Mme Nicole Bricq. C’est vous qui êtes aux responsabilités !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Chaque gouvernement a procédé de la même façon !
M. François Marc. Mais il n’y avait pas de crise !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mes chers collègues de l’opposition, vous seriez plus crédibles si vous reconnaissiez avoir fait de même par le passé. Cette polémique est inutile.
Mme Nicole Bricq. Il s’agit non pas d’une polémique, mais d’un débat public !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous devons afficher notre volonté d’affronter la situation telle qu’elle est et d’accepter les changements de position et de raisonnement qu’entraînent les circonstances nouvelles. C’est d’ailleurs ce que vous dites souvent, chère Nicole Bricq.
Les hypothèses macroéconomiques, quant à elles, doivent faire, à terme, l’objet d’un consensus européen et de consultations itératives multilatérales. Le temps où le taux de croissance sortait d’un chapeau doit être révolu. C’est l’un des éléments forts dont il faudra se souvenir et qui représentera l’un des acquis de la crise, en particulier de la crise de la gouvernance de la zone euro.
Quatrièmement, les États doivent s’engager en faveur de la convergence. Quant à la France, ses engagements vis-à-vis de l’Union européenne – un déficit ramené à 6 % du PIB en 2011, et à 3 % du PIB en 2013 – doivent être…
M. Jean-Pierre Fourcade. Crédibles et tenus !
M. Philippe Marini, rapporteur général. … crédibles et tenus, mais aussi assumés et mis en œuvre en interne. C’est cet accord entre les paroles et les actes, c’est ce refus du double langage, si souvent pratiqué par les États au cours de la période passée, c’est cette renonciation aux attitudes légères d’autrefois vis-à-vis de nos partenaires qui rendront réellement crédible la démarche de convergence.
Mes chers collègues, je conclurai mon propos en évoquant nos prochains travaux.
Au sujet du projet de loi de régulation bancaire et financière, Mme la ministre a bien voulu évoquer les commentaires du rapport écrit sur les marchés de produits dérivés, en particulier les credit default swaps, ou CDS. Nous reviendrons sur ce sujet en faisant preuve d’exigence et de constance dans nos méthodes.
Très prochainement, le débat d’orientation budgétaire sera l’occasion d’examiner l’évolution du cadre budgétaire pour les années qui viennent. Cette année, monsieur le ministre, ce débat revêtira une forme exceptionnelle, car il ne sera plus seulement une déclaration du Gouvernement suivie des déclarations de principe juxtaposées des commissions et des différents orateurs. En effet, ce sera un débat conclu par une expression politique du Parlement, débat qui conduira ce dernier à faire siens les chiffres du programme de stabilité et de croissance adressé en son nom à la Commission européenne, en février dernier, pour la dernière fois par le seul exécutif.
Ce débat d’orientation budgétaire sera donc annonciateur d’une nouvelle conception pluriannuelle des fonctions publiques.
M. François Marc. Tous à la niche ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mon cher collègue, désirez-vous m’interrompre ?
M. François Marc. Les niches fiscales coûtent 50 milliards d’euros !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur général !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je disais donc que ce débat d’orientation budgétaire d’un type nouveau débouchera sur l’expression politique du Parlement, sur l’adhésion au programme de stabilité et de croissance. Il sera le prélude à une nouvelle forme de programmation budgétaire et à une révision de la Constitution visant à établir clairement, d’une part, la prééminence de cette programmation sur les lois de finances annuelles, d’autre part, la compétence exclusive des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale pour toute décision susceptible d’influer de manière significative sur le solde des finances publiques, c'est-à-dire sur la dette. Mes chers collègues, nous n’avons donc pas fini de débattre de ces sujets.
Mes chers collègues, je souhaite que ces épisodes si périlleux et si difficiles soient pour notre pays l’occasion de rebondir efficacement, de gagner en visibilité, de dépasser la crise et d’être plus crédible vis-à-vis de l’ensemble de nos partenaires européens et internationaux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Marcel Deneux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Permettez-moi, en préambule, de m’associer pleinement aux compliments que M. le rapporteur général vous a adressés, madame la ministre, et de vous saluer tout particulièrement, monsieur le ministre.
Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà moins d’un mois, nous examinions ici même un projet de loi de finances rectificative pour résoudre une crise précise, la crise grecque.
