Mme Nicole Bricq. Ainsi, la région Rhône-Alpes dispose de plus de pôles de compétitivité que l’Île-de-France, ce qui est assez paradoxal. Mais, nous le savons, le problème de l’Île-de-France, c’est que son potentiel d’innovation, pourtant le plus important du pays, est encore trop faiblement exploité.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez donc raison de vouloir pallier cette insuffisante exploitation, qui nuit au renforcement de la compétitivité de la région-capitale. Mais peut-être voulez-vous, en outre, rattraper ainsi la pingrerie initiale de l’État !
Toutefois, selon la démonstration que vous développiez en 2004, le cluster constitue l’unité de base du pôle de compétitivité ; il est industriel – vous voyez que je vous ai lu ! –, s’additionne à une base scientifique et se caractérise par la dynamique d’une agglomération entière, qui, pour soutenir l’industrie innovante, met à contribution un tissu fait de services de proximité, de transports et d’établissements du secteur financier.
Monsieur le secrétaire d'État, nous pouvons vous suivre dans votre volonté de promouvoir le plateau de Saclay comme pôle d’excellence, d’autant que, à la différence de la Société du Grand Paris, le futur établissement dispose d’un financement clair et sanctuarisé : une dotation consomptible d’un milliard d’euros, prise sur le grand emprunt, et 850 millions d'euros provenant de l’opération plan Campus. Enfin, le plateau abrite « System@tic ». Nous pouvons donc approuver votre volonté de créer sur ce territoire un pôle de compétitivité mondial.
En revanche, nous ne saurions suivre les choix effectués à travers ce projet de loi, qui tend à couper le plateau de son irrigation naturelle, celle que lui apporte l’entité régionale.
En outre, en matière de gouvernance, la commission spéciale a renvoyé le représentant de la région du conseil d’administration, qui décide, au comité consultatif ; nous reviendrons sur cette question lors de l’examen de l’article 22.
Monsieur le secrétaire d'État, nous adhérons à la définition, que vous donniez en 2004, d’un « moteur qui s’alimente de flux migratoires d’hommes et d’entreprises attirés par le dynamisme du pôle ». Toutefois, à l’article 29, vous faites preuve, par rapport à cette définition, d’une inconséquence que nous dénonçons vigoureusement puisque, à travers cette disposition, vous subordonnez le STIF – syndicat des transports d’Île-de-France – à l’État.
En outre, M. le rapporteur a cru bon, et la commission spéciale l’a suivi, d’ajouter une condition de date : l’autorité organisatrice de proximité doit impérativement être mise en place avant le 1er janvier 2011. Il s'agit d’une nouvelle marque de défiance, qui est inacceptable, mais aussi inexplicable si l’on relit ce que vous écriviez naguère.
Monsieur le secrétaire d'État, nous reviendrons sur toutes ces questions, mais sachez que notre opiniâtreté ne sera pas moindre que lors de la première partie de notre débat, avant l’interruption de la session. Nous voulions le préciser d’emblée, car un homme averti en vaut deux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 186 est présenté par M. Vera, Mmes Assassi, Gonthier-Maurin et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L'amendement n° 281 est présenté par Mme Voynet, M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery et M. Muller.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Vera, pour défendre l’amendement n° 186.
M. Bernard Vera. Le Gouvernement a prévu de créer un établissement public industriel et commercial afin d’impulser et de coordonner le développement et le rayonnement international du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay.
S’il n’est pas envisageable que l’État se désengage d’un projet majeur pour l’Île-de-France, il n’est pas concevable pour autant qu’il détienne seul la maîtrise des territoires et des stratégies économiques, ainsi que des enjeux scientifiques et technologiques. Telle est pourtant l’option que nous propose aujourd'hui le Gouvernement pour le plateau de Saclay !
Certes, l’État ne sera pas majoritaire au sein du conseil d’administration de l’établissement public de Paris-Saclay, alors qu’il le sera dans la Société du Grand Paris. Néanmoins, sa place sera prépondérante, et le choix même de la forme de l’établissement public montre qu’il entend peser sur les orientations stratégiques qui seront adoptées sur ce territoire.
