Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est aujourd’hui saisi du dernier volet du triptyque « dialogue social », après le vote de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale dans le secteur privé et l’adoption de loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental et sa composante « salariale ».
Ce projet de loi constitue une étape nouvelle et importante. Résultat d’un accord négocié entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales, il modernise profondément la concertation.
Mais le projet de loi déborde de son objet initial pour aborder divers aspects du statut de la fonction publique par des ajouts divers et d’importance inégale.
C’est ainsi que la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis, sur le rapport de notre collègue Sylvie Desmarescaux, de l’article 30 supprimant le classement en catégorie active des corps et cadres d’emplois d’infirmiers et de personnels paramédicaux accédant à la catégorie A.
Le texte a été déposé le 1er avril 2009 sur le bureau de l’Assemblée nationale, qui l’a adopté le 27 avril 2010. Il comporte trois parties distinctes.
La première partie est consacrée à la rénovation du dialogue social, transcription d’un accord signé entre les partenaires sociaux à l’origine du projet de loi.
La deuxième partie, c'est-à-dire le volet « infirmières », introduit par lettre rectificative adoptée en conseil des ministres le 23 février 2010, constitue la mise en œuvre d’un engagement du Président de la République.
Enfin, la troisième partie contient des retouches au statut dans le sens des évolutions souhaitées par le Gouvernement, votées par l’Assemblée nationale.
L’Assemblée nationale a notamment adopté les fondements législatifs de la nouvelle politique de rémunération des agents publics par la prise en compte dans le régime indemnitaire de la performance individuelle du fonctionnaire et de la performance collective des services, la création d’un grade à accès fonctionnel dans les corps et cadres d’emplois de la catégorie A.
La commission des lois du Sénat a tenu à ce que les évolutions souhaitées se fassent dans le respect des particularismes : « ratifier » l’accord du 2 juin, oui, mais sans niveler la diversité des fonctions publiques, monsieur le ministre ; nous avons eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises.
Il a été volontiers pris acte des négociations conduites avec succès par le Gouvernement. Elles aboutissent sans conteste à une modernisation, dans le cadre légal, du dialogue social dans la fonction publique, qui doit en améliorer les pratiques.
Cependant, l’unité ne doit pas être l’unification.
La rénovation entreprise ne doit pas conduire à niveler les particularismes des trois fonctions publiques – fonction publique de l’État, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière –, qui tiennent notamment au cadre d’exercice des agents.
À l’État, employeur unique et pour tout dire « désincarné », s’oppose la réalité du dialogue social dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale, qui réunit responsables et délégués d’établissements et de collectivités.
La suppression du paritarisme ne doit pas conduire à une dilution de ce dialogue.
La commission a apprécié l’avancée réalisée à l’Assemblée nationale pour atténuer la radicalité de la suppression du paritarisme numérique dans la fonction publique territoriale en offrant à chaque collectivité la possibilité de la maintenir dans les comités techniques.
La commission a prévu la même règle pour les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Elle a renforcé l’articulation entre le Conseil commun et le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. À cet effet, elle a, d’une part, prévu dans l’instance inter-fonctions publiques la présence de droit du président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale et, d’autre part, précisé la compétence matérielle du Conseil commun en en excluant l’examen des textes spécifiques propres à chaque fonction publique, notamment les décrets d’application des modifications du statut général. La commission a complété cette coordination en prévoyant la participation aux séances, sans voix consultative, du président du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière.
Le CSFPT ne doit pas être dessaisi des sujets relevant de la fonction publique territoriale : il doit pouvoir émettre un avis sur les orientations des nouveaux dispositifs, quand bien même ceux-ci relèveraient du Conseil commun.
Il ne s’agit ni d’affaiblir celui-ci ni de s’opposer aux convergences nécessaires entre les trois versants de la fonction publique ; il s’agit de reconnaître l’identité de chacun et de préserver un fonctionnement harmonieux des trois versants de la fonction publique.
La commission a complété le volet « dialogue social », en premier lieu, pour ajuster la représentation des personnels dans les instances de la fonction publique hospitalière et, en second lieu, pour préciser l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.
Elle a tenu compte des résultats des élections aux comités consultatifs nationaux, qui représentent les personnels de direction et les directeurs des soins pour la répartition des sièges au CSFPH. La même précision a été apportée pour la période transitoire.
