compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Sylvie Desmarescaux,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation à Gaza appelle, de notre part, une réaction à la fois indignée et inquiète.
Le sang qui a coulé lors de l’opération de janvier dernier n’est pas encore sec et les cicatrices ne sont pas encore refermées que, déjà, l’armée israélienne attaque une flottille humanitaire. Certes, nous ne sommes pas totalement naïfs et savons bien qu’un contrôle était nécessaire, mais on aurait vraisemblablement pu y procéder autrement. Le Président de la République a condamné cette opération, de même que le ministre des affaires étrangères et européennes.
Quant au journal israélien Haaretz, il a titré : « L’hystérie israélienne a eu raison de la flottille » !
Madame la présidente, de tels agissements ne servent ni la paix, ni les belligérants, ni l’image d’Israël au sein de la communauté internationale. Je demande donc que la conférence des présidents décide de l’organisation d’un débat sur ce sujet. Même si, je le crains, celui-ci ne sera pas plus utile que les débats que nous avons eus précédemment, il aura le mérite de montrer aux victimes qu’elles ne peuvent pas être bombardées impunément et que le Sénat se préoccupe au plus haut point de la situation.
En effet, nous ressentons une inquiétude grandissante face à l’impunité dont jouissent l’État d’Israël et son gouvernement lorsqu’ils recourent à la force, de façon disproportionnée, contre des populations civiles. (M. Nicolas About applaudit.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
Je ne manquerai pas d’en faire état devant la conférence des présidents.
3
Conventions internationales
Adoption de sept projets de loi en procédure d'examen simplifié
(Textes de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de sept projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces sept projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifiée.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
convention du conseil de l'europe pour la protection des enfants
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention du Conseil de l'Europe pour la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, signée à Lanzarote le 25 octobre 2007, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (projet n° 407, 2008-2009 ; texte de la commission n° 479, rapport n° 478).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
convention d'extradition avec le maroc
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention d'extradition entre la République française et le Royaume du Maroc, signée à Rabat le 18 avril 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la convention d’extradition entre la République française et le Royaume du Maroc (projet n° 571, 2008-2009 ; texte de la commission n° 475, rapport n° 474).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
convention d'entraide judiciaire avec le maroc
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc signée à Rabat le 18 avril 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc (projet n° 572 2008-2009 ; texte de la commission n° 477, rapport n° 476).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
convention de sécurité sociale avec le maroc
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc et du protocole annexe à la convention de sécurité sociale relatif au libre transfert des cotisations à la Caisse des Français de l'étranger, signés à Marrakech le 22 octobre 2007, et dont les textes sont annexés à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de la convention de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc (projet n° 604 2008-2009 ; texte de la commission n° 473, rapport n° 472).
(Le projet de loi est adopté.)
accord de coopération avec le liban dans le domaine de la défense
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord relatif à la coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise, signé à Beyrouth le 20 novembre 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise (projet n° 583, 2008-2009 ; texte de la commission n° 460, rapport n° 459).
(Le projet de loi est adopté.)
accord avec l'espagne relatif à deux projets d'autoroutes de la mer
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la sélection, à la mise en œuvre et au financement de deux projets d'autoroutes de la mer entre la France et l'Espagne sur la façade Atlantique-Manche-mer du Nord, signé à Madrid les 28 avril et 10 novembre 2009.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord entre la République française et le Royaume d’Espagne relatif à la sélection, à la mise en œuvre et au financement de deux projets d’autoroutes de la mer entre la France et l’Espagne sur la façade Atlantique-Manche-mer du Nord (projet n° 403, texte de la commission n° 456, rapport n° 455).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec l'italie relatif à la mise en place d'un service de ferroutage
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la mise en place d'un service de ferroutage entre la France et l'Italie, signé à Luxembourg le 9 octobre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la mise en place d’un service de ferroutage entre la France et l’Italie (projet n° 404, texte de la commission n° 471, rapport n° 470).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
4
Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution
Adoption d'un projet de loi organique en nouvelle lecture
(Texte de la commission)
Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (projet n° 490, texte de la commission n° 498, rapport n° 497) et l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (n° 401).