Cette reprise en main n’est pas anodine dans le contexte actuel. Aujourd'hui, l’État aménageur a pris la place de l’État planificateur, et cette dérive concorde parfaitement avec la réforme des collectivités territoriales : la suppression de la clause de compétence générale, la division par deux – avec la création des conseillers territoriaux – du nombre des élus départementaux et régionaux, la suppression de la taxe professionnelle…
M. Alain Gournac. Vous vous éloignez du sujet !
M. Bernard Vera. … et, s'agissant de la région d’Île-de-France, la fragilisation du STIF, toutes ces réformes convergent vers un affaiblissement des pouvoirs de décision des régions et de la capacité de ces dernières à investir dans des projets de grande ampleur, en matière d’aménagement du territoire aussi bien que de transports.
En septembre 2009, le Gouvernement n’a pas hésité à faire adopter en catimini un amendement transférant le patrimoine du STIF à la RATP. Aujourd'hui, c’est le projet Arc Express, sur lequel le STIF continue à travailler et pour lequel la concertation est déjà bien avancée, qui se voit, tout simplement, balayé d’un revers de main.
L’établissement public de Paris-Saclay, à l’instar de la Société du Grand Paris, rend en réalité caduc le SDRIF, que le Gouvernement refuse de transmettre au Conseil d'État, alors même qu’il a été adopté en septembre 2008. Cette structure vient se surajouter à l’opération d’intérêt national et au plan Campus, déjà mené de façon autoritaire par l’État.
Les personnels de l’université de Paris-Sud n’ont-ils pas appris par la presse le déménagement de leur faculté sur le plateau ? La logique suivie est ici exactement la même : les élus sont écartés, aucune concertation réelle n’a été engagée avec les principaux acteurs du plateau, ni même avec les habitants et les salariés. Le Gouvernement cherche à imposer sa conception du développement du pôle scientifique et technologique, qui repose sur le seul critère de l’excellence, en ignorant les besoins des populations qui vivent et travaillent sur ce territoire.
Pour notre part, nous estimons que la création d’un établissement public n’est pas nécessaire pour susciter des synergies dans un cluster qui existe déjà et qui est d'ailleurs le fruit de cinquante années d’histoire du plateau de Saclay.
C'est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 20.
M. Michel Billout. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, pour présenter l'amendement n° 281.
Mme Dominique Voynet. L’article 20 vise donc à créer un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial, dénommé : « Établissement public de Paris-Saclay ».
Ce territoire, dont nous débattrons durant les heures qui viennent, nous le connaissons bien. Il se caractérise par la présence de terres agricoles, de bois, de vallées, de pôles technologiques et d’enseignement. Les « pays de Saclay », comme on dit, sont formés par l’ensemble des territoires et des communes ayant des liens avec le plateau et les vallées environnantes dans les départements de l’Essonne et des Yvelines.
Mes chers collègues, en un mot, nous ne voyons pas l’intérêt de créer un tel établissement.
Tout d'abord, les collectivités territoriales jouissent du principe de libre administration ; elles sont à même d’aménager leur territoire et elles n’ont guère besoin d’une structure supplémentaire dirigée par l’État.
Ensuite, l’histoire du plateau est différente de celle des autres parties du territoire de l’Île-de-France : alors que, dans notre région, le fait intercommunal s’est imposé lentement et malgré des résistances, il n’en a pas été de même autour de Saclay. On a cité tout à l'heure les quatre communautés d’agglomération du plateau, à savoir Saint-Quentin-en-Yvelines, Versailles-Grand Parc, Plateau de Saclay et Europ’Essonne.
Tout se passe finalement comme si l’État adoptait à l’égard de cette organisation intercommunale une attitude ambivalente : d’un côté, on encourage l’intercommunalité et, de l’autre, on semble craindre la montée en puissance d’une expression autonome de communautés d’agglomération prenant la mesure des enjeux de leur développement et travaillant d’égal à égal avec l’État.
