M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi a pour objet de faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Il s’agit donc d’améliorer, dans ce domaine, le dispositif actuel, tout en généralisant les saisies conservatoires pour la quasi-totalité des poursuites engagées en matière criminelle et délictuelle.
Ce texte est pour le moins consensuel, puisque l’Assemblée nationale l’a adopté à l’unanimité, bien qu’il ne me semble pas véritablement coordonné avec le projet de réforme de la procédure pénale, auquel semblent particulièrement tenir le Président de la République et Mme la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. Mais j’espère que vous nous apporterez, monsieur le secrétaire d’État, dans le cadre de la discussion de cette proposition de loi, quelques éclaircissements sur ce sujet.
Si les confiscations et les saisies en matière pénale se rapprochent d’un point de vue matériel, en ce qu’elles font perdre au propriétaire la disposition d’un ou plusieurs biens, elles possèdent toutefois des natures juridiques bien distinctes, et ce pour au moins deux raisons.
Tout d’abord, les confiscations sont des peines, prononcées uniquement par des juridictions de jugement, qu’elles soient, selon les cas, alternatives, lorsqu’elles sont encourues pour des délits et des contraventions de la cinquième classe, ou complémentaires, lorsque la loi ou le règlement en dispose expressément, tandis que les saisies sont des actes d’enquête ou d’instruction, créées à des fins probatoires.
Si la réforme du dispositif actuel est demandée, c’est d’abord parce que les cadres juridiques existants sont éparpillés et manquent, de ce fait, d’efficacité. Une telle situation est, on voudra bien l’admettre, particulièrement dommageable, dès lors qu’il s’agit de matière pénale. Nous en sommes tous persuadés.
Pour adapter la procédure pénale aux saisies des biens immeubles ou meubles incorporels ainsi qu’aux saisies n’impliquant pas de dépossession, ce texte tend à refondre complètement l’encadrement juridique des saisies et confiscations autour de trois axes principaux, qui ont été rappelés par M. le secrétaire d’État et notre excellent rapporteur.
Le Gouvernement a fait apporter deux modifications à ce texte, lors de son examen, en première lecture, par l’Assemblée nationale.
La première concerne la création de l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, établissement public à caractère administratif placé sous la double tutelle de la Chancellerie et du ministère du budget, dont la mission consistera à assurer la gestion ainsi que l’aliénation ou la destruction des biens saisis ou confisqués en exécution d’une décision émanant d’une juridiction nationale ou étrangère.
La seconde permet de transposer des textes étrangers dans le code de procédure pénale, en application d’une décision-cadre du Conseil de l’Union européenne et conformément à la convention des Nations unies contre le trafic illicite des stupéfiants et substances psychotropes.
J’en prends acte, la commission des lois du Sénat souhaite, de son côté, aligner les régimes de la peine complémentaire de confiscation, aménager les compétences de ceux qui la prononcent et prendre un certain nombre de dispositions relatives à la future agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
L’évolution de la grande criminalité organisée et internationale doit indéniablement conduire le législateur à mettre en place des dispositifs pour la combattre sinon à armes égales, du moins avec une efficacité suffisante. Dans une telle perspective, claire et volontaire, les saisies conservatoires et les confiscations constituent, il est important de le souligner, un outil utile dans la lutte contre la criminalité organisée. Ces dernières, d’une part, privent les délinquants des outils et des fruits de leurs infractions et, d’autre part, donnent à l’institution judiciaire la possibilité d’éviter la dissipation du patrimoine technique à laquelle les réseaux criminels sont rodés. De surcroît, si l’augmentation du champ d’application des peines de confiscation emporte un accroissement incontestable de la répression, elle n’est pas contraire aux principes fondamentaux de la procédure pénale.
J’évoque naturellement des situations concernant des personnes jugées et non pas mises en examen ou simplement suspectées. En effet, les individus étant présumés innocents, il ne saurait à l’évidence être question, au moment de l’enquête, de les priver de leur patrimoine, celui-ci étant aussi important que leurs droits. C’est la raison pour laquelle je suis quelque peu réservée sur cette question.
