ordonnance sur requête.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’ordonnance sur requête est une décision non contradictoire, qui est, nous en avons bien conscience, dérogatoire par rapport à nos procédures. Mais elle est également une décision provisoire, qui permet la mise à l’écart temporaire du principe de la contradiction.
Mme Dini a fait état hier d’un cas très émouvant, particulièrement pertinent au regard de nos propositions, qui montre bien que les conjoints ou compagnons auteurs de violences font évidemment tout pour ne pas être entendus. Si nous ne sommes pas capables de mettre en place une ordonnance de protection sans procédure contradictoire, la victime sera moins incitée à entreprendre des démarches afin d’obtenir une protection rapide.
J’avais cru comprendre que le Gouvernement avait accepté le texte adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Il me semble assez malvenu, de la part du Gouvernement ou de quiconque, de nous soumettre aujourd’hui des amendements qui sont moins protecteurs que ce texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Madame Borvo Cohen-Seat, je comprends parfaitement l’intention qui vous anime. Pour autant, vous devez vous rendre compte que le dispositif de l’ordonnance de protection permet au juge de prendre des mesures extrêmement importantes, qui ne peuvent être envisagées en l’absence d’un débat contradictoire. Si nous admettions qu’il est possible, en l’espèce, de se passer du débat contradictoire, nous risquerions d’affaiblir considérablement notre dispositif, qui serait alors susceptible d’encourir la critique relative au procès non équitable.
Mme Odette Terrade. Pendant ce temps-là, la femme a le temps de mourir dix fois !