Comme l’ont souligné avant moi Catherine Tasca ou Claire-Lise Campion, les dispositions de cet article nient, me semble-t-il, des pratiques mises en œuvre sur ce territoire depuis de nombreuses années puisque l’État reprend le pouvoir en matière de modes de transport et d’aménagement du territoire et écarte les communes et la région, dépossédées au profit d’une entité administrative régionale parallèle à la collectivité territoriale et dont chacun aura bien compris qu’elle ne possède aucune légitimité issue des urnes. Mes chers collègues, on remet en cause le processus de décentralisation amorcé en 1982 !
J’en viens à présent au fond. Monsieur le secrétaire d'État, vous voulez développer une « Silicon Valley à la française » sur le plateau de Saclay. Or la comparaison me paraît quelque peu abusive, d’abord parce que la Silicon Valley s’étend sur une centaine de kilomètres carrés quand le plateau de Saclay en couvre au maximum une dizaine, mais aussi, me semble-t-il, parce que l’on n’a pas pris la mesure de ce qui s’est vraiment passé en Californie : c’est la matière grise qui a provoqué la naissance, puis l’essor de la Silicon Valley ; on ne l’a pas fait venir de façon artificielle !
J’ajoute que le PIB de la Silicon Valley californienne équivaut, crois-je savoir, à celui d’un pays comme le Chili... La comparaison avec le plateau de Saclay est donc particulièrement audacieuse, voire hasardeuse !
Par ailleurs, au projet d’établissement public est évidemment lié le déplacement de l’université d’Orsay sur le plateau. Or le Gouvernement prévoit un tel déménagement dans les prochaines années, alors même que les moyens de transport nécessaires pour accéder au nouveau campus ne seront pas mis en place avant 2013. Les étudiants disposaient d’un accès au RER juste à côté de leur université. Il est donc un peu aventuré d’affirmer que leurs déplacements et leur qualité de travail s’amélioreront à l’avenir ! Surtout, le déménagement de la faculté d’Orsay coûterait, semble-t-il, 400 millions d’euros de plus qu’une réhabilitation de l’université existante. (M. Alain Gournac manifeste son impatience.)
Pas de réseau de transport, un coût supplémentaire important : voilà qui ne justifie peut-être pas d’accroître les inégalités intrarégionales, de sacrifier des terres agricoles, de risquer une rupture de l’équilibre hydraulique du plateau et de gaspiller l’argent public au profit d’opérations qui ne paraissent pas propres à créer une très forte valeur ajoutée pour l’ensemble de notre région !
Nous demandons donc la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission spéciale. L’article 20, qui crée l’établissement public de Paris-Saclay, est évidemment nécessaire au développement du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay,…
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission spéciale. … que l’établissement public de Paris-Saclay sera chargé de piloter.
J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
J’ajouterai un mot sur le rôle de l’État sur le plateau de Saclay. Madame Bricq, vous avez évoqué un rapport que j’ai commis voilà quelques années, qui s’intitulait Pour un écosystème de la croissance et qui portait sur les insuffisances des systèmes de production du savoir dans notre pays. Ce rapport a donné lieu à la création des pôles de compétitivité ; d'ailleurs, vous savez peut-être que je n’étais pas favorable à ce qu’ils soient aussi dispersés qu’ils l’ont été.
J’avais en revanche beaucoup insisté sur le potentiel du plateau de Saclay. Certes, madame Voynet, le plateau de Saclay n’a guère à voir aujourd'hui avec la Silicon Valley ; toutefois, je crois pouvoir l’affirmer, si nous avions compris voilà vingt ou trente ans les processus qui étaient à l’œuvre en Californie, nous disposerions aujourd’hui de dispositifs – en matière de recherche et de développement des sciences, mais aussi, plus largement, de technologie – très supérieurs à ceux qui sont les nôtres aujourd’hui.
