M. Richard Yung. Qu’ils aient été battus n’empêche pas de lire avec intérêt leurs arguments !
M. Richard Yung. Ce ne sont pas de farouches socialistes comme nous ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est une conjonction intéressante ! (Nouveaux sourires.)
M. Richard Yung. En effet ! Nous y reviendrons dans le débat, car il s’agit d’un des points sur lesquels nous voudrions limiter le dispositif.
De même, la réduction à deux ans du droit de reprise de l’administration fiscale nous apparaît comme une mesure non demandée et non nécessaire parce qu’elle n’est pas directement liée au dispositif qui nous occupe. Dans une période où – tout le monde le répète – nous sommes en pénurie de finances publiques, il paraît assez paradoxal de créer une dérogation de ce type.
Il est également à craindre que le statut d’EIRL ne conduise aux mêmes abus que le statut d’auto-entrepreneur. Je fais référence ici à un phénomène qui, sans constituer un fait général, n’en reste pas moins réel : certains chefs d’entreprise – peu scrupuleux, je le reconnais – forcent leurs salariés à adopter le statut d’auto-entrepreneur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y a un code du travail !
M. Richard Yung. Oui, mais on risque d’avoir le même type d’abus pour ce nouveau statut, à savoir que des salariés seront en EIRL et gagneront 700 euros par mois ! S’il s’agit d’une mère de famille qui travaille en complément, ce n’est pas gênant, mais, dans les autres cas…
Dans son édition de vendredi dernier, le Parisien,…
M. Michel Houel, rapporteur pour avis. Si c’était dans le Parisien, c’est forcément vrai !
M. Richard Yung. … qui n’est pas un journal déchaîné (Sourires), fournissait un certain nombre d’exemples assez probants.
Enfin, nous nous opposons au principal cavalier – mais ce n’est pas un des cavaliers de l’Apocalypse -, je veux dire la transformation d’OSEO, au détour du projet de loi.
Je souscris à l’idée d’utiliser OSEO et d’autres sociétés de cautionnement pour aider au montage des financements, parce que le vrai problème des PME en France, vous le savez comme moi, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas tant leur naissance que leur croissance.
M. Richard Yung. Nous sommes en effet incapables de faire grimper nos petites et moyennes entreprises à 300 ou 400 salariés, à 5, 10 ou 15 millions d’euros de chiffre d’affaires comme le font les Allemands. Et nous ne savons pas le faire parce que le système financier et bancaire ne suit pas.
Si nous partageons l’objectif de soutien de la croissance, nous ne pensons pas qu’il soit opportun d’y répondre au détour d’une loi sur les EIRL. Il faudrait au contraire qu’un vrai débat ait lieu sur le sujet. Il est d’ailleurs assez surprenant que les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat n’aient pas été saisies.
Telles sont les observations dont je souhaitais vous faire part, mes chers collègues. Nous considérons l’objectif avec sympathie, mais nous voulons encadrer un certain nombre de ses dispositions qui nous paraissent dangereuses. Nous tirerons bien sûr les conclusions qu’il faudra du débat.
Mme la présidente. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter tous ceux qui ont contribué à ce travail dans le laps de temps très court qui nous était imparti.
Je souhaite, bien sûr, comme tous ceux qui m’ont précédé à cette tribune, reconnaître le bien-fondé de ce projet de loi. Ce texte était très attendu : il concerne trois millions de femmes et d’hommes qui, artisans, commerçants, et exploitants agricoles, créent des emplois et des richesses, et partant font vivre nos territoires ruraux.
Ce projet de loi était aussi attendu par beaucoup de nos concitoyens qui, chômeurs d’un certain âge, après quarante-cinq ans ou cinquante ans, n’ont plus l’espoir de travailler à nouveau, notamment en cette période de crise, sauf à créer leur propre activité.
M. Yves Pozzo di Borgo. C’est important !
M. Raymond Vall. Si donc nous devons reconnaître le bien-fondé du nouveau statut proposé, nous faisons cependant un certain nombre de constats, notamment sur l’EURL, pardon, l’ « entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ».
