M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Panis.
Mme Jacqueline Panis. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis le début de ce débat, nous avons entendu bon nombre de propos et de témoignages qui nous ont tous profondément touchés et alertés. Nous connaissions le problème, certes, mais nous devons désormais, à l'occasion de ce débat, avancer et faire en sorte que la situation s’améliore enfin.
Selon l’Observatoire national de la délinquance, mis en place en 2003, une femme tous les deux jours et demi et un homme tous les quatorze jours meurent sous l’effet de la violence conjugale. Faits divers relatés par les uns, drames de société dénoncés par les autres…
Cette violence est plus insidieuse, diffuse et compliquée qu’il n’y paraît, en raison des publics qu’elle affecte, du partage des responsabilités qu’elle induit et des dégâts collatéraux qu’elle engendre.
C’est ainsi que les femmes victimes de violences conjugales physiques ou psychiques demeurent, pour la grande majorité d’entre elles, murées dans le silence, parfois jusqu’à l’irréparable.
En effet, malgré les services d’aide mis en place par l’État, par la collectivité ou par les associations, malgré les campagnes d’information dénonçant ces comportements délictueux, malgré l’indépendance financière conquise par les femmes grâce à leur accession aux activités professionnelles, moins d’un quart des cas de sévices sont déclarés, par crainte des représailles, par banalisation des faits, par honte ou par culpabilisation.
Toutefois, si l’essentiel des faits recensés sont perpétrés à l’intérieur du couple, nous ne pouvons faire l’impasse sur les situations, certes marginales, de violences familiales commises en dehors du couple, le père ou le grand frère imposant parfois ses règles à sa fille ou à sa petite sœur, sans ménagement. De même, les violences professionnelles, à connotation fréquemment sexuelle, ou le harcèlement d’anciens conjoints, qui sont souvent accompagnés d’insultes, sont tout aussi intolérables.
Nous ne pouvons pas non plus ne dénoncer que les seules violences physiques : les paroles ou comportements humiliants, les vexations ou l’isolement social sont autant de violences psychologiques destructrices, autant de moyens de contrôle et d’asservissement qui peuvent aller jusqu’à l’altération mentale de la victime. Plus difficile à cerner, la cruauté mentale doit être combattue et dénoncée avec autant de détermination.
Si l’alcool, la crise économique, le stress, peuvent fort opportunément expliquer, sinon justifier, ces faits, il faut surtout y voir une discrimination sexuelle issue du passé et de la tradition.
Mes chers collègues, ne nous voilons pas la face : nombreux sont encore ceux qui estiment que la force physique dont les a dotés la nature leur donne le droit d’imposer leur diktat au sexe faible, la force et la terreur étant les meilleurs moyens de prouver leur domination sur l’autre et de hiérarchiser leurs relations.
Toutefois, je veux aussi sonner l’alarme sur la situation des hommes victimes de leur conjointe.
M. Roland Courteau. Eh oui ! Cela arrive.
Mme Jacqueline Panis. En 2006, l’Observatoire national de la délinquance recensait trente-sept décès d’hommes tombés sous les coups de leur conjointe, même si, dans la majorité des cas, ils s’étaient eux-mêmes rendus coupables de violences sur celle-ci.
M. Roland Courteau. Cela arrive aussi !
Mme Jacqueline Panis. La vie conjugale n’est pas un rapport de force entre un dominant et un dominé !
Nous ne pouvons pas non plus dissocier de ces situations les tiers, victimes incidentes, au premier rang desquels se trouvent, bien évidemment, les enfants, témoins, parfois victimes, et, dans tous les cas, influencés, pour ne pas dire traumatisés, par le contexte et les pratiques familiales. N’oublions pas, en effet, que l’on reproduit ce que l’on a connu !
Or, force est de le constater, pour certains – ou certaines – quelques brutalités sont légitimes et ne tombent pas sous le coup de la loi, d’où la pérennisation de ces pratiques et leur occultation. Il faut rompre avec ces clichés !