Du reste, il n’était pas nécessaire d’aller en Californie pour faire ce travail : il eût suffi de comprendre ce qui se passait, au même moment, à Grenoble.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Christian Blanc, secrétaire d'État. En effet, la plateforme de Grenoble a été la première – je dirai presque la seule – dans notre pays à comprendre quelles synergies pouvaient s’établir entre les mondes universitaire, scientifique et économique.
M. Alain Gournac. Absolument ! Souvenez-vous d’un maire qui s’appelait Hubert Dubedout !
M. David Assouline. Mais c’est la collectivité qui a agi, pas l’État !
M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Après avoir entendu les interventions qui se sont succédé, j’ai le sentiment que nous n’éprouverons guère de difficultés à nous accorder sur les objectifs que nous devons viser, tant il est nécessaire que notre pays dispose d’une plateforme de cette nature. Toutefois, nous pouvons diverger sur les modes d’organisation et de gouvernance à mettre en œuvre, notamment.
Mme Nicole Bricq. Mais c’est capital !
M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Sachez cependant que, s’il y a quelqu'un ici qui a parcouru en tous sens le plateau de Saclay, c’est bien moi !
M. Alain Gournac. Je l’ai fait aussi !
M. Christian Blanc, secrétaire d'État. J’ai rencontré l’essentiel des acteurs – scientifiques, universitaires, mais aussi élus –, et je n’en ai pas entendu un seul soutenir que l’État ne devait pas prendre ses responsabilités dans le développement du plateau de Saclay.
M. Alain Gournac. Tout à fait ! Nos collègues de l’opposition n’ont pas dû rencontrer les mêmes acteurs que nous !
M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Tel est l’objectif que nous visons à travers le titre V de ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, pour explication de vote.
Mme Dominique Voynet. Je voudrais faire comprendre à M. Gournac, sinon notre point de vue, car je ne suis pas sûre que ce soit possible, du moins l’argumentation que nous développons.
J’ai moi-même été ministre en charge de l’aménagement du territoire pendant plusieurs années.
M. Alain Gournac. Et qu’avez-vous fait ?
Mme Dominique Voynet. Nous sommes tout à fait conscients de la nécessité d’établir des liens de confiance et de coopération entre les universités, les entreprises et les collectivités, qui doivent construire des politiques s’inscrivant dans la durée. Personne ne le nie ! À Sophia-Antipolis, à Caen, à Grenoble ou ailleurs, c’est la clef du succès.
Toutefois, monsieur Gournac, monsieur le secrétaire d'État, il ne faut pas inverser la démarche ! On a effectivement identifié des besoins, des demandes fortes des entreprises et des laboratoires, dans le domaine civil comme d'ailleurs dans le domaine militaire, conduisant à monter des programmes que l’on cherche ensuite à territorialiser. Toutefois, ici, on a l’impression que c’est l’inverse qui se produit ; que, de façon un peu désespérée, on cherche à déplacer des activités vers un territoire qui n’a rien demandé puisqu’un certain nombre d’activités s’y développent déjà depuis longtemps !
Certes, il est toujours difficile de dégager une surface de plusieurs centaines ou de milliers d’hectares pour y implanter des universités, des laboratoires de recherche, et pour y organiser des synergies. Toutefois, nous avons le sentiment que la démarche du Gouvernement consiste d’abord à trouver le territoire, ensuite à déplacer de manière un peu autoritaire les entreprises ou les universités qui pourraient constituer le noyau dur de ce pôle scientifique et technologique, enfin à démontrer l’utilité de sa décision. Moi, je voudrais qu’on fasse l’inverse, qu’on commence par m’expliquer quelle sera la vocation de ce pôle scientifique et technologique, qu’on me dise quelles seront ses grandes orientations, qu’on m’indique à quels besoins de l’humanité il répondra en priorité.
Et ce ne sont pas les interjections rituelles que ne cesse de lancer M. Gournac, pris entre l’envie de s’expliquer et celle d’en terminer au plus vite avec ce débat,...