De même, si je suis favorable au principe d’une coopération avec les pays étrangers, je ne comprends pas pourquoi les infractions visées sont limitées aux crimes et délits contre les biens, les victimes des délits contre les personnes ne bénéficiant pas de la même protection. Selon moi, il faut saisir l’occasion qui nous est donnée en instaurant une complémentarité dans ce domaine.
J’ai relevé d’autres points qui peuvent appeler de ma part certaines réserves.
À l’article 2, qui vise à introduire dans le code de procédure pénale un titre XXXI intitulé « Des mesures conservatoires », le texte proposé pour le deuxième alinéa de l’article 706-167 pose question. Il prévoit en effet que la condamnation vaut validation des mesures conservatoires et permet l’inscription définitive des sûretés. Or il peut y avoir un recours par voie d’appel. En procédure civile, il faut une condamnation passée en force de chose jugée ou, aux risques du créancier, au moins exécutoire.
Quant au dernier alinéa de cet article, qui prévoit que les mesures prévues à titre conservatoire sur les biens de la personne mise en examen sont applicables, y compris après la date de cessation des paiements, il constitue une négation de la procédure collective, puisque, par hypothèse, les faits poursuivis sont antérieurs à l’ouverture de celle-ci.
Le texte proposé pour l’article 706-143 du code de procédure pénale dispose que « le propriétaire ou, à défaut, le détenteur du bien est responsable de son entretien et de sa conservation ». Mais si la personne est détenue, comment pourra-t-elle endosser une telle responsabilité ?
Le texte proposé pour l’article 706-144 du code de procédure pénale tend à maintenir la compétence du juge pénal et non celle du juge de l’exécution, ce qui restreint les libertés au regard du dispositif actuel. Il en est de même au deuxième alinéa de l’article 706-145 du code de procédure pénale, avec l’imperium de la saisie pénale sur toutes les saisies civiles, la saisie pénale entraînant la suspension ou l’interdiction de toute procédure civile d’exécution, ce qui empêche les créanciers d’être réglés sans motivation.
Le texte proposé pour le deuxième alinéa de l’article 706-150 prévoit que la saisie pénale de l’immeuble porte sur la valeur totale de celui-ci, au mépris du démembrement de propriété – nue-propriété ou usufruit – ou de la propriété indivise postcommunautaire due à une séparation de biens ou particulière, ce qui est contraire aux règles du code civil.
Voilà quelques exemples des imprévoyances de ce texte. Elles expliquent, monsieur le secrétaire d’État, les raisons pour lesquelles le groupe du RDSE sera attentif, d’une part, aux éclaircissements que le Gouvernement acceptera d’apporter sur les points les plus obscurs de cette proposition de loi et, d’autre part, au sort qui sera réservé aux amendements déposés par l’ensemble de nos collègues, de droite comme de gauche, amendements dont l’objet est précisément d’améliorer un texte qui a déjà bénéficié, grâce à notre excellent rapporteur et à notre commission des lois, de véritables améliorations rédactionnelles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte est pertinent et plein de bon sens. Il permet de combler un certain nombre de lacunes et d’éviter des situations d’injustice, les criminels et les délinquants donnant le sentiment parfois de tirer un peu trop aisément leur épingle du jeu.
Nos collègues viennent de le rappeler, il n’est pas surprenant que ce texte ait recueilli à l’Assemblée nationale un assez large consensus ; cela me semble tout à fait justifié.
Les amendements de la commission sont également très pertinents et je m’y associe.
Il est fort opportun, notamment, de viser également les assurances sur la vie, qui, dans bien des situations, peuvent être source de réels problèmes juridiques et de grandes difficultés, et pas seulement en matière pénale.
En outre, il est bien évident que les personnes morales doivent être assujetties au même régime que les personnes physiques.