Outre les cellules d’aide que j’ai évoquées précédemment, il faut, dès le plus jeune âge, instaurer une relation d’équité entre les enfants et faire comprendre aux victimes que, dans leur intérêt et dans celui de leur entourage, aucune expression de la violence n’est acceptable.
En parallèle à des mesures répressives, il y a, incontestablement, une mission pédagogique à mener, à l’endroit tant des auteurs de violence que de leurs victimes.
En effet, se taire, c’est se mettre en danger et exposer au péril son entourage. En formulant ces propos, je pense aux mères de famille, bien évidemment, mais aussi aux hommes, pour qui un tel aveu peut être ressenti comme une preuve de faiblesse inavouable.
Ainsi, je voudrais, avec ma collègue Michèle André, remercier M. le président du Sénat : lors des réunions de la délégation aux droits des femmes, nous avions évoqué ce texte, que nous attendions. Nous sommes donc très satisfaits qu’il ait été inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée et que nous soyons, ce soir, en train de travailler ensemble et de chercher des solutions pour éradiquer un fléau dénoncé par tous et toutes ici. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Organisation de la discussion
M. le président. Mes chers collègues, je devais en principe lever la séance peu avant minuit.
Toutefois, il me semble qu’il serait dommage de renvoyer à demain la réponse de Mme la secrétaire d'État. Je propose donc, si elle en est d’accord, que nous écoutions Mme Morano à la suite des interventions des orateurs inscrits dans la discussion générale, quitte à dépasser un peu l’heure initialement prévue. (Mme la secrétaire d'État acquiesce). Cette organisation de nos travaux serait plus cohérente et correspondrait mieux à la qualité de ce débat.
Il n'y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé
Discussion générale (suite)
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà cinq ans maintenant, notre assemblée modifiait l’article 212 du code civil pour y faire figurer, à propos du mariage, une notion fondamentale, celle du « respect entre époux ».
En effet, depuis la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, le premier article du chapitre du code civil intitulé « Des droits et devoirs respectifs des époux » dispose que : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Yannick Bodin. Ce qui nous paraît aujourd’hui une évidence est le fruit d’un amendement de notre collègue Robert Badinter et d’un travail de longue haleine de notre excellent et persévérant collègue Roland Courteau, auteur de la proposition de loi qui a conduit à la loi du 4 avril 2006.
Ce texte a permis de grandes avancées pour les femmes victimes de violences, ainsi qu’une prise de conscience de l’opinion publique et des professionnels en contact avec ces femmes, même si des insuffisances restent à dénoncer, Mme Dini en a cité quelques exemples.
Cette loi a également fortement contribué à la reconnaissance par l’opinion publique du calvaire vécu par les victimes de violences conjugales.
La loi de 2006 était une première étape. Elle constitue la pierre angulaire de la lutte contre les violences faites aux femmes dans notre pays. Il nous faut aujourd’hui passer à l’étape suivante, à la lumière de la pratique de ces cinq dernières années.
Notre travail doit porter tout à la fois sur les sanctions à l’égard des auteurs de violences, notamment de violences psychologiques, la prévention mais aussi la protection et l’aide aux victimes, chacun de ces trois domaines exigeant des améliorations.
Pour ma part, j’aimerais particulièrement insister sur la prévention et, surtout, sur la notion de respect entre hommes et femmes. Je l’évoquais il y a un instant, elle doit, selon moi, être inculquée dès le plus jeune âge.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Yannick Bodin. En effet, mon inquiétude grandit face au comportement de certains adolescents qui, parce qu’ils sont des garçons, sont méprisants, irrespectueux et parfois violents vis-à-vis des filles. Des actes criminels ont été commis. Et ce phénomène ne semble pas régresser. Un machisme affirmé s’exprime chez les jeunes, et pas uniquement dans certains quartiers. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
C’est pourtant dès le plus jeune âge qu’il faut inculquer les valeurs de respect de soi et des autres, en particulier de l’autre sexe, pour former des citoyens dignes de ce nom. Il est donc essentiel de consacrer du temps dans la classe, et à tous les âges, au respect mutuel entre filles et garçons et à la lutte contre les préjugés sexistes. Cela fait partie de l’enseignement des devoirs civiques, parmi lesquels figure le respect des autres. Le rôle de l’école est ici déterminant.
