Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame Demontès, monsieur Leclerc, je vous remercie de la qualité de votre rapport. J’ai apprécié cette étude complète et documentée, qui a le mérite de rendre clair et lisible un sujet ardu.
Hasard du calendrier, nous avons eu ce matin connaissance du projet de réforme des retraites du Gouvernement.
M. Claude Domeizel. La presse en a eu connaissance, pas nous !
M. Jean Desessard. Nous avons, en effet, lu la presse !
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez appliqué le sophisme : « Puisque l’on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps ».
M. François Trucy. Eh oui !
M. Jean Desessard. Non ! Nous, écologistes – les vrais, s’entend ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) – refusons ce postulat pour trois raisons.
Premièrement, parlons progrès social : outre les progrès dans le domaine de la médecine, on pourrait se demander si ce n’est pas aussi parce que l’on travaille moins longtemps que l’on vit plus longtemps.
Mme Gisèle Printz. Voilà !
M. Jean Desessard. C’est du moins ce que laissent penser les avancées sociales réalisées au XXe siècle, comme les congés payés, la retraite à soixante ans, ou encore la réduction du temps de travail.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jean Desessard. Deuxièmement, parlons taux de productivité, puisque vous l’évoquez dans le rapport : les écologistes pensent qu’il existe un degré d’activité nécessaire pour garantir le bon fonctionnement de la société sans avoir besoin de créer toujours plus d’activité. Au-delà d’un certain seuil, qui diminue régulièrement vu l’accroissement de la productivité, nous n’avons pas besoin d’activités toujours plus consommatrices d’énergie et de ressources naturelles ou génératrices de désastres, tels que celui du golfe du Mexique.
Il nous faut donc trouver un équilibre entre la préservation des ressources et le temps de travail socialement utile. C’est dans cette articulation entre temps de formation, emploi utile et temps de loisirs que doit s’évaluer la part du PIB à consacrer aux retraites.
Troisièmement, enfin, le rapport de la MECSS dégage d’autres pistes pour résorber le déficit des retraites, par exemple, une remise à plat réellement ambitieuse de la fiscalité.
Monsieur le secrétaire d’État, vous pensez que faire travailler davantage les seniors est la solution miracle à l’épineuse question du financement des retraites.
Le rapport de la MECSS fait état des mesures en faveur de l’emploi des seniors adoptées ces dernières années. Il faut le reconnaître, certaines de ces dispositions ont partiellement porté leurs fruits : l’activité des salariés de plus de cinquante-cinq ans a progressé.
Certes, depuis 2008, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans a légèrement progressé, de 0,7 point, mais, par ailleurs, il y a de plus en plus de chômeurs.
Si l’on se penche sur la situation des personnes de 25 à 49 ans, leur taux d’emploi a régressé de 1,6 point, soit 327 000 emplois en moins.
Dans un contexte de crise, les réformes des retraites menées par la droite depuis 1993 ont abouti à un non-sens : on a aggravé la situation des moins de cinquante ans sur le marché du travail.
Dès lors, pourquoi s’obstiner dans cette direction ?
Pourquoi obliger les seniors à travailler plus longtemps quand on connaît leur impact négatif sur l’emploi des personnes de 25 à 49 ans ?
Si vous pensez qu’il est possible de faire davantage travailler les seniors, pourquoi ne pas faire travailler plutôt les jeunes ?
Monsieur le secrétaire d’État, expliquez-moi les raisons pour lesquelles les seniors trouveraient un emploi plus facilement que les jeunes ? S’il n’y en a pas, alors faisons travailler les jeunes ! Et si l’on n’arrive pas à faire travailler les seniors, il y aura du chômage, et pour les uns, et pour les autres. Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans aboutira, par conséquent, à une baisse des pensions à cause des décotes.
Oui, l’emploi en France doit être amélioré. Chaque personne le souhaitant doit pouvoir trouver un travail, en particulier les femmes et les jeunes, qui sont les plus touchés par le chômage et la précarité. C’est à eux que les politiques publiques doivent s’adresser, plutôt que d’imposer de travailler à des seniors qui n’ont rien demandé.
Non seulement les femmes et les jeunes ont envie de travailler et possèdent la santé pour cela, mais un travail leur permettrait également de les sortir de la précarité. En outre, une hausse de l’emploi représenterait une source de cotisations supplémentaires.