Aujourd’hui, nous sommes saisis d’un nouveau projet de loi de finances rectificative qui vise à traiter le même problème, mais d’une manière générale puisqu’il s’agit d’assurer la stabilité de la zone euro dans son ensemble.
On peut porter des appréciations diverses sur la manière dont ce problème a été traité et sur certaines hésitations, mais le résultat est là : il y a tout lieu de croire que ce mécanisme permettra de dissuader les spéculateurs et de rétablir la confiance.
Il nous faut à présent traiter le problème de fond. La crise résulte non seulement de l’action néfaste de spéculateurs, mais aussi, et surtout, de l’absence d’une réelle gouvernance à l’intérieur de la zone euro.
C’est pourquoi les événements que nous venons de vivre revêtent, paradoxalement, un aspect prometteur, l’Europe étant en train d’en tirer les leçons.
En effet, la tourmente que nous traversons oblige l’Union européenne à réfléchir à son fonctionnement et à prendre position. Chacun le sait, les fondements du projet européen ont d’abord été économiques. La solidarité de fait évoquée par Robert Schuman a progressivement abouti à la mise en place d’une monnaie unique, aujourd’hui partagée par seize États membres. Mais ces solidarités ne peuvent jouer que si chacun des partenaires présente sa situation économique de manière transparente, en se fondant sur des statistiques fiables et des évaluations crédibles.
Personnellement, je conçois le mécanisme européen de stabilisation comme une opportunité de contraindre les États de la zone euro à mettre leurs actes en concordance avec leurs engagements. D’une part, il soustrait à la pression des marchés financiers les États les plus fragiles, alors à même de redresser la situation de leur économie. D’autre part, et surtout, le mécanisme européen arrêté s’accompagne d’engagements de la part de l’ensemble des États de la zone euro à assainir leurs finances publiques.
Selon quelles modalités l’Europe peut-elle se doter d’un gouvernement économique ? Cette question, on le sait, est controversée. Vieille revendication française, la mise en place d’un gouvernement économique européen est longtemps apparue, en particulier aux yeux des Allemands, comme une tentative de constituer un contre-pouvoir face à la Banque centrale européenne, et donc de limiter l’indépendance de cette dernière. La chancelière allemande, Angela Merkel, a toutefois récemment modifié sa position, en évoquant la possibilité de créer un fonds monétaire européen. Celui-ci constituerait, en quelque sorte, le bras armé d’un gouvernement économique européen. Le Conseil européen de mars dernier a confié à son président, Herman Van Rompuy, la tâche d’en préciser les contours possibles. La Commission a récemment formulé des propositions en ce sens, dont la plus commentée vise à instituer un semestre européen. Il s’agirait d’un système de surveillance des grands équilibres budgétaires des États, avant le dépôt des projets de lois de finances devant les parlements nationaux. Cette question mérite débat. Nous devons tous ensemble mener une réflexion sur la manière de concilier le nécessaire respect de nos engagements européens, gage de notre crédibilité économique et financière, et la préservation de la souveraineté nationale, qui s’exprime d’abord par le vote du budget par le Parlement. Il nous faudra préciser la place, indispensable, que doivent occuper les parlements nationaux dans l’élaboration de cette architecture économique européenne globale. Il ne doit y avoir, sur ce point précis, ni ambigüités ni atermoiements. Selon moi, quelles que soient les modalités pratiques retenues, nous devons impérativement parvenir à une meilleure coordination des politiques économiques et budgétaires des États membres de la zone euro, afin que l’union monétaire devienne également une union économique.
Le dispositif conçu au début du mois de mai constitue l’un des premiers éléments mis en place par l’Europe pour améliorer sa gouvernance et rééquilibrer, en son sein, le pouvoir économique. Jusqu’à présent, une trop grande place était accordée aux seules questions monétaires. Nous sommes probablement au commencement d’une période nouvelle, voire d’une Europe nouvelle. L’élaboration du dispositif sera progressive et pragmatique, selon des modalités qui restent encore à définir.
Le mécanisme européen de stabilisation repose, pour l’essentiel, sur les États membres. Il est fortement marqué jusqu’à présent par un caractère intergouvernemental. À cet égard, nous devons nous interroger sur le rôle de la Commission, très en retrait depuis le début de la crise. Force est aussi de le constater, les situations de crise, qui réclament des mesures d’urgence, sont pour l’essentiel traitées entre États membres. En conséquence, les procédures de prise de décisions communautaires se trouvent de facto marginalisées.