À cet égard, le texte aujourd’hui soumis à notre examen met en place des dispositifs fondamentaux. La proposition de loi faisait spécialement référence aux associations de défense des droits des femmes et promouvant l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est une bonne chose, non seulement parce que cela signifie enfin la reconnaissance officielle du travail qu’elles réalisent au plus près des familles, mais également parce que nous pourrons utiliser leurs compétences et leurs connaissances spécifiques pour travailler efficacement. Espérons que cela freinera le Gouvernement, qui coupe malheureusement toujours plus dans les crédits octroyés à ces associations.
Ce texte prévoyait une possibilité pour les établissements scolaires de faire justement appel à ces associations. Celle-ci existe pourtant déjà aujourd’hui dans les établissements scolaires les plus dynamiques. Il aurait fallu inciter plus fortement tous les établissements à utiliser cette ressource précieuse, en rendant systématiques les interventions de ces associations…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Yannick Bodin. … devant les élèves, dans les établissements scolaires et les centres d’apprentis.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Yannick Bodin. Cette impulsion doit venir du sommet de l’État, c’est évident. Il faut à la fois la globaliser et formaliser les diverses initiatives, tout en laissant libre cours aux actions locales. Il est temps que la prévention des violences conjugales prenne une autre dimension.
Toujours dans le cadre de l’école, la proposition de mon collègue Roland Courteau concernant la mise en place d’une séance d’information sur le respect mutuel et l’égalité entre les sexes, et cela dès le plus jeune âge, est primordiale. Cette mesure doit être mise en place et faire l’objet d’un véritable programme élaboré par le ministère de l’éducation nationale. Cela devrait avoir lieu dès l’école maternelle et l’école primaire. Cette sensibilisation et cette formation doivent également être effectuées au cours de la formation professionnelle initiale des enseignants et à l’occasion de leur formation continue.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous pouvons aujourd’hui faire en sorte que la violence soit marginalisée par la société, qu’elle soit mieux réprimée, que les victimes soient mieux reconnues et prises en charge, et que nos enfants aient conscience que l’égalité entre les hommes et les femmes est la clé d’une société plus juste et plus sereine. (Applaudissements.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à rappeler l’attachement de notre majorité à la défense des femmes contre toute forme de harcèlement ou de violence. La proposition de loi soumise à notre examen vise, en ce sens, à protéger les femmes victimes de violences au sein de leur couple et, plus largement, toutes les personnes victimes, directement ou indirectement, de violences.
Notre rapporteur, François Pillet, fait état d’une situation bien souvent mal connue et les chiffres sont difficiles à appréhender. Toutefois, certaines statistiques sont révélatrices de la croissance du phénomène. Par exemple, une recrudescence de 30 % des cas de violences volontaires sur les femmes majeures par un conjoint ou ex-conjoint a été observée sur les années 2004-2007. Le nombre total atteint 47 500 cas.
Et je souhaite insister sur le fait que ce chiffre n’est que la partie visible de l’iceberg. Selon l’Observatoire national de la délinquance, « le nombre de plaintes déposées par les victimes de violences conjugales représenterait moins de 9 % des violences conjugales réellement subies ».
Nous ne pouvons tolérer, mes chers collègues, madame le secrétaire d’État, que ceux de nos concitoyens qui font l’objet d’atteintes physiques ou morales ne soient pas protégés ni accompagnés dans les meilleures conditions possibles.
C’est pourquoi je me réjouis, au nom du groupe UMP, qu’au fur et à mesure des années notre droit soit de plus en plus protecteur de ces personnes.