Si les 2,7 millions de Français au chômage, indemnisés en moyenne 1 040 euros par mois, selon les chiffres de l’INSEE, trouvaient un emploi, ce serait 33 milliards d’euros de cotisations chômage en moins à verser par an et 6,7 milliards d’euros de cotisations supplémentaires apportées par ces nouveaux travailleurs.
On repousse l’âge de départ à la retraite, mais on repousse aussi aujourd'hui, dans les faits, l’âge de la première embauche. En effet, comme le rappelle le rapport de la MECSS, les droits à la retraite accumulés à l’âge de trente ans sont de plus en plus faibles, génération après génération. Obtenir un CDI devient un parcours du combattant pour les jeunes diplômés et une mission impossible pour les moins qualifiés.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jean Desessard. Jusqu’où devrons-nous aller pour avoir des droits ?
Quant aux femmes, leurs carrières sont souvent plus décousues que celles des hommes. Elles sont sous-représentées dans la population au travail et surreprésentées dans les emplois les plus précaires. Nombre d’entre elles subissent des emplois à temps partiel imposé. Elles souffrent de rémunérations inférieures à celles de leurs collègues masculins. Tout cela fait que leur pension de retraite ne représente que 56 % de celle des hommes.
Selon la Commission européenne, si l’on atteignait l’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de l’emploi, des conditions de travail et des rémunérations, le PIB de la France pourrait croître de 20 %.
Les femmes sont particulièrement actives dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la petite enfance : cela tombe bien, car c’est justement là que les besoins sont énormes ! On peut donc faire vite...
Selon nos calculs, l’égalité entre les hommes et les femmes aurait un impact positif à hauteur de 25 milliards d’euros de cotisations par an.
À l’horizon 2030, là encore selon la Commission européenne, si l’on arrivait à l’égalité entre les hommes et les femmes, l’apport de cotisations supplémentaires représenterait la somme non négligeable de 78 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien !
Monsieur le secrétaire d’État, sans doute allez-vous me dire que l’égalité entre les hommes et les femmes relève de l’utopie ?
M. Jean Desessard. Mais faire travailler tous les seniors, est-ce bien réaliste ? Est-ce la bonne direction ?
J’ai indiqué que les écologistes posaient comme préalable une autre organisation sociale, respectueuse de l’environnement et non soumise à la course effrénée à la croissance.
En effet, le développement considérable de la productivité depuis une cinquantaine d’années a réduit de façon spectaculaire le nombre d’heures utiles, notamment dans l’agriculture, le bâtiment, l’industrie, le travail ménager. Demain, les robots intelligents nous délivreront de tâches aujourd’hui fastidieuses. D’ailleurs, leur impact n’a pas été mesuré dans le rapport du COR. Il est vrai qu’ils ne sont pas taxés, eux, à la différence du travail humain.
Je pourrais parler de productivité dans tous les domaines, mais je ne voudrais pas que cette reconnaissance de l’état de fait qu’une production industrielle nécessite dix fois moins de main-d’œuvre qu’il y a trente ans soit interprétée comme un hymne à la productivité.
En effet, se réjouir que le progrès technique permette de se libérer des travaux pénibles, d’éviter des gaspillages par une meilleure maîtrise de l’outil, de dégager des heures pour les loisirs et sa vie familiale ne signifie pas qu’il faille l’étendre de façon « idiote » dans les domaines des services.
En effet, certains entendent par productivité la suppression des temps de pause, la standardisation des salariés, l’augmentation du nombre de clients par guichetier, de malades par infirmière. Il s’agit de mal-être et de souffrance au travail, qui ne participent pas d’une amélioration de la qualité de vie.
Sachons donc faire la part des choses lorsque nous parlons de productivité : il faut distinguer la productivité technique de la productivité de rentabilité.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je crains que le débat sur le projet de loi qui nous attend à la rentrée ne s’inscrive dans un plan d’austérité à l’échelle européenne, comme c’est déjà le cas en Grèce ou en Italie.
La réforme des retraites ne doit pas se faire par idéologie néolibérale. Son but doit être de redonner confiance aux citoyens dans le contrat social et de garantir une pension aux générations futures, et non de donner des gages aux marchés financiers.