La commission a exclu les agents des corps de direction du collège « personnels » des comités techniques des établissements hospitaliers et sociaux et médico-sociaux. Recrutés et gérés à l’échelon national et, à ce titre, relevant d’un comité consultatif national, ces agents président les comités ou peuvent être amenés à suppléer le président.
La commission a enfin modifié le dispositif d’entrée en vigueur des nouvelles règles de désignation des membres des instances consultatives dans les trois versants de la fonction publique. Ces ajustements doivent permettre au Gouvernement d’organiser l’harmonisation voulue des cycles électoraux.
Une première étape interviendrait à la mi-2011, avec les élections dans la fonction publique d’État et dans la fonction publique hospitalière, pour parvenir à la convergence à la fin de 2014 avec la fonction publique territoriale.
En un mot, la nécessaire convergence des statuts de la fonction publique ne doit pas être une raison de supprimer les originalités qui caractérisent et enrichissent chacune d’elle, en particulier dans l’exercice du dialogue social.
Réformer le régime de retraite des infirmières en toute transparence, tel est l’objet de l’article 30.
La commission des lois a décidé de s’en remettre à la commission des affaires sociales, saisie pour avis, pour l’examen de l’article 30 fixant les conséquences pour leur retraite de l’accession en catégorie A des personnels infirmiers et paramédicaux du secteur public.
Je rappelle que l’objet de la réforme est, d’une part, de classer les personnels infirmiers en catégorie sédentaire, en contrepartie de leur intégration à la catégorie A par application du dispositif « LMD » et de la revalorisation salariale correspondante ; d’autre part, d’ouvrir un droit d’option aux personnels en place, aujourd’hui classés en catégorie B en fonction à la date de publication de la loi, entre le maintien de leur situation actuelle en classe active ou l’intégration à la catégorie A en passant en catégorie sédentaire.
Tout en reconnaissant la nécessité d’harmoniser la mise en place du dispositif « LMD » avec les personnels en activité, votre rapporteur s’interroge sur les incidences de l’exercice du droit d’option sur les effectifs, que nul aujourd’hui n’est en mesure d’évaluer. En effet, un effet mécanique pourrait résulter de l’exercice du droit d’option par une partie des agents demandant leur mise à la retraite plutôt que de s’engager sur le prolongement de leur activité.
Or, dans ce métier plus qu’ailleurs, l’expérience est irremplaçable et la transmission des savoirs est précieuse pour la formation des jeunes infirmiers et la bonne marche des services. La disposition proposée devrait permettre le maintien en fonction des personnels de façon à « lisser » les à-coups de la pyramide des âges et atténuer les difficultés de recrutement déjà constatées.
Ainsi que nous avons eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises, j’attire l’attention du Gouvernement, madame le ministre, sur la nécessité impérieuse de permettre aux agents d’opter en toute clarté, c’est-à-dire de disposer de toutes les informations concernant leur situation personnelle. (Mme la ministre fait un signe d’approbation.)
Madame le ministre, lors de votre audition, vous avez évoqué – vous l’avez rappelé à l’instant – les divers moyens d’information prévus par le Gouvernement. Il importe de permettre à chaque agent de disposer des calculs nécessaires à l’établissement d’un état comparé de sa situation selon l’une ou l’autre option.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. La précision des informations délivrées suppose que le nouveau dispositif ait été stabilisé, notamment en ce qui concerne les grilles indiciaires.
La commission des lois prend donc acte des conclusions de la commission des affaires sociales, qui nous seront présentées dans un instant par Mme Desmarescaux.
Concernant les ajustements techniques, la commission des lois a réglé un certain nombre de dispositions du statut.
Elle a renforcé la protection des agents territoriaux en élargissant le suivi médical post-professionnel, introduit par l’Assemblée nationale, aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques. En effet, cette notion comprend non seulement les substances, mais également les préparations et les procédés.
Elle a clarifié le calendrier d’entrée en vigueur de la loi.
Elle a reporté de deux ans, en conséquence d’un retard de deux années du début de l’expérimentation de l’entretien professionnel d’évaluation dans la fonction publique territoriale, la date de présentation au Parlement du bilan global. C’est également un point sur lequel nous avons eu l’occasion de vous interpeller directement, monsieur le secrétaire d’État.