Notre majorité a sans relâche montré sa volonté de renforcer les droits des victimes de violences, que ce soit à travers la réforme du code pénal de 1994, qui a prévu l’aggravation des peines encourues lorsque les violences sont commises par un conjoint ou un ex-conjoint, à travers la loi du 26 mai 2004, qui donne la possibilité au juge d’évincer le conjoint violent du domicile conjugal en amont d’une procédure de divorce, ou encore la loi du 4 avril 2006, qui a reconnu le viol entre époux.
Dans le même esprit, la proposition de loi présentée aujourd’hui marque une nouvelle avancée. En effet, il s’agit de mieux prévenir et de mieux déceler ces cas de violences, d’améliorer l’accompagnement des victimes et enfin de lutter contre la récidive.
Je tiens à saluer l’excellent travail de notre rapporteur, notre commission ayant, sur son initiative, élargi le champ d’application des dispositions qui, à l’origine, visaient expressément les femmes victimes de violences. Le texte concerne désormais l’ensemble des violences commises au sein du couple, que la victime soit un homme ou une femme. Il s’agit ici de prendre en compte une situation ignorée mais bien réelle : celle des hommes violentés. Selon l’Observatoire national de la délinquance, « 130 000 hommes majeurs auraient subi des violences infligées par une conjointe ou une ex-conjointe entre 2005 et 2006 ».
L’apport majeur de la proposition de loi est l’instauration d’une ordonnance de protection. Afin d’agir dans l’urgence, cette ordonnance donne aux personnes subissant des violences de la part de leur actuel ou ancien conjoint, concubin ou partenaire, le statut de victime permettant de sécuriser provisoirement leur situation. Si la commission a étendu la protection aux hommes, elle a cependant supprimé la référence à la famille dans le cadre de l’ordonnance de protection. Ce dispositif répondant à une situation précise, il serait inadapté d’y insérer les violences au sein de la fratrie ou entre ascendants et descendants.
Sur proposition de notre collègue François Pillet, il a été précisé, au regard des faibles moyens d’investigation dont dispose le juge aux affaires familiales, que l’ordonnance ne peut attester les violences commises. A contrario, cette ordonnance ne visera désormais que les « raisons sérieuses de la commission de violences et le danger auquel la victime est exposée ». Nous approuvons cet ajustement, laissant au juge pénal la compétence pour établir la réalité des violences.
Délivrée par le JAF, cette ordonnance organise toutes les mesures provisoires pour protéger la victime. Il est dès lors notamment possible au magistrat d’interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes, de statuer sur la résidence séparée des époux ou encore de prononcer l’admission à l’aide juridictionnelle de la victime. En outre, la personne victime de violences peut éventuellement, sur proposition du juge, choisir l’association habilitée pour l’accompagner tout au long de la procédure.
Je souhaite m’attarder sur certaines des mesures ayant fait l’objet d’améliorations par notre commission.
Premièrement, concernant l’autorité parentale, notre rapporteur a rétabli, à juste titre, la rédaction actuelle du code civil selon laquelle l’exercice du droit de visite et d’hébergement « ne peut être refusé à l’autre parent que pour des motifs graves ». Nous sommes favorables à cette rédaction. Elle place au cœur de la décision l’intérêt de l’enfant qui, je le souligne, est souvent un tiers subissant indirectement les violences. Il serait injuste, aux fins de protéger, de le priver de ses parents si les faits ne le justifient pas.
Deuxièmement, pour respecter le principe de proportionnalité, la commission a souhaité conditionner le placement sous surveillance électronique mobile à titre de mesure de sûreté : d’une part, il faut une condamnation effective d’au moins cinq ans d’emprisonnement ; d’autre part, la dangerosité du conjoint doit avoir été constatée par une expertise médicale.
Nous nous en félicitions. La Haute Assemblée s’affirme ainsi, une nouvelle fois, comme garant des libertés individuelles.