Le rapport de la MECSS est une base de réflexion intéressante, mais il n’amène pas les écologistes aux mêmes conclusions que le Gouvernement. Les Verts prennent position pour le maintien de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, pour une autre organisation des temps de vie dans la société, pour une remise à plat efficace et juste de la fiscalité.
Pour conclure, je soulignerai, et tel était le sens de mon intervention, que l’urgence n’est pas de faire travailler toujours plus longtemps les seniors qui ne le souhaitent pas : elle est de favoriser l’emploi des catégories les plus touchées par la précarité, en particulier les jeunes et les femmes, qui, eux, aspirent à l’intégration sociale que représente un travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que le Gouvernement vient de dévoiler l’économie générale de son projet, il est bon que le Sénat fasse valoir son expertise de la question. À cet égard, le travail de fond réalisé dans le cadre de la MECSS par Mme Demontès et M. Leclerc est tout à fait remarquable, à la fois de pondération, de franchise et de lucidité.
Quel fut notre constat de départ ? Il nous a d’abord fallu admettre que les réformes des dix dernières années n’ont pas permis de corriger les déséquilibres financiers du système. Pris dans sa globalité, l’ensemble des régimes de retraite cumulera près de 30 milliards d’euros de déficit dès cette année. Pour la seule branche vieillesse du régime général, nous approcherons les 10 milliards d’euros de pertes, au terme, il faut bien le dire, d’un quinquennat de dégradation ininterrompue. Désormais, l’assurance vieillesse rivalise avec l’assurance maladie dans la composition du déficit social : rappelons que, en 2010, le besoin de financement de la sécurité sociale battra tous les records et culminera à près de 27 milliards d’euros, la conjoncture ayant, bien sûr, aggravé le déficit structurel.
Le premier point de notre analyse, c’est donc que la loi de 2003 portant réforme des retraites n’a pas produit les effets escomptés, essentiellement parce que ses hypothèses étaient intenables, et ce pour quatre raisons.
D’abord, le taux de chômage est presque deux fois plus important que prévu : on l’annonçait à 5 %, nous sommes à 9,5 %. L’élévation de la masse salariale s’en est bien évidemment ressentie.
Ensuite, le taux de croissance est, quant à lui, deux fois plus bas que prévu : il fallait 2 % par an, alors que, selon la Banque centrale européenne, la BCE, nous avoisinerons 1 % cette année, après une stagnation en 2008 et une croissance négative en 2009 !
Par ailleurs, le taux d’emploi des seniors, pour sa part, s’est encore dégradé, marquant ainsi l’échec, monsieur le secrétaire d’État, du « plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors ». Sur ce terrain, contrairement à ce qu’a affirmé tout à l’heure M. Woerth, me semble-t-il, la France est toujours lanterne rouge en Europe.
Enfin, parallèlement, la fréquence des départs à la retraite à 60 ans s’est accélérée et les départs anticipés pour carrière longue ont été bien plus importants qu’annoncé, les salariés ayant précipité leur décision avant que ne soit réduite la portée du dispositif. L’effet du choc démographique sur les dépenses a donc été mal évalué.
Bref, rien ne tenait dans cette réforme, pourtant présentée à l’époque, d’une façon que je qualifierai d’immodeste, comme la solution absolue au problème des retraites.
II faut donc veiller à ne pas reproduire les erreurs du passé en proposant une révision d’ensemble. Il conviendrait d’éviter que la réforme de 2010 ne soit qu’un toilettage marginal des dispositifs actuels, ce qui la vouerait au même sort que la précédente. À nos yeux, son succès passe par une refonte globale du système plus que par des ajustements techniques.
Une chose est certaine : nous ne voulons plus que le système fonctionne à découvert comme il le fait aujourd’hui, où 10 % des pensions versées font l’objet d’un emprunt.
Nous ne voulons pas non plus d’un système dont les Français doutent et dont le fonctionnement actuel conduirait à un déficit annuel de 45 milliards d’euros en 2025, soit un quasi-doublement à l’horizon d’une décennie.
Nous voulons que le système soit sauvé, parce qu’il repose sur des principes raisonnés et parce qu’il a fait la preuve de son efficacité en réduisant la pauvreté aux âges élevés.
Nous voulons aussi que les décisions de sauvetage et de transformation qu’il convient de prendre soient empreintes de justice.