Ces deux textes feront l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au cas où vous l’auriez oublié, je vous rappelle que le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui sont soumis à votre examen doivent permettre la mise en œuvre d’une procédure originale, souhaitée par le Président de la République, et concourant à rendre notre démocratie irréprochable.
Les parlementaires pourront, en effet, exercer un contrôle effectif sur les principales nominations du chef de l’État aux fonctions publiques les plus importantes pour la garantie des libertés ou la vie économique et sociale de notre pays.
Les deux lectures réalisées dans chacune des assemblées ont été marquées par un débat très approfondi, et je veux, de nouveau, rendre hommage à la contribution particulièrement déterminante de votre commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs. À cet égard, je tiens à saluer le président de la commission et le rapporteur, qui ont beaucoup animé toutes nos discussions.
Si les deux textes proposés par le Gouvernement ont été notablement enrichis, je dois à la vérité de reconnaître que leur adoption définitive n’a pas été possible, pour le moment en tout cas !
La commission mixte paritaire est, toutefois, parvenue à un accord sur le projet de loi ordinaire, en retenant les dispositions introduites par votre assemblée en deuxième lecture.
Ainsi, le principe de la publicité des auditions sera inscrit dans la loi et un délai de huit jours devra être respecté entre la communication du nom de la personne dont la nomination est envisagée et son audition par les commissions permanentes compétentes.
En revanche, la commission mixte paritaire n’a pu résoudre le différend existant entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur le projet de loi organique.
Au cours de cette nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a campé sur ses positions et, de même, la commission des lois du Sénat souhaite maintenir les positions qu’elle a prises au cours des deux lectures précédentes.
Elle a donc supprimé, dans le texte qui lui a été soumis, l’interdiction des délégations de vote lors du scrutin destiné à recueillir l’avis de la commission compétente.
Elle a également réintroduit, dans le projet de loi organique, la possibilité pour les commissions compétentes de s’opposer, à une majorité des trois cinquièmes, aux nominations proposées par les présidents des assemblées au Conseil constitutionnel et au Conseil supérieur de la magistrature.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite voir cette réforme mise en œuvre le plus rapidement possible - à mon avis, tant les sénateurs que les députés partagent ce sentiment -, d’autant qu’un certain nombre de nominations doivent intervenir prochainement, dont l’importance justifie le recours à cette nouvelle procédure offerte par le projet de loi.
Je souligne cependant que l’absence d’accord entre les deux assemblées à l’issue de cette nouvelle lecture contraindrait le Gouvernement à recourir à la procédure prévue par la Constitution pour permettre une adoption définitive du projet de loi organique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’adoption prochaine de ces deux textes constituera, nous en sommes convaincus, les uns et les autres, un moment important pour l’application de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et, partant, pour la revalorisation du rôle du Parlement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Nicolas About applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, et rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour une troisième lecture après l’échec de la commission mixte paritaire – le premier depuis la dernière élection présidentielle ! –, au cours de laquelle les sept sénateurs se sont opposés aux sept députés.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Et voilà !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Comme vient de le préciser M. le ministre, nous sommes cependant parvenus à un accord sur le projet de loi ordinaire, qui a été enrichi par les deux amendements proposés par notre commission des lois.
Mais revenons-en au principal, c’est-à-dire au projet de loi organique, sur lequel persiste un désaccord entre les deux assemblées.
Ce désaccord persistant porte essentiellement sur deux articles : l’article 3, qui interdit, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, la délégation de deux mandats, et l’article 4, que nous avons introduit et qui nous semble essentiel, car il permet de saisir les commissions permanentes des nominations effectuées par le seul président du Sénat ou le seul président de l’Assemblée nationale.
Voyons maintenant plus avant les causes de ce désaccord.