Elle a reporté de deux ans, comme pour la fonction publique territoriale, l’expérimentation de l’entretien professionnel dans la fonction publique hospitalière, faute de texte réglementaire d’application, et elle a déconcentré l’évaluation des directeurs des soins.
Elle a harmonisé la durée du temps partiel de droit en allongeant la durée maximale du cumul d’activités pour création ou reprise d’entreprise, portée à deux ans par la loi du 3 août 2009, et elle a supprimé la consultation de la commission de déontologie sur la demande de temps partiel de droit.
Enfin, elle a régularisé, à la demande du Gouvernement, le transfert des personnels du service technique interdépartemental d’inspection des installations classées de la préfecture de police de Paris en conséquence de la nouvelle organisation territoriale de l’État en Île-de-France.
Le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis comporte des avancées et des innovations importantes pour la démocratie sociale, la gestion et la rémunération des fonctionnaires. Il permettra d’associer plus étroitement aux évolutions de l’administration ceux qui l’incarnent, c’est-à-dire la communauté des agents publics.
Compte tenu de l’ensemble de ces dispositions et de ces observations, la commission des lois vous proposera, mes chers collègues, d’adopter le projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, et le rapporteur, M. Jean-Pierre Vial, des échanges fructueux que nous avons eus.
Les 270 000 infirmières et infirmiers qui travaillent dans nos hôpitaux revendiquent depuis longtemps, et à juste titre, une revalorisation de leur statut. Les gouvernements des années 1990 et 2000 ont reporté la réforme, mais le Président de la République, dès 2007, s’est engagé à la mettre en œuvre. Le moins que l’on puisse dire est donc qu’il s’agit d’une amélioration très attendue par la profession.
Vous l’avez dit, madame la ministre, la revalorisation sera à la fois statutaire et financière.
Statutaire, puisque les infirmières et les infirmiers, qui relèvent aujourd’hui de la catégorie B de la fonction publique, seront promus en catégorie A dès le 1er décembre 2010.
Financière, puisque cette promotion statutaire s’accompagnera naturellement d’un gain monétaire. Le glissement indiciaire s’effectuera en trois temps : 2010, 2012 et 2015. À cette échéance, un infirmier ou une infirmière en début de carrière percevra 176 euros nets supplémentaires par mois, soit 2 118 euros de plus par an. En fin de carrière, son traitement mensuel aura augmenté de 317 euros nets, soit 3 801 euros par an.
On peut donc en conclure que, incontestablement, le Gouvernement a tenu sa promesse à l’égard des infirmières et des infirmiers.
Cela étant, il faut le reconnaître, la réforme est plus complexe dans ses modalités que les chiffres ne le donnent à entendre.
Je pense évidemment au droit d’option : les personnels infirmiers pourront choisir de passer en catégorie A ou de demeurer en catégorie B. Ce choix ne sera pas neutre, car la revalorisation aura des contreparties. Les infirmières et les infirmiers qui choisiront de passer en catégorie A perdront le bénéfice de deux avantages : le droit de partir à la retraite à 55 ans et la majoration d’assurance retraite d’une année pour dix années de service. Ils seront donc classés en catégorie dite « sédentaire », avec un âge légal de départ à 60 ans et un taux plein à 65 ans. Ceux qui préféreront conserver les droits spéciaux que je viens d’énoncer bénéficieront bien d’une revalorisation financière, mais elle sera moins importante : environ 110 euros nets par mois, soit 1 320 euros par an.
À mon sens – et les quatorze syndicats infirmiers dont j’ai auditionné les représentants ne sont pas loin de partager cette analyse –, la promesse est indéniablement tenue pour 60 % des infirmières et des infirmiers, c’est-à-dire ceux qui sont âgés de moins de 45 ans. En effet, ces derniers choisiront certainement de passer en catégorie A et se préparaient de toute façon, étant donné l’évolution démographique, à ne pas partir à la retraite à 55 ans.
Les choses sont plus complexes pour les 112 000 infirmières et infirmiers âgés de 45 ans ou plus. Pour eux, on peut dire que l’engagement n’est que partiellement respecté, puisque s’ils bénéficieront bien d’une revalorisation, elle sera de moindre ampleur, ce qui a provoqué quelques légers mouvements de protestation.
