M. Yvon Collin. Monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut laisser ces derniers dans la situation de détresse qui est la leur. D’autant que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ou HCR, est particulièrement inquiet du nombre croissant d’enfants sans abri à Calais. Des employés de cette agence des Nations unies ont rencontré des enfants de neuf ans, voyageant avec un frère, une sœur.
Voilà quelques années, l’écrivain Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008, a, lui aussi, été un réfugié afghan débarquant sans rien à Paris... À l’époque, il fut très bien accueilli. Aujourd’hui, dans une lettre ouverte de protestation, que n’aurait pas reniée l’abbé Pierre, il s’indigne que la France « poursuive les réfugiés afghans comme des criminels ». Il ajoute : « Il y a certainement eu une époque où on appelait un immigré un homme. Même s’il était sans papiers. […] Ne jetons pas dans les eaux du canal le manteau que saint Martin a partagé avec un pauvre ». (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
La proposition de résolution de nos collègues du groupe socialiste répond à cet appel, puisqu’il s’agit d’offrir une protection aux réfugiés afghans, au moins de manière temporaire, dans les pays européens, engagés par ailleurs dans le conflit militaire de leur pays.
Même si elle mérite d’être améliorée sur le plan juridique, la grande majorité du groupe RDSE votera cette proposition de résolution européenne, car elle en partage la philosophie ainsi que l’intention plus large manifestée par les auteurs d’une politique européenne plus efficace et plus ambitieuse en matière d’asile.
« Mieux partager la charge du fardeau des réfugiés » et « présenter un visage plus humain », tels étaient les deux objectifs du Pacte européen sur l’immigration et l’asile.
Pourtant, on sent bien que l’asile est de plus en plus sacrifié au nom de la nécessité proclamée d’une « maîtrise » sélective de l’immigration.
Les changements de procédures et de pratiques de la demande d’asile aux frontières, notamment aéroportuaires, intervenus au cours de la dernière décennie, le caractère souvent expéditif de l’examen des demandes, le raccourcissement des délais de recevabilité, l’absence ou la carence de traducteurs et d’avocats mettent en péril l’accès même au droit d’asile.
La Commission a présenté deux paquets de mesures en 2008 et en 2009 ayant pour objet d’harmoniser davantage et d’améliorer les normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile. Où en sont les discussions sur ces propositions ? Il semble qu’elles peinent à aboutir.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ah oui !
M. Yvon Collin. L’agence des Nations unies pour les réfugiés demande la mise en œuvre d’une approche européenne commune pour les enfants, à travers une action législative et une coopération pratique entre les membres de l’Union européenne. Cette approche devrait inclure l’accès à des tuteurs qualifiés, à des procédures justes pour la détermination de l’âge des enfants et à des structures d’accueil appropriées.
Monsieur le ministre, quelles actions entend prendre la France dans ce sens pour faire avancer l’idée d’un régime d’asile européen commun ? Mais, d’abord, monsieur le ministre, avez-vous cette volonté politique ? Et, si oui, quelles mesures, autres que répressives et policières, entendez-vous mettre en œuvre au plus vite en faveur de ces réfugiés afghans, victimes d’enjeux politiques, religieux et stratégiques qui les dépassent totalement ?
Aussi, fort de notre humanisme et de notre tradition de tolérance, et dans la droite ligne des principes du radicalisme politique, la grande majorité des membres de mon groupe et la totalité des sénateurs radicaux de gauche approuveront cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. À l’occasion d’une séance de questions cribles, je vous avais interpellé, monsieur le ministre, sur la reconduite de plusieurs Afghans dans leur pays. Était-il vraiment besoin de souligner à quel point cette expulsion était incohérente au regard de l’engagement militaire de la France en Afghanistan ?
Alors que nous vous alertions sur la situation de ces migrants, sur l’indignité des charters eu égard à la situation en Afghanistan, vous nous répondiez que cette méthode était nécessaire au nom de la lutte contre « les filières criminelles et mafieuses de l’immigration clandestine », et, par ailleurs, tout à fait conforme aux normes juridiques.
Chaque fois que nous interpellons le Gouvernement, on nous oppose la sécurité ! Le centre d’accueil des réfugiés de Sangatte a été fermé. Le flux d’Afghans a-t-il cessé ? Non ! Vous avez également démantelé la « jungle » de Calais. Le flux d’Afghans va-t-il cesser ? Non ! Les demandes d’asile vont-elles diminuer ? Sans doute. Les clandestins seront-ils plus nombreux ? Assurément !