Au final, sous réserve de l’évolution des débats, je crois que ce texte constituera un « plus » et renforcera l’efficacité des sanctions pénales.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui a pour objectif de renforcer l’effet dissuasif d’une sanction pénale en offrant aux autorités judiciaires la possibilité de lui adjoindre une privation des profits que les délinquants auraient pu tirer de leur activité illicite.
S’inspirant du rapport de mission de Jean-Luc Warsmann, consacré, en 2004, à la lutte contre les réseaux de trafiquants de drogue, cette proposition de loi s’inscrit dans une évolution législative tendant à consolider notre arsenal juridique en matière de confiscation.
Avec la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, le Parlement avait déjà élargi les possibilités de confiscation, en visant notamment des biens qui ne constituent pas strictement l’instrument ou le produit de l’infraction.
Un an après, nous adoptions la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance afin de perfectionner la détection en amont des biens susceptibles de faire l’objet d’une mesure de confiscation.
Malgré ces profondes réformes, notre excellent rapporteur, François Zocchetto, dont je salue le travail, a judicieusement souligné que la saisie « restait privée en partie de son effectivité dès lors que les biens susceptibles d’être concernés n’avaient pu faire l’objet d’une saisie ou d’une mesure conservatoire dès le début de l’enquête ».
La procédure de saisie aux fins de confiscation souffre principalement de deux lacunes : en premier lieu, un manque de précision quant au régime de la saisie avant jugement des biens ne constituant pas l’instrument ou le produit de l’infraction ; en second lieu, un manque d’adaptation quant aux saisies d’immeubles ou de meubles incorporels, et quant aux saisies n’impliquant pas dépossession.
C’est pourquoi ce texte, déposé sur l’initiative de nos collègues députés Jean-Luc Warsmann et Guy Geoffroy, tend, d’abord, à élargir le champ des biens susceptibles d’être saisis et de la peine complémentaire de confiscation, ensuite, à créer une procédure de saisie pénale aux fins de confiscation, et, enfin, à améliorer la gestion des biens saisis avec la création d’une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Le principe prévu par notre droit pénal de la confiscation des instruments et des biens en rapport avec l’infraction apparaît très dissuasif. En effet, pouvant être prononcé soit à titre de peine alternative, soit à titre de peine complémentaire, le transfert de la propriété de biens, sans indemnité ni contrepartie, au profit de l’État se révèle un moyen puissant pour lutter contre les activités criminelles.
Néanmoins, la peine de confiscation ne peut être exécutée qu’une fois la décision de condamnation devenue définitive. C’est en raison de ce caractère tardif, et au regard des forts risques de voir dissipés les éléments du patrimoine issus des activités illicites d’une personne mise en cause, que la mesure perd son effectivité.
C’est pourquoi la proposition de loi prévoit la possibilité pour les autorités judiciaires de saisir, dans le cadre d’une enquête de flagrance, d’une enquête préliminaire et de l’instruction, l’ensemble des biens confiscables.
Cette disposition instaure donc une véritable assurance de résultat pour la peine de confiscation et permet ainsi de garantir les droits des tiers lors de leur indemnisation.
De plus, le texte étend le champ des biens confiscables à l’ensemble des biens meubles ou immeubles, divis ou indivis, et aux biens ou droits incorporels. Sur proposition de notre rapporteur, il a été décidé d’inclure expressément les sommes acquises de façon illicite et placées sur des contrats d’assurance sur la vie.
Le texte étend par ailleurs la peine complémentaire de confiscation en cas de condamnation pour proxénétisme, trafic de stupéfiants et infraction à la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard.
Ainsi, la saisie ne se limite plus seulement aux éléments de preuve tendant à la manifestation de la vérité, mais va apporter, dès le début de l’enquête, les sûretés nécessaires à l’exécution de la peine de confiscation.
Les membres du groupe UMP et moi-même nous en réjouissons.