Sensible à leurs arguments, la commission des affaires sociales a cherché le moyen de résoudre ce problème, en étudiant notamment la faisabilité et le coût financier d’une disposition qui autoriserait les infirmières et infirmiers ayant déjà quinze années de service à bénéficier du passage en catégorie A tout en conservant le droit de partir à la retraite à 55 ans. Ils pourraient ainsi garder les anciens avantages tout en profitant des nouveaux. Une solution de ce type avait été adoptée pour les instituteurs lors de la création du cadre des professeurs des écoles, en 1991. Le coût de la mesure et la menace éventuelle de l’invocation de l’article 40 m’ont conduite à renoncer à présenter un tel amendement : d’après nos calculs, la charge supplémentaire serait de 6 milliards d’euros sur trente ans.
On peut comprendre que les infirmières et les infirmiers qui approchent 50 ans ne soient pas pleinement satisfaits par la réforme. Cependant, étant donné le contexte budgétaire et les efforts que nous allons demander à la nation pour faire face au vieillissement de la population, je considère que cette réforme, à un détail près sur lequel je reviendrai dans un instant, est socialement juste.
J’y insiste, la réforme, même si elle ne satisfait pas tout le monde, est profondément juste, car elle tend à répartir équitablement les efforts entre les générations : aux plus jeunes, on accorde une promotion statutaire et financière importante, tout en leur demandant en échange de travailler plus longtemps ; aux plus âgés, on accorde une revalorisation moindre, mais bien réelle, tout en leur permettant de conserver des avantages auxquels les générations suivantes devront renoncer.
Ce principe d’équité intergénérationnelle, dont l’oubli coupable aurait des conséquences dramatiques sur l’avenir de notre pays, est ici respecté. Je ne peux imaginer, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, qu’il ne le serait pas à l’occasion d’autres réformes à venir.
Je souhaite également rappeler que le coût de cette réforme sera déjà, pour l’année 2015, ultime étape de la revalorisation, de près de 500 millions d’euros par an. De plus, avec le recrutement de nouveaux infirmiers et infirmières, qui accèderont directement à la catégorie A à partir de 2012, la dépense augmentera chaque année de 25 millions d’euros environ, pour se stabiliser lorsque l’ensemble du corps relèvera de cette catégorie, sans doute vers 2020.
Au vu de l’état des finances publiques, personne ne contestera qu’il s’agit déjà là d’un effort exceptionnel en faveur des infirmières et des infirmiers. L’accroître davantage est apparu déraisonnable à la commission des affaires sociales. C’est la raison pour laquelle elle ne proposera pas d’amendement en ce sens.
Cela étant, si le principe de la réforme me paraît juste, celle-ci peut encore être améliorée dans sa mise en œuvre. En effet, à compter de la parution du décret, annoncée pour fin juillet ou début août, le Gouvernement a prévu de laisser six mois aux personnels infirmiers pour exercer leur droit d’option. Ils devront donc avoir fait leur choix avant le début du mois de février 2011.
Or la loi portant réforme des retraites ne sera pas adoptée avant le milieu du mois d’octobre et sera promulguée, au mieux, en novembre. Elle aura pourtant une incidence sur le statut des infirmières et des infirmiers, notamment pour ceux d’entre eux qui auront choisi de passer en catégorie A, puisque le Gouvernement a annoncé qu’il privilégiera la piste d’un report de l’âge légal de départ à la retraite. Dans ces conditions, les infirmières et les infirmiers n’auront que deux mois environ pour se déterminer une fois toutes les données disponibles.
M. Jacques Mahéas. C’est court !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur pour avis. Or il s’agit d’une décision très lourde, qui porte en réalité sur des choix de vie. On peut donc considérer que ce délai de réflexion est trop court et qu’il serait opportun de le prolonger.
M. Jacques Mahéas. Eh oui !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur pour avis. C’est d’ailleurs là une demande unanime des organisations syndicales, qui me semble légitime.
Néanmoins, Mme la ministre vient de nous le dire, le Gouvernement n’est pas favorable à une temporisation, car il privilégie une entrée en vigueur la plus rapide possible, ce que je peux aussi comprendre.