Justice entre les générations, qui passe par la pérennité du système par répartition. Nous savons bien que de moins en moins d’actifs ne peuvent pas financer de plus en plus de retraités. Il faudra donc une inévitable réforme là-dessus, quoi qu’on en pense.
Justice entre actifs et retraités, qui doit conduire à rechercher une parité entre les niveaux de vie et, donc, à prévoir une répartition partagée des sacrifices.
Justice entre les retraités eux-mêmes, alors que cohabitent trente-huit régimes différents qu’il conviendrait de faire converger pour les rendre compréhensibles, pour leur redonner de la cohérence et, surtout, pour atténuer les jalousies sociales suscitées par un système illisible.
Justice entre les catégories sociales, qui demandera un effort de redistribution entre les retraités au moment de la retraite, mais surtout dans le recours aux prélèvements. Le financement des régimes sociaux ne peut plus reposer sur le seul facteur travail : il faut enfin abroger les privilèges fiscaux de certains et mettre à contribution le patrimoine.
Justice, on l’a dit, entre les sexes, qui implique un travail d’égalisation des pensions, donc des carrières, entre hommes et femmes et l’élaboration de mécanismes compensatoires.
Justice morale et sanitaire, enfin, devant l’inégalité face à la mort, qui exige que nous prenions en compte l’usure du travail dans l’obtention des droits.
Le moins que l’on puisse dire, après une lecture assez rapide, il faut bien le dire, mais efficace du projet qui a été présenté ce matin, c’est que celui-ci élude bon nombre de ces aspects ! Au demeurant, monsieur le secrétaire d’État, nous aimerions connaître les prévisions économiques sur lesquelles reposent vos prévisions d’équilibre, car pour l’instant, vous m’en excuserez, je ne les ai pas trouvées.
On entend, par exemple, relever l’âge légal du départ à la retraite. Mais à quoi bon le faire alors que la majorité des salariés du secteur privé ne sont plus au travail dès 55 ans et qu’ils sont soit au chômage, soit en maladie, soit en invalidité ? (Approbation sur les travées du groupe socialiste.)
À court terme, un recul de l’âge légal ne fera que transférer des dépenses des caisses de retraite vers l’assurance-chômage, mais sans rien régler. (Mêmes mouvements.)
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Bernard Cazeau. Nous aurons seulement moins de « jeunes retraités », parce que nous choisirons d’avoir plus de « vieux chômeurs ».
M. Guy Fischer. Comme en Suède ! Ils sont en invalidité !
M. Bernard Cazeau. De surcroît, par le mécanisme du report du départ à 60 ans, on contraindra des milliers de salariés modestes à une durée d’assurance tout à fait excessive. Pensons, par exemple, à ceux appartenant à la génération née en 1956 : certains d’entre eux devront patienter quarante-quatre ans pour pouvoir liquider leurs droits, même s’ils disposent de suffisamment de trimestres !
En matière de prise en compte de la pénibilité, les propositions du Gouvernement sont nettement insuffisantes : le maintien du départ à 60 ans en cas d’usure professionnelle concernera à peine plus de l % des salariés, selon les projections dévoilées par M. le ministre.
Concernant la clé de voûte de toute réforme, à savoir l’emploi des seniors, il faut bien dire que nous restons sur notre faim. Sur ce terrain, au-delà de nos oppositions, nous attendions un sursaut national afin que notre pays ne « rate » pas le tournant de civilisation qu’est la transformation de sa pyramide des âges. Nous attendions des mesures fortes, par exemple faciliter le temps partiel en fin de carrière, créer des contrats aidés durables pour les seniors, mettre en place un puissant système de bonus-malus sur les cotisations de retraite des employeurs en fonction de leur comportement à l’égard des seniors. Pour tout cela, il fallait une volonté politique forte ; pour l’instant, elle n’y est pas.
On ne la trouve d’ailleurs pas davantage sur le terrain des recettes, où les quelques gadgets annoncés ne couvriront même pas 10 % des besoins financiers : 3,7 milliards d’euros, alors que la MECSS en proposait le triple !