La présente proposition de loi vise également à instaurer une nouvelle procédure pénale de saisie.
En l’état actuel de notre droit, les mesures de saisie aux fins de confiscation ne sont possibles qu’en cas d’infraction relevant de la criminalité organisée et sont régies par les modalités prévues par les procédures civiles répondant à une logique spécifique de recouvrement de créance.
Constatant l’inadéquation de la procédure civile et le vide juridique dans la procédure pénale, les auteurs de la proposition de loi instaurent une procédure spéciale de saisie pénale. Elle permet ainsi d’éviter l’insécurité juridique, cette dernière étant liée au fait que certains magistrats ne s’opposent pas à ce qu’un juge d’instruction autorise la saisie des biens sur le fondement des articles 81 et 99 du code de procédure pénale, alors même que d’autres sont réticents.
Le juge pénal est dès lors doté de prérogatives de puissance publique lui permettant de saisir, de manière rapide, les éléments du patrimoine constitués par l’exercice d’une activité illicite.
L’ensemble des évolutions que je viens de vous présenter, auxquelles le groupe UMP et moi-même sommes favorables, fait l’objet d’un large consensus au sein de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale.
Mes chers collègues, la commission a adopté à l’unanimité l’ensemble des amendements présentés, traduisant le consensus que recueille cette proposition de loi. Nous nous en félicitons.
Au-delà de ce consensus national, ce texte s’inscrit dans un processus de réforme plus large. En effet, l’Union européenne et les pouvoirs publics cherchent, depuis plusieurs années, par différents moyens et instruments juridiques, à lutter plus efficacement contre les activités criminelles au niveau transnational.
Concernant les moyens juridiques affectés à cette lutte, notre droit pénal a, au fil des années, et au regard de la décision-cadre du 22 juillet 2003 transposée en juillet 2005, rendu plus facile la saisie de biens à des fins conservatoires dans le cadre d’une procédure engagée par un autre État membre.
Le texte dont nous débattons renforce cette coopération interétatique en insérant un ensemble de dispositions de coordination, notamment l’inscription dans notre droit du principe de la communication directe entre les autorités compétentes de chaque État. Il en résulte une simplification et une clarification des procédures de coopération.
S’agissant des instruments juridiques, plusieurs entités ont été constituées sur le plan national, tels les groupements d’intervention régionaux, créés par une circulaire interministérielle de mai 2002, ou encore la plateforme d’identification des avoirs criminels, créée en septembre 2005.
Le but est d’améliorer l’identification des patrimoines des délinquants, aussi bien en France qu’à l’étranger, en vue d’augmenter les saisies et les confiscations.
Comme le souligne notre rapporteur, « cette approche pluridisciplinaire et ce décloisonnement des services » permettent de systématiser la « vision financière des investigations » afin d’augmenter le montant total des saisies et des mesures conservatoires, toujours dans une visée dissuasive.
Parce que l’efficacité des peines confiscatoires passe par une bonne gestion, la proposition de loi établit dans la continuité l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Cet établissement public administratif sera chargé essentiellement de gérer, sur mandat d’une juridiction nationale ou étrangère, les biens saisis.
Au vu de ces quelques remarques, le groupe UMP votera favorablement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer répond à un objectif on ne peut plus louable : combler les lacunes de notre procédure pénale pour priver les délinquants des fruits de leurs méfaits.
Présentée en juin 2009 à l’Assemblée nationale par Jean-Luc Warsmann et Guy Geoffroy, cette proposition de loi s’inscrit dans la philosophie des désormais innombrables discours sécuritaires prononcés par le Président de la République.
On se rappelle que, au printemps de l’année dernière, à l’occasion d’une table ronde tenue à Nice sur la lutte contre l’insécurité et les violences, M. Sarkozy avait martelé son combat « contre les bandes organisées » et fait part de son intention de mener une guerre totale contre les trafiquants, qui ne devaient plus pouvoir jouir des produits de leurs méfaits.