Voilà, mes chers collègues, ce que je tenais à vous dire sur cet article 30, court mais difficile, que nous aurons l’occasion d’examiner en détail. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « tournant historique », « ampleur de la rénovation », « modernisation très profonde », « consensus sans précédent », « nouvelle ère de démocratie sociale » : à lire l’exposé des motifs du projet de loi initial, on pouvait s’attendre à découvrir un grand texte, de ceux qui sont votés à l’unanimité et dans un enthousiasme sans faille. Malheureusement, le Gouvernement l’a tellement truffé d’articles additionnels hors sujet que ce texte restera une belle occasion manquée…
À l’origine, l’intitulé du projet de loi était « Rénovation du dialogue social dans la fonction publique ». Il s’agissait de la première étape de la mise en œuvre des accords dits de Bercy, signés le 2 juin 2008 par six des huit organisations syndicales représentatives de la fonction publique de l’État, à savoir la CGT, la CFDT, la FSU, l’UNSA, Solidaires, la CFE-CGC : accords majoritaires, sans aucun doute !
À ce stade, sans souscrire totalement au dithyrambe de l’exposé des motifs, nous aurions pu trouver avec vous un terrain d’entente, même si nous sommes clairement opposés à la mise à mal du paritarisme, notamment dans la fonction publique territoriale, à propos de laquelle il ne saurait être question de museler les élus par une sorte de recentralisation. Notons que le relevé de conclusions des accords de Bercy n’évoquait rien d’autre que l’« évolution de la composition paritaire des instances », ce qui n’a évidemment rien à voir avec le contenu du présent projet de loi.
Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le CSFPT, ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Lors de sa séance du 19 novembre 2008, il a très majoritairement rejeté l’avant-projet de loi, au motif que celui-ci organisait la fin programmée du paritarisme dans les comités techniques locaux et en son sein même.
De la signature des accords de Bercy, début juin 2008, au dépôt du projet de loi à l’Assemblée nationale, le 1er avril 2009, il aura tout de même fallu près d’un an. L’urgence ne semblait alors guère de mise. Le texte a ensuite attendu onze mois supplémentaires dans un tiroir à l’Assemblée nationale. Puis, soudain, il a fait l’objet d’un emballement extraordinaire, au sens strict du terme, c’est-à-dire hors de l’ordinaire.
Le 23 février dernier, une lettre rectificative ajoutait un titre II intitulé « Dispositions diverses relatives à la fonction publique ». Sous ce titre sibyllin, un seul article, mais aux conséquences très lourdes, puisqu’il conditionne le passage des infirmiers à la catégorie A, ce qui correspond à la reconnaissance légitime du niveau licence de leur diplôme, par le renoncement au départ à la retraite à 55 ans. Pour les personnels en fonction, un droit d’option valide seulement six mois est prévu pour choisir entre l’accession à la catégorie A, avec revalorisation, ou le maintien en catégorie active, avec départ à la retraite à 55 ans, sans même qu’un régime transitoire soit aménagé, comme cela avait été le cas pour les instituteurs.
Les infirmiers anesthésistes seraient les plus lésés par votre réforme : en effet, ils perdraient le bénéfice du classement en catégorie active, alors que, ayant fait cinq ans d’études, ils relèvent déjà de la catégorie A. Cela explique que 95 % d'entre eux aient fait grève le 18 mai dernier et qu’ils aient été 2 500 à signifier leur désespoir par le blocage, tristement spectaculaire, de la gare Montparnasse.
Mais pourquoi imposer ce troc scandaleux aux infirmiers, alors que le Président de la République a annoncé, lors du sommet social du 15 février dernier, ne pas vouloir passer en force sur la question des retraites ? « Nous prendrons tout le temps nécessaire pour dialoguer pour que les positions de chacun soient parfaitement comprises, pour que les Français soient clairement informés des enjeux et des solutions. » Tels étaient ses propres mots !
« Dialoguer », c'est bien le verbe qu’il a employé ! Pourquoi confondre dialogue et monologue en traitant à part la situation des infirmiers, au lieu de l’intégrer à la réforme des retraites, dont l'examen est annoncé pour septembre ? Si votre culture du compromis se borne à un simulacre de consultations syndicales, que ne devons-nous craindre du débat sur les retraites !