Les pistes étaient pourtant multiples. Je citerai la révision de certaines exonérations générales de cotisations, qui ne sont pas toujours efficaces, ou encore la taxation, actuellement très faible, de certaines niches sociales, comme l’assujettissement des stock-options aux cotisations sociales. Sur ce point, je rappelle que, en 2007, Philippe Séguin avait présenté un rapport de la Cour des comptes dans lequel le produit d’une telle imposition était évalué à 3 milliards d’euros, chiffre très proche de celui que vous nous présentez aujourd’hui en matière de taxation. Je mentionnerai également la fiscalité du patrimoine, qui est plus faible que celle du travail.
Enfin, que dire du sort qui attend le fonds de réserve des retraites, dont on s’apprête à adosser les actifs à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, pour payer les déficits d’aujourd’hui, alors qu’il aurait fallu le sanctuariser dans la perspective critique de 2020 ?
Manifestement, les conditions sur lesquelles nous appelions à l’élaboration d’un nouveau pacte social ne sont pas réunies ! Le Gouvernement a choisi la voie du clivage plutôt que celle de la recherche d’une solution partagée.
Pourtant, une réforme transpartisane eût été souhaitable, car l’horizon de la réforme, monsieur le secrétaire d’État, n’est pas celui des partis politiques ni des échéances électorales : c’est celui de plusieurs générations. D’ici à 2050, bien des gouvernements, de droite et de gauche, seront appelés à se succéder. C’est précisément pour cela que nous demandions à ce que l’opposition fût entendue.
Telle ne semble pas être la solution retenue. Le Gouvernement paraît, cette fois encore, résolu à faire de l’injustice sociale sa marque de fabrique politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame et monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord d’exprimer tout le plaisir que j’ai à intervenir de nouveau – cela m’est arrivé à plusieurs reprises ces derniers jours – devant le Sénat.
Je m’associe très volontiers à vous pour penser que les hasards du calendrier nous conduisent à discuter d’un projet alors même que l’excellent rapport remis par la MECSS aurait en soi quasiment mérité qu’on lui réservât un débat. Ne pas mentionner d’emblée ce point, je le dis très sincèrement, ce serait minorer les travaux de la mission.
J’ai été très sensible à la façon dont se sont exprimées des opinions divergentes. Dans un débat de cette nature, il est excellent que nous puissions discuter, proposer, contester, et ce dans un climat apaisé.
Je vous prie de m’excuser par avance si, prenant la parole après Éric Woerth, je me montre quelque peu redondant. Je le répète, le double exercice auquel nous nous livrons conduit bien évidemment à dire, pour les expliciter en apportant des éléments supplémentaires, des choses qui ont déjà été entendues.
En ce qui me concerne, je regrouperai vos remarques sous plusieurs rubriques.
J’ai entendu M. Daudigny, je viens d’entendre M. Cazeau évoquer cette façon que le Gouvernement aurait eue de dramatiser la situation. Pardon de le dire, mais j’avais cru comprendre que nous étions tous d’accord pour considérer que le rapport du COR pouvait, au moins, faire l’unanimité entre nous ! Il le doit, d’abord, parce qu’il est une des rares institutions à porter l’estampille du gouvernement Jospin entre 1997 et 2002, si bien que l’on peut difficilement le soupçonner d’avoir été mis en place pour servir particulièrement des arguments à la majorité. Il le doit, ensuite, parce qu’il est constitué de techniciens, d’experts, de parlementaires de tous bords, de femmes et d’hommes qui se réclament d’opinions politiques divergentes : les rapports qu’il remet méritent assurément d’être considérés comme une bonne base de départ.
Je le dis avec des mots mesurés, je n’entrerai pas dans le débat de savoir s’il y a ou non dramatisation, argument que, au demeurant, je n’avais pas entendu depuis quasiment deux mois.
Mme Raymonde Le Texier. C’est de la forme que nous parlions !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. La vérité, c’est que le COR a énoncé des choses très intéressantes et importantes. Je rappellerai simplement les trois chiffres principaux : un déficit constaté de 32 milliards d’euros en 2010, un déficit anticipé, si rien n’était fait, de 41 milliards d’euros en 2020 et de 70 milliards d’euros en 2030. Il s’agit là non pas de l’hypothèse de travail retenue par le Gouvernement, mais des projections établies par le COR.
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, vous reconnaîtrez qu’il fallait évidemment intervenir et agir. C’est ce que nous nous proposons de faire.