Cette table ronde de Nice réunissait les représentants des différents services locaux impliqués dans la lutte contre l’insécurité, un chef de groupe d’intervention régional, un magistrat, ainsi que les représentants d’une association de victimes, dont on attendait qu’ils appellent de leurs vœux l’adoption de nouvelles dispositions destinées à mieux – toujours mieux – réprimer les violences de « bandes ». Comme l’a révélé le journal Libération, cette table ronde s’est soldée par un fiasco.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de cautionner les discours alarmistes d’un Président qui répète inlassablement son pas de deux sécuritaire – un fait divers, une loi –, espérant ainsi reconquérir une partie de l’électorat de l’extrême droite, reconquête ardue, si l’on en croit les résultats des élections régionales.
Accroître inconsidérément le nombre des textes répressifs n’apportera aucune solution miraculeuse aux problèmes de sécurité.
Comme l’a récemment rappelé Mme le garde des sceaux elle-même au ministre de l’intérieur, qui annonçait son intention d’aggraver les sanctions pénales pour les violences commises sur les personnes vulnérables, « aujourd’hui, 40 % des incriminations qui existent en matière pénale ne sont jamais utilisées par le juge ».
Arrêtons donc « de légiférer à l’émotion » et astreignons-nous à ne réformer que ce qui doit être réformé.
Or, en l’état actuel de notre législation, si la justice dispose, depuis 2007, de la possibilité de prononcer en matière pénale des peines complémentaires de confiscation, elle n’est pas dotée des moyens procéduraux nécessaires pour assurer l’effectivité de ces peines.
Cette carence de notre système procédural a d’ailleurs été clairement mise en lumière par différentes décisions-cadres du Conseil de l’Union destinées à harmoniser les législations européennes et à organiser l’entraide judiciaire.
La proposition de loi qui nous est soumise entend opportunément mettre un terme à cette insuffisance.
On ne saurait, en effet, accepter que les délinquants puissent, malgré leurs condamnations, profiter des bénéfices de leurs forfaits, et cela en dépit même des peines de confiscation prononcées à leur encontre.
Pourtant, notre code de procédure pénale ne permet la saisie que des biens mobiliers utiles à la manifestation de la vérité, c’est-à-dire des pièces à conviction ou des biens utiles à l’enquête, et n’organise pas de procédure spécifique de saisie pénale.
Les saisies à des fins conservatoires sont donc particulièrement compliquées en matière pénale, et une réforme s’imposait. C’est la raison pour laquelle, une fois n’est pas coutume, nous accueillons favorablement la proposition de loi qui nous est soumise.
Pour pallier les lacunes de notre procédure pénale, le texte vise, en premier lieu, à étendre le champ des biens susceptibles d’être saisis dès le stade de l’enquête et de l’instruction, en développant ainsi les possibilités de saisie patrimoniale.
Il instaure une procédure spécifique de perquisitions destinée à empêcher la dissipation des actifs, de manière à rendre effectives les peines de confiscation pouvant être ordonnées au moment du jugement.
En second lieu, le texte étend le champ de la peine complémentaire de confiscation, notamment en cas de trafic de stupéfiants ou de proxénétisme.
Nous nous félicitons que, sur l’initiative de la commission des lois du Sénat, une telle peine puisse en outre être prononcée à l’encontre des personnes morales.
M. Hortefeux l’a encore redit : il entend « frapper les délinquants au portefeuille ». Pour ce faire, il compte envoyer dans les quartiers sensibles une cinquantaine d’agents du fisc chargés de contrôler des personnes soupçonnées d’activités lucratives non déclarées. Seulement, il semble oublier les délinquants en col blanc, dont les portefeuilles sont pourtant on ne peut mieux garnis…
« Lorsqu’un caïd de banlieue se réveille à midi, ne travaille pas de la journée et roule [...] en 4x4 », le ministre de l’intérieur estime légitime de se poser la question de la source de ses revenus. Il oublie que, lorsqu’une société dispose d’un patrimoine dont l’origine est difficilement déterminable, ne déclare aucune activité commerciale, alors qu’elle dispose de fonds importants, il est tout aussi légitime de se poser la même question.