M. Yves Pozzo di Borgo. Merci !
M. Raymond Vall. Vous avez été un pédagogue très écouté, monsieur Pozzo di Borgo. (Sourires.)
Je ne reprendrai pas l’ensemble de ces constats, car je voudrais aller à l’essentiel de mon intervention.
Étant élu d’une commune rurale d’un département rural, le Gers, je voudrais bien favoriser la création d’entreprises, mais j’avoue que je suis parfois contraint de limiter mon ambition au seul maintien des activités existantes. Et la tâche n’est déjà pas facile… Mes collègues élus de collectivités rurales font sans doute la même expérience.
Une des difficultés que nous rencontrons est directement liée à l’attitude absolument scandaleuse des banquiers.
Faisant partie du groupe du RDSE, je ressens cette situation avec d’autant plus de révolte que mon groupe a voté le plan de relance. Il a donc lui aussi signé le chèque en blanc que le Gouvernement a donné aux banquiers pour les sortir d’une situation extrêmement difficile grâce à l’argent public.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai lu avec attention le discours prononcé à Morée le 9 février sur l’avenir des territoires ruraux, que vous connaissez certainement par cœur. J’en ai fait ma bible !
Je ne peux m’empêcher de citer le Président de la République, et je suppose que vous n’êtes pas étranger à cette prise de conscience, même un peu tardive : « Et d'ailleurs je vais être obligé de revoir les banques parce que je suis inquiet de ce qui se passe en ce moment. Je le dis très simplement, nous les avons sauvées, nous avons protégé votre épargne, mais je ne passerai pas d'un excès où l'on finançait n'importe quoi à une situation où l'on serre la vis d'une entreprise qui a des besoins de trésorerie pour quelques milliers d'euros et où l'on fait perdre des emplois. Cela, ce n'est pas acceptable. »
Fort de tels propos, bien que ce soit très difficile, je le reconnais, je m’attendais à un autre dispositif. Quand on fait comme moi le constat terrible du quotidien sur le terrain, on ne peut pas ne pas avoir des propositions à formuler.
En fait, la transformation de la structure d’OSEO ici proposée était nécessaire, et j’y souscris, mais, sur le principe, il est tout de même inacceptable que ce soit encore l’argent public qui vienne se substituer aux banques. Une telle mesure ne réglera pas le problème.
Bien entendu, des entreprises seront créées, mais, comme cela a été dit aussi, ce n’est pas au moment de la création que les problèmes se poseront, c’est lorsque l’entreprise voudra investir, lorsqu’elle aura besoin de trésorerie qu’elle rencontrera des difficultés ; je le constate tous les jours, comme vous, monsieur le secrétaire d’État.
Nous sommes en effet dans un système impossible. Souvent, quand la petite ou moyenne entreprise dépend de la grande distribution, elle n’a pas la possibilité d’obtenir des conditions raisonnables ; la loi est contournée, vous le savez, et je vous remercie d’ailleurs d’avoir fait condamner la grande distribution. L’entreprise ne peut pas non plus se retourner vers ses fournisseurs, puisque ces derniers demandent de l’assurance et éprouvent eux- mêmes des difficultés à fournir la marchandise sans demander le paiement immédiat.
Nous sommes donc dans une situation sans issue du simple fait que les banques que nous avons sauvées hier ne jouent pas leur rôle aujourd’hui.
C’est l’aspect le plus difficile à gérer dans le texte que nous examinons, comme vous l’avez vous-même souligné, monsieur le secrétaire d’État. La proposition que vous faites est certainement nécessaire, mais elle n’apporte pas de réponse quant à ce changement indispensable d’attitude de la part des banques. Même si, à titre personnel, je suis très favorable à ce projet de loi, le groupe du RDSE émet beaucoup de réserves.
S’il y a une telle réussite des PME en Allemagne, en particulier à l’exportation, c’est que le principe des aides aux entreprises dans ce pays est surtout axé sur le maintien de l’activité, et non sur la création. Je m’interroge donc sur les mesures prises par la France, alors que nous avons une telle caution du Président de la République, et que nous comparons sans cesse la situation française à la situation allemande.
