Situation de la gendarmerie nationale
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 60 de M. Jean-Louis Carrère à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur la situation de la gendarmerie nationale.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le secrétaire d’État, sans minorer l’importance de votre présence et sans vouloir manifester une quelconque discourtoisie à votre égard, je considère que le sujet de la question aurait justifié la présence du ministre de l’intérieur et du ministre de la défense.
Jean-Louis Carrère, sénateur socialiste des Landes, n’est absolument pas mis en cause ou brimé par votre présence ; au contraire, il l’apprécie. Pour autant, la gendarmerie – un pilier de la république – aurait mérité la présence du ministre de la défense, qui se défausse chaque fois que l’on aborde les questions relatives à la gendarmerie,…
M. Didier Boulaud. Exactement !
M. Robert Hue. Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère. …et celle du ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Hue applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Je voudrais brièvement compléter le propos de Jean-Louis Carrère. Nous organisons nos débats, en ces périodes d’initiative parlementaire notamment, en essayant d’y donner du contenu et d’être de dignes représentants de cette assemblée. Lors de la conférence des présidents, il nous a été donné l’assurance que le ministre serait présent. C’est en partie en fonction des accords que nous passons avec des ministres que nous organisons nos débats.
Malgré tout l’intérêt et l’amitié que je porte moi aussi à M. Marleix, je trouve très regrettable que nous soyons privés de la présence du ministre de l’intérieur…
M. Jean-Louis Carrère. Moi qui croyais que le ministre aimait la châtaigne !
M. Jean-Pierre Bel. … ou du ministre de la défense.
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. le président. Acte vous est donné de cette déclaration, mes chers collègues.
Discussion de la question
M. le président. Nous en venons donc à la discussion de la question orale avec débat n° 60 de M. Jean-Louis Carrère à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Jean-Louis Carrère attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités locales sur les conséquences désastreuses de l'application de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale et notamment du rattachement à la police nationale.
« De nombreuses inquiétudes ont été exprimées ces derniers mois sur la situation de la gendarmerie sans que le Gouvernement y apporte de réponse concrète. Pourtant, la situation sur le terrain est extrêmement préoccupante, notamment en milieu rural et dans les zones périurbaines. Le rattachement de la gendarmerie à la police nationale et les conséquences budgétaires qui l'accompagnent posent aujourd'hui clairement la question de l'avenir même du service public de la sécurité : personnel, statut, formation et matériels de gendarmerie sont aujourd'hui mis à mal par ce “rattachement”.
« Cette situation est d'autant plus dramatique que la révision générale des politiques publiques entraîne des coupes supplémentaires dans les moyens dont dispose la gendarmerie nationale. En témoignent la suppression de 1 300 emplois prévus en 2010 et la fermeture de 175 brigades territoriales d'ici 2012.
« Il souhaite ainsi interroger le Gouvernement sur l'évaluation de cette politique, particulièrement dommageable pour l'équilibre des territoires. Il demande que, dans le cadre de ce débat, le Gouvernement permette l'accès à l'intégralité du rapport de l'Inspection générale de l'administration consacré aux conséquences financières du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur.
« Il souhaite également demander au Gouvernement des éclaircissements quant à la cohérence de cette politique de réduction des moyens de la gendarmerie avec les objectifs affichés par le Gouvernement en termes de sécurité et de prévention. »
La parole est à M. Jean-Louis Carrère, auteur de la question.
M. Jean-Louis Carrère, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si je prends encore une fois la parole pour évoquer la situation de la gendarmerie, c’est parce que l’heure est grave !
Le Gouvernement s’ébat dans une certaine confusion, incapable qu’il est de contrôler ses propres impulsions législatives.
Bel exemple de cafouillage, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit « LOPPSI 2 », et sa programmation : annoncé dès 2007, inscrit à l’ordre du jour du Parlement en 2009 par Mme Michèle Alliot-Marie, puis ajourné ; puis de nouveau inscrit à l’ordre du jour et débattu à l’Assemblée nationale au mois de février 2010, ce projet de loi n’en finit pas de ne pas arriver au Sénat !
Aux dernières nouvelles, il était ajourné. Mais, ce matin, on nous l’a annoncé pour le 15 août. Ah non, pas pour le 15 août, pour le « début du mois de septembre », sachant que le « début du mois », cela va du 6 au 30 septembre, en l’étirant un peu…
Si le sujet n’était pas si grave, on pourrait en rire !