Ne nous leurrons pas ! Les obstacles à l’émergence d’un véritable gouvernement économique européen seront nombreux, ne serait-ce que pour des raisons politiques. Je rappelle que, en 2005, la France et l’Allemagne avaient été à l’origine de l’assouplissement de la procédure pour déficit excessif, alors qu’elles y étaient précisément soumises.
Un échec aurait toutefois de graves conséquences. Faute de réformes ambitieuses, nous risquerions en effet un retour en arrière, un repli sur des positions nationales, dont on perçoit mal les perspectives dans un monde globalisé. Je me demande où en serait l’économie grecque, où en serait la Grèce elle-même, si la zone euro n’avait pas fait preuve de solidarité. Les difficultés auxquelles nous sommes confrontées, mes chers collègues, ne relèvent plus de solutions nationales. Pour autant, la réponse européenne ne sera efficace que si elle est pleinement légitime. C’est pourquoi le dispositif de surveillance multilatérale à venir devra faire une large place à la démocratie parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Jean-Pierre Fourcade applaudit également.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise de la monnaie unique était prévisible, dès sa création par le traité de Maastricht en 1991. J’ai moi-même, en son temps, dénoncé le transfert de la souveraineté monétaire à une Banque centrale européenne indépendante, entièrement déconnectée du suffrage universel, et sans aucun pilotage politique. La monnaie unique était un canard sans tête. Cela sautait aux yeux en lisant le texte du traité. Aujourd’hui, cela nous saute à la figure ! (Sourires.)
Comme l’a très bien souligné M. Marini, la zone euro est une zone monétaire hétérogène, dépourvue d’un gouvernement économique capable de permettre aux États de coordonner leurs politiques. Ce constat ne s’applique non pas seulement en matière budgétaire, mais aussi s’agissant de la dette des ménages, des entreprises, de l’évolution de l’investissement, de la compétitivité, et donc de l’emploi, et enfin de tout ce qui touche à la balance des paiements des pays concernés.
On ne peut que regretter rétrospectivement, madame la ministre, le projet de monnaie commune, dit encore « hard écu », soutenu à l’époque par la Grande-Bretagne. Ce dispositif prévoyait un cours commun vers l’extérieur mais laissait subsister, à l’intérieur, des monnaies nationales inconvertibles autrement qu’à travers un accord politique fixant leur parité par rapport à la monnaie commune. Ce système simple permettait, sous un toit européen commun, les ajustements monétaires rendus nécessaires par les évolutions divergentes des économies, que le pacte de stabilité de 1997, arbitraire et rudimentaire, n’a pas permis d’empêcher.
Les marchés financiers se déchaînent aujourd’hui contre les États les plus endettés. Ils leur font payer cher le refinancement de leur dette, même si celle-ci a été contractée, par eux ou d’autres États, pour renflouer les banques et relancer l’économie. Les bons Samaritains, disons-le, ne sont pas remerciés par les marchés financiers, c’est-à-dire par la spéculation. Cette dernière s’est d’ailleurs mise en place non par hasard, mais sous l’effet de déréglementations successives, dont la première fut la libération des mouvements de capitaux – y compris vis-à-vis des pays tiers –, sans le préalable initialement posé, en vertu de l’Acte unique de 1987, par une directive de la Commission européenne de 1988.
Après les 110 milliards d’euros accordés hier à la Grèce, on nous demande aujourd’hui de garantir 440 milliards d’euros pour une entité ad hoc, le fonds européen de stabilité financière, dont 111 milliards d’euros, soit un peu plus de 25%, seraient à la charge de la France.
La responsabilité de tous ceux qui ont soutenu le traité de Maastricht doit être engagée. Ils sont nombreux sur ces travées.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Néanmoins, nous devons tous, comme l’a dit M. Marini, faire notre autocritique. Je n’insisterai pas, par délicatesse, mais, d’après moi, il ne faut pas faire la politique du pire en prenant par avance son parti du défaut possible de tel ou tel pays, et de l’éclatement de la zone euro. La monnaie unique est devenue réalité. Elle a demandé beaucoup de sacrifices et représente un symbole fort. Mais elle a aussi beaucoup d’inconvénients. Ainsi, un euro trop fort pénalise nos exportations et favorise les délocalisations industrielles. En revanche, il faut le reconnaître, si la Banque centrale européenne avait échoué à obtenir une parité un peu plus réaliste, le traitement de la crise actuelle a provisoirement réussi. La méthode n’est tout de même pas satisfaisante.