En effet, au travers de cet article 30, vous escamotez au passage, par l'annulation de la majoration de durée d'assurance retraite d’un an tous les dix ans d’activité dont bénéficient jusqu’à présent les agents travaillant dans les services de soins, la question de la pénibilité, pourtant essentielle ! Vous parliez de l’espérance de vie, madame la ministre, or nous ne sommes pas du tout d’accord avec vos déclarations sur ce sujet à l’Assemblée nationale !
Dans un courrier daté du 2 mai 2007, Nicolas Sarkozy, alors candidat à la Présidence de la République, s'était adressé en ces termes aux infirmiers : « Je mesure la pénibilité croissante de vos conditions de travail, en ville comme à l'hôpital, de même que la contribution irremplaçable des infirmières et des infirmiers au bon fonctionnement de notre système de santé et à la permanence des soins. » Ces paroles semblent bien oubliées, au moment où vous organisez un véritable marché de dupes.
En effet, une fois la majoration de la durée d'assurance retraite supprimée, l'allongement du temps de cotisation conduira les infirmiers à partir à la retraite non pas à 60 ans, mais, au minimum, à 62 ans ! Le calcul est simple : ajoutez quarante et une annuités à trois années d’études après un baccalauréat obtenu à 18 ans, et l’on aboutit bien à 62 ans. Or, ne l’oublions pas, la pyramide des âges des infirmiers est très déséquilibrée. Ainsi, au 1er janvier 2009, 54 % des infirmiers des établissements publics de santé étaient âgés de 40 ans et plus, 28 % d’entre eux de 50 ans et plus ! Le nombre des départs à la retraite est en constante augmentation : un infirmier sur deux sera parti d'ici à 2015. Vous courez donc le risque de les encourager à demander dès maintenant à prendre leur retraite, quitte à poursuivre leur activité dans le privé.
De surcroît, selon l'étude d'impact présentée dans la lettre rectificative, les économies attendues pour la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales seraient de 90 millions d’euros en 2011, de 184 millions d’euros en 2012 et de 439 millions d’euros en 2015. Dans la mesure où l'incidence financière de la réforme indiciaire et du classement des infirmiers en catégorie A serait de 100 millions d’euros en 2011 et de 200 millions d’euros en 2012, on peut conclure que l'abandon du critère de la pénibilité permettra de financer les retraites !
D’un point de vue formel, le recours à une lettre rectificative est suffisamment rare pour que cela n’indique pas l'importance qu’attache le Gouvernement à cet ajout totalement hors sujet par rapport au projet de loi originel. Cette importance fut encore soulignée, dès le lendemain, par la déclaration de la procédure accélérée.
En résumé, les accords de Bercy et leur traduction législative ont sommeillé près de deux ans, mais l'adjonction d'un seul article, déconnecté du texte autant que déplacé, a justifié un empressement des plus inédits. Comble de l’aberration, cet article superfétatoire vous place en flagrant délit d'entorse à votre propre texte ! En effet, celui-ci consacre le principe majoritaire, en subordonnant la validité d'un accord à la condition qu'il ait été signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentant au moins 50 % des voix. Or la mesure concernant les infirmiers est issue d'un protocole qui n’a été signé dans son intégralité que par le seul Syndicat national des cadres hospitaliers, que l’on peut qualifier à bon droit d’ultra-minoritaire, puisqu’il n’a obtenu qu’à peine 1 % des voix. Les organisations syndicales ont d'ailleurs boycotté la réunion du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière du 12 février 2010, convoquée en urgence avec pour seul point inscrit à l'ordre du jour le futur article 30. C’est bien la preuve que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, comme tendraient à le faire croire les propos lénifiants de Mme la ministre !
