Article 1er
I. – Le livre II du code rural est ainsi modifié :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Alimentation, santé publique vétérinaire et protection des végétaux » ;
2° L’intitulé du titre III est ainsi rédigé : « Qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire des aliments » ;
3° Avant le chapitre 1er du titre III, il est ajouté un chapitre préliminaire ainsi rédigé :
« Chapitre préliminaire
« La politique de l’alimentation
« Art. L. 230-1. – La politique de l’alimentation vise à assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle, produite dans des conditions durables. Elle vise ainsi à offrir à chacun les conditions du choix de son alimentation en fonction de ses souhaits, de ses contraintes et de ses besoins nutritionnels, pour son bien-être et sa santé.
« La politique de l’alimentation est définie par le Gouvernement dans un programme national pour l’alimentation après avis du conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire. Le Conseil national de l’alimentation est associé à l’élaboration de ce programme et contribue au suivi de sa mise en œuvre. Il est rendu compte tous les trois ans au Parlement de l’action du Gouvernement dans ce domaine.
« Le programme national pour l’alimentation prévoit les actions à mettre en œuvre dans les domaines suivants :
« - la sécurité alimentaire, l’accès pour tous, en particulier les populations les plus démunies, à une alimentation en quantité et qualité adaptées ;
« - la sécurité sanitaire des produits agricoles et des aliments ;
« - la santé animale et la santé des végétaux susceptibles d’être consommés par l’homme ou l’animal ;
« - l’éducation et l’information notamment en matière d’équilibre et de diversité alimentaires, de règles d’hygiène, de connaissance des produits, de leur saisonnalité et de l’origine des matières premières agricoles ainsi que des modes de production, de l’impact des activités agricoles sur l’environnement ;
« - la loyauté des allégations commerciales et les règles d’information du consommateur ;
« - la qualité gustative et nutritionnelle des produits agricoles et de l’offre alimentaire ;
« - les modes de production et de distribution des produits agricoles et alimentaires respectueux de l’environnement et limitant le gaspillage ;
« - le respect des terroirs par le développement de filières courtes ;
« - le patrimoine alimentaire et culinaire français.
« Art. L. 230-2. – L’autorité administrative compétente de l’État peut, afin de disposer des éléments nécessaires à l’élaboration et à la mise en œuvre de sa politique de l’alimentation, imposer aux producteurs, transformateurs et distributeurs de produits alimentaires, quelle que soit leur forme juridique, la transmission de données de nature technique, économique ou socio-économique relatives à la production, à la transformation, à la commercialisation et à la consommation de ces produits.
« Un décret en Conseil d’État précise la nature de ces données et les conditions de leur transmission.
« Art. L. 230-3. – Les gestionnaires des services de restauration scolaire et universitaire publics et privés sont tenus de respecter des règles relatives à la qualité nutritionnelle des repas qu’ils proposent déterminées par décret.
« Les agents mentionnés aux 1° à 7° et au 9° du I de l’article L. 231-2 et, dans les conditions prévues par l’article L. 1435-7 du code de la santé publique, les médecins inspecteurs de santé publique, les ingénieurs du génie sanitaire, les ingénieurs d’études sanitaires et les techniciens sanitaires, les inspecteurs et les contrôleurs des agences régionales de santé veillent au respect des obligations fixées en application du présent article. Ils disposent à cet effet des pouvoirs d’enquête prévus au premier alinéa de l’article L. 218-1 du code de la consommation.
« Lorsqu’un agent mentionné à l’alinéa précédent constate dans un service de restauration scolaire ou universitaire la méconnaissance des règles relatives à la nutrition mentionnées au premier alinéa, l’autorité administrative compétente de l’État met en demeure le gestionnaire du service de restauration scolaire ou universitaire concerné de respecter ces dispositions dans un délai déterminé. Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé n’a pas déféré à la mise en demeure, cette autorité peut :
« 1° Ordonner au gestionnaire la réalisation d’actions de formation du personnel du service concerné ;
« 2° Imposer l’affichage dans l’établissement scolaire ou universitaire des résultats des contrôles diligentés par l’État.
« Lorsque le service relève de la compétence d’une collectivité territoriale, d’un établissement public, d’une association gestionnaire ou d’une autre personne responsable d’un établissement d’enseignement privé, l’autorité compétente de l’État informe ces derniers des résultats des contrôles, de la mise en demeure et, le cas échéant, des mesures qu’il a ordonnées.