Le même individu, selon qu’il est réfugié ou clandestin, n’a pas le même comportement. Dans un cas, il travaille, cotise et s’intègre ; dans l’autre, il se cache, souffre et s’en remet parfois à de mauvaises mains. Où est donc la sécurité ? Du côté de la clandestinité ou bien du côté de l’intégration ?
En outre, monsieur le ministre, faut-il vraiment que des milliers d’hommes et de jeunes mineurs, loin de leur pays, de leurs proches, dans un état de précarité et de dénuement, soient, de manière récurrente, les otages de campagnes électorales ? Vous le savez, plus il y a de réfugiés, moins il y a de clandestins. C’est une question de statut et non de qualité humaine. C’est une question d’itinéraire et non de moralité.
Certes, ces personnes ne sont pas toutes éligibles au droit d’asile. Mais celles qui le sont ne peuvent obtenir ce statut. Au terme du règlement Dublin II, le droit d’asile est devenu une fabrique à clandestins. Le même migrant, porteur de la même histoire, se verra refuser le statut de réfugié en Grèce, alors qu’il l’obtiendrait en France.
Si les demandes d’asile ont diminué, ce n’est pas parce que le flot de migrants s’est tari ; ce n’est pas non plus parce que les filières sont démantelées. C’est parce que les personnes qui fuient les conflits dans leur pays n’ont aucun intérêt à déposer une demande d’asile en France ; elle aboutirait en effet automatiquement à une reconduite vers le pays d’entrée dans l’Union européenne où le droit est moins favorable.
Dans son rapport, notre collègue M. Fauchon nous a expliqué que la directive relative à la protection temporaire ne pouvait s’appliquer aux Afghans. Mais, par la voix de Louis Mermaz, le groupe socialiste tient à ce que soit prise en considération la notion d’afflux durable et à affirmer qu’il existe d’autres solutions pour que puissent réellement exercer leurs droits les personnes qui remplissent les conditions d’obtention du statut de réfugié parmi les Afghans et tous ceux qui fuient un conflit dans leur pays d’origine, et pour que ceux qui n’en bénéficieront pas soient préservés d’un retour forcé et obtiennent un statut administratif temporaire. La clandestinité n’est pas une fatalité !
Suivant en cela les recommandations du HCR, nous souhaitons par conséquent que la France applique la clause de souveraineté prévue par le règlement Dublin II et que les examens des demandes d’asile aient lieu en France et non dans le pays d’entrée, en l’occurrence la Grèce. Cela relève d’une décision politique. Envisagez-vous une telle option ?
Pour les Afghans en transit en France et astreints à la clandestinité en attendant d’entrer en Grande-Bretagne, envisagez-vous d’adopter des mesures nationales, afin que ces migrants non seulement soient assurés de ne pas craindre un retour forcé, mais surtout aient accès à certains droits temporaires ?
À l’échelon européen, nous plaidons pour que la diversité des situations de migrations soit mieux prise en compte. L’Europe a tendance à considérer la migration comme une installation définitive. Or nombreux sont ceux qui souhaitent retourner chez eux aux jours meilleurs.
Surtout, il nous semble qu’il convient de revoir le règlement Dublin II, afin de mettre en place une plus grande solidarité européenne. Les dispositifs d’asile sont surchargés, donc inefficaces dans les pays frontaliers. Il faudrait au minimum que le constat d’une situation de saturation entraîne une clause de suspension des délais légaux d’examen des dossiers.
Par ailleurs, le 4. de l’article 4 du règlement Dublin II permet, en théorie, à un demandeur d’asile séjournant à Malte d’adresser sa demande à la France. Mais cette possibilité n’est que théorique et, de plus, elle n’est pas optimale au regard des droits. Pourquoi ne pas envisager que le demandeur d’asile choisisse le pays où il souhaite faire sa demande et qu’il y soit conduit le temps de l’examen de son dossier ?
En la matière, vous l’avez compris, nous souhaitons que ces migrants aient pleinement accès à leurs droits. Dans la mesure où, pour l’essentiel, ils sont en transit en France, nous aurions tort de nous en remettre à court terme à une improbable décision européenne, d’autant que des issues nationales existent et que le règlement Dublin II prévoit la clause de souveraineté.
Monsieur le ministre, nous vous avons suggéré des pistes de réflexion et fait des propositions concrètes ; nous espérons que vous saurez les entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous avez raison, monsieur Fauchon : en commission, j’étais d’accord avec vous sur l’article 88-4 de la Constitution, et je ne reviendrai pas sur la question de procédure.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Vous ne m’en voulez donc pas ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Pas du