Tout d’abord, l’article 3 impose de nouvelles règles de fonctionnement au Sénat, nous contraignant ainsi à modifier notre règlement intérieur. Le texte n’est donc plus un projet de loi organique ordinaire, si je puis dire, mais un projet de loi organique qui concerne directement le Sénat, et, de ce fait, ne peut être adopté qu’en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat.
Ce point peut, il est vrai, être source de divergences.
Si l’on se réfère à la définition formulée par le doyen Vedel, le texte qui nous est soumis aujourd’hui fait clairement partie de cette catégorie des lois organiques qui concernent le Sénat.
En revanche, si l’on se réfère à la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, la solution est moins nette, moins sûre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous serons particulièrement heureux que le Conseil constitutionnel nous donne à cette occasion une définition claire de ce qu’est une « loi organique relative au Sénat ».
Plus grave, si l’on considère cette fois l’interprétation de l’Assemblée nationale, on voit que celle-ci, en fin de compte, se permet de modifier l’article 27 de la Constitution, dont je rappelle les termes du quatrième alinéa : « La loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote. Dans ce cas nul ne peut recevoir délégation de plus d’un mandat. » On voit donc, d’une part, que la loi organique a précisément vocation d’énumérer les cas pour lesquels la délégation de vote est autorisée ; d’autre part, qu’elle ne peut l’interdire, puisque l’article 27 de la Constitution ne le permet pas.
La seule interdiction de délégation de vote figure à l’article 68 de la Constitution et concerne la destitution du chef de l’État : toute délégation de vote est alors interdite aux membres de la Haute Cour.
C’est au Conseil constitutionnel qu’il reviendra d’examiner la question en profondeur, mais le désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale n’est de toute manière pas d’ordre constitutionnel.
La véritable explication, c’est le président Jean-Luc Warsmann qui l’a donnée lui-même ; je le cite : « De plus, la disposition introduite par les sénateurs aurait pour inconvénient de modifier le poids relatif des deux assemblées, puisque, si l’Assemblée nationale continuait d’interdire le vote par délégation alors que le Sénat l’autorisait, le nombre des suffrages exprimés serait bien supérieur au Sénat qu’à l’Assemblée. Or, le constituant n’a pas souhaité modifié le poids réel des deux assemblées. »
En réalité, le vrai problème est bien là : l’Assemblée nationale a tout simplement peur que le nombre des votants au Sénat soit supérieur au nombre des votants à l’Assemblée nationale !
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, la commission maintient les deux amendements que le Sénat a adoptés en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut bien le reconnaître, nous avons déjà passé beaucoup de temps sur un sujet d’une importance infime, et je vise ici non pas l’article 13 de la Constitution, mais la possibilité de délégations de vote.
Quant à l’article 13 de la Constitution, il a son importance, surtout dans un système constitutionnel hyper-présidentiel. Nous nous y étions opposés, dans la mesure où le rôle imparti aux commissions permanentes du Parlement concernant les nominations, par le Président de la République, aux plus hautes responsabilités de l’État est quasi fictif. En effet, dans le cadre des institutions actuelles, réunir les trois cinquièmes des votes au sein des commissions compétentes des deux assemblées est mission quasi impossible.
Je maintiens néanmoins ma position, qui est conforme à celle de la commission, concernant la délégation de vote, en insistant sur le fait que, si les parlementaires peuvent déléguer leur vote dans le cadre d’une révision constitutionnelle – j’écarte le cas de la destitution du chef de l’État, pour laquelle la délégation de vote est justement proscrite par la Constitution -, on ne saurait, par une loi organique ou a fortiori par une norme inférieure, leur interdire cette possibilité pour toute autre décision.
Je partage donc le point de vue unanime de la commission des lois sur ce point. Il serait d’ailleurs assez curieux que les parlementaires s’arrogent le droit de se mettre en porte-à-faux pour ce qui constitue pour eux l’acte le plus important, l’acte constitutionnel.
Cela étant, je ne peux pas conclure sur cette querelle picrocholine avec l’Assemblée nationale sans m’interroger : on peut en effet se demander si le chef de l’État n’aura pas eu le loisir de procéder, avant 2012, à toutes les nominations qu’il souhaite, sans que l’article 13 de la Constitution ait pu être appliqué. (Sourires.) N’est-ce pas éviter sans risque un vote négatif des parlementaires ?