Si je suis partisan, pour ma part, de défendre la zone euro dans son intégrité, et dans son intégralité, afin d’éviter les effets domino, je considère en revanche qu’il convient de changer les règles du jeu.
Madame, monsieur le ministre, que nous proposez-vous par les articles 3 et 4 de ce projet de loi rectificative ?
D’abord, un mécanisme européen de stabilité financière que nous pourrions approuver sous certaines réserves. Ensuite, le relèvement du plafond des prêts de la France au FMI à hauteur de 21 milliards d’euros, à la suite des accords signés lors du sommet du G20 à Londres, 2 avril 2009. Nous approuvons évidemment cette décision. Mais vous nous proposez aussi, implicitement madame la ministre, un concours de plans de rigueur qui, mis bout à bout, ne peuvent conduire qu’à une récession généralisée. J’ai bien entendu les propos de M. Marini, et lu avec attention son rapport. Mais nous ne pouvons pas cautionner cette orientation, déjà mise en œuvre d’ailleurs.
Vous nous proposez un mécanisme de stabilité financière. Il s’agit du fonds européen de stabilité financière, le FESF, alimenté par les États à hauteur de 440 milliards d’euros, auquel viendrait s’ajouter une contribution du budget de l’Union européenne de 60 milliards d’euros et 250 milliards émis par le FMI. Ainsi, la zone euro contribuera à raison des deux tiers de l’aide financière et le FMI à raison d’un tiers. Après la Grèce, c’est le tour du Portugal et de l’Espagne de subir les assauts de la spéculation. L’Espagne est un gros morceau. Elle représente 10 % du PIB de la zone euro et trois fois l’endettement de la Grèce. Il faut, bien évidemment, défendre l’appartenance de l’Espagne à la zone euro. La question ne se pose pas, car notre solidarité ne doit pas faire défaut.
Nous sommes cependant fondés à poser quelques questions.
Première question, quel sera, madame la ministre, la durée des prêts garantis ? Cinq ans, avec trois ans en franchise de remboursement, ai-je entendu. Êtes-vous sûr que des pays très endettés pourront rembourser sous ce bref délai ?
Deuxième question, est-il exact que l’Allemagne ne veut accorder sa garantie que tranche par tranche, et sur la base des fonds qu’elle lèvera elle-même, autrement dit sur la base de sa propre crédibilité ? Un tel dispositif ne risque-t-il pas de faire le jeu de la spéculation, en accroissant les écarts de taux d’intérêt, ou spreads, auxquels les différents pays prêteurs pourront emprunter sur le marché ? Ne s’agirait-il pas d’un mécanisme accélérateur plutôt que stabilisateur ?
Troisième question, relative aux garanties demandées par un pays en difficulté : si ces garanties devaient être honorées, cela ne resterait pas sans incidence sur l’équilibre budgétaire et sur l’endettement public. À mes yeux, l’article 2 du projet de loi de finances rectificative ne trompera que ceux qui veulent bien l’être. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Quatrième question, pourquoi le Gouvernement français a-t-il critiqué l’Allemagne quand celle-ci, à juste titre à mon sens, a interdit le principe des ventes à découvert ?
Nous n’avons pas d’objection quant au déblocage éventuel, sur décision du Conseil européen, des 60 milliards d’euros actuellement disponibles sur le budget européen, en vertu de l’article 122-2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Je constate simplement que l’article 125 du même traité passe à la trappe ! Il en est de même de l’interdiction faite à la Banque centrale européenne d’acheter des titres de dette émis par les États, comme le font déjà depuis un an le Federal Reserve Board américain et la Banque d’Angleterre. Ces coups de canif dans l’orthodoxie me paraissent aller dans le bon sens, et je vous invite au pragmatisme.
Cinquième question enfin, je m’interroge sur la mise en vigueur des concours du FMI. La zone euro n’aurait-elle pas accepté la tutelle du FMI ? Chaque fois qu’elle devra faire appel à la solidarité de ses membres, le FMI interviendra pour moitié. C’est lui qui pilotera le programme d’ajustement.