« Un décret en Conseil d’État précise la procédure selon laquelle sont prises les décisions prévues au présent article.
« Art. L. 230-4. – L’aide alimentaire a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux plus démunis. Cette aide est apportée tant par l’Union européenne que par des personnes publiques et privées.
« Seules des personnes morales de droit public ou des personnes morales de droit privé habilitées par l’autorité administrative peuvent recevoir des contributions publiques destinées à la mise en œuvre de l’aide alimentaire.
« Des décrets fixent les modalités d’application du présent article, notamment les conditions auxquelles doivent satisfaire les personnes morales de droit privé ; ces conditions doivent permettre de garantir la fourniture de l’aide alimentaire sur une partie suffisante du territoire et sa distribution auprès de tous les bénéficiaires potentiels, d’assurer la traçabilité physique et comptable des denrées et de respecter de bonnes pratiques d’hygiène relatives au transport, au stockage et à la mise à disposition des denrées. »
II. -Au chapitre Ier du titre IV du livre V du code de la consommation, il est inséré un article L. 541-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 541-1. – La politique de l’alimentation est définie à l’article L. 230-1 du code rural. »
III. – Au début du livre II bis de la troisième partie du code de la santé publique, il est ajouté un article L. 3231-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3231-1-1. – La politique de l’alimentation est définie à l’article L. 230-1 du code rural. »
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, sur l’article.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre Ier de ce texte vise à définir et à mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation. C’est un projet ambitieux, qui pouvait laisser augurer de grandes avancées en matière de santé publique.
En effet, avec la dégradation des pratiques alimentaires et toutes leurs conséquences, il semblait indispensable que les pouvoirs publics se saisissent concrètement de cette question pour y apporter des réponses.
Très investie sur ce sujet, j’attendais beaucoup de ce texte. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur de mes espérances.
Pourtant, on trouve dans ce titre Ier des dispositions importantes. Je pense notamment à celles qui tendent à assurer une aide alimentaire aux plus démunis, à améliorer la qualité de nos aliments ou encore à promouvoir l’éducation nutritionnelle.
Le problème qui se pose porte donc non sur le fond, mais sur les moyens réels qui devraient être mis en œuvre pour atteindre ces objectifs.
C’est ainsi qu’il est proposé de renforcer le contrôle des repas servis dans la restauration scolaire afin que soient respectées des règles nutritionnelles. Très bien ! Mais vous ne proposez rien pour permettre aux collectivités en charge de ces questions d’améliorer la qualité des aliments qu’elles achètent.
Vous proposez aussi qu’il soit possible d’imposer aux producteurs transformateurs et distributeurs la transmission de données techniques ou économiques relatives à leurs activités. Mais rien n’indique que ce contrôle pourra donner lieu à des sanctions en cas non-respect des obligations en question.
En l’état, ce texte n’est qu’un ensemble de recommandations et de préconisations très générales, qui ne précisent ni les moyens dégagés pour atteindre les objectifs affichés ni les sanctions effectivement mises en place en cas de manquement à certaines règles.
Cette politique publique de l’alimentation est donc, malheureusement, beaucoup trop vague !
C’est très décevant, car il est aujourd’hui essentiel que les pouvoirs publics mettent en place des mesures claires et concrètes favorisant l’accès à une nourriture de qualité pour tous.
Vous le savez, les enjeux d’une politique de l’alimentation sont des enjeux majeurs, à commencer par celui de la santé. En effet, les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle ou encore le diabète ont, bien souvent, pour origine une alimentation déséquilibrée et de mauvaise qualité. L’obésité se développe aussi de façon très inquiétante et touche particulièrement les plus jeunes et les catégories sociales les moins favorisées.
Il apparaît donc indispensable que des mesures claires et normatives, avec des moyens bien précisés, soient prises pour lutter contre la dégradation des pratiques alimentaires, parallèlement à la mise en place d’une véritable éducation nutritionnelle, à destination des enfants comme des adultes. De simples recommandations ne suffiront pas !
Le groupe socialiste reviendra, tout au long de l’examen de l’article 1er, sur cette nécessité par le biais de nombreuses propositions.
Alors que vous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, qu’il nous fallait une alimentation « sûre et saine », je veux vous interpeller sur une problématique totalement occultée dans ce projet de loi, celle de l’utilisation des pesticides.