Le groupe CRC-SPC votera donc, et pour la troisième fois, contre le projet de loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, tous ceux qui m’ont précédé à la tribune l’ont dit, le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui soulève une question certes d’apparence secondaire, qu’il faut néanmoins traiter.
Tout d’abord, je souhaite rappeler notre position sur le fond, c’est-à-dire sur l’article 13 de la Constitution.
Au cours de la révision constitutionnelle, qui va bientôt fêter ses deux ans, et dont nous n’avons visiblement pas tout à fait fini de tirer les conséquences, l’article 13 avait suscité un débat. Nos positions sont connues ; nous avions considéré à l’époque que la possibilité d’émettre un avis sur les nominations effectuées par le Président de la République constituait une avancée, car elle n’existait pas antérieurement, tout en insistant sur le fait qu’un véritable progrès sur la voie de cette « démocratie irréprochable » que vous évoquiez, monsieur le ministre, aurait été un « trois cinquièmes positifs », au lieu de ce « trois cinquièmes négatifs ». On aurait ainsi vu l’ensemble des participants contraints de se mettre d’accord, ce qui aurait abouti à des nominations indiscutables.
Aujourd’hui, pour qu’une nomination puisse être mise en cause, il faut qu’il y ait une crise au sein de la majorité, car il s’agit bien d’une crise quand la majorité s’oppose au Président de la République.
On a beaucoup écrit sur cet article. Un certain nombre de constitutionnalistes l’ont qualifié de fausse avancée, de faux nez ou de leurre. Je vous laisse le choix des termes ! S’il constitue certes un progrès, ce n’est certainement pas pour nous un progrès décisif.
Notre position sur ce projet de loi organique ne changera donc pas : nous nous étions abstenus en première lecture, puis en deuxième lecture ; nous nous abstiendrons de la même façon aujourd’hui en nouvelle lecture.
Cela n’épuise pas pour autant le sujet.
En effet, le projet de loi ordinaire a, lui, fait l’objet d’un accord. Nous souhaitions que les auditions soient publiques ; notre proposition a été reprise. Puisque nous avions voté le texte en deuxième lecture, nous voterons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire.
Permettez-moi cependant de revenir d’un mot sur la curiosité institutionnelle que constitue la nouvelle lecture du projet de loi organique. Il s’agit d’une innovation, qui réjouira au moins les spécialistes du droit constitutionnel, toujours prompts à relever les situations atypiques. Comme Jean-Jacques Urvoas l’a rappelé, pour retrouver les traces d’une telle situation, c'est-à-dire l’échec d’une CMP alors qu’il y a identité de majorité entre les deux assemblées, il faut remonter à 1980, à propos du statut des magistrats.
M. Bernard Frimat. Trente ans après, pourrait-on dire à la manière d’Alexandre Dumas… Mais, là, c’est 50 % de plus ! (Sourires.)
Cette mise en perspective nous permet donc de prendre conscience à la fois du caractère éminemment secondaire de la question posée et de son importance constitutionnelle. Quelle position adopter face à cette opposition curieuse, sept sénateurs contre sept députés ?
Nous connaissons sinon l’issue, du moins l’itinéraire…
Nous allons, nous, Sénat, confirmer la position du Sénat, et, M. le ministre ayant affirmé qu’il appliquerait la Constitution, ce dont nous ne doutions pas, le texte va repartir à l’Assemblée nationale, qui tranchera, en dernière lecture.
On peut penser sans trop risquer d’être démenti que l’Assemblée nationale confirmera sa position. Comme nous sommes en présence d’une loi organique, c’est le Conseil constitutionnel qui tranchera et rendra, en définitive, l’interprétation qu’il considère comme bonne. L’Assemblée nationale, dont l’interprétation ne sera pas confirmée, continuera au fond d’elle-même à penser qu’elle avait raison ! (Sourires) Mais le Conseil constitutionnel aura choisi.