Une quarantaine de parlementaires américains se sont émus d’un tel déploiement de moyens en faveur de la zone euro : 250 milliards, contre 180 milliards accordés aux pays les plus fragiles depuis le début de la crise. Ils ont demandé que le conseil d’administration du FMI soit saisi à chaque intervention du FMI pour le sauvetage d’un pays de la zone euro. Permettez-moi de rappeler que les États-Unis disposent, avec 17% des voix, d’une minorité de blocage. Dès lors, les États-Unis ne disposent-ils pas d’un droit de regard, alors qu’ils n’ont pas forcément intérêt à laisser s’apprécier le dollar par rapport à l’euro ?
Il ne faudrait pas que le remodelage de la zone euro soit l’objectif des États-Unis pour pousser l’euro vers le haut. Sous réserve des explications que vous nous fournirez, madame la ministre, j’approuve, au nom de la majorité des membres du RDSE, le dispositif de soutien financier que vous nous proposez.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Je le fais par réalisme, sans illusion excessive !
Ce que nous ne pouvons en revanche approuver, c’est l’envers de la médaille, c’est-à-dire le concours des plans de rigueur qui s’organisent dans toute la zone euro sous l’impulsion de Mme Merkel.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faut pourtant s’y préparer !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il est sans doute nécessaire de responsabiliser les États : solidarité de l’Europe et responsabilité des États, tels sont les deux principes qui doivent guider notre action, votre action, madame la ministre. Mais l’on ne peut raisonnablement pas demander à la Grèce de ramener son déficit de 13,6 % de son PIB en 2009 à 3 % d’ici à 2013. Ce n’est pas réaliste. D’autres pays affichent un déficit important : 13,4 % pour l’Irlande, 9,4 % pour le Portugal et 11,2 % pour l’Espagne.
La purge imposée à ces pays, avec un blocage, voire une diminution des salaires et des retraites, à la clé, n’a aucune chance de réussir en si peu de temps. Elle sera contre-productive.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. Je vais conclure, monsieur le président.
Le pronostic de Joseph Stiglitz pour la monnaie unique est pessimiste : « Pour Athènes, Madrid ou Lisbonne se posera sérieusement la question de savoir s’ils ont intérêt à poursuivre le plan d’austérité imposé par le FMI et par Bruxelles ou, au contraire, à redevenir maîtres de leur politique monétaire. » Le président de la BCE a déclaré que l’on n’avait pas prévu de plan B. Est-ce prudent ? Je ne le crois pas. Il faut préparer un plan B. Il n’est pas nécessaire de le dire, mais il faut le faire.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. On sait ce que cela donne !
M. Jean-Pierre Chevènement. S’agissant de la France, pouvez-vous sérieusement envisager de réaliser 90 milliards d’euros d’économies d’ici à 2013 ? Au passage, j’élève une vive protestation contre le gel des dotations de l’État aux collectivités locales.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Voilà qui est agréable à entendre !
M. Jean-Pierre Chevènement. Est-il raisonnable, comme le propose le Président Sarkozy, d’inscrire la réduction du déficit budgétaire dans la Constitution ? Non ! Même M. Giscard d’Estaing ne le pense pas. Nous nous lions les mains à l’avance, imprudemment, sous la double pression de l’Allemagne, qui a adopté cette disposition sans nous demander notre avis, et des marchés financiers.
En fait, il faut revoir le diagnostic sur la crise de l’euro. Le déficit budgétaire des pays méditerranéens est très largement de nature conjoncturelle, et seulement pour une faible part d’ordre structurel.
Ne cassons pas une reprise économique à peine esquissée.
C’est très largement la déflation salariale excessive pratiquée par l’Allemagne depuis dix ans qui explique son excédent commercial : entre 120 et 200 milliards d’euros, dont 60 % sur la zone euro.
M. le président. Il vous faut maintenant conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Chevènement. Je termine, monsieur le président.
M. le Président Sarkozy a proposé à juste titre un forum des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro. Un tel forum est en effet souhaitable, à condition qu’il ne s’agisse pas d’entériner la zone euro comme communauté de sanctions. Nous devons aller vers un « gouvernement économique de la zone euro », mais tout est dans la définition qu’on lui donne. C’est là que se joue une certaine idée de l’Europe. Il ne serait pas réaliste de vouloir redécouper la zone euro pour en exclure ceux que l’on désignait naguère du nom de « pays du Club Med ».
La France ne pourrait pas accepter un tête-à-tête avec l’Allemagne dans un « noyau dur » comparable à celui qui était proposé autrefois dans le plan Schaüble et Lammers.
