M. Jean-Claude Danglot, auteur de la question. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trente ans, le secteur industriel a connu en France un véritable déclin. Il a déjà perdu près de deux millions d’emplois et la crise économique a encore précipité cette tendance amorcée au début des années quatre-vingt.
En laissant au marché et à la libre concurrence le soin de tout régler, en méconnaissant la valeur travail au profit du capital, nos gouvernements ont précipité, aux niveaux européen et national, le phénomène de désindustrialisation.
Les allégements de cotisations sociales, la défiscalisation des heures supplémentaires, les aides publiques accordées aux banques et aux entreprises, sans contrepartie effective, toutes les mesures prises par la droite ces derniers mois n’ont pas su répondre aux défis majeurs de la relance de l’emploi et de l’industrie.
Le Gouvernement n’a pas su endiguer les fermetures d’usines, les suppressions d’emplois, les délocalisations. Au contraire, certaines entreprises ont trouvé dans la crise prétexte pour licencier.
Dans ce contexte, le 3 septembre 2009, Nicolas Sarkozy a annoncé, lors d’une visite de l’usine de l’équipementier Faurecia, la tenue d’états généraux de l’industrie. Entre-temps, au début du mois de mars, l’équipementier a fait une annonce moins plaisante : celle de la fermeture, d’ici à la fin de 2010, de son site d’Auchel, dans le Pas-de-Calais, dont une partie de la production sera transférée vers des sites voisins, et la suppression de 179 emplois sur 508.
Il est urgent d’appliquer d’autres politiques. La mise en œuvre de mesures gouvernementales contre-productives a fait perdre trop de temps au pays. Durant l’année écoulée, les suppressions d’emplois, les fermetures de sites se sont multipliées. Le couperet est notamment tombé sur l’usine Continental de Clairoix, l’équipementier Molex de Villeneuve-sur-Tarn, l’unité de production de téléviseurs de Philips de Dreux, les usines chimiques de Celanex, dans les Pyrénées-Atlantiques, ou encore la cokerie de Carling, en Lorraine.
Depuis le début de l’année, le Gouvernement n’a rien fait pour son industrie, mais les sites continuent de fermer…
Monsieur le ministre, nous l’avons tous constaté dans nos territoires, l’emploi industriel traverse une crise profonde. Le rapport intermédiaire des états généraux de l’industrie sur le diagnostic et les enjeux prioritaires dresse un constat sans appel.
Depuis 2000, la population active industrielle a perdu 500 000 emplois. Or, depuis 2008, cette baisse n’est plus compensée par la hausse des emplois dans les services à l’industrie. La diminution de l’emploi industriel affecte tous les secteurs : les biens de consommation, les biens intermédiaires, l’automobile, les biens d’équipement, l’énergie et l’agroalimentaire. La balance commerciale de l’industrie française se dégrade.
Pour le secteur automobile, le solde exportations-importations a été négatif pour la première fois en 2008.
Le secteur manufacturier représente en France 16 % de la valeur ajoutée, alors qu’il compte pour 30 % de la valeur ajoutée produite en Allemagne.
Vous n’avez de cesse de citer ce pays comme modèle. La concurrence européenne a provoqué la disparition complète du secteur des machines-outils en France. Pour maintenir cet avantage, l’Allemagne a provoqué un dumping social. Selon l’OCDE, le coût de la main-d’œuvre a augmenté dans la plupart des pays en Europe, mais l’Allemagne a, elle, mis en place une stratégie de baisse des rémunérations. Est-ce le modèle vers lequel nous devrions tendre ?
Le 15 janvier 2010, lors de la clôture des états généraux de l’industrie, monsieur le ministre, vous avez employé des mots très forts : vous appelez de vos vœux une « révolution industrielle » ; vous dites qu’il faut encourager la localisation compétitive en France des outils de production et de recherche et développement ; vous souhaitez un capitalisme industriel socialement responsable. Nous attendons de voir s’il ne s’agit pas de nouveaux effets d’annonce !
Vous avez insisté sur la nécessité de renforcer l’emploi et la formation dans l’industrie. Vous avez proposé « d’ici à la fin des états généraux de travailler à la création d’une banque de l’industrie ». Que s’est-il passé depuis ? Rien !
Le 4 mars 2010, le Président de la République a évoqué les « cinq leviers d’action pour un renouveau industriel en France ». Les paroles sont séduisantes, et l’opération de communication continue…
Prenons deux exemples révélateurs de l’état d’esprit du Gouvernement et du manque de considération à l’égard des salariés et des entrepreneurs. Vous dites vouloir « mettre l’industrie au cœur d’un grand projet commun » et, à ce titre, vous affirmez vouloir revaloriser le rôle « industriel » de l’État actionnaire, en plaçant un administrateur du ministère de l’industrie chez Renault, La Poste et France Télécom.
Si vous souhaitez vraiment que les grandes « entreprises publiques s’inscrivent en cohérence avec la politique industrielle de l’État », il suffit de garantir une maîtrise publique des grands secteurs économiques. Au contraire, vous avez fait le choix de brader nos entreprises publiques, au détriment des salariés et des usagers !