M. Alain Gournac. Pas du tout !
Mme Dominique Voynet. ... qui seront de nature à nous convaincre !
M. Jean-Pierre Caffet. Oui, c’est raté !
Mme Dominique Voynet. Cette façon d’intervenir ne vaut pas argumentation, monsieur Gournac ! Apprenez à vous expliquer au lieu de vous contenter de jeter des « eh oui ! » et des « pourquoi pas ? ». C’est fatigant !
M. Alain Gournac. Je dis simplement que vous n’avez pas rencontré les mêmes interlocuteurs que nous !
M. David Assouline. Allez-y, prenez donc la parole ! Dites ce que vous avez à dire !
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Monsieur le secrétaire d'État, personne ne conteste la nécessité d’une intervention de l’État dès lors que s’exprime une volonté de collaboration avec l’ensemble des partenaires et des acteurs locaux. Pour notre part, nous nous interrogeons sur la pertinence même du concept de cluster, tel que vous l’envisagez.
Si la proximité géographique peut être utile, elle ne suffit pas. En effet, il faut également une proximité d’organisation. À cet égard, ce pôle scientifique et technologique comptera-t-il des entités capables de fédérer et de créer les synergies dont il est question ? Il faut aussi une proximité institutionnelle, ce qui suppose un langage commun, seul à même de permettre le développement de ces synergies.
Nous le savons, la proximité, même instaurée depuis des décennies, ne favorise pas nécessairement la réalisation de projets cohérents et communs. C’est la raison pour laquelle nous nous interrogeons sur les véritables raisons de ce projet de cluster, au-delà de la valorisation de ce territoire, à laquelle nous sommes tous extrêmement attachés, notamment les élus de l’Essonne, sur son véritable objectif et sur la nécessité de légiférer.
Monsieur Gournac, vous prétendez que nous n’avons pas rencontré les acteurs de terrain. Nous n’avons fait que cela ! Les enseignants, les scientifiques, l’ensemble des chercheurs qui travaillent sur le plateau de Saclay sont extrêmement inquiets quant à l’orientation de la recherche. Ils soupçonnent le Gouvernement de vouloir soumettre l’ensemble de la recherche, y compris donc la recherche fondamentale, aux besoins des intérêts privés et à court terme des grands groupes qui sont présents, notamment, dans les pôles de compétitivité.
À ces questions que nous nous posons, les réponses qui nous ont été apportées ne sont pas de nature à nous satisfaire. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, vous aurez remarqué que le groupe socialiste n’a pas déposé d’amendement de suppression. Les différentes interventions que nous venons d’entendre sur l'article ou sur les amendements de suppression témoignent de la nécessité de débattre de manière sérieuse et approfondie des moyens de la compétitivité. Si nous nous rejoignons sur la finalité – la création de ce pôle scientifique et technologique –, nous sommes en désaccord sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.
Il est regrettable que la procédure accélérée ait été engagée sur ce texte et Nicole Borvo Cohen-Seat a eu raison de faire un rappel au règlement à ce sujet, car il aurait été intéressant que, tant en commission que dans l’hémicycle, nous puissions préciser ce que nous entendons par cluster et par pôle de compétitivité. Il est dommage que les membres du groupe UMP qui sont présents ne débattent pas avec nous, car, une fois que ce texte sera voté, c’est à la commission mixte paritaire que ce débat sera confié, alors que ce n’est pas son rôle : elle a seulement vocation à mettre d’accord les deux assemblées.
Une telle entreprise me paraît d’ailleurs un peu compliquée au regard du projet de loi tel qu’il résultera des travaux du Sénat. Ce n’est pas moi qui l’affirme, ce sont les députés de la majorité, qui soutiennent que le Sénat a dénaturé leur texte. Ils ont même repris l’argument que nous avançons depuis le début, à savoir qu’il s’agit d’une véritable déclaration de guerre lancée contre la région !