Cet « oubli » du ministre de l’intérieur tient peut-être à son respect des positions du Président de la République, qui s’est toujours refusé à traiter la délinquance financière comme une délinquance à part entière.
Cette grande délinquance porte pourtant un préjudice considérable à la vie économique du pays, par les fonds détournés et par les dégâts issus de la fraude fiscale, dont on estime qu’elle est à l’origine, pour la France, d’une perte de recettes comprise entre 35 milliards d’euros et 50 milliards d’euros par an, soit l’équivalent du déficit du budget, avant la crise !
Mais j’en reviens à l’objet de ce texte.
La proposition de loi qui nous est soumise tend, en deuxième lieu, à créer une procédure de saisie pénale spécifique, distincte des procédures civiles d’exécution auxquelles les autorités pénales doivent actuellement avoir recours pour prendre des mesures conservatoires.
Cette nouvelle procédure doit permettre de procéder à la saisie, même sans dépossession de biens immeubles et de biens meubles incorporels, d’une manière plus adaptée au cadre pénal.
Le texte entend ainsi moderniser notre droit pénal procédural qui, pour l’heure, a pour objectif premier la préservation des éléments de preuve et n’organise de saisie qu’à des fins essentiellement probatoires. Or notre procédure pénale doit aussi garantir l’exécution des sanctions.
En troisième lieu, la proposition de loi tend à améliorer la gestion des biens saisis et les conditions d’exécution des confiscations.
Pour ce faire, le texte, enrichi par la commission des lois de l’Assemblée nationale, institue une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, avec l’ambition d’éviter le gaspillage de l’argent public et l’énergie des magistrats.
Cette nouvelle gestion des biens saisis et confisqués permettra en outre de garantir aux victimes le paiement des indemnités qui leur auront été allouées. La nouvelle agence pourra en effet prélever sur les biens confisqués le montant des dommages et intérêts dus aux victimes. Il s’agit d’une grande avancée pour les victimes, et nous ne pouvons que la saluer.
Enfin, la commission des lois de l’Assemblée nationale a ajouté au texte initial des dispositions visant, d’une part, à favoriser la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation et, d’autre part, à transposer une décision-cadre sur l’exécution des décisions de confiscation dans l’Union européenne.
La lutte contre les trafics doit, à notre époque, s’organiser pour faire face à une délinquance dont le champ d’action dépasse nos frontières. Il était plus que temps de faire nôtre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions en transposant enfin une décision-cadre qui date d’octobre 2006…
Dans la mesure où toutes ses dispositions nous paraissent opportunes, nous voterons la présente proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail de M. le rapporteur et la pertinence des interventions des orateurs.
M. le rapporteur a rappelé, à juste raison, car cela permet de lever les craintes qui ont pu s’exprimer, que cette proposition de loi s’inscrit dans un continuum. Elle marque certes un progrès important, mais un progrès qui intervient après d’autres évolutions législatives et réglementaires dont on a évalué les résultats, mesuré concrètement les conséquences. Ce texte n’est donc pas une création ex nihilo tendant à réglementer une espèce de Far West vierge de toute règle.
Ce texte intervient après plusieurs étapes – je ne les rappellerai pas –, ce qui me semble de nature à apaiser les inquiétudes qui se sont fait jour par rapport aux audaces et aux avancées qu’il comporte.
Monsieur Michel, vous avez salué, à juste titre, les amendements déposés par le rapporteur, qui vont dans le sens d’un renforcement des garanties des droits des justiciables.
Vous avez exprimé, avec beaucoup de nuance, quelques craintes quant au respect du droit de propriété et de la présomption d’innocence. Vous avez eu raison, car il s’agit là de principes sur lesquels nous devons être vigilants.