M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Chevènement, car vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Jean-Pierre Chevènement. Je conclus, monsieur le président.
Nous ne saurions accepter davantage le visa préalable de la Commission européenne sur les budgets nationaux. C’est le Parlement qui vote le budget.
Lorsque M. Trichet évoque l’idée d’un « fédéralisme budgétaire », il sort de son rôle.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument ! Ces termes doivent être bannis.
M. Jean-Pierre Chevènement. Cela n’a pas de sens, surtout lorsque l’on sait que la part du financement du budget européen représente 1 % du PIB des États et que, parallèlement, le taux des prélèvements obligatoires est en moyenne pratiquement de 40 % du PIB.
Alors, fixons des normes d’augmentation salariale plus généreuses, lançons un grand emprunt européen pour financer les infrastructures, la recherche et l’innovation, laissons filer l’euro pour qu’il retrouve une parité réaliste, sa parité initiale par rapport au dollar.
M. le président. Je vais devoir couper le micro, monsieur Chevènement, car vous avez déjà dépassé de moitié le temps de parole qui vous était imparti.
M. Jean-Pierre Chevènement. J’ai terminé, monsieur le président.
M. le président. Il ne suffit pas de le dire !
M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la ministre, la situation est grave. Il faudra beaucoup de résolution et d’habileté pour y remédier. Mais nous ne sommes pas seuls. Les États-Unis ont besoin que l’Allemagne et l’Europe, sans oublier la Chine, viennent à leur secours. Nous devons donc travailler à une Europe de la croissance et du progrès social.
Pour toutes ces raisons, la majorité des sénateurs du groupe du RDSE ne votera pas contre le présent projet de loi de finances rectificative, mais ne l’approuvera pas non plus. Nous suivrons l’exemple du SPD, en Allemagne : nous vous laissons une chance, pour le courage et l’imagination ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – MM. Denis Badré et Jean-Pierre Fourcade applaudissent également.)
M. le président. Vous m’avez placé dans l’embarras, monsieur Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Je défendais des idées originales, monsieur le président.
M. le président. Certes, mais si l’originalité autorise tous les dépassements, nous risquons l’inflation ! (Sourires.)
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la troisième fois depuis le début de l’année nous sommes réunis en séance publique pour examiner un collectif budgétaire.
Cette profusion de textes fiscaux et financiers intervient – faut-il y voir un paradoxe ? – alors même que les comptes de l’État et de la sécurité sociale n’ont jamais atteint de tels déficits et que, hormis les périodes de guerre et de grande calamité, la dette publique n’a jamais été aussi importante.
Cela nous conduit à jeter un regard rétrospectif sur l’évolution des comptes publics depuis le début de la législature et à procéder à un examen critique de ce qu’il faut bien appeler le « bilan du sarkozysme », c’est-à-dire l’état des lieux au bout de trois ans de mandat de l’actuel locataire de l’Élysée.
En nous fondant sur les données fournies par les services statistiques officiels, nous pouvons résumer les trois années qui viennent de s’écouler de la manière suivante.
Tout d’abord, le chômage s’est accru. Notre pays comptait 2,243 millions de chômeurs de catégorie 1 au second trimestre de 2007, mais 2,727 millions à la fin de l’année 2009, et Pôle emploi indemnise aujourd’hui plus de 2,835 millions de personnes.
Vous l’aurez compris, la situation de l’emploi salarié s’est profondément dégradée, au point que le nombre des emplois disponibles dans le secteur privé est aujourd’hui proche de celui de 2007.
Ensuite, sur le plan de la croissance économique, malgré la loi de modernisation de l’économie – ou à cause d’elle – et bien d’autres « pseudo-réformes » mises en œuvre depuis le printemps 2007, comme la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, nous avons connu une récession de 2,2 points en 2009, même si nous enregistrons une très faible progression de la production intérieure, d’un dixième de point en ce premier trimestre 2010.
Cette faible croissance situe la production nationale à un niveau inférieur à celui quelle avait atteint à la fin de l’année 2007.
L’économie française fait donc du surplace depuis 2007. Et cela s’accompagne de la progression continue du chômage ainsi d’ailleurs que des déficits publics.
Nous étions, en 2007, à peu de chose près dans les critères européens et nous nous retrouvons, en ce printemps 2010, avec une dette publique de plus de 1 500 milliards d’euros et un déficit supérieur à 7 % du PIB !