Nous savons tous que les pesticides comportent des risques pour les agriculteurs utilisateurs, les consommateurs et l’environnement. Or la France est le troisième consommateur de pesticide d’Europe, avec 5,4 kilogrammes par hectare et par an. Ce constat est très alarmant quand on connaît l’incidence de l’utilisation des pesticides sur le développement de certaines pathologies : problèmes neurologiques, stérilité, cancers ou maladie de Parkinson.
Il aurait donc été indispensable que la question des pesticides soit abordée dans ce texte, en lien avec la mise en place d’une politique de l’alimentation « saine, sûre et de qualité ».
Mais, derrière cette question, il y a celle de l’industrialisation massive de l’agriculture, qui conduit trop souvent à substituer la quantité à la qualité. Il nous faut donc promouvoir une politique agricole alternative, dans laquelle la qualité des aliments, le respect de nos terroirs et la promotion des filières courtes soient autant de priorités. Nous ne pouvons plus nous en tenir à des considérations d’abord économiques.
À cet égard, je suis extrêmement étonnée de constater que ce titre Ier n’aborde ni la question du mode de production ni celle de la juste rémunération des agriculteurs. Comment mener une politique de l’alimentation favorisant la consommation de produits de qualité si nous ne donnons pas la possibilité aux agriculteurs de vivre décemment de leur activité ? En effet, dans sa rédaction actuelle, le texte n’interdit pas de mener cette politique avec des produits importés, au détriment des agriculteurs français.
Pour conclure, je dirai que la politique publique de l’alimentation qui nous est proposée n’est pas à la hauteur des enjeux fondamentaux - économiques, environnementaux et de santé publique – qu’elle soulève. Je redoute que la politique de l’alimentation qui est ici affichée ne relève, une fois de plus, que de l’effet d’annonce et ne contribue finalement à pérenniser un système libéral, destructeur à plusieurs titres.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l'article.
M. Didier Guillaume. Je me permettrai d’abord de rappeler à notre collègue Jacques Blanc un vieux dicton que ma grand-mère répétait souvent : « Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage ». Car, mon cher collègue, dans vos propos, vous avez manqué d’objectivité et vous avez même fait preuve de dogmatisme. Les reproches que vous avez adressés au président de notre groupe, Jean-Pierre Bel, n’étaient pas fondés : non seulement il a rappelé, dans son intervention, beaucoup de nos propositions, mais notre motion n’avait nullement pour objet de repousser je ne sais quelle échéance ; il s’agissait d’inviter à pousser plus loin la réflexion, de façon à faire émerger un texte plus riche que celui qui nous est présentement soumis.
J’en viens à l’article 1er. Nous l’avons dit lors de la discussion générale, et le président Bel l’a répété tout à l'heure, faire figurer la politique de l’alimentation en tête de ce projet de loi est une bonne chose. Nous avons toutefois déposé des amendements pour améliorer le contenu de cet article.
Cette loi est censée bouleverser l’avenir. Nous ne pouvons que saluer cette nouvelle volonté qui est affichée de lier notre bien-être, au sens physique du terme, au « bien-manger ». On ne le rappellera jamais assez, le but principal de l’agriculture est bien de nourrir l’ensemble de la population.
L’objectif de cet article est donc de rapprocher la politique agricole de la politique alimentaire et, par conséquent, de la politique de santé publique. Pour cela, il est nécessaire de développer la transversalité et l’« interministérialité » entre ces secteurs. Jusqu’à présent, il n’a jamais été fait référence, dans aucun code, à la politique de l’alimentation.
Le groupe socialiste a à cœur d’enrichir ce débat d’utilité nationale et, pour cela, il estime qu’il faut suivre les trois orientations suivantes, car elles nous semblent essentielles : premièrement, s’attaquer aux disparités sociales ; deuxièmement, mener collectivement une réelle action en direction de la restauration scolaire ; troisièmement, engager les moyens et les solidarités nécessaires pour conduire une politique volontariste de l’alimentation.
Afin de s’attaquer aux disparités sociales, qui persistent, il nous paraît nécessaire de mener une politique de l’alimentation plus engagée. Aujourd’hui, nous le constatons tous, les chaînes de restauration rapide, où la qualité nutritionnelle et gustative des produits n’est pas prouvée, sont envahies par une clientèle à petits revenus, notamment par les étudiants, car ce sont les seuls lieux qui permettent de se nourrir à l’extérieur à un coût aussi peu élevé que possible.