Autre proposition : associer une charte de l’emploi à chaque investissement du FSI, le Fonds stratégique d’investissement. Le terme « charte » ne leurre personne, sans compter que vous prenez bien soin de préciser que les exigences sociales devront être « réalistes » ! Encore des propositions a minima sans aucune force contraignante !
La réalité, celle que vivent les Français, c’est la casse de leur outil de travail. Combien de travailleurs se trouvent un beau matin à la grille de leur usine ! Combien ont vu les locaux être « déménagés » et leur outil de travail disparaître en douce ! Ces pratiques sont intolérables et les Français ne les tolèrent plus ! Face à cela, le Gouvernement reste impuissant.
L’abstention aux élections régionales, la montée du Front national, notamment dans les régions industrielles, en sont les conséquences directes.
Dans ce contexte, l’avenir de l’industrie du raffinage, ébranlée par le désengagement des groupes pétroliers, plus particulièrement Total, apparaît bien sombre. C’est pourquoi nous avons, dès le début de l’année, sollicité ce débat.
Le secteur industriel du raffinage constitue un levier indispensable pour l’économie française. L’industrie du raffinage fait vivre des territoires entiers.
La France comptait 23 sites en 1978, mais n’en a plus que 13 aujourd’hui, du moins si le site de Dunkerque reste en fonction. La fermeture des sites de Bordeaux et Pauillac a privé le Sud-Ouest de raffineries ; si le site de Dunkerque ferme, ce sera le cas pour le Nord – Pas-de-Calais. Aujourd’hui, le site de Dunkerque est la cible mais, demain, ceux de Gonfreville, Donges, Provence, Feyzin ou Grandpuits seront visés.
Les autres compagnies pétrolières risquent de suivre la même logique : Esso, à Port-Jérôme - Gravenchon et Fos-sur-Mer, Petroplus, avec les raffineries de Petit-Couronne et Reichstett, ou enfin LyondellBasell et Ineos, avec les sites de Berre et Lavéra.
Or toutes ces raffineries sont le cœur de bassins d’emploi. Les industries de chimie de base, de parachimie, la fabrication de savons, de produits d’entretien, la pharmacie, le caoutchouc, les matières plastiques sont directement liés à l’activité de raffinage.
La fermeture de la raffinerie des Flandres, outre les conséquences dramatiques pour les familles des travailleurs concernés – 380 salariés et 450 sous-traitants directs –, aurait des répercussions très négatives sur le tissu économique et social tant local que régional.
Les principales synergies avec la raffinerie des Flandres concernent de nombreux emplois : Ryssen, 46 salariés ; APF, 10 salariés et sous-traitants ponctuels ; SRD, 260 salariés, 30 intérimaires et 60 sous-traitants directs ; Lesieur, 260 salariés, 30 intérimaires et 60 sous-traitants directs ; Air liquide, 53 salariés ; Rubis Terminal, 43 salariés ; DPC, 10 salariés ; Polychim, 75 salariés et 10 sous-traitants directs ; Polimeri Europa France, 440 salariés et 250 sous-traitants directs.
Devant l’absence de coopération du groupe pétrolier pour évaluer l’incidence de la fermeture, la chambre de commerce et d’industrie du Dunkerquois a lancé une enquête. Le vice-président de la CCI a indiqué qu’ils estimaient « de 450 à 600 le nombre d’emplois directement impactés ». Ce nombre pourrait même être porté à 1 000 si l’on y ajoute les emplois induits.
Le port de Dunkerque, qui a subi de plein fouet la crise économique et celle de la sidérurgie en particulier, va être encore fragilisé. Avec 45 millions de tonnes contre 57,7 millions en 2008, le trafic du port de Dunkerque a enregistré, pour la première fois depuis dix ans, une baisse. La présidente du directoire du port a exprimé son inquiétude quant aux répercussions de l’arrêt du raffinage sur l’activité du port. Total représente 20 % du chiffre d’affaires annuel du port et permettait notamment de mutualiser les coûts des services portuaires.
Le cas de la raffinerie de Dunkerque a également montré le cynisme de Total, qui avait annoncé aux salariés qu’ils seraient fixés sur leur sort après les élections. Que penser des déclarations récentes de Christophe de Margerie, directeur général de Total, qui a pris l’engagement « de ne rien faire sur les cinq autres raffineries pendant les cinq ans à venir » ? Quand on sait que la question de l’avenir d’un site de raffinage se pose techniquement tous les cinq ans, on a compris !
Quant au projet de terminal méthanier à Dunkerque, présenté comme une compensation pour les suppressions d’emplois liés au raffinage, il est en réalité ancien.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé dès la fin du mois de janvier que le pétrolier envisageait de s’associer à hauteur de 10 % à ce projet de terminal méthanier à Dunkerque, afin, disiez-vous, d’atténuer les conséquences pour l’emploi d’une éventuelle fermeture de sa raffinerie. Or, notamment pour alimenter ses centrales à gaz, EDF avait confirmé, dès le mois de juillet 2008, poursuivre ses études sur le projet, dont le coût est estimé à 1 milliard d’euros. L’entreprise publique a déjà retardé le calendrier de la mise en service de cet équipement, initialement prévue en 2011.