Monsieur le secrétaire d'État, si j’ai pris la peine de vous citer, c’est parce que la création de l’établissement public de Paris-Saclay est l’occasion d’un large débat sur ce que l’on entend par cluster et sur la façon de donner à la région-capitale les moyens de renforcer sa compétitivité.
Nous voulons en discuter avec vous, avec la majorité, avec le président de la commission spéciale. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas la suppression de l'article 20, qui est nodal par rapport aux articles suivants.
Ce que nous constatons, c’est que vous coupez le plateau de son environnement, de tout ce qui en fait la richesse, vous en faites une forteresse, au point que nous sommes en droit de nous demander si la finalité vous importe vraiment. Il s’agit là d’un véritable problème sur lequel nous reviendrons lors de l’examen des articles suivants par le biais de nos amendements, car nous ne pouvons accepter ce qui est proposé.
Nous voulons poursuivre cette discussion avec vous et souhaitons que vous entendiez nos arguments et que vous y répondiez. Dans le cas contraire, certes, nous défendrons notre point de vue, mais le Sénat sera privé d’un débat qui a un impact direct sur la collectivité territoriale qu’est la région d’Île-de-France, qui est l’autorité organisatrice des transports, et sur toutes les collectivités concernées.
Je rappelle, à la suite de Claire-Lise Campion et de Catherine Tasca, que quatre intercommunalités sont concernées par le projet de Paris-Saclay. Ce n’est pas rien ! Nos collègues des autres régions nous reprochent souvent, à nous, élus de l’Île-de-France, de ne pas savoir nous organiser. Or un certain nombre de communes d’Île-de-France se sont organisées en relevant le défi intercommunal. Et elles sont touchées par ce projet. Acceptez donc, à ce titre, d’en discuter avec nous !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Je veux, à la suite de Nicole Bricq, clarifier la position du groupe socialiste et expliquer pourquoi nous ne voterons pas ces amendements de suppression.
Nous ne sommes pas radicalement opposés à une politique visant à concentrer un certain nombre de moyens sur un lieu donné. À ce titre, nous ne sommes pas contre la création d’un établissement public à caractère industriel et commercial, ayant pour objet « l’impulsion et la coordination du développement du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay », selon la rédaction de l'article 20 qui nous est soumise et qui résulte d’ailleurs d’un amendement que nous avons fait adopter en commission.
Néanmoins, certaines questions demeurent.
Premièrement, que sera amené à faire cet établissement public ? De ce point de vue, les articles suivants nous inquiètent, notamment au regard des pouvoirs qui sont conférés à cet établissement public, qui couvrira une superficie de 37 000 hectares, soit trois fois la surface de Paris. Ainsi, l'article 21 prévoit que cet établissement public pourra « réaliser des opérations d’aménagement » et de construction ; bien sûr, la traditionnelle clause « sans préjudice des compétences dévolues à d’autres personnes publiques » n’a pas été omise.
Le deuxième sujet d’interrogation porte sur le rayonnement national de cet établissement public. Il est prévu qu’il pourra intervenir sur l’ensemble du territoire français. Ainsi, il pourra réaliser non seulement « des acquisitions d’immeubles bâtis ou non bâtis », après avis des communes – si cet avis est négatif, il passera outre –, mais aussi, « avec l’accord des communes, des opérations d’aménagement et d’équipement urbain ».
Il y a là quelque chose d’extrêmement surprenant. Autant nous sommes d’accord sur le fait que cet EPIC ait vocation à impulser et coordonner une politique technologique et scientifique, autant nous ne comprenons pas comment cet établissement public qui a vocation à intervenir sur le périmètre de la région d’Île-de-France pourra essaimer sur l’ensemble du territoire national.
Troisièmement, enfin, se pose le problème de la gouvernance de cet établissement public.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Jean-Pierre Caffet. Le texte a été modifié par la commission spéciale, mais nous avons le sentiment qu’il s’agit, si j’ose dire, d’une gouvernance ingouvernable ! Le conseil d’administration ne devrait compter qu’une vingtaine de membres, répartis entre quatre collèges. Notre collègue Yves Pozzo di Borgo a même déposé un amendement visant à limiter ce nombre à dix-neuf. Personne ne comprend comment cela pourra fonctionner !