Tout en maintenant la cohérence de cette disposition avec notre droit commun, la commission a facilité le placement sous surveillance électronique mobile. En effet, dans la version du texte votée par les députés, ce placement était conditionné au respect par la personne condamnée de la seule interdiction - signifiée par le juge - de paraître au domicile du couple.
Notre rapporteur a, de manière opportune, permis que cette possibilité soit donnée à chaque fois que le juge l’estime nécessaire. Par ailleurs, la juridiction de jugement pourra placer sous suivi socio-judiciaire la personne reconnue coupable d’avoir proféré des menaces contre son conjoint, partenaire ou concubin.
Troisièmement, sur le champ de la rétention de la personne mise en examen par les services de police et de gendarmerie, il s’agit, comme l’a indiqué notre rapporteur, de limiter la mesure au seul cas de violation des obligations « susceptibles de présenter un réel danger pour les victimes ». Néanmoins il est apparu opportun d’élargir les possibilités de recours à cette rétention, lorsque des éléments laissent penser que les obligations n’ont pas été respectées.
Nous ne pouvons que souscrire à cette évolution, dans la mesure où l’inobservation n’a plus à être avérée et que la simple présomption permet d’assurer une meilleure protection de la victime.
Le rapporteur a également proposé un amendement afin que les droits du prévenu soient respectés, notamment en interdisant aux services de police ou de gendarmerie d’effectuer des investigations corporelles internes.
Quatrièmement, sur l’interdiction de sortie du territoire de l’enfant, qui est la dernière mesure provisoire sur laquelle je tiens à m’exprimer, je me félicite que, au nom de son rapporteur, la commission ait très justement étendu l’interdiction avec inscription au fichier des personnes recherchées aux situations de mariage forcé. Vous avez madame le secrétaire d’État, souhaité la suppression de l’inscription de l’interdiction sur les passeports. Nous vous soutenons dans ce choix au regard de l’inadéquation de la mesure avec la norme mondiale fixée par l’Organisation de l’aviation civile internationale, norme à laquelle la France a souscrit.
En outre, je souhaiterais développer un autre point essentiel de cette proposition de loi : le caractère moral des atteintes portées à la victime. Il me paraît indispensable de revenir, d’une part, sur la référence aux violences psychologiques et, d’autre part, sur la nouvelle définition du harcèlement moral.
Tout d’abord, s’agissant des violences psychologiques, nous adhérons à l’avis de notre rapporteur qui, par cohérence avec la jurisprudence de la Cour de cassation, a supprimé la précision tenant au caractère psychologique des contraintes. En effet, la rédaction originelle aurait entraîné une insécurité juridique, alors que la Cour de cassation considère déjà sans ambiguïté la violence comme pouvant être aussi bien physique que psychologique.
Ensuite, concernant la définition du harcèlement moral, nous sommes favorables à la nouvelle rédaction établie par notre commission. Ainsi, l’utilisation du terme « harceler » traduit directement l’intention malveillante de l’auteur des faits, clarifiant par conséquent l’élément moral. Quant à l’élément matériel, il nous a paru préférable de lier la notion de dégradation des conditions de vie à l’altération de la santé physique ou mentale de la victime.
Par ailleurs, dans un souci de proportionnalité, il était nécessaire de moduler les peines encourues en fonction du degré d’incapacité totale de travail de la victime.
Enfin, concernant l’entrée en vigueur et l’application de la loi, j’évoquerai deux amendements de cohérence adoptés par notre commission : d’une part, celui de notre rapporteur, qui prend en compte l’outre-mer, oublié par l’Assemblée nationale dans l’application de la loi ; d’autre part, l’amendement du Gouvernement relatif au report de l’entrée en vigueur de la loi, laissant ainsi aux magistrats le temps d’organiser leurs services pour une mise en œuvre efficiente de la procédure.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera la proposition de loi issue des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous abordons ici une nouvelle étape dans la lutte contre les violences au sein des couples.
Tout d’abord, je tiens à saluer le travail des membres de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, dont une partie de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est la traduction.