En bref, non seulement ce projet devait créer une centaine d’emplois en plus de ceux de la raffinerie, et non pallier très partiellement la fermeture du site, mais, en plus, il devrait voir le jour en 2014 !
En outre, les promesses d’activités industrielles de substitution, créées à coup d’aides publiques, ne constituent pas des solutions satisfaisantes. La proposition de création d’un centre d’assistance technique et d’une école de formation, la reconversion du site en dépôt de carburants ne suffiront pas à endiguer les répercussions économiques néfastes pour toute la zone industrielle du littoral.
Report du sort des salariés après les élections régionales, manipulations autour du projet alternatif pour compenser la fermeture de la raffinerie, absence d’information sur les conséquences de la fermeture sur les sous-traitants… Nous ne pouvons tolérer la malhonnêteté du groupe Total et du Gouvernement ! Nous n’abandonnerons pas les salariés face à de tels comportements !
La stratégie de Total est claire : avec ses projets de construction de dépôts ou de transformation de sites de production en dépôts, le groupe entend délocaliser ses activités industrielles situées en France et en Europe vers des pays dans lesquels les exigences sociales, salariales, environnementales et les normes de sécurité sont moindres.
Comment ne pas évoquer, au passage, un autre aspect de cette stratégie de désengagement national, qui consiste, pour le groupe, à céder ses filiales à des groupes belges ou espagnols ? C’est actuellement le cas chez GPN Mazingarbe, dans le Pas-de-Calais. Les 238 salariés concernés quitteront Total sans aucune garantie durable et en perdant leurs acquis.
Rien ne justifie la fermeture du site de Dunkerque.
L’entreprise ne perd pas d’argent. Total, sixième groupe mondial en termes de chiffre d’affaires, a réalisé des profits de 13,9 milliards d’euros en 2008 et de 8 milliards d’euros en 2009. Le problème est simple : le pétrolier ne veut pas mettre cet argent au service des besoins de l’entreprise, des salariés et du pays.
L’outil industriel n’est pas obsolète et les marchés des essences, du fioul et du gazole n’ont pas disparu. En 2009, les raffineurs ont construit de nouveaux sites dans les régions pétrolières et les pays émergents, au Moyen-Orient et en Asie.
Quant à l’argument tiré de la fin du pétrole, il nous reste encore quelques décennies et nous devrions les mettre à profit pour préparer la reconversion industrielle. Dernièrement, le directeur général de Total a expliqué que les réserves étaient suffisamment importantes en Ouganda pour justifier que le groupe s’y installe…
Enfin, l’argument selon lequel on ne peut pas tout à la fois vouloir le pétrole et ne pas polluer ne tient pas. Des efforts considérables sont déjà réalisés dans le secteur de la construction automobile pour économiser le carburant. On peut et on doit concilier, à long terme, le maintien de l’industrie pétrolière et les exigences environnementales.
Nous ne sommes pas encore prêts technologiquement pour vivre sans pétrole !
Le développement durable est un concept très pratique quand il s’agit de justifier des politiques socialement injustes. Le groupe Total ne se soucie pas vraiment du coût environnemental de son activité. D’ailleurs, le choix de reconversion du site n’est pas innocent : une fermeture engendre des frais et les coûts de dépollution, difficiles à évaluer, incitent souvent les industriels à reconvertir ou à vendre les sites concernés.
Sur ces sujets de l’après-industrie, du coût environnemental et, surtout, de l’impact sur la santé publique des activités industrielles, des réformes sont nécessaires. Nous avions demandé que la responsabilité des sociétés mères soit engagée pour éviter d’autres ArcelorMittal, et le Gouvernement s’était engagé à mener des démarches en ce sens lors de la Présidence française de l’Union européenne. Mais, là encore, rien ne s’est passé !
Face aux profits des grands groupes, à la rémunération de l’actionnariat, vous faites bien peu de cas, monsieur le ministre, de l’emploi et de la santé des travailleurs !
Un article du Monde daté du 23 février 2010, dans la rubrique « Élections régionales », reprend vos paroles : « Nous garantirons l’emploi des salariés de Total et la non-fermeture de la raffinerie ». Pourquoi faites-vous le contraire une fois les élections passées ? Pourquoi voulez-vous que les Français votent pour vous si vous démissionnez aussi facilement face au patronat, au nom de l’impuissance ?
Aujourd’hui, les salariés du site de Total à Dunkerque sont en lutte. Cette lutte pour travailler et produire en France, pour conjuguer emploi et intérêt de la nation, c’est la lutte de tous les travailleurs !
Les sénateurs de mon groupe soutiennent sans faille les salariés qui réclament le redémarrage des installations et la reprise de la production. Ils refusent cette dérive qui consiste à capter les profits au détriment de l’investissement et de l’emploi, et, en conséquence, demandent au Gouvernement de mener enfin une politique industrielle susceptible de répondre à ces enjeux.