Répondant à votre question, monsieur Cazeau, je précise que nous avons travaillé sur la base du scénario B du COR, qui repose sur l’hypothèse d’une croissance de la productivité de 1,5 % par an, d’un retour au plein-emploi en 2024 et, d’ici là, d’un taux de chômage de 7,7 % en 2015 et de 5,7 % en 2020. J’attire votre attention, monsieur le sénateur, sur le fait qu’il s’agit bien d’un scénario intermédiaire, et ce n’est pas faire un procès d’intention au parti socialiste que de le souligner. Nous l’avons retenu parce que nous avons considéré qu’il était assez équilibré ; les projections qu’il nous conduit à faire ne sont pas forcément celles qui auraient le mieux servi notre cause !
Pour ce qui le concerne, le parti socialiste semble s’être plutôt calé sur le meilleur scénario retenu par le COR, un scénario qui majore, de fait, les recettes et minore les déficits potentiels. C’est un vrai débat que nous engageons entre nous, et je vous remercie infiniment de l’avoir ouvert. D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, le débat opposant un projet contre un autre, auquel vous aspirez, nous donnera l’occasion de bien mettre en avant le fait que nous avons opté pour deux scénarios différents, tous deux issus du rapport du COR : le vôtre, celui qui est, de très loin, le plus optimiste, et le nôtre, le scénario intermédiaire, qui nous semble à peu près compatible avec les orientations mesurées et sages telles que nous avons pu les anticiper.
Évidemment, il fallait s’y attendre, le débat porte sur des questions classiques, notamment celle de l’âge, ce qui est tout à fait normal.
Disons les choses très simplement, mais n’ouvrons pas de nouveau le débat, car Éric Woerth a donné des explications très claires tout à l'heure.
Oui, nous sommes convaincus qu’un régime par répartition – cette notion veut d’ailleurs bien dire ce qu’elle veut dire ! – suppose d’agir sur le paramètre de l’âge. Pour être très objectif, je vous rappelle le leitmotiv des opposants à la réforme Fillon de 2003 : sauvons le système de retraite par répartition ! À cet égard, je m’empresse de vous dire que les deux réformes, la réforme Balladur de 1993 et la réforme Fillon de 2003, ont permis de réduire de 50 % environ le déficit que nous aurions connu aujourd'hui sans ces réformes. J’indique que ce pourcentage n’émane pas non plus d’une note rédigée par le Gouvernement ou l’UMP ; il figure tout simplement dans le Livre blanc sur les retraites paru en 1989 et dans le rapport Charpin, notamment.
Quoi qu’il en soit, nous estimons, pour notre part, qu’il faut évidemment agir sur le paramètre de l’âge. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe à l’étranger, ainsi que l’a très justement rappelé tout à l'heure M. Longuet. Aujourd'hui, la France est le seul pays européen à ne pas avoir augmenté l’âge légal de départ à la retraite.
Je veux bien tout entendre et essayer de tout comprendre, et je le fais avec un esprit d’autant plus ouvert que j’apprécie les vertus d’un dialogue constructif, à l’instar de celui que nous avons actuellement. Mais je suis toujours étonné de constater qu’est de nouveau abordée ici une question qui, semble-t-il, ne devrait plus faire débat.
Certes, on peut se demander s’il faut fixer l’âge légal de la retraite à 62 ans ou 63 ans, les plus mesurés proposant l’âge de 61 ans et ceux qui ont l’ambition d’aller plus encore loin celui de 64 ans, voire 65 ans. Mais comment ne pas être d’accord sur le fait qu’il faille reculer l’âge ? C’est une évidence !
Tout système par répartition est assis sur la démographie. Éric Woerth l’a souligné tout à l'heure et pardonnez-moi de le répéter encore, tous les pays qui nous entourent ont augmenté l’âge légal de la retraite – il n’y en a pas un seul qui en ait fait l’économie ! – …
Mme Annie David. Ce n’est pas un argument !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. … en le portant à 62 ou 63 ans, et même, le plus souvent d’ailleurs, à 64 ou 65 ans.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils n’ont pas la même démographie que la France !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, notre démographie n’est pas très différente. Nous avons un taux de fécondité de l’ordre de 2, mais il faut savoir que, aujourd'hui, le renouvellement des générations n’est pas assuré. Certes, notre taux est légèrement supérieur à celui des autres pays grâce à la politique familiale qui est la nôtre.