Le président Bel l’a souligné, il est décevant que l’agriculture biologique soit la grande absente de ce texte. Alors que le Grenelle de l’environnement– ou ce qu’il en reste ! – vient d’être voté, établir un lien entre ces deux textes aurait permis d’assurer une meilleure cohérence politique.
Si l’on veut tenir les objectifs du Grenelle de 6 % de la SAU – surface agricole utile – en bio en 2012 et de 20 % en 2020, il faut changer de braquet. C’est possible, mais nous devons nous en donner les moyens. Nous ne devons pas nous contenter d’afficher dans la loi de grandes intentions.
De plus, en ces temps de crise, il est établi que les agriculteurs biologiques s’en sortent mieux que les autres. Pour autant, nous sommes loin des objectifs fixés : 1,5 % de la SAU seulement est consacré à l’agriculture biologique.
À l’époque des contrats territoriaux d’exploitation, reconnaissons-le, le nombre de conversions à l’agriculture biologique était dix fois plus important qu’aujourd'hui. (M. le ministre en doute.)
Nous devons faire preuve de volonté pour démocratiser l’accès à ces produits.
Opposer l’agriculture biologique à l’agriculture conventionnelle serait une erreur, pis, une absurdité, car elles sont selon moi complémentaires. Toutes les recherches faites dans le domaine de l’agriculture biologique servent également à l’agriculture conventionnelle. Il n’en demeure pas moins que l’objectif à atteindre n’apparaît pas suffisamment dans le projet de loi.
En ce qui concerne la restauration collective, vous voulez imposer aux gestionnaires des établissements de restauration de respecter des règles très strictes. Nous ne pouvons y être opposés. Mais nous devrions nous rapprocher du Conseil national de l’alimentation, qui accorde une grande importance à ce secteur.
Il faut cependant faire attention aux conséquences de ces règles pour les gestionnaires de la restauration scolaire. Nous devons, en particulier, veiller à ce que la gestion en régie ne disparaisse pas, ce que personne ne souhaite, au profit de la délégation à des grands groupes, car nous ne serions plus à même de garantir le respect des règles nutritionnelles.
Nous adhérons aux grandes orientations du texte, mais nous souhaiterions qu’y soit apporté un bémol, pour que l’obligation de respecter des règles strictes n’empêche pas les gestionnaires de la restauration scolaire…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Didier Guillaume. J’en viens donc à ma conclusion, monsieur le président.
Enfin, il faut donner les moyens aux collectivités locales de mener cette politique volontariste. Le rouleau compresseur de la RGPP ne permet plus aux services de l’État déconcentrés dans les départements de remplir leur rôle et cela se retournera vraisemblablement contre les collectivités locales.
M. le président. Mes chers collègues, dans la mesure où de nombreux orateurs se sont inscrits pour intervenir sur l’article 1er, je demande à chacun de respecter le temps de parole imparti.
La parole est à M. Claude Bérit-Débat, sur l'article.
M. Claude Bérit-Débat. Beaucoup, parmi les différents orateurs, ont relevé les lacunes de ce texte ou ont critiqué les propositions qui nous sont faites. Heureusement, la commission a enrichi le projet de loi pour donner satisfaction à un certain nombre d’entre nous.
Comme de nombreux sénateurs, je me déplace beaucoup sur le terrain. Avant que le projet de loi ne vienne en discussion devant le Sénat, j’ai rencontré en Dordogne un certain nombre d’acteurs du monde agricole. La grande majorité d’entre eux, qu’il s’agisse de représentants des Jeunes agriculteurs, de la FDSEA ou de la Confédération paysanne, a estimé que ce texte ne répondait pas aux problèmes actuels du monde agricole.
Dans le prolongement de ce qu’ont déjà dit mes deux collègues socialistes, je voudrais souligner que l’article 1er n’est pas à la hauteur des ambitions affichées. L’absence de prise en compte de la dimension économique dans l’accès à l’alimentation est particulièrement évidente.
Si l’un des enjeux majeurs du texte est bien d’encourager une meilleure alimentation et de la rendre plus accessible à tous les consommateurs, alors, on fait ici fausse route.
Une alimentation de qualité est une chose ; y accéder en est une autre. Cela a déjà été dit, la fracture alimentaire qui existe aujourd’hui dans notre pays ne cesse de se creuser. Autrement dit, aujourd’hui encore plus qu’hier, les revenus déterminent l’accès à l’alimentation. Dans ces conditions, il est important de se montrer ambitieux. C’est en tout cas la position de notre groupe et c’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à reconnaître l’accès de tous à une alimentation de qualité.