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi un préalable. Nous sommes aujourd’hui le 1er avril, jour renommé pour les plaisanteries. Le prix du gaz augmente aujourd’hui de 9,5 % pour cette année. J’espère, monsieur le ministre, que vous nous annoncerez en fin d’intervention que cette mesure n’est qu’une blague, certes très mauvaise, mais une blague tout de même. J’ai effectivement une pensée pour les ménages les plus modestes qui subiront cette augmentation. Ils n’ont vraiment pas besoin de cela dans un contexte de crise économique et sociale d’une ampleur inégalée !
L’annonce soudaine par la direction de Total de la fermeture de la raffinerie des Flandres a subitement braqué le projecteur sur le sort de l’ensemble de la filière du raffinage dans notre pays et, à travers elle, des douze raffineries présentes sur le territoire.
Or les menaces qui pèsent sur le raffinage ne sont pas nouvelles. Au début des années quatre-vingt, après les deux chocs pétroliers, nous nous étions déjà posé la question de conserver ou non une indépendance énergétique et une capacité de production dans notre pays. Les derniers chiffres de l’Agence internationale de l’énergie montrent bien une tendance lourde à la baisse de la consommation des produits raffinés, commune à toute l’Europe et accentuée au cours des dernières années.
De la même manière, qui pourrait prétendre que nous venons de découvrir avec stupeur que les énergies fossiles n’auraient plus à l’avenir le même impact sur notre économie qu’auparavant ? De toute manière, comme vient de le souligner mon collègue Jean-Claude Danglot, cela ne peut pas être l’alibi pour des fermetures et des délocalisations.
On ne peut pas non plus ignorer, dans les politiques publiques, qu’il faudra s’orienter vers une diversification énergétique et prendre en compte les légitimes préoccupations environnementales.
Des signaux d’alerte existaient déjà. Il y a un an, le 10 mars 2009, Total annonçait la suppression de 550 emplois dans le raffinage, ce qui avait alors sincèrement ému Laurent Wauquiez, du moins en apparence. Le secrétaire d'État chargé de l'emploi avait indiqué que ce plan lui restait « en travers de la gorge ». Visiblement, il s’en est remis depuis et la lente agonie du raffinage s’est poursuivie, sans d’autres indignations constructives.
J’ai entendu dire dernièrement que le Grenelle de l’environnement serait responsable de la crise du raffinage que nous vivons actuellement.
Si crise il y a, elle est sans doute considérablement renforcée par le défaut d’anticipation, l’absence de régulation et l’absence d’investissement, ce qui a laissé toute la place à Total pour mener ses opérations de recherche du profit, sans contrepartie et, surtout, sans prise en compte de ses responsabilités industrielles, sociales et environnementales.
Car, en fait, qui doit décider des tenants et aboutissants de la politique énergétique ? Ce n’est ni Total ni M. Christophe de Margerie, de même que ce n’est pas Carlos Ghosn qui décide de la stratégie industrielle automobile, s’il convient de délocaliser, à quel rythme il faut le faire, s’il est souhaitable ou non de construire des voitures électriques. C’est à vous, monsieur le ministre, à votre Gouvernement et à la représentation nationale de décider et de dicter la politique à mener à nos entreprises !
Cette question du raffinage recouvre effectivement celle de l’indépendance énergétique du pays. Nous examinerons prochainement un projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche : si l’indépendance alimentaire est fondamentale, l’indépendance énergétique l’est tout autant !
Le 15 avril prochain doit se tenir la fameuse table ronde sur l’avenir du raffinage, avec des représentants des salariés de Total et d’Exxon Mobil. Je n’ai absolument rien contre M. Jean-Louis Borloo, rien, surtout, contre ses préoccupations environnementales : j’ai les mêmes, et chevillées au corps !
Pourtant, monsieur le ministre, l’avenir du raffinage et, parlons clairement, la reconversion des bassins industriels potentiellement concernés à moyen terme ne se résument pas à une question environnementale et énergétique. C’est une question industrielle au premier chef, et une question complexe qui demande de prendre en compte la totalité de la filière, sans occulter les sous-traitants et en allant jusqu’à considérer les conséquences sur d’autres sites pétrochimiques, contraints d’évoluer et de s’adapter. Les conséquences portuaires, notamment sur le port de Dunkerque, seront sans doute très importantes.
À ce titre, cette table ronde doit avoir pour objectif principal de clarifier publiquement la stratégie que vous préconisez et de nous permettre de savoir si vous vous donnez les moyens d’atteindre les buts fixés, y compris les moyens financiers.
À ce jour, j’ai pourtant la douloureuse impression – et je ne suis pas le seul – que Total entend déterminer seul l’avenir du raffinage. Monsieur le ministre, je ne crois pas qu’il faille continuer à accepter sans sourciller que le groupe détienne un pouvoir aussi exorbitant sur toute une partie de la politique énergétique française.
En 2008, je le rappelle, car le chiffre est éclairant, Total a réalisé les plus importants bénéfices jamais engrangés par une entreprise française : 13,9 milliards d’euros ! Total a d’ailleurs réinvesti, selon ses dires, 59 % de ses bénéfices. Elle n’en a pas moins continué à verser à ses actionnaires 4,9 milliards d’euros en 2008, après leur avoir versé 4,7 milliards d’euros en 2007. Par ailleurs, Total continuerait de procéder à des rachats d’actions pour un montant, tenez-vous bien, mes chers collègues, de 5,5 milliards d’euros.