Évidemment, les Allemands n’ont pas hésité à taxer les plus-values des transactions financières, et ce tout à fait récemment. Cette taxation représenterait – le chiffre a été publié, je ne l’ai pas vérifié – 1,2 milliard d’euros par an. Quand je compare cette somme avec celle qu’annonce OSEO en termes d’aides et de prêts accordés à des entreprises - 3,3 milliards d’euros -, je me dis que ce 1,2 milliard d’euros nous ferait le plus grand bien…
Et si les banques ne veulent pas accepter la méthode du partage et du partenariat, qui nécessite une implication beaucoup plus importante que celle qui est la leur aujourd’hui, il ne restera alors peut-être pas d’autre solution que d’appliquer le même principe qu’en Allemagne et de se donner les moyens d’accompagner OSEO dans cette démarche.
Cela étant dit, le groupe du RDSE est passé de la parole aux actes, puisqu’il a déposé un projet de loi ayant pour objet la taxation des entreprises bancaires qui, sur le terrain de la spéculation, continuent à faire des profits scandaleux et révoltent tous nos concitoyens.
Monsieur le secrétaire d’État, je voulais tout de même vous apporter le soutien du groupe du RDSE sur ce texte. Nous ne pourrons aller pour l’instant que jusqu’à une forme d’abstention, ce qui veut dire que nous reconnaissons que ce texte constitue une avancée et qu’il apporte des solutions. (Applaudissements sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier notre collègue Antoine Lefèvre qui a bien voulu accepter une interversion dans l’ordre de passage, ce qui me permettra d’être à temps à la réunion du conseil d’agglomération de Compiègne ce soir.
M. Gérard Cornu. C’est la solidarité picarde ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Voilà !
L’EURL, l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, est une forme sociale créée en 1985 à laquelle, comme le président de la commission des lois, je suis particulièrement attaché.
L’EURL a été un grand progrès en son temps. Il y a probablement aujourd’hui 150 000 EURL dans notre pays. Ce nombre n’est pas négligeable en soi, mais il reste à mon avis trop réduit.
Il est vrai, chacun le sait, que la création d’une forme sociétale, même très simple, même appartenant à une seule personne physique, continue de se heurter à de forts obstacles psychologiques dans le milieu des petits entrepreneurs. D’où les idées, déjà anciennes, de patrimoine d’affectation. Et l’EIRL est le nouvel avatar – le bon, sans doute – de ce patrimoine d’affectation.
Monsieur le secrétaire d'État, j’ai le souvenir d’un certain nombre d’échanges avec Jean-Pierre Raffarin, du temps où il était ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l’artisanat et que j’étais moi-même chargé par Alain Juppé d’une mission sur la modernisation du droit des sociétés.
À l’époque, à vrai dire déjà bien avant, le patrimoine d’affectation était une notion que le milieu de l’artisanat et celui des TPE appelaient de leurs vœux. Mais le principe d’unicité du patrimoine rendait alors la mise en œuvre d’un tel dispositif impossible. Depuis lors, différentes exceptions ont pu y être apportées, notamment dans le cadre de la loi du 19 février 2007 instituant la fiducie.
M. Philippe Marini. Elle a en quelque sorte préparé le texte d’aujourd'hui.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes d’accord !
M. Philippe Marini. L’EIRL est assurément un outil utile dans la panoplie existante. Toutefois, nous en sommes tous bien conscients, le patrimoine affecté serait une coquille probablement vide, en tout cas insignifiante, si les garanties bancaires devaient se reporter sur le patrimoine personnel.
M. Philippe Marini. De ce point de vue, je ne peux bien entendu que souscrire à l’excellente initiative de M. le rapporteur pour avis de la commission de l’économie, notre collègue Michel Houel, qui a très opportunément fait le lien avec les dispositions relatives à la réforme d’OSEO, que plusieurs de nos collègues viennent de commenter.
Naturellement, les pouvoirs publics ont le devoir de respecter et d’accompagner l’esprit d’entreprise. Mais ce ne sont pas eux qui l’insufflent, ni, d’ailleurs, les chambres de commerce et d’industrie ; ce sont les entrepreneurs !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !
M. Philippe Marini. Il n’en reste pas moins que, si la prise de risque est indissociable de tout projet d’entreprise, si petit soit-il, il est utile, voire légitime, de susciter la création de jeunes pousses et de les soutenir. Ce rôle incombe notamment au réseau des chambres de commerce et d’industrie.
Comme vous le savez, la commission des finances du Sénat est très attentive au projet de réforme en devenir, et très prudente aussi, monsieur le secrétaire d’État.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il le faut !
M. Philippe Marini. Par ailleurs, je voudrais saluer, avec beaucoup d’enthousiasme, le statut d’auto-entrepreneur. Voilà une réforme simple et qui fonctionne ! Lorsque nous avons de telles occasions de nous réjouir, disons-le, valorisons le travail accompli et gardons-nous de céder à des considérations corporatives totalement impropres à créer un contexte favorable au succès d’une telle réforme.
À cet égard, si je suis en accord avec Jean Arthuis, l’excellent président de notre commission des finances, sur la nécessité d’une déclaration de chiffre d’affaires, je ne souscris cependant pas à son initiative consistant à limiter à trois ans le statut d’auto-entrepreneur. Je la trouve, au minimum, très prématurée, car il faut bien que cent fleurs s’épanouissent… (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On aura tout entendu ! (Nouveaux sourires.)
M. Philippe Marini. Il reviendra naturellement ensuite à la vie économique de jouer son rôle naturel.
En tout cas, il serait vraiment dommageable et prématuré de prendre, aujourd'hui, une telle décision.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, venons-en maintenant aux effets de la réforme sur les finances publiques.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela va se gâter !
M. Philippe Marini. Ceux-ci ne sont tout de même pas neutres : le coût de la création de l’EIRL va en effet s’élever à 60 millions d'euros, ce qui, reconnaissons-le cependant, est inférieur à celui de bon nombre d’autres réformes.
Il résulte de la possibilité d’opter pour l'impôt sur les sociétés, qu’il faudrait, à la vérité, plutôt renommer « impôt sur les bénéfices », puisque l’EIRL n’est pas une société. Si une telle option est l’un des intérêts du nouveau statut, elle va représenter, selon nos estimations, une vingtaine de millions d’euros de moins-values fiscales.
L’essentiel du coût découle d’un manque à gagner en termes de charges sociales. J’espère que mes collègues de la commission des affaires sociales ne m’en voudront pas d’intervenir sur ce terrain !
Les entrepreneurs assujettis à l’impôt sur les sociétés pourront ainsi s’exonérer de cotisations sociales en préférant se verser des dividendes plutôt qu’un salaire. La perte de recettes pour les comptes de la sécurité sociale serait de l’ordre de 40 millions d’euros par an.
Certes, le présent texte reprend le mécanisme existant de la clause anti-abus. Dans une EIRL, la part des dividendes qui excède 10 % du patrimoine affecté ou 10 % du bénéfice, si ce dernier montant est supérieur, serait donc soumise aux cotisations sociales.
Monsieur le secrétaire d'État, le premier seuil ne soulève pas de difficultés puisqu’il obéit au raisonnement classique applicable dans le cadre de la rémunération d’un capital. En revanche, et c’est le seul point de divergence entre nous, je ne trouve aucune justification économique au second. C'est la raison pour laquelle j’ai cosigné avec Jean-Jacques Jégou et Denis Badré un amendement visant à le supprimer.
Notre position se justifie évidemment par le souci de préserver les recettes de la sécurité sociale, mais nous entendons également souligner le fait que les dépenses fiscales, comme les niches sociales, participent au déficit : cela nous impose en ce domaine une discipline de fer, qui s’applique à toutes nos initiatives, quoi qu’il en coûte.
Sous la seule réserve de cet amendement, je ne peux que vous féliciter, monsieur le secrétaire d'État, de cette heureuse initiative et me rallier aux conclusions de nos deux commissions ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la moitié des entrepreneurs français exercent en nom propre leur activité professionnelle et s’exposent ainsi à ce que la totalité de leur patrimoine professionnel et personnel soit saisie en cas de difficultés.