Je veux aussi à remercier l’ensemble de mes collègues qui se sont mobilisés sur ce texte et, plus particulièrement, Roland Courteau, qui mène ce combat depuis plusieurs années et dont les efforts ont trouvé une concrétisation partielle avec l’adoption de la première loi sur les violences conjugales, en 2006.
Comme chacun l’a rappelé, les violences exercées au sein des couples sont un fléau social majeur. Les données officielles dont nous disposons à ce sujet sont alarmantes.
En effet, une femme sur dix serait victime de violences conjugales en France. Or, selon une évaluation de l’Observatoire national de la délinquance, le nombre de plaintes déposées par les victimes représenterait moins de 9 % des violences conjugales réellement subies.
L’ampleur du phénomène est donc dramatique !
Même si nous pouvons constater, depuis quelques années, une certaine prise de conscience dans ce domaine, le tabou reste néanmoins la norme.
Les victimes, bien souvent des femmes, éprouvent de grandes difficultés à porter plainte ou ne serait-ce qu’à parler des violences qu’elles subissent. Ces difficultés sont dues, bien souvent, à un renversement de la culpabilité et à une honte, infondée, à l’idée de se manifester.
Il fallait donc légiférer afin que les victimes disposent de tous les outils possibles pour être encouragées à sortir de leur prison, tant mentale que physique.
Je me félicite, par exemple, que la notion de « violences psychologiques » soit enfin reconnue, car ces dernières représentent les trois quarts des violences recensées en France. Leurs manifestations peuvent être très diverses, allant des insultes, des humiliations régulières et répétées au harcèlement moral et au rapport de domination extrême, autant de violences dont les répercussions peuvent être dramatiques et irrémédiables pour celles et ceux qui les subissent, les entraînant, notamment, dans l’isolement social, voire la dépression.
Ces situations sont très difficiles, nous le savons tous, et c’est pour cette raison que, nous, législateurs, devons apporter notre aide aux victimes : il est de notre rôle d’essayer de rompre la spirale du silence qui entoure les violences conjugales et de créer des outils juridiques pour tenter d’enrayer ce fléau.
Ce texte s’inscrit en partie sur cette voie, et je m’en félicite.
Je tiens maintenant à revenir sur l’une des avancées essentielles de cette proposition de loi, à savoir la prise en compte de l’enfant comme personne à part entière.
Il est indispensable de prendre conscience que les enfants sont, eux aussi, victimes des violences, qu’elles soient directes ou indirectes, manifestes ou impalpables.
L’impact de ces violences peut être considérable sur l’enfant, tant dans sa construction personnelle que dans son comportement social.
Si certains enfants sont à même de développer des capacités de résistance incroyables, d’autres subissent les effets de ces violences. Elles affectent bien souvent leur conduite et peuvent se traduire soit par des problèmes extériorisés, comme des comportements agressifs et l’usage de la violence, soit par des problèmes intériorisés, comme le repli sur soi, la dépression ou la propension à se poser en victime.
Comme l’a souligné l’Observatoire national de l'enfance en danger, l’ONED, « À l’âge adulte, ces enfants exposés ont un moins bon fonctionnement social et psychologique et présentent un risque de reproduire les comportements violents, que ce soit dans la position d’auteur ou de victime ».
Afin de limiter ces risques, il faut apporter à ces enfants une protection au sein de la cellule familiale tout en les sensibilisant et en les accompagnant dans leur vie de tous les jours.
C’est pour cela qu’il est indispensable que ces enfants puissent bénéficier, dès le plus jeune âge, de campagnes de prévention et de sensibilisation en milieu scolaire. Dès les bancs de l’école, il faut leur inculquer les valeurs de respect et d’égalité entre les sexes. C’est seulement ainsi que nous pourrons « prendre le mal à la racine », tout en poussant certains enfants à prendre conscience de la nécessité de parler des violences dont ils sont témoins ou victimes.