Vous en conviendrez, ce n’est pas du tout le quotidien des petites et moyennes entreprises, qui rencontrent aujourd’hui de nombreux problèmes de trésorerie.
Total dispose actuellement d’une trésorerie très importante, qui devrait lui permettre de voir sereinement l’avenir et, surtout, d’assumer les responsabilités qui sont les siennes. D’autant que, il faut le souligner également, Total continue de conduire des partenariats avec l’État.
Je me permets de rappeler quelques faits.
En 2009, Total est engagé avec l’État et a reçu, à ce titre, 7,2 millions d’euros via l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, pour des recherches sur des agrocarburants de deuxième génération, dans le cadre d’un financement pluriannuel du projet « BioTfuel ».
En 2010, Total, encore lui, va considérablement bénéficier de la disparition de la taxe professionnelle et de l’enterrement – un enterrement de première classe ! – de la taxe carbone. Je dispose des chiffres pour la région Nord - Pas-de-Calais : la communauté urbaine de Dunkerque perdra 13 millions d’euros. Cette perte sera, certes, compensée cette année, mais aucune information n’est donnée pour les années suivantes. Je crois que de tels allégements fiscaux nécessitaient un minimum de contreparties, notamment sociales et industrielles.
Hier, Total a annoncé avoir obtenu le 1er mars 2010, par arrêté ministériel, le « permis de Montélimar » pour une durée de cinq ans. Ce permis permettra à Total d’explorer une zone de 4 327 kilomètres carrés en vue d’en démontrer le potentiel en shale gas.
Ces investissements sont nécessaires et sont sources de perspectives de développement et d’emplois intéressantes. À ce titre, monsieur le ministre, j’aimerais beaucoup que vous nous en disiez plus sur les retombées économiques et les conséquences en termes d’emploi attendues. Qu’avez-vous négocié ? Qu’avez-vous exigé ?
J’ai interrogé Didier Guillaume, président du conseil général de la Drôme, qui est très concerné par ces concessions. Notre collègue m’a dit ne pas avoir eu connaissance des possibles développements économiques et sociaux pour son département de cette opération. Je crois qu’il serait temps de réunir les élus de la région.
Même si cet investissement gazier me paraît prometteur, il ne doit pas rimer avec l’abandon pur et simple des bassins d’emploi jugés moins directement rentables. Il ne serait pas acceptable de déshabiller Pierre pour habiller Paul, Total ayant tout à fait les moyens de mener les deux de front.
Le risque est effectivement grand qu’il revienne aux pouvoirs publics et aux contribuables d’assumer toutes les conséquences sociales de ce désengagement, y compris le reclassement effectif des salariés et des sous-traitants, à charge pour les collectivités locales d’en assumer également les conséquences humaines.
Monsieur le ministre, il est vraiment temps que l’État français cesse de se faire dicter sa politique industrielle par les grands groupes.
Ces entreprises ont une responsabilité industrielle, sociale, environnementale, et c’est à vous qu’il revient d’en définir les contours comme de les faire respecter.
Monsieur le ministre, j’en viens à mon dernier point.
En avril 2009, vous avez installé dix commissaires à la réindustrialisation…
M. Martial Bourquin. …- soit !- présents dans onze régions, dont le Nord-Pas-de-Calais. Ces commissaires, chargés de « prévenir, accompagner et rebâtir » les bassins d’emploi en difficulté, étaient dotés d’un fonds de 100 millions d’euros.
L’exemple du désengagement de Total et les conditions inacceptables dans lesquelles ce dernier a été opéré, au mépris de la concertation la plus élémentaire, attestent les grandes limites du dispositif que vous avez choisi de mettre en place. Ces commissaires n’ont pas les moyens de prévenir des transitions industrielles d’une telle ampleur. L’enveloppe de 100 millions d’euros est très insuffisante : il faudrait sans aucun doute l’abonder.
Il y a plus d’un an, en juin 2009, mon collègue François Rebsamen proposait une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grosses entreprises, notamment Total. Sa proposition, que nous avons soutenue et que votre majorité avait rejetée, aurait permis de redistribuer et de provisionner pour l’avenir des sommes qui font aujourd’hui cruellement défaut pour mener une politique de transition industrielle, de sécurisation des parcours professionnels et d’accompagnement des personnels digne de ce nom.
Je vous demande donc instamment de reprendre la main sur la politique énergétique, monsieur le ministre, d’associer les collectivités locales et territoriales et de nous proposer une stratégie industrielle d’ensemble, qui devrait certainement être plus européenne qu’elle ne l’est actuellement.
L’indépendance énergétique de notre pays et de l’Union européenne n’est pas l’affaire de Total, elle est bien de la responsabilité de la représentation nationale. Selon l’adage, gouverner, c’est prévoir. Pour ma part, il me semble que le Gouvernement subit plus qu’il ne prévoit !