Je le répète, nous ne sommes pas opposés à la finalité de la création d’un pôle scientifique et technologique de grande envergure, mais nous pensons qu’un certain nombre de conditions doivent être réunies et que le texte, en l’état, ne les prévoit pas.
En conclusion, j’insiste sur la dimension proprement régionale de cet établissement public et de cette politique de cluster. Je le dis sans ambages, je crains que toutes les possibilités et potentialités en matière technologique et scientifique ne se trouvent concentrées dans ce périmètre, au détriment du reste de la région.
Nous revenons en quelque sorte au débat que nous avons eu dès le début de l’examen de ce texte : monsieur le secrétaire d'État, vous menez, à tort, une politique de spécialisation territoriale qui ne vise qu’un certain nombre de territoires, au détriment des autres, que vous abandonnez. Nous ne pouvons l’accepter.
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour explication de vote.
M. Jacques Gautier. Je tiens à rappeler la finalité de l’article 20, à savoir créer « un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial, dénommé : "Établissement public de Paris-Saclay" », ayant « pour objet l’impulsion et la coordination du développement du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay ».
Mme Nicole Bricq. C’est notre amendement ! On le connaît !
M. Jacques Gautier. Cet article est majeur si nous voulons faire avancer le secteur de Saclay. Et j’ai bien compris que le groupe socialiste avait, à cet égard, la même approche que le Gouvernement et la majorité.
Dans le domaine de la recherche comme dans celui de l’université, les potentialités existent aujourd'hui. Si vous m’autorisez cette comparaison, je dirai que nous avons des mini-orchestres qui travaillent ensemble, qui disposent de véritables savoir-faire, de partitions d’excellence, mais à qui il manque une synergie, une dimension collective.
Il faut donc une impulsion et, pardonnez ma franchise, ce ne sont pas quatre intercommunalités qui peuvent la donner !
Mme Nicole Bricq. Pourquoi ?
M. Jacques Gautier. On a besoin que l’État s’engage, en prévoyant des moyens financiers et en fixant des objectifs et des orientations.
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Jacques Gautier. Ce n’est qu’à ce prix que nous parviendrons à la taille critique.
Pour rester dans ma comparaison musicale, nous allons passer d’une série d’orchestres de chambre à un orchestre philharmonique dont le chef est l’État. Ce qui compte, c’est d’additionner les compétences de nos musiciens. Cet article ouvre la création de ce grand ensemble. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Je souhaite revenir sur les propos de M. le secrétaire d'État concernant la place de l’État dans le dispositif.
Je commencerai par lever un malentendu. Personne dans l’opposition ne récuse l’intervention de l’État. Il va de soi que c’est à lui d’assumer cette responsabilité.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez été en un temps l’incarnation à la fois de la responsabilité de l’État et de la capacité de dialogue avec les échelons locaux : je fais là allusion au rôle tout à fait déterminant que vous avez joué en Nouvelle-Calédonie. Vous le savez donc mieux que quiconque, un État responsable et agissant n’est pas un État qui ignore les collectivités territoriales.
Dans ce projet d’aménagement du plateau de Saclay, reconnu opération d'intérêt national et enjeu majeur pour le Grand Paris du xxie siècle, il est absolument indispensable que vous réalisiez la synthèse entre le rôle de l’État et celui des instances locales. Le premier se doit d’assumer pleinement ses responsabilités, notamment sur le plan financier, car nous ne sommes pas complètement rassurés à cet égard, et assurer l’impulsion nécessaire à la bonne réussite du projet, tout en sachant reconnaître pleinement la place des secondes.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission spéciale. Je suis personnellement convaincu que le pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay va rejaillir sur l’ensemble du territoire français et qu’il aura même un rayonnement international. C’est dans cette perspective qu’il faut raisonner.