L’école a un rôle clé à jouer dans ce domaine afin d’éviter que certains préjugés et comportements ne s’ancrent dès le plus jeune âge.
D’une manière générale, et même s’il reste du chemin à parcourir, le présent texte contient de nombreuses avancées qu’il faut saluer, notamment la réaffirmation de la primauté de l’intérêt de l’enfant en cas de violences conjugales.
Il n’est plus à démontrer aujourd’hui que les violences au sein du couple ont de multiples conséquences sur les victimes et leurs proches. Il est donc indispensable que des textes législatifs, telle la présente proposition de loi, traduisent concrètement ce constat en posant un cadre juridique strict et efficace afin de protéger les victimes de ces violences, tout en essayant d’enrayer ce mal profond. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons ce soir marque une nouvelle étape dans l’implication croissante du législateur en matière de lutte contre la violence conjugale.
La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs avait déjà commencé à lever un certain nombre de tabous sur des actes trop souvent encore marqués par la loi du silence.
Le présent débat doit permettre d’aller plus loin, notamment en tenant compte des multiples facteurs, souvent peu visibles, qui empêchent les victimes de parler et de se libérer du joug de leur agresseur.
Les questions de logement, d’autorité parentale ou de titre de séjour sont loin de constituer des enjeux annexes ! Le législateur se doit de les aborder dans toute leur complexité, sinon, les dispositifs de plainte demeureront inutilisés.
Je me réjouis donc de l’approche transversale qui a été retenue, dans l’intérêt tant des victimes de la violence conjugale que de leurs enfants.
Je veux saluer aussi la manière dont les travaux préparatoires ont su prendre acte des évolutions de notre société en matière de diversification des formes de conjugalité. Il est essentiel de clarifier la situation juridique des victimes de violences dans le cadre d’un pacte civil de solidarité, le PACS, ou d’un concubinage.
De même, l’attention portée aux femmes étrangères victimes de violences honore notre pays. J’ai d’ailleurs déposé un amendement visant à permettre à ces femmes de bénéficier d’un visa de retour en cas de vol de leurs papiers d’identité et titre de séjour par leur conjoint lors d’un voyage dans leur pays d’origine. Je ne m’attarderai pas davantage sur cette question à présent, car je la développerai lors de la discussion des amendements.
Il faudra également veiller à ce que les dispositions prévues par la proposition de loi soient pleinement applicables aux Françaises résidant à l’étranger, y compris lorsqu’elles sont binationales.
Laisser aux juridictions étrangères le soin de gérer seules les problèmes de violences auxquelles ces femmes peuvent être confrontées pourrait parfois relever de la non-assistance à personne en danger. Je pense, en particulier, aux pays dans lesquels la législation en matière de lutte contre les violences conjugales n’est qu’embryonnaire, ou à ceux dont les pouvoirs publics sont peu enclins à s’immiscer dans la vie privée des populations étrangères
À cet égard, les mesures d’information des victimes quant à leurs droits mériteraient d’être mieux diffusées, par le biais de notre réseau diplomatique et consulaire, de nos établissements scolaires à l’étranger, de nos centres culturels et des associations spécialisées.
La formation en matière de prévention et de prise en charge des violences faites aux femmes dispensée aux professionnels susceptibles d’intervenir auprès des victimes, qui avait été écartée du texte voté par l’Assemblée nationale, mais dont la commission des lois souligne qu’elle devrait être mise en œuvre par voie réglementaire, me semble cruciale pour les Français de l’étranger.
Il me semble également important que la saisine du juge aux affaires familiales soit plus accessible à un Français résidant hors de France, de même que le recours à l’ordonnance de protection et aux aides qui en découlent, notamment en matière d’accès prioritaire à un logement social en France.
L’article 10 de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale et non modifié par la commission tend à réserver, dans chaque département, des logements sociaux pour les victimes de violences conjugales : il est indispensable que cette aide soit également accessible à une Française de l’étranger souhaitant revenir en France pour fuir les violences domestiques dont elle fait l’objet.