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Louis Borloo déclarait le mois dernier en annonçant l’organisation d’une table ronde sur l’avenir de l’industrie du raffinage : « Il y a en matière de raffinage […] un certain nombre d’interrogations, […] les salariés […], l’ensemble des producteurs, distributeurs et raffineurs veulent y voir clair sur l’avenir de cet outil industriel ».
Depuis les années quatre-vingt, l’industrie de notre pays ne cesse de se dégrader en termes d’emplois et d’activités. La crise actuelle frappe tous les secteurs, en particulier la chimie, l’aéronautique et l’automobile, durement touchées par un ralentissement de leur activité dû à la baisse des commandes.
La France doit se battre sur tous les fronts pour sauver ses fleurons industriels.
Aujourd’hui, l’industrie chimique française est, après l’automobile et la métallurgie, le troisième poste d’activité. Elle génère plus de 180 000 emplois directs. Son rôle stratégique est lié à tous les autres secteurs de l’industrie manufacturière. Depuis quelques années, cette industrie est confrontée à des difficultés de plus en plus pénalisantes en raison du retard accumulé dans ses efforts de recherche et de développement, de l’insuffisance des investissements nécessaires à la modernisation de ses sites et de l’image dégradée par des catastrophes écologiques récurrentes, notamment des marées noires à répétition.
Les produits issus du raffinage et de la pétrochimie constituent une catégorie bien particulière, car ils assurent à eux seuls la quasi-intégralité du transport routier. Lorsque, pour des raisons sociales, les sites sont bloqués, c’est toute notre économie qui en pâtit.
Au-delà de l’indépendance énergétique et du coût du transport international des produits raffinés, qui est beaucoup plus élevé que celui du pétrole brut, il est nécessaire de s’attacher à maintenir nos sites afin de ne pas dépendre d’aléas extérieurs dans un monde de plus en plus marqué par l’instabilité et par les menaces pesant sur les voies d’approvisionnement.
Les nouveaux acteurs qui émergent, tels que la Chine ou l’Inde, contestent directement la position de notre pays dans l’économie mondiale. Ainsi, la Chine est aujourd’hui le deuxième producteur mondial de produits chimiques, après avoir ravi la quatrième place à la France il y a déjà dix ans.
L’état et la compétitivité de l’industrie française sont directement liés aux variations des prix des matières premières et énergétiques : l’instabilité des cours pétroliers ne facilite pas la pérennité d’activités totalement liées aux hydrocarbures.
Néanmoins, en dépit des nombreux efforts réalisés par le Gouvernement ces derniers mois, notamment pour relancer la compétitivité, la recherche et l’innovation, le premier groupe pétrolier français a mis en place une politique de désengagement du marché du raffinage en France, faute de débouchés nationaux et de marges suffisantes. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
On peut comprendre que le directeur général de Total défende le bon fonctionnement de son entreprise, mais l’avenir de ses salariés constitue bien évidemment une préoccupation majeure. Le PDG souligne la nécessité d’une mutualisation avec les autres groupes pétroliers plutôt que de perdre de l’argent dans ce secteur, nonobstant les bénéfices considérables dégagés par les autres activités.
C’est à cette mutualisation qu’il faut s’attacher. Je remarque qu’il ne peut être reproché à Total de s’implanter à Abu Dhabi, car les produits manufacturés sont destinés non au marché français, mais à celui de l’Extrême-Orient : la société pourra ainsi créer des emplois directs et indirects en France pour concevoir et faire fonctionner cette raffinerie et les bénéfices seront réinvestis en majeure partie dans l’entreprise.
Aujourd'hui, un élément est devenu fondamental, l’environnement, et il ne peut plus être ignoré. Il devient très difficile de maintenir de vieilles raffineries et quasi irréalisable d’implanter en France une nouvelle raffinerie. Quelle que soit l’amélioration de la technologie, l’image reste celle d’une activité très polluante. Diverses associations et ONG arrivent à agréger des oppositions fortes au point de rendre extrêmement difficile, sinon impossible, la concrétisation de tels projets.
Pour réduire l’impact de l’activité sur l’environnement, le raffinage propre, l’efficacité énergétique et les catalyseurs innovants sont des pistes de recherche qui devraient permettre de répondre aux exigences de plus en plus fortes du développement durable.
L’hebdomadaire Paris Match titrait le mois dernier : « Le raffinage occidental au bord de l’overdose ». Au-delà des mots, la problématique du raffinage est générale en Europe : la « diésélisation » du parc automobile, qui a fait chuter la demande d’essence, et la baisse de consommation des produits pétroliers ont contribué à une surcapacité en matière d’essence de l’ordre de 10 % à 15 %.
Nos raffineries ne sont plus adaptées à la demande européenne : nous importons du gazole et nous exportons vers les États-Unis de l’essence dont ils ne voudront bientôt plus, car leur marché arrive à saturation. C’est la « pire crise » depuis vingt-cinq ans pour cette activité, constatait récemment le directeur général de Shell, Peter Voser, qui, en prenant ses fonctions, avait promis à ses salariés « de la sueur et des larmes ». Notre collègue Jean-Claude Danglot pose donc une question cruciale.