L’économie générale du texte vise à conjuguer l’efficacité au stade de la saisie, afin d’éviter que les biens ne soient vendus, et la protection du droit de propriété au moment de la confiscation, car c’est là que réside la véritable atteinte au droit de propriété.
En ce qui concerne l’amendement qui vise à étendre le périmètre d’intervention du juge dans la procédure de saisie, pour lequel vous avez, à juste raison encore, souligné l’important travail du rapporteur, je lèverai sans délai un suspense insupportable : le Gouvernement y est favorable ! (Sourires.) Je pense d’ailleurs que cette disposition fera l’objet d’un large consensus.
Madame Escoffier, je tiens à apaiser les inquiétudes que vous avez manifestées quant à un éventuel risque de contradiction avec l’importante réforme de la procédure pénale, sur laquelle je travaille avec Mme le garde des sceaux, quelles que puissent être par ailleurs les réactions qu’elle suscite.
En clair, et pour vous apporter une réponse à caractère juridique, les dispositions de la proposition de loi seront intégralement reprises dans le futur code de procédure pénale. Il n’y a donc pas de contradiction. En fait, nous anticipons sur la réforme. Quel qu’en soit le contour, quelles que soient les modifications dont elle fera l’objet, elle intégrera les dispositions du présent texte.
Je reviendrai plus en détail sur les amendements qui ont été déposés par votre groupe lors de la discussion des articles.
Monsieur Masson, vous avez fort opportunément souligné l’avancée que constitue la création de l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, agence qui permettra à l’État de limiter les frais de gardiennage de certains biens et de procéder à une gestion dynamique des avoirs, dans l’intérêt de tous les créanciers. Comme vous l’avez indiqué, ce texte renforcera l’efficacité de la lutte contre les trafics, les trafics de stupéfiants notamment, conformément à des objectifs et à des attentes qui me semblent partagés sur toutes ces travées.
Madame Des Esgaulx, vous avez rappelé à juste raison que le présent texte permettra de mieux protéger les droits des tiers. Ainsi, dans une affaire d’escroquerie en bande organisée, le gel rapide de tous les avoirs criminels permettra aux victimes d’être indemnisées. Les trafiquants n’auront plus le temps de dilapider leurs biens en fraudant les droits de leurs créanciers.
Le dispositif prévu permet de garantir l’indemnisation des victimes qui ne peuvent seules procéder à des saisies, notamment à l’étranger, pour reprendre l’un des aspects que vous avez mentionnés.
Pour le reste, vous avez fort bien exposé les différentes avancées de ce texte, et je ne me risquerai pas à vous paraphraser. Je tiens toutefois à saluer la qualité de votre intervention, et de votre engagement.
Madame Assassi, vous avez semblé considérer, au début de votre propos, que ce texte s’inscrivait dans une démarche sécuritaire. Faudrait-il donc renoncer à saisir un bien provenant de trafics de drogue ? Faudrait-il permettre aux escrocs de s’opposer aux saisies pénales et leur laisser ainsi la possibilité de protéger leurs avoirs criminels en les transférant à l’étranger ? Vous avez bien sûr répondu par la négative à ces questions dans la suite de votre propos en indiquant que vous voteriez cette proposition de loi. Nous nous retrouvons donc sur ce point, et je m’en réjouis.
Contrairement à ce que vous indiquez, nous ne légiférons pas sous le coup de l’émotion. Au contraire, nous voulons fournir aux magistrats et aux policiers des outils pragmatiques et utiles, et vous avez vous-même développé ce thème dans la suite de votre intervention.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux que nous puissions, tous ensemble je l’espère, saluer, avec le rapporteur et l’auteur de la proposition de loi, l’avancée que constitue cette proposition de loi.
Monsieur le président, tels sont, sans être exhaustif, les quelques éléments de réponse que je souhaitais apporter aux excellentes questions qui ont été posées.