Pour notre part, nous reprenons l’argumentation qu’ont développée M. le président Hyest, en commission, et M. le doyen Gélard ainsi que Nicole Borvo Cohen-Seat, à l’instant : puisque l’on autorise la procuration pour la révision constitutionnelle, qui constitue l’acte plus important, à savoir l’élaboration de la loi suprême, pourquoi l’interdire dans le cadre d’un avis émis par une commission compétente ? Je sais bien que, dans le cas, impossible, disons-le, où l’on trouverait ces trois cinquièmes de votes négatifs, cela n’irait pas sans emporter un certain nombre de conséquences. Mais ce n’est qu’un avis, tout de même !
Or, quand on relit l’article 27 de la Constitution, sur lequel les députés fondent leur argumentation, on voit qu’il ne concerne jamais le fond, c'est-à-dire que l’on n’y trouve jamais d’énumération des sujets sur lesquels il serait impossible de donner procuration. Le seul cas, vous l’avez rappelé, pour lequel une telle interdiction est prévue, concerne, à l’article 68 de la Constitution, la destitution du chef de l’État. Mais c’est la Constitution elle-même qui le prévoit.
Quant à l’ordonnance organique qui découle de l’article 27 de la Constitution, elle ne cite que des problèmes de forme : cas de force majeure, service militaire, missions à l’étranger, notamment.
La position de nos collègues députés revient donc, dans le cadre d’une loi organique, à priver de son droit de vote un parlementaire qui se trouverait dans un cas de force majeur !
Or, selon moi, il n’est pas du pouvoir d’une assemblée, fût-elle aussi respectable que l’Assemblée nationale et aussi persuadée qu’elle de son bon droit et de sa primauté constitutionnelle sur le Sénat, de priver un parlementaire, représentant du peuple, de la possibilité d’utiliser son droit le plus élémentaire, c’est-à-dire son droit de vote.
Notre position est très claire : nous soutenons la position défendue par le rapporteur, comme nous l’avons fait lors de la commission mixte paritaire. Nous nous abstiendrons sur le texte parce que nous votons sur l’ensemble, mais le Conseil constitutionnel tranchera. En effet, il n’apparaît pas indispensable d’ajouter une quatrième, voire une cinquième lecture sur ce sujet qui, si passionnant soit-il, reste tout de même d’une importance relativement secondaire par rapport à d’autres questions qui peuvent être débattues par le Parlement. Je crois que nous y avons consacré suffisamment de temps.
Telle est, mes chers collègues, la position du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est donc à nouveau saisi des textes d’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.
Si le projet de loi ordinaire ne soulève pas de difficulté, la commission mixte paritaire ayant trouvé un accord, nos deux assemblées restent en désaccord sur deux dispositions du projet de loi organique : l’interdiction des délégations de vote, lors d’un scrutin destiné à recueillir l’avis d’une commission sur un projet de nomination ; l’application du veto des trois cinquièmes des membres des commissions aux nominations faites par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Situation inédite depuis bien longtemps, les membres de la commission mixte paritaire n’ont pu se mettre d’accord et ont provoqué une nouvelle navette.
D’une façon générale, les appréciations que nous avions formulées lors des précédentes lectures restent valables.
La révision constitutionnelle a modifié le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution pour permettre désormais aux commissions permanentes de chacune des assemblées de se prononcer sur les nominations aux fonctions ou emplois importants pour « la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».
Les nominations à la discrétion du Président de la République, qui étaient effectuées sous l’empire de l’ancien article 13, n’ont pas honoré l’histoire de notre République. Cet anachronisme a été indifféremment utilisé par les majorités successives, à des fins qui avaient souvent peu à voir avec le seul intérêt général.
Notre pays a toujours refusé l’instauration d’un spoil system à l’américaine, mais force est de constater que l’opacité qui a présidé à nombre de ces nominations a joué en faveur de l’émergence d’un État trop souvent partisan.
Nous approuvons donc naturellement le principe de la réforme, mais nous déplorons que les conditions d’application de ce nouveau dispositif ne soient pas à la hauteur des attentes suscitées.
En choisissant de retenir une majorité des trois cinquièmes pour qu’un veto soit opposé, on a en partie vidé de son efficacité la procédure. Dans notre pays, où la marche forcée du fait majoritaire étouffe les velléités à s’écarter du bipartisme, il est difficilement concevable qu’une partie substantielle de la majorité s’oppose à une nomination décidée par le Président de la République.
Cette observation a été déjà largement rappelée, mais elle garde toute sa pertinence.
La liste des établissements publics et des autorités administratives indépendantes figurant dans le projet de loi organique suscite toujours quelques interrogations.
Si le présent projet de loi organique permet un premier recensement de certains de ces emplois, leur détail demeure éparpillé entre divers textes de natures tout aussi diverses. Nous regrettons ainsi que l’hypothèque de la complexité et de l’opacité, qui ont régi les processus de nomination, n’ait pas été complètement levée.
Je regrette également que deux omissions aient été maintenues au fil de la navette : la Commission consultative du secret de la défense nationale et la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, même s’il a pu être dit que le mode de nomination spécifique de leurs membres résulte de la singularité de leurs missions.
J’en viens au cœur de la discussion du projet de loi organique, à savoir le désaccord persistant entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
La Haute Assemblée, par la voix de M. le rapporteur, a supprimé à deux reprises l’article 3 introduit par les députés. M. le rapporteur nous propose une nouvelle fois cette suppression, et nous lui apporterons notre soutien.
L’argumentation, déjà développée, nous paraît tout à fait pertinente : aucune disposition de l’article 13 de la Constitution ne fait mention de la délégation de vote, et nous savons qu’il n’appartient pas au législateur organique de légiférer ultra petita.
A fortiori, la seule disposition constitutionnelle prohibant, explicitement, une délégation de vote se retrouve à l’article 68, qui porte sur la destitution du chef de l’État. En revanche, la délégation de vote est possible pour tous les autres types de scrutin, y compris au Congrès du Parlement.
L’article 27 de la Constitution pose, en outre, le principe selon lequel la loi organique « peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote ». Or il est d’interprétation constante, y compris dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que cette disposition a vocation à être utilisée non pas pour prévoir la délégation par type de scrutin, mais simplement pour prévoir les cas d’empêchement – maladie, mission temporaire confiée par le Gouvernement, force majeure – pouvant frapper un parlementaire.
Il nous semble donc aventureux d’aller au-delà de la lettre de la Constitution, et il nous paraît fondamental de nous en tenir à une stricte interprétation du texte constitutionnel. La réorganisation, interne à l’Assemblée nationale, des commissions permanentes n’est pas un motif recevable pour violer la Constitution.
De surcroît, comme l’a également relevé M. le rapporteur, le présent projet de loi organique est un texte « relatif au Sénat », au sens du quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution. Dans ces conditions, l’accord du Sénat est constitutionnellement requis et il ne saurait être question de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale.
En toute hypothèse, et même si la navette devait néanmoins s’orienter dans cette direction, le Conseil constitutionnel sera saisi de ce texte et ne manquera pas de donner son interprétation.
Nous approuvons également le rétablissement par la commission de l’article 4, qui rappelle que le principe posé par l’article 13 de la Constitution, selon lequel la majorité des trois cinquièmes d’une commission peut faire obstacle à une nomination, s’applique aussi aux désignations faites par les présidents des assemblées, à savoir les membres du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de la magistrature.
Monsieur le ministre, je souhaite que les divergences entre nos deux assemblées se résolvent sereinement, ce qui ne signifie pas pour autant que les membres du RDSE renieront leur attachement à l’application intangible des règles de droit.
Au vu des observations que je viens de formuler sur l’économie générale des deux projets de loi, la majorité des membres de mon groupe votera pour, les autres maintenant leur vote d’abstention. (Applaudissements les travées du RDSE, de l’Union centriste, de l’UMP et du groupe socialiste.)