Selon les documents officiels, la « LOPPSI 2 » vise à adapter les moyens de la gendarmerie nationale aux évolutions de la délinquance sur la période 2009-2013... J’ai bien dit « 2009 » ! Or nous sommes en 2010, et nous serons bientôt au mois d’août. Mais, c’est vrai, ce ne sera pas pour le 15 août, puisque, maintenant, on nous parle de septembre…
Quelle considération pour le Parlement ! Quelle considération pour les élus de toutes tendances, qui, en matière de sécurité, sont confrontés sans cesse, sur le terrain, à des difficultés croissantes !
Ce projet de loi, qui, nous disaient les ministres successifs, était « très, très important », est encalminé ; il ne bouge plus. Est-il mort, monsieur le secrétaire d’État ? Ne faudrait-il pas envisager dès maintenant un autre projet couvrant, par exemple, la période 2010-2013 ou la période 2011-2014 ?
Voilà un parcours chaotique, mais représentatif de la manière dont le Gouvernement traite les questions de sécurité, quelquefois, d’ailleurs, à usage électoral !
La loi sur la gendarmerie avait connu, elle aussi, des péripéties similaires, et certaines dispositions avaient été mises en pratique avant même son adoption ! Là, c’est le bouquet ! (M. Didier Boulaud acquiesce.)
Voilà des preuves flagrantes d’impéritie, et je mesure mes mots !
Or cette fameuse « LOPPSI 2 » contient, ou contenait – on ne sait plus –, des dispositions relatives à la gendarmerie nationale et à la mise en œuvre de la politique de rattachement au ministère de l’intérieur. L’ajournement n’augure rien de bon ! Dites-moi, monsieur le secrétaire d’État, cet ajournement cache-t-il des problèmes de mise en place de certaines dispositions ? Est-il dû aux résistances rencontrées sur le terrain par certaines de vos mesures ?
De récents changements à la tête de la gendarmerie peuvent également être interprétés comme faisant partie de la confusion dans laquelle vous évoluez.
Ainsi, le départ précipité, et prématuré, du directeur général de la gendarmerie nationale et la nomination à sa place d’un ancien membre du cabinet du ministre de l’intérieur sont d’autres symptômes, me semble-t-il, d’un malaise profond.
De même, les réactions caporalistes qui s’abattent sur des gendarmes coupables d’expression poétique…
M. Josselin de Rohan. « Poétique » ?
M. Jean-Louis Carrère. … ou de critique raisonnée sont les indices d’une certaine nervosité.
M. Alain Fouché. C’est ce qu’a fait Jospin !
M. Jean-Louis Carrère. Je sais que Lionel Jospin vous pose des problèmes. Si vous le souhaitez, nous en reparlerons après !
M. Alain Fouché. Jospin avait sanctionné les gendarmes qui s’exprimaient !
M. Didier Boulaud. C’est faux ! C’est vous qui les avez sanctionnés ! On vous a vus !
M. Jean-Louis Carrère. Le moral n’est pas au beau fixe dans une institution dont bien des membres renâclent, face au processus d’intégration au sein du ministère de l’intérieur décidé par la loi d’août 2009.
En tout état de cause, la situation qui prévaut dans les forces de sécurité n’est pas satisfaisante. Et si je concentre aujourd'hui mon intervention sur la gendarmerie, il faudra revenir très rapidement – vous le savez bien, monsieur le secrétaire d’État – sur la situation de la police.
Monsieur le secrétaire d’État, j’entends des mots durs qui montent du pays profond. La gendarmerie souffre ; les gendarmes vivent mal une situation qui les dépasse et, quand ils s’expriment, avec modération, les sanctions tombent !
D’ailleurs, le 29 mars dernier, avec mes collègues du groupe socialiste – je parle sous votre contrôle, cher Didier Boulaud –, nous avions demandé à vous entendre, vous et le ministre de la défense, qui se défile, telle une anguille, sur le sujet, pour connaître les motivations et le sens des sanctions prises à l’encontre du gendarme Matelly. Vous avez aujourd’hui l’occasion de vous expliquer et de nous dire ce qu’il en est.
Toutefois, j’entends aussi les élus, qui nous interpellent. Ils s’inquiètent de certaines décisions. Ils ne comprennent pas pourquoi vous abandonnez actuellement des territoires qui ont besoin, eux aussi, d’une sécurité assurée, voire confortée.