Il y a une très profonde injustice dans notre pays, un décalage trop important entre le régime de l’entrepreneur, littéralement « sans filet », et, à l’extrême opposé, celui du fonctionnaire, « superprotégé ». Si le risque professionnel est un choix assumé, il ne doit pas conduire à la ruine des familles.
Le projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée répond à cette injustice et à une demande formulée depuis près de trente ans par tous les professionnels – artisans, commerçants, dirigeants de petite entreprise –, en consacrant, enfin, la notion de patrimoine affecté.
Le rapport commandé à Xavier de Roux, ancien député, remis en novembre 2008, a permis de rompre avec le dogme de l’unicité du patrimoine. Nul doute que votre volontarisme, monsieur le secrétaire d'État, et le soutien du Président de la République auront eu raison des dernières réticences de la Chancellerie.
Après l’auto-entrepreneur – votre « bébé », en quelque sorte ! –, l’affectation du patrimoine constitue une avancée majeure dans la possibilité de créer une entreprise.
En effet, je l’ai moi-même vécu, la création de sa propre entreprise débute toujours dans l’enthousiasme. On ne se pose pas forcément la question au départ de la forme juridique la plus appropriée. Souvent, on choisit l’entreprise individuelle. Puis, un petit peu plus tard, certains experts en la matière viennent vous mettre en garde : l’entreprise individuelle n’est pas une forme juridique très protectrice, et mieux vaut créer une société. À cet égard, je le souligne à mon tour, l’EURL a constitué une vraie avancée.
Pour autant, l’EURL a un seul actionnaire : pour certains des clients et des fournisseurs, c’est une barrière psychologique difficile à franchir. Beaucoup d’entrepreneurs préfèrent donc se constituer en SA ou en SARL.
Dans le cas de la SARL, si vous voulez être majoritaire, vous ne pouvez pas être salarié et, donc, vous protéger de manière satisfaisante. Ou alors vous créez une SARL avec gérant minoritaire, mais, alors, vous n’avez plus le droit de détenir 50 % ou plus des actions. Et vous partez alors à la recherche d’actionnaires…
Voilà, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le système actuel ! C’est tout juste si l’on ne vous conseille pas de changer de régime matrimonial. Pour ne pas nuire à votre conjoint, mieux vaut peut-être tout simplement divorcer : avec des patrimoines distincts, vous serez tous les deux tranquilles !
Certes, beaucoup a déjà été fait pour protéger les entrepreneurs individuels, depuis la création de l’EURL par la loi du 11 juillet 1985. M. le rapporteur l’a rappelé, la mise en œuvre d’un patrimoine affecté avait déjà été envisagée lors de la discussion de ce texte, avant d’être écartée, car considérée comme « extrêmement compliquée ». C’est d’ailleurs toujours la raison qui est invoquée en premier par ceux qui refusent d’agir…
La question s’est reposée depuis à de nombreuses reprises. Chaque fois, une avancée a été obtenue, mais aucun dispositif n’avait jamais encore été aussi clair et abouti que celui qui nous est soumis aujourd’hui.
Les deux premières tentatives législatives sont apparues dans la loi du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle, dite loi Madelin, et dans la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique, dite loi Dutreil, dont l’article 8 permet de déclarer l’insaisissabilité de la résidence principale.
Lors de l'examen de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, que j’ai eu l’honneur de rapporter ici même, j’ai le souvenir d’une nouvelle tentative intitulée « société civile artisanale à responsabilité limitée », la SCARL ! Celle-ci avait été écartée au motif qu’elle manquait singulièrement de la simplicité recherchée par les professionnels.
La dernière initiative en date figure dans la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, avec l’extension de l’insaisissabilité à l’ensemble du patrimoine foncier.
Monsieur le secrétaire d'État, le patrimoine affecté représente donc un changement d’approche radical. Si des zones d’ombre demeurent qui devraient encore être éclaircies, surtout s’agissant des mécanismes de garantie des crédits professionnels, vous nous avez donné, me semble-t-il, les explications nécessaires tout à l’heure.