En effet, il me paraît logique de réaffirmer dès le début du texte que la politique publique de l’alimentation qu’on se propose d’élaborer s’adressera bien à tous les citoyens, et pas seulement à quelques consommateurs. Une fois cette base posée, il restera alors à bâtir cette nouvelle politique. À défaut, je crains pour la solidité de l’ouvrage.
Il faudrait, par exemple, développer la concertation et favoriser une plus grande transparence. Il serait en réalité assez logique que cette politique de l’alimentation et le programme national pour l’alimentation soient élaborés après consultation des instances qualifiées en matière scientifique.
De la même manière, il conviendrait de faire en sorte que les agricultures de proximité, biologiques et paysannes, dont vient de parler Didier Guillaume, soient davantage présentes dans les services de restauration scolaire. Cela me semble constituer un enjeu important, a fortiori si l’on fait de l’éducation au goût un objectif de la politique d’alimentation.
Dans ces conditions, il me paraît indispensable que le Parlement soit tenu informé par un rapport annuel de l’évolution de cette question.
La mise en place d’une politique de nouvelles normes de nutrition ne doit pas entraîner des coûts trop importants pour la restauration scolaire ni conduire à ce que des communes qui assurent en régie le service de restauration se déchargent de cette tâche parce qu’elle serait devenue trop compliquée à gérer ou trop chère à assumer.
Enfin, l’État doit montrer l’exemple en la matière. On ne peut pas, en effet, s’engager à assumer de nouvelles obligations à l’égard des citoyens sans s’interroger sur leur coût. Si je suis favorable à la mise en place de nouvelles règles nutritionnelles, je suis en revanche tout à fait opposé au dispositif qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, sur l'article.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de l’introduction de la notion d’alimentation à l’article 1er du projet de loi, une alimentation qui doit être saine, de qualité et suffisamment abondante.
Il est extrêmement important qu’elle soit saine, car c’est bien de santé qu’il s’agit.
Il va de soi qu’elle doit être de qualité, mais encore faudrait-il prendre un certain nombre de précautions. Le texte est muet, ou à tout le moins discret, sur cette question. À l’évidence, la qualité de la nourriture ne peut être simplement analysée sous le seul aspect scientifique, car elle relève avant tout de la perception gustative du consommateur, et le goût est quelque chose qui s’éduque.
Mme Anne-Marie Escoffier. C’est vrai !
M. François Fortassin. Ainsi, pour un palais non formé, une viande persillée peut paraître moins bonne qu’une viande qui ne l’est pas, et celle d’un animal de quatre ou cinq ans moins savoureuse que celle d’un animal de dix-huit mois. Cette éducation du goût passe bien entendu par l’école, mais également par l’information des consommateurs.
Mes chers collègues, moi qui suis un consommateur de viande rouge – cela ne vous étonnera pas ! (Sourires.) –, il a fallu que je me rende en Argentine pour apprendre que la meilleure viande à griller était la basse côte ! Si vous en demandez à un boucher français, il vous regardera avec des yeux ronds et vous répondra qu’il n’en a pas ou qu’il n’en vend pas, car c’est l’une des morceaux les moins chers.
J’en viens à la traçabilité, dont on fait des gorges chaudes. Encore faudrait-il qu’elle soit suffisamment précise, car la mention « viande d’origine européenne » ne nous renseigne guère ! L’entrecôte que l’on va manger vient-elle d’une blonde d’Aquitaine, dont vous devez savoir, monsieur le ministre, qu’elle est la Rolls-Royce des races à viande ? (Rires et exclamations.)
M. Jacques Blanc. Non, c’est la viande d’Aubrac !
M. le président. Mes chers collègues, n’entrons pas dans ce débat ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Monsieur le sénateur de la Lozère, vous n’allez pas me dire que les races étiques de votre département produisent de la viande de qualité ! (Nouveaux rires. – M. Jacques Blanc s’exclame.)
M. le président. Je vous en prie, restons-en là ! (Sourires.)
M. François Fortassin. En tout cas, je le répète, il faudrait que le consommateur dispose d’informations précises, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.
Il conviendrait également d’en finir avec un certain nombre de lieux communs. On nous répète à l’envi qu’il faut consommer cinq fruits et légumes par jour. Mais, s’ils sont bourrés de pesticides, il vaut mieux que les gamins n’en mangent pas !
Parlons donc d’agriculture biologique, comme l’a fait Didier Guillaume, ou, mieux encore, d’agriculture raisonnée.