Vous me rétorquerez sans doute que cette situation est due à la crise. Mais la crise a bon dos, en la matière, puisque ce déficit a été alimenté autant par une conjoncture économique plus que délicate, mettant en accusation directe les règles de fonctionnement de la mondialisation libérale, que par des choix, en matière de fiscalité, particulièrement meurtriers.
S’il fallait le résumer, le bilan du sarkozysme pourrait être ainsi énoncé : plus de chômage, peu de croissance, plus de déficits et de dette publics !
Cette situation devrait en toute logique conduire certains responsables à s’interroger sur la pertinence de choix antérieurs. Or, que nous propose-t-on dans ce projet de loi de finances rectificative ? Rien, ou presque rien de nouveau.
La rigueur budgétaire, dont nous connaissons les postulats – non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, gel en valeur des dépenses publiques de l’État, mise en cause de la compensation des charges transférées aux collectivités locales – continue de battre son plein, ce qui contribue, je le souligne, à l’asphyxie lente mais sûre de nombre d’activités économiques.
On ne trouve dans les politiques publiques aucune trace d’une démarche nouvelle, visant notamment à prendre en compte les besoins sociaux, à corriger les effets d’une précarisation galopante de la population. Il faut savoir que le nombre de personnes qui bénéficient du RSA est aujourd’hui plus élevé que ne l’a jamais été le nombre d’allocataires du RMI.
Mieux encore – si l’on peut dire –, le Gouvernement va récupérer cette année les 450 millions d’euros qu’il avait renoncé à prélever, l’an dernier, sur les trois millions de redevables de l’impôt sur le revenu acquittant les plus faibles contributions !
La seule raison d’être de ce collectif est donc de constater la création d’un instrument juridique, un véhicule ad hoc qui va cantonner, pour le compte de l’État, sans que l’on sache exactement de quoi il s’agira, les 111 milliards d’euros que les instances européennes nous demandent de consacrer à la prise en garantie des éventuelles défaillances financières dont souffriraient, après la Grèce, certains pays de la zone euro.
Ainsi, après être venus au secours des banques et des compagnies d’assurance créancières de l’État grec, qui redoutaient de détenir des produits irrécouvrables, nous sommes aujourd’hui enjoints de secourir ces mêmes banques et compagnies d’assurance, parce qu’elles ont quelques craintes sur les titres des dettes publiques espagnole, portugaise, italienne, irlandaise, belge – que sais-je encore –, figurant dans leur portefeuille, le tout, bien entendu, accompagné d’une véritable épidémie de politiques d’austérité.
La mise en cause de la retraite à soixante ans, comme le gel des dotations aux collectivités locales, annoncé pour le projet de loi de finances pour 2011, en passant par le non-remplacement prévu de 100 000 fonctionnaires appelés à faire valoir leur droit à la retraite d’ici à 2013, tout participe de votre volonté profonde de vous placer parmi les meilleurs élèves de l’Europe libérale dans ce qu’elle a de plus détestable pour le respect de la volonté populaire et, bien sûr, des besoins collectifs.
Ce projet de loi de finances rectificative, en poursuivant une politique forcenée de réduction des déficits, enclenche de fait le processus qui, selon vous, devrait ramener la France dans les critères du traité de Lisbonne et de l’Union économique et monétaire, c'est-à-dire un processus qui alourdira de 100 milliards d’euros les prélèvements fiscaux subis par nos compatriotes pour avoir, dans trois ans, la même qualité de service public qu’aujourd’hui !
Et, comme aucune modification sensible des profondes inégalités devant l’impôt ne semble devoir être mise en œuvre, ce sera en réalité toujours plus d’impôts pour les plus modestes pour toujours moins de services publics !
Nous avons d’ores et déjà quelques doutes sur votre volonté de réduire le coût sans cesse accru des niches fiscales – une bonne douzaine ont été ouvertes depuis 2007 –, si ce n’est en réduisant le nombre de celles qui bénéficient aux plus modestes, comme nous l’avons vu voilà peu avec la suppression de la demi-part accordée aux contribuables parents isolés, ou encore avec la fiscalisation des indemnités versées en cas d’accidents du travail !
Nous vous attendons donc de pied ferme sur la lutte contre les niches dont bénéficient les revenus du capital, les patrimoines importants, les grandes entreprises, les marchés financiers !
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, nous ne voterons pas le présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)