Dans quinze jours, se tiendra la table ronde sur l’avenir du raffinage, notamment pour répondre à la demande expresse de syndicats de salariés. Je souhaite, monsieur le ministre, vous proposer quelques pistes de réflexion.
Par sa position géographique privilégiée, avec ses trois façades maritimes, la France traite le pétrole dans ses ports. Cet atout doit être optimisé par une concertation avec nos voisins européens afin de répondre à leurs besoins tout en créant chez nous les emplois induits par cette activité.
Jusqu’à présent, chaque raffinerie traitait un seul type de pétrole pour un produit raffiné déterminé. Il faudrait établir une stratégie de long terme pour prévoir au mieux l’évolution de nos approvisionnements pétroliers et des nouvelles énergies qui remplaceront le pétrole, afin d’adapter nos volumes de raffinage et les structures nécessaires.
Les raffineries ayant, dans notre pays, un avenir incertain, on pourrait imaginer la reconversion en clusters, technopoles ou pôles de compétitivité pétrochimiques, de sites industriels qui, autrement, fermeront dans les années à venir. L’enseignement, la recherche, la formation draineraient ainsi nombre d’emplois. C’est un secteur à forte capacité d’innovation dans lequel les partenariats public-privé ne cessent de se développer.
Enfin, la géopolitique du raffinage devient un enjeu énergétique mondial, que nous ne pouvons ignorer dans notre réflexion.
Le Général de Gaulle, en son temps, s’était efforcé d’assurer l’indépendance énergétique de la France. Soyons créatifs, imaginons de nouvelles technologies, de nouveaux procédés pour rester fidèles à cette volonté d’indépendance. Cette créativité renforcera notre position dans une économie mondialisée.
Mes chers collègues, gardons-le à l’esprit, qui contrôle l’énergie détient le pouvoir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’avenir du raffinage en France et en Europe est une vraie question stratégique.
Comme cela vient d’être souligné, le secteur est dans une mauvaise situation, qui n’est pas simplement liée à la crise actuelle, même si celle-ci l’a amplifiée, mais qui résulte avant tout d’un problème structurel. Mon collègue Aymeri de Montesquiou vient de le rappeler, cette situation ne concerne pas seulement la France, mais également de nombreux pays européens et tous les groupes pétroliers.
Début février, l’Union française des industries pétrolières a évoqué une situation « critique », confirmant des pertes, pour les douze raffineries françaises, de « 150 millions d’euros par mois » depuis mars 2009, un recul de la demande de 2,8 % en 2009 et de près de 9 % sur dix ans.
Le raffinage fait face, dans son ensemble, à une baisse de la demande résultant des politiques d’incitation à la réduction de la consommation, des progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique et des premiers effets de la lutte contre le changement climatique. Cette baisse, d’ordre structurel et non conjoncturel, est considérée comme durable par tous les acteurs et experts de ce domaine. Il en résulte une situation de surcapacité, antérieure à la crise économique que nous traversons, mais qui s’en est trouvée aggravée.
En Europe, de nombreuses raffineries sont soit à l’arrêt, soit en attente d’adaptation, soit même en vente. On retrouve le problème aux États-Unis. Concrètement, à la fin de l’année 2009, la surcapacité du raffinage dans le monde s’établissait autour de 7 millions de barils par jour, alors que la capacité totale s’élevait, elle, à 87,2 millions de barils par jour.
Cette surcapacité se concentre essentiellement sur l’Europe et l’Amérique du Nord. À l’inverse, au Moyen-Orient et en Asie, les investissements dans de nouvelles capacités s’enchaînent. D’ici à 2030, ces zones bénéficieront de 70 % des investissements mondiaux du secteur, contre seulement 11 % pour l’Europe et l’Amérique du Nord. Dans le même temps, 15 % des capacités européennes, et jusqu’à 20 % aux États-Unis, devraient fermer.
Le recul du raffinage en Europe est directement lié à la baisse de la consommation de carburants. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les Européens ont diminué de 7,5 % leur consommation de gazole et d’essence sur la période 2007-2009. Et ces chiffres devraient continuer à évoluer d’une à deux dizaines de points dans la décennie à venir.
Ce déséquilibre entre l’offre et la demande a conduit à un effondrement des marges de raffinage en 2009. De nombreuses raffineries en Europe – et pas seulement chez Total – ont dû procéder a des ajustements de capacités, arrêter temporairement des raffineries ou certaines de leurs unités, voire arrêter leur production, lorsqu’il s’est avéré qu’elles produisaient à perte.
En Europe, vous le savez, les raffineries ont été conçues pour produire davantage d’essence que de gazole. Or, depuis plusieurs années, la demande européenne porte surtout sur le gazole et, en dépit de nombreuses adaptations, ces raffineries produisent toujours trop d’essence.
Nous sommes ainsi confrontés, et de façon durable, à une inadéquation entre les attentes du marché et l’offre des raffineries européennes.
De plus, les États-Unis, vers lesquels sont exportés les excédents d’essence européens, connaissent également une forte baisse de leur consommation de carburants.