Le second point qui me préoccupe dans le débat de ce soir concerne le droit des enfants à conserver des relations avec leurs deux parents, sauf motif grave.
Les décisions relatives à l’autorité parentale constituent l’un des enjeux les plus douloureux des séparations. Elles sont encore plus délicates lorsqu’interviennent des actes de violence à l’égard d’un conjoint. Les articles 3 et 4 de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale s’efforcent d’en tenir compte.
Toutefois, il y a un risque : accuser un conjoint de violences pourrait être utilisé comme un moyen, au demeurant peu loyal, de faire pencher la balance en sa défaveur.
Il importe donc d’œuvrer pour qu’une telle décision s’appuie sur des éléments tangibles et non pas sur une simple et vague suspicion de violence.
Le problème est particulièrement aigu dans les cas de séparation de couples mixtes, qui aboutissent trop souvent à une séparation totale et définitive des enfants d’avec l’un de leurs parents.
Si la création d’un délit de violence psychologique vise à mieux appréhender la violence conjugale, la violence caractérisant la séparation durable entre les enfants et l’un de leurs parents n’est pas encore véritablement prise en compte par le législateur. Au contraire de la plupart des cas de violence dont nous débattons ce soir, celle-ci n’affecte pas forcément plus fréquemment des femmes que des hommes.
Dans certains pays n’ayant pas ratifié la convention de La Haye – je pense notamment au Japon –, la justice locale entérine souvent de telles décisions, en particulier à l’encontre du père français. L’enfant est alors coupé durablement non seulement de l’un de ses parents, mais aussi de la langue et de la culture françaises.
Il est de la responsabilité de nos pouvoirs publics de mieux épauler le parent français, pour éviter que l’intérêt supérieur de l’enfant ne soit lésé par le conflit entre parents de nationalités différentes.
Dans de nombreux pays, l’absence de signature d’adhésion à la convention de La Haye ou à des conventions bilatérales empêche de lutter efficacement contre les déplacements internationaux illicites d’enfants.
L’article 1er ter de la présente proposition de loi, amendé par la commission des lois, qui permet au juge des enfants et au juge des affaires familiales d’interdire la sortie d’un enfant du territoire en cas de risque d’enlèvement, constitue un progrès, mais ne résout pas les cas très complexes et de plus en plus nombreux engendrés par les séparations de couples mixtes, notamment lorsqu’elles interviennent alors que la famille vit hors de France.
Je souhaite réitérer ici mon appel à une plus grande implication des magistrats de liaison et à la formation de commissions bilatérales de médiation, afin de permettre un règlement plus rapide des centaines de dossiers toujours en attente, qui constituent autant de violations intolérables des droits de l’enfant, mais aussi des violences insoutenables pour le parent privé de contact avec eux.
Il serait également important de renforcer la formation en droit international de la famille à l’École nationale de la magistrature et de nommer dans toutes les cours d’appel un magistrat compétent en la matière, s’agissant en particulier de déplacements internationaux d’enfants. Il s’agit là de deux demandes que j’avais déjà formulées en 2007.
Je conclurai en rappelant les enjeux considérables de la lutte contre la violence conjugale pour notre société.
Comment des jeunes grandissant au contact quotidien de la violence ou injustement privés de contact avec l’un de leurs parents pourraient-ils bâtir une société de justice et de paix ?
Le foyer familial est la première source d’apprentissage du respect de l’autre et du principe d’égalité des sexes ; l’école est la seconde. Il me semble essentiel de renforcer la sensibilisation sur ces sujets à l’école, comme y appelle l’article 11 A de la proposition de loi.
Cette mission est d’autant plus cruciale pour nos établissements scolaires à l’étranger. Ces derniers étant plébiscités, par les Français comme par les étrangers, pour l’excellence des enseignements qui y sont dispensés, il importe de les encourager à mieux diffuser les valeurs qui constituent le socle de notre République. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)