M. Jean-Jacques Mirassou. Raisonnable ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Nous vivons quand même dans le pays de la tradition culinaire, d’où la « malbouffe » doit être totalement bannie. Voilà aussi ce qui doit être mis en exergue dans un texte traitant de l’alimentation. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l'article.
M. Jacques Muller. Je salue l’intitulé du titre Ier, « Définir et mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation », car il permet de rappeler implicitement que le premier objectif de l’agriculture est de nourrir les hommes, et non les voitures. Je fais ici référence au lobbying intense qui s’est déployé il y a quelques mois pour empêcher que le mot « agrocarburant » figure dans la loi ; mais c’est finalement par une opération de greenwashing que la dénomination « biocarburant » a été présente.
Je me félicite donc que le sujet de l’alimentation soit abordé, car, comme les autres, notre pays souffre de la « malbouffe », et ce à plusieurs titres.
Tout d’abord, ce phénomène crée des problèmes de santé publique. Sans revenir sur cet aspect, car il a déjà été évoqué, je veux simplement rappeler un chiffre qui croît de manière linéaire depuis une quinzaine d’années dans notre pays, celui de l’obésité : chaque année, le nombre de personnes atteintes d’obésité augmente de 5 % par an. Cela signifie qu’il double tous les quinze ans et qu’en 2020 plus d’un tiers de la population française sera touché par ce fléau. Il faut donc y remédier.
Ensuite, sur le plan sociologique, la déstructuration des repas entraîne une perte de la relation humaine. Aujourd’hui, les enfants monologuent devant leur ordinateur et leur console de jeux en grignotant n’importe quoi au lieu de partager une vie de famille.
Enfin, il y a la dimension culturelle, sur laquelle je ne reviens pas non plus, car notre ami Fortassin l’a déjà évoquée.
Cela étant, le véritable problème tient à ce que l’on n’articule pas la politique alimentaire avec la politique agricole : tel qu’il est rédigé, le texte pourrait permettre de développer une politique de l’alimentation de qualité reposant sur des importations. Certains grands pays sont d’ailleurs capables de nous fournir à des prix très bas de la nourriture de très grande qualité, même à haute valeur environnementale, ou HVE.
L’articulation de la politique alimentaire et de la politique agricole suppose que nous agissions dans deux directions.
Premièrement, il nous faut parvenir à la souveraineté alimentaire. Nous devons avant tout produire pour satisfaire la demande intérieure. Or, nous sommes bien obligés de le constater, une partie non négligeable de notre agriculture, la plus productiviste d’ailleurs, est tournée vers l’exportation.
J’ai entendu tout à l’heure que l’on remettait au goût du jour un vieux concept datant d’il y a trente ans : le « pétrole vert ». Or les exportations se font vers des marchés fragilisés et ne se maintiennent qu’à coup de subventions européennes. Il est donc grand temps de recentrer l’agriculture vers les besoins de notre population, ce qui nous permettrait de nous appuyer sur des circuits plus courts.
Deuxièmement, il nous faut définir le type d’agriculture que nous voulons.
Je n’aime pas trop l’expression d’« agriculture durable », qui est devenue un fourre-tout. Parlons plutôt d’« agriculture soutenable », ce qui implique un système d’exploitation plus autonome. À ce titre, je voudrais répondre à l’intervention de M. le ministre dans la discussion générale.
Monsieur le ministre, la prise en compte de la problématique énergétique de l’agriculture française ne saurait se limiter à la promotion de la méthanisation sur les exploitations agricoles. Bien sûr, c’est une excellente chose, et nos voisins allemands se sont engagés avec succès dans cette direction. Il s’agit en effet de produire de l’énergie renouvelable et de manière parfaitement décentralisée.
Mais le problème de fond, le problème numéro un réside ailleurs, et il est particulièrement préoccupant : c’est le degré extrêmement élevé de dépendance de notre agriculture vis-à-vis des énergies fossiles. Celle-ci dépend en effet du pétrole, notamment à travers le gazole, mais aussi et surtout à travers les engrais de synthèse et les pesticides, dont la fabrication exige énormément d’énergie. Aussi, tant que nos systèmes de production agricole n’iront pas vers une utilisation plus économe de ces intrants, nous serons hors sujet !
Je le répète, nous devons articuler la politique alimentaire avec une politique agricole soutenable, s’inscrivant dans une perspective de souveraineté alimentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)