Selon le discours officiel, le rattachement, une sorte de fusion progressive qui ne dit pas son nom, se justifierait par des raisons budgétaires : il faut mutualiser pour faire des économies.
Si, pour les questions de sécurité, comme dans les domaines de l’école ou de la santé, la recherche exacerbée d’une prétendue rationalité économique doit être l’alpha et l’oméga de l’action publique, alors, je vous le dis, monsieur le secrétaire d’État, je ne me reconnais plus dans cette République qui tourne le dos à ses valeurs fondatrices !
Peu de jours avant sa soudaine éjection, le général Roland Gilles, auditionné par notre commission, avait insisté sur l’absence de plan global de suppression des brigades territoriales. Qu’en est-il ? Ou alors, s’il ne s’agit pas d’un plan global, peut-être s’agit-il d’un plan local ?
Quels sont les projets d’ajustements ponctuels des zones de compétence en préparation ? En passant, notons comment le langage technocratique tente de cacher la férocité des conséquences de ce type de décisions.
Quelle relation y a-t-il entre ces ajustements ponctuels et la création de communautés d’agglomération confiées à la police nationale ? Est-ce que cela implique une éviction de la gendarmerie des zones périurbaines ?
Je profite de l’occasion pour vous dire qu’il y a un vrai défaut dans la méthode utilisée en cette matière par le Gouvernement. Sans donner de leçons, ce défaut, c’est le manque de concertation ! Les « ajustements », comme on les appelle, qui sont souvent lourds de conséquences pour l’économie et la vie sociale locales, ne sont ni préparés ni menés dans la concertation avec les élus locaux. Ceux-ci en souffrent ; ils nous le disent et vous le disent !
Manque de concertation aussi avec les gendarmes : ils expriment leur malaise, sans syndicats, avec des moyens bricolés : des associations, des forums sur Internet ou dans une publication connue par sa modération, L’Essor de la gendarmerie nationale, qui est l’organe des retraités de cette arme et qui devient, par la force des choses, le thermomètre de ce corps militaire enfiévré.
Monsieur le secrétaire d’État, dans un souci d’efficacité, et dans le cadre de la modernisation de l’action de sécurité, vous auriez dû vous appliquer à réduire, à calmer, la vieille et inutile rivalité entre police et gendarmerie. Au lieu de cela, le Gouvernement, qui préconisait justement de gommer ces aspérités, semble, par la politique qu’il mène, jeter de l’huile sur le feu et attiser les comparaisons nuisibles entre les deux forces.
Une sorte de jeu pervers et corporatiste s’installe sous le toit même du ministère de l’intérieur. Il consiste à comparer et à mesurer en permanence les avantages, les acquis, d’une force par rapport à l’autre, en considérant les indices, le déroulement de carrière, le logement...
Une telle évolution désorganise le système de sécurité intérieur de notre pays.
Mais que devient donc la gendarmerie ? Elle ne joue plus son rôle de proximité. Elle n’assure plus, par une présence visible, proche et durable, son rôle dissuasif et sécurisant.
Pourtant, la situation sur le terrain devient extrêmement préoccupante, notamment en milieu rural et dans les zones périurbaines. Et je sais que vous connaissez ces zones, monsieur le secrétaire d’État.
D’ailleurs, à ce qu’il semble, une nouvelle réorganisation géographique pourrait cantonner la gendarmerie aux zones rurales et aux voies de circulation, en la sortant complètement des zones périurbaines. Quels sont vos projets en matière de création de communautés d’agglomération ?
Le rattachement de la gendarmerie à la police nationale et les conséquences budgétaires qui l’accompagnent posent aujourd’hui clairement la question de l’avenir même du service public de la sécurité : personnels, statut, formation et matériels de gendarmerie sont aujourd’hui mis à mal par votre politique. Et ce n’est pas le projet de « LOPPSI 2 », avec ses financements - demain, on rase gratis ! -, qui nous permettra de reprendre confiance !
Comment pourra-t-on garantir demain la capacité opérationnelle de la gendarmerie et préserver sa présence sur le terrain ? Vous le voyez, je suis encore plus préoccupé par l’avenir de l’arme que par la préservation de son statut militaire.
Comment ne pas s’interroger ? Soyez-en juges, mes chers collègues.