Provocation et flagrant délit sont à nouveau de mise avec d’autres ajouts, introduits cette fois par le biais d’amendements gouvernementaux apparus en séance à l'Assemblée nationale et relatifs à ce que vous appelez la « refondation salariale ». Le dépôt de tels amendements subreptices témoigne une fois de plus du respect dans lequel vous tenez le Parlement ! C’est surtout une belle illustration de votre conception du dialogue social, puisque l'intéressement collectif et le grade à accès fonctionnel ont été rejetés par les organisations syndicales ! Pourtant, lors de la présentation de l'agenda social de la fonction publique, le 26 mars dernier, vous leur aviez précisé que vous n’accepteriez aucun amendement allant à l'encontre de l'esprit des accords de Bercy. Or, les nouveaux articles 30 bis à 30 quinquies font suite à des discussions engagées en mai 2009 avec les quatre syndicats signataires du relevé de conclusions salariales du 21 février 2008 : l'UNSA, la CGC, la CFTC et la CFDT.
En ce même mois de mai 2009, le député Michel Diefenbacher a présenté au Premier ministre un rapport sur l'intéressement collectif dans la fonction publique. Ce travail a débouché sur un projet d'accord-cadre, que vous avez présenté, monsieur le secrétaire d’État, le 12 mars dernier. Mais vous avez dû mettre un terme aux négociations, car aucun consensus n’a pu se dégager, y compris avec les organisations syndicales favorables au principe de l'intéressement collectif. Le projet n'a donc jamais fait l'objet d'un accord !
Pourtant, les dispositifs rejetés par les partenaires sociaux réapparaissent au détour d'amendements qui s’apparentent à des cavaliers législatifs, sinon au cheval de Troie !
Je persiste à penser que la valeur du point d'indice doit demeurer la composante centrale de la rémunération des agents. En commission des lois, vous nous avez annoncé, monsieur le secrétaire d'État, l'ouverture de discussions sur le point d'indice au début de juillet. Dont acte ! J’espère que vous montrerez plus de compréhension et d'ouverture au dialogue que vos prédécesseurs.
En attendant, vous ne faites que multiplier les mesures particulières, au détriment de la base indiciaire des salaires. Pourtant, vous le savez, ces dispositifs ne sont pas compris dans le calcul des pensions de retraite.
En juin 2008, suite à un accord minoritaire – déjà ! –vous avez instauré la garantie individuelle de pouvoir d'achat, la GIPA. En réalité, cette pseudo-panacée ne permet que de mesurer la perte liée à une revalorisation trop faible du point d'indice. Aujourd'hui, intéressement collectif ou prime de fonctions et de résultats sont de nouveaux avatars de la rémunération au mérite, réponse managériale inadaptée au service public.
Cette culture de la concurrence et de la rentabilité est contestable en ce qu'elle crée des tensions et du stress. À l'heure où des suicides survenus dans des entreprises renommées ont révélé le drame que pouvait constituer une pression excessive au travail, pourquoi copier les méthodes parfois abusives du management privé ?
Le service public ne se réduit pas à des données quantifiables. Il ne repose pas sur la performance individuelle de ses agents, mais sur le sens que ceux-ci donnent à leurs missions. On aboutit sinon à des absurdités, en concluant par exemple qu’une infirmière n’est pas performante parce qu’elle a passé du temps au chevet d'un malade. La politique du chiffre conduit immanquablement à des dérives : c’est un constat tiré de l’expérience. Ainsi, nous l'avons tous observé et déploré, le nombre des gardes à vue a augmenté de manière exponentielle depuis qu'il est devenu un critère d'évaluation de l'efficacité des services de police et de gendarmerie.
Vous affirmez, monsieur le secrétaire d'État, qu’il est possible de définir des « indicateurs de résultats » et que la qualité du service rendu au public par les agents peut se mesurer à la durée du temps d’attente aux guichets. Mauvais exemple s’il en fut, car le manque de personnel dans certaines administrations anéantit tout effort individuel. Que peut faire l'employé du service des étrangers de la préfecture de Bobigny, confronté chaque matin à une longue file de centaines de résidents étrangers attendant depuis des heures dans des conditions indignes et inhumaines ? Quels que soient sa bonne volonté et son dynamisme, il ne peut pas pallier à lui seul les carences induites par une politique de suppression de postes de fonctionnaires. Autrement dit, il sera très délicat, pour ne pas dire impossible, d'établir des indicateurs pertinents et incontestables. Et que l’on ne me parle pas d'enquêtes de satisfaction auprès des usagers ! Pardonnez-moi cet humour un peu facile, mais, à en juger par les derniers résultats issus des urnes, vous risqueriez de fortes déconvenues si vous tâchiez de mesurer l'efficacité gouvernementale au moyen d’un quelconque système de sondages ! Gare à vos primes, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement !
Concernant le chapitre salarial, j’évoquerai encore le grade à accès fonctionnel, introduit dans ce texte malgré l'échec des négociations menées avec les syndicats à la fin du mois de mars dernier. Ce grade supplémentaire, réservé aux cadres occupant de hautes responsabilités depuis huit à dix ans, ne devrait concerner que quelque 8 000 personnes, sur un effectif total de 1,2 million agents de catégorie A dans la fonction publique de l'État. Alors qu'il conviendrait d'opérer une refonte globale de la grille, afin d'assurer des déroulements de carrière motivants, vous choisissez de privilégier une petite minorité de fonctionnaires.
À force d'insérer des articles additionnels abusifs, vous avez totalement dénaturé l'économie générale du projet de loi. D’un texte pour l'essentiel acceptable initialement, comportant même des avancées, on a fait un ensemble mal rabouté, où la volonté affichée de promouvoir le dialogue social est démentie par des passages en force sur la retraite des infirmiers ou le salaire au mérite. Et dire que vous avez osé, monsieur le secrétaire d'État, nous affirmer en commission des lois que ce texte « préfigure l'avenir des discussions dans la fonction publique » ! Que nous promettez-vous ainsi, si ce n’est un simulacre de consultation des syndicats, pour mieux les ignorer ? Cette attitude est d'autant plus choquante qu’elle s’inscrit dans un contexte où la fonction publique est depuis trop longtemps malmenée.
Le 2 mars dernier, à l’occasion d’un déplacement à Laon, où il a évoqué l'avenir de la fonction publique, Nicolas Sarkozy a pourtant encensé les fonctionnaires, leur recommandant d'être « fiers ». Permettez-moi de citer ses propos lénifiants : « On ne parle pas bien des fonctionnaires. On ne respecte pas assez vos compétences. On ignore les difficultés qui sont les vôtres. » Mais qui est ce « on » ? Qui maltraite les fonctionnaires, au travers d’une politique délibérément hostile ? Le Gouvernement fait sans cesse montre d'une attitude de défiance à leur égard. Tout se passe comme si, a priori, la dépense publique était forcément mauvaise, les fonctionnaires forcément trop nombreux et la fonction publique forcément inefficace : d'où la trop fameuse RGPP, que j'appelle volontiers réduction – ou régression – générale des politiques publiques. En effet, sous prétexte de moderniser, elle fait disparaître des pans entiers du service public.
Cette tendance est particulièrement sensible concernant les effectifs, régis en fonction de votre seule politique de non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux : 100 000 postes auront ainsi été supprimés entre 2007 et 2010, et 100 000 autres le seront au cours des trois prochaines années. Quel acharnement, alors que le nombre de départs à la retraite commence à diminuer ! On annonce 34 000 suppressions de postes pour 2011 : à moins qu’il ne soit arbitraire, ce chiffre s’avère désormais surévalué et devrait, selon votre propre dogme, être revu à la baisse.
Par ailleurs, j'aimerais faire un sort à votre affirmation selon laquelle la fonction publique territoriale embauche trop. Faut-il vous rappeler que, selon la Cour des comptes, l'État a transféré depuis 2004 quelque 128 000 emplois aux collectivités territoriales ? La mise en œuvre de vos politiques induit automatiquement des créations d'emplois, en premier lieu par la création de services de gestion des personnels transférés ! Je pourrais également citer les cas des personnels des crèches, des agences postales communales ou des maisons départementales des personnes handicapées…
De façon plus insidieuse, les collectivités territoriales sont amenées à embaucher pour pallier les carences de l'État. J’évoquerai, à titre d’exemple, l'accueil à l’école des enfants de deux à trois ans.
Bien que la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 précise que l’accueil précoce à l’école maternelle est une priorité dans les secteurs présentant un environnement social défavorisé, l’éducation nationale ne remplit plus son office. Dans la ville de Seine-Saint-Denis dont je suis maire, trois cents familles attendaient une solution. Il a fallu créer des crèches. Or une crèche de soixante berceaux représente vingt-cinq emplois. Vous aurez beau jeu, ensuite, de me les reprocher !