Face à cette situation, les grands groupes pétroliers nous disent avoir engagé un important effort d’adaptation de leur outil de raffinage afin de répondre à l’évolution de la demande et aux réglementations européennes, notamment en matière environnementale. Ainsi, entre 2005 et 2009, Total a investi plus de 6 milliards d’euros dans des activités de raffinage.
Il semble que cela ne soit pas suffisant tant les difficultés structurelles sont grandes. Le douloureux exemple de la raffinerie des Flandres l’illustre bien. Située dans une zone où les capacités de raffinage sont particulièrement importantes – je rappelle qu’Anvers est proche –, cette raffinerie n’a aujourd’hui que peu de débouchés. Elle produisait principalement des essences destinées à l’exportation, en particulier vers les États-Unis. C’est parce qu’elle tournait à perte depuis plusieurs mois que la décision d’arrêt de la production a été prise le 12 septembre 2009. L’absence d’évolution du marché a conduit ensuite à prendre une décision d’arrêt définitif. Comment continuer à mettre sur le marché des productions dont celui-ci n’a pas besoin ?
À nos yeux, l’important est que l’avenir du site soit assuré dans le cadre d’une mutation industrielle exemplaire et que Total s’engage à garantir, soit le maintien d’un maximum de postes sur le site, soit un avenir professionnel digne aux personnes qui devront changer d’activité ou de lieu de travail. Le Gouvernement doit contrôler le respect des engagements de Total, monsieur le ministre. C’est très important pour le développement industriel et la vitalité économique du Dunkerquois et, plus généralement, du Nord-Pas-de-Calais. Je pense notamment à l’avenir des sous-traitants, qui doivent pouvoir poursuivre leurs activités.
Au-delà du cas de la raffinerie des Flandres, la question de l’avenir de toutes les raffineries françaises se pose de manière très réelle. Il y a trente ans, notre pays comptait vingt-deux sites de raffinage. Avec la fermeture du site de Dunkerque, ce chiffre va tomber à onze.
Nous l’avons dit, cette situation résulte d’une évolution structurelle du paysage énergétique français, évolution aggravée par la crise. Pendant des années, les pouvoirs publics – droite et gauche confondues – ont cherché, avec raison, à réduire la dépendance de la France vis-à-vis du pétrole, notamment grâce au développement de l’énergie nucléaire. Cela a réduit la demande de fioul lourd, obligeant les raffineries à le transformer en essence. En outre, la politique fiscale a dopé la consommation de gazole. Ce changement a fragilisé les raffineries françaises, parce qu’il les a rendues de plus en plus dépendantes de leurs exportations d’essence vers les États-Unis.
La lutte contre le réchauffement climatique a marqué une nouvelle étape du processus avec le surcoût lié à l’avènement d’un système de quotas de CO2 et la mise sur le marché des biocarburants.
Bien sûr, la situation du raffinage ne résulte pas uniquement des politiques publiques. La crise produit ses effets, notamment sur les marges des raffineurs, qui s’effondrent, mais ces derniers ont une large part de responsabilité.
M. Martial Bourquin. Eh oui !
M. Jacques Gautier. Ils ont multiplié les projets dans les pays producteurs en Asie et au Moyen-Orient, soucieux de « coller » à l’évolution de la demande.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une délocalisation, puisqu’un marché régional en expansion existe. Mais de tels projets ne se réalisent-ils pas au détriment de l’outil européen de raffinage, qui doit rester un élément essentiel du dispositif des grands groupes pétroliers ?
Par ailleurs, la protection de l’environnement est aujourd’hui bien ancrée dans les mentalités des populations européennes. Ces dernières ont fait le choix de consommer moins d’essence et elles ne sont pas prêtes à changer. Cela n’est pas sans conséquence.
Dans ce contexte, l’avenir du raffinage en France suscite bien évidemment des interrogations. Il doit être une préoccupation nationale. Notre pays ne peut pas laisser cette situation difficile se détériorer davantage.
Le Gouvernement s’est saisi du dossier, ce dont je vous remercie, monsieur le ministre. Une table ronde se tiendra donc le 15 avril prochain et nous souhaitons que des solutions pragmatiques soient dégagées dans la concertation. À cet égard, je fais bien volontiers miennes les pistes évoquées par Aymeri de Montesquiou.
Nous sommes conscients que l’exercice n’est pas simple. Nous devons trouver le moyen de garantir l’avenir des onze raffineries restant basées en France, tout en maintenant notre volonté de réduire la facture pétrolière et en accélérant notre transition vers les énergies décarbonées. C’est un défi majeur pour notre pays qui demande volonté, imagination et courage. Vous avez toute notre confiance pour le relever, monsieur le ministre.
J’ajoute, que l’on me pardonne cette pique, que le silence des présidents de région à ce sujet est assourdissant. À ma connaissance, aucune solution n’a été avancée par les majorités socialistes et écologistes sur ce point. Y aurait-il dans le domaine de l’énergie – là comme ailleurs ! – des divergences de vue et de stratégies ?
Quoi qu’il en soit, je souhaite que, tous ensemble, nous allions plus loin afin de trouver les solutions qu’attendent les personnels de ces onze raffineries. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.