On prévoit la suppression de 1 300 emplois en 2010 et la fermeture de 175 brigades territoriales d’ici à 2012 !
Les effectifs de la gendarmerie doivent baisser de 3 509 équivalents temps plein travaillé, dans le cadre triennal 2009-2011, ce qui mettra en danger le maillage territorial de la gendarmerie, notamment en milieu rural.
Quatre écoles de gendarmerie sur huit seront fermées.
Au détour d’une loi de finances rectificative, 23,5 millions d’euros de crédits affectés au budget de la gendarmerie seront transférés vers celui de la police. C’est une grande première…
M. Didier Boulaud. Ah oui ! C’est sûr !
M. Jean-Louis Carrère. Dans ma région, à la fin de l’année 2009, du fait des contraintes budgétaires, la gendarmerie avait réduit le nombre de patrouilles en véhicules, car les gendarmes ne pouvaient même plus les effectuer.
On recourt aux nouvelles technologies pour remplacer les personnels en diminution.
L’accroissement des charges opérationnelles et administratives, avec toujours plus de missions et toujours moins d’effectifs, soumet la gendarmerie, mais également la police, à une trop lourde tension.
Le statut militaire de la gendarmerie risque de subir rapidement une dégradation progressive qui pourrait lui être fatale.
Et, monsieur le secrétaire d’État, vous avez toujours la prétention de faire mieux avec beaucoup moins ! Les chiffres l’infirment.
Cette situation est d’autant plus saisissante que, à la révision générale des politiques publiques, déjà à l’origine de coupes dans les moyens humains dont dispose la gendarmerie nationale, viendront s’ajouter les coupes de la rigueur budgétaire annoncée par le Premier ministre, sous couvert de la crise.
Monsieur le secrétaire d’État, puisque vous êtes un partisan acharné de la « politique du chiffre » - et du découpage (Sourires) -, nous aimerions avoir des chiffres précis sur les redéploiements entre police et gendarmerie, sur les fermetures de brigades, sur la diminution des personnels…
L’évolution en cours est dangereuse pour le maillage du territoire et néfaste pour la présence de la gendarmerie auprès des populations rurales et périurbaines.
Les menaces de fermeture d’un certain nombre de brigades de gendarmerie représentent un sujet très sensible, pour les gendarmes comme pour les élus, qui sont particulièrement attachés à la présence de la gendarmerie en zone rurale.
Toutes les semaines, sur tout le territoire, les élus font état de telles menaces et de leur inquiétude.
Monsieur le secrétaire d’État, je n’exprime pas uniquement la pensée de la gauche, encore moins celle du seul parti socialiste. Permettez-moi de vous donner lecture de deux courts extraits de questions posées au Gouvernement par certains de nos collègues députés de la majorité.
Le 27 avril 2010 – c’est tout récent –, un député UMP de la Moselle, dont je pourrais vous donner le nom, « attire l’attention de M. le ministre de la défense sur le climat d’inquiétude qui semble régner au sein des effectifs de la gendarmerie nationale. Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, en janvier 2009, a été présenté comme un avantage en matière de coût de formation, d’équipement de matériel et de coordination des moyens. Après plus d’un an de fonctionnement, les gendarmes sont inquiets et la rumeur commence à gronder. » Je tiens à votre disposition la suite de la question.
Pas de réponse !
Le 27 avril dernier, un député Nouveau centre du Rhône, dont je tiens également le nom à votre disposition, interroge M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, en déclarant notamment ceci : « Par ailleurs, la gendarmerie redoute très fortement la réunification des structures de police et de gendarmerie scientifique et le rapprochement envisagé, voire le remplacement, du GIGN par les RAID. Cette perspective de réorganisation se traduirait par une dévalorisation certaine de l’action de nos forces de gendarmerie. »
Là encore, pas de réponse !
Et, quand j’interroge mes collègues, que me répondent-ils ?
Dans l’Ain – c’est précis –, toutes les brigades ne sont désormais plus habilitées à recueillir des plaintes, ce qui oblige les victimes à se déplacer au-delà de leur secteur. Cette situation peut évidemment décourager certaines personnes de porter plainte.
Dans les Bouches-du-Rhône, après la fermeture de la gendarmerie de Saint-Chamas, les élus redoutent, dans un contexte d’augmentation de la délinquance, la prochaine fermeture des casernes de Berre-l’Étang et de Rognac. Ils ont condamné l’absence totale de concertation avec les élus locaux.