Mes chers collègues, je tenais donc à féliciter sans réserve M. le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, car voilà un texte qui rencontre l’adhésion et le soutien de tous les professionnels ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est, il faut bien le reconnaître, un texte paradoxal, et ce à plus d’un titre.
D’abord, le calendrier qui nous est imposé pour son examen n’est pas acceptable, d’autant que, une fois de plus, la procédure accélérée a été engagée, une précipitation sans doute commandée, monsieur le secrétaire d'État, par la proximité des élections régionales et par l’empressement d’un gouvernement soucieux d’apaiser les artisans confrontés à ce qu’ils dénoncent comme une concurrence déloyale des auto-entrepreneurs.
Le calendrier est d’autant plus insupportable que le texte lui-même renvoie à plusieurs décennies de débats et d’évolutions législatives.
Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes que de vous voir proposer dans la précipitation un texte dont l’objectif est de mettre un terme à un principe juridique, vous l’avez dit vous-même, « biséculaire », mais des plus injustes !
De ce premier paradoxe en découle logiquement un second.
La création de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est une initiative tout à fait louable, à laquelle on ne peut que souscrire. Il s’agit en effet de mettre fin au principe d’unicité du patrimoine des entrepreneurs en nom propre. Ce principe, énoncé à l’article 2284 du code civil, a en effet pour conséquence de rendre l’entrepreneur responsable sur l’ensemble de ses biens, sur son patrimoine personnel.
Ce principe a parfois des conséquences douloureuses et dramatiques quand une entreprise est mise en liquidation. Comme nombre d’entre nous l’ont évoqué, beaucoup d’entrepreneurs, beaucoup de petits artisans ont ainsi perdu tous leurs biens. À travers eux, c’est aussi tout leur entourage qui est affecté par cette situation injuste et traumatisante. On ne peut donc que se réjouir de voir le législateur tenter de remédier à cela.
Pour autant, au-delà de l’ambition affichée, ce projet de loi contient des dispositions qu’il nous faut examiner avec la plus grande attention. La discussion doit donc porter non pas seulement sur un constat que nous partageons tous, mais surtout sur les moyens à mettre en œuvre pour remédier au problème.
Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui seraient pour la création du patrimoine professionnel et, de l’autre, ceux qui seraient insensibles aux conséquences du maintien de l’unicité. C’est là un point important. En effet, si l’on peut partager, au fond, les préoccupations qui ont inspiré ce projet de loi, on n’est pas nécessairement obligé de souscrire à toutes les dispositions qu’il contient.
Je crois devoir apporter ces précisions pour éclairer le plus largement possible mon sentiment sur ce texte.
Ce projet de loi part d’un présupposé qu’il faut interroger.
Vous voulez, monsieur le secrétaire d’État, aider les Français à créer et à pérenniser leur entreprise. L’entreprise individuelle serait donc, dans cette perspective, la solution idoine.
Il est vrai que nous assistons à une explosion du nombre d’entrepreneurs en France. Quelque trois millions de Français ont créé leur entreprise ; près de la moitié l’ont fait en nom propre ; désormais, on dénombre près de 400 000 auto-entrepreneurs. Diverses mesures ont été adoptées pour faciliter la création d’entreprises, et la création de l’EIRL doit venir, en quelque sorte, parachever ce mouvement.
Il me semble pourtant que la première question qu’il faudrait se poser avant de légiférer est celle de l’utilité des dispositifs existants. Or, et c’est un autre paradoxe de ce texte, il est certes révolutionnaire, comme ont pu le dire certains, mais il est aussi inutile !
Ce texte est révolutionnaire parce qu’il met fin à l’unicité du patrimoine pour les entrepreneurs en nom propre, mais il est inutile parce que les moyens juridiques pour protéger le patrimoine personnel existent déjà. Je pense notamment, comme beaucoup d’orateurs l’ont dit avant moi, à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, créée en 1985,…
M. Claude Bérit-Débat. … ou à la clause d’insaisissabilité renforcée par la loi de modernisation de l’économie,…