Dans le Rhône, les brigades de gendarmerie de Feyzin et de Chassieu seraient appelées à disparaître ; elles pourraient être suivies par la brigade d’Écully.
Dans le Doubs, la pérennité de l’escadron de gendarmes mobiles de Besançon est menacée. L’escadron représente 106 familles, qui participent à la vie socio-économique de la cité.
Monsieur le secrétaire d'État, quelle inquiétude ! Mes collègues ne manqueront pas de revenir sur ce point.
Je veux dire avec force, monsieur le secrétaire d'État, que, pour nous, pour moi, la première richesse de la police et de la gendarmerie nationales, ce sont les hommes et les femmes qui y travaillent. Attention à ne pas les démoraliser ! Attention à ne pas mettre à mal une organisation qui fonctionne très bien, au nom d’une quête effrénée d’économies, au nom d’une obsession du chiffre et de la communication ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Boulaud. C’est un réquisitoire !
M. le président. La parole est à M. Jean Faure. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. Jean Faure. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur pour le Sénat, présente un caractère historique.
En effet, depuis la loi du 28 germinal an VI, donc depuis 1798, aucune loi n’avait été adoptée sur l’organisation de la gendarmerie.
Les règles régissant le statut et les missions de la gendarmerie nationale reposaient sur un simple décret datant de 1903.
Cette loi constitue également une réforme profonde puisqu’elle organise le rattachement de la gendarmerie nationale au ministre de l’intérieur, conformément à la volonté exprimée par le Président de la République, dans son discours du 29 novembre 2007. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau, puisque, du fait d’un certain nombre de dispositions prises dès 2002, le ministère de l’intérieur avait déjà dans 90 % des cas la gouvernance de la gendarmerie.
Avant même le dépôt du projet de loi, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat avait constitué en son sein, sur l’initiative de son président, un groupe de travail chargé de réfléchir à l’avenir de l’organisation et des missions de la gendarmerie.
Ce groupe de travail, que je présidais, respectait la diversité politique de notre assemblée, puisqu’il était composé de Michèle Demessine, Hubert Haenel, Philippe Madrelle, Charles Pasqua, Yves Pozzo di Borgo et André Rouvière.
À l’issue de nos travaux, nous avons présenté dix-sept recommandations, qui ont été adoptées à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et reprises dans un rapport d’information publié en avril 2008, soit en amont de la loi du 3 août 2009.
Lors de l’examen du projet de loi, je me suis largement fondé sur ces recommandations.
M’inspirant d’une phrase figurant dans le décret du 20 mai 1903, j’ai également « cherché à bien définir la part d’action que chaque département ministériel peut exercer sur la gendarmerie, afin de sauvegarder cette arme contre les exigences qui ne pouvaient trouver leur prétexte que dans l’élasticité ou l’obscurité de quelques articles ».
Je voudrais également souligner la très bonne collaboration que nous avons eue avec le rapporteur pour avis de la commission des lois, notre collègue Jean-Patrick Courtois.
Le texte initial du projet de loi présenté par le Gouvernement et déposé en premier lieu au Sénat ne comportait que dix articles.
Lors de l’examen du projet de loi, j’ai présenté une vingtaine d’amendements, qui ont tous été adoptés par la commission.
Tel que voté par le Sénat, en décembre 2008, le projet de loi comportait vingt-deux articles, soit plus du double que le texte initial.
Après son adoption par l’Assemblée nationale, en juillet dernier, le texte du projet de loi comportait vingt-six articles. Au final, le texte issu de la commission mixte paritaire en comprenait vingt-sept. Cela signifie qu’un certain nombre d’amendements ont été retenus.
Quelles ont été les principales modifications introduites par le Sénat ?
Tout d’abord, nous avons entièrement réécrit l’article définissant les missions de la gendarmerie nationale afin, ce qui n’était pas le cas auparavant, de consacrer son caractère de « force armée » et de mentionner expressément son rôle en matière de police judiciaire. En inscrivant dans le texte de loi que la mission de police judiciaire constitue l’une des « missions essentielles » de la gendarmerie, nous avons éteint certaines craintes. Si on veut ôter à la gendarmerie ses missions de police judiciaire, il faudra une autre loi !
Nous avons également affirmé l’ancrage territorial de la gendarmerie et rappelé ses missions militaires, notamment sa participation aux opérations extérieures.
Nous avons, par ailleurs, introduit un nouvel article afin de consacrer dans la loi le principe du libre choix du service enquêteur par l’autorité judiciaire.
Ces deux verrous – l’inscription dans la loi de cette mission essentielle et la consécration du principe du libre choix – permettent de bien affirmer le rôle de la gendarmerie en matière de police judiciaire.
Comme vous le savez, la question des relations avec les préfets avait pu susciter des interrogations, notamment auprès des élus.
Entendons-nous bien, il ne s’agissait pas pour nous de remettre en cause le rôle du préfet, qui occupe une place essentielle en matière de coordination des forces de sécurité publique ; mais il nous semblait nécessaire de concilier le rôle central du préfet avec le respect de la chaîne hiérarchique, consubstantielle au statut militaire de la gendarmerie. En aucun cas nous ne souhaitions que les services préfectoraux interviennent dans la chaîne de commandement.
En définitive, il me semble que nous sommes parvenus à un bon équilibre sur ce point. Je constate d’ailleurs que, quelques mois après l’adoption de la loi, cet équilibre a été traduit au niveau réglementaire.
Un autre sujet délicat a concerné la suppression de la procédure de réquisition. Là encore, il y a eu des résistances.
Estimant que cette procédure n’était pas compatible avec le rattachement au ministère de l’intérieur, nous avons accepté de supprimer la réquisition, en prévoyant toutefois deux tempéraments.
D’une part, nous avons souhaité maintenir une procédure d’autorisation pour le recours aux moyens militaires spécifiques, comme les véhicules blindés ou les hélicoptères.
D’autre part, nous avons souhaité, sur une suggestion de Mme Demessine, encadrer l’usage des armes à feu pour le maintien de l’ordre, tant par les gendarmes que par les policiers, en particulier afin de garantir la traçabilité des ordres.
Enfin, je rappelle que, grâce à ce projet de loi, les militaires de la gendarmerie bénéficieront d’une grille indiciaire spécifique, ce qui permettra d’aller vers une parité globale de traitement et de carrière entre les gendarmes et les policiers, conformément à l’engagement pris par le Président de la République.
En fin de compte, je crois pouvoir affirmer que, au-delà des clivages politiques, les travaux du Sénat ont été marqués par le souci d’apporter toutes les garanties pour le maintien du « dualisme » des forces de sécurité publique et du caractère militaire de la gendarmerie, auxquels nous sommes tous ici très attachés.
Le Gouvernement a, le 26 janvier dernier, remis au Parlement un rapport sur l’application de la loi relative à la gendarmerie.
À cette date, sur la quarantaine de décrets nécessaires à la mise en œuvre de cette loi, dix-sept décrets avaient été publiés et vingt-six textes réglementaires sont prévus à la fin du premier trimestre de 2010.
Les documents du ministère de l’intérieur relatifs aux coopérations opérationnelles entre la police et la gendarmerie, en matière de renseignement, de sécurité routière ou de coopération internationale respectent également l’équilibre entre les deux forces.
Je pense, en particulier, à la police judiciaire, domaine dans lequel la gendarmerie conservera la totalité de ses attributions.
Tout à l’heure, Jean-Louis Carrère a repris dans son exposé un certain nombre de déclarations faites à l’Assemblée nationale par nos collègues députés. Je ferai à mon tour quelques citations.
« Au final, ni la police ni la gendarmerie n’ont pour l’heure à pâtir des rapprochements et mutualisations opérées » : ces propos ne sont pas de moi ; je cite ici notre collègue député Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national du Parti socialiste à la sécurité, et auteur d’une étude sur le rapprochement entre la police et la gendarmerie pour la Fondation Jean-Jaurès !
Par ailleurs, je voudrais rappeler que, sur l’initiative du Sénat, une disposition a été introduite dans la loi, qui prévoit que « Le Gouvernement remet au Parlement, tous les deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, un rapport évaluant, d’une part, les modalités concrètes du rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur et notamment son impact sur son organisation interne, ses effectifs, l’exercice de ses missions et sa présence sur le territoire, et, d’autre part, les effets de ce rattachement concernant l’efficacité de l’action de l’État en matière de sécurité et d’ordre publics et la mutualisation des moyens entre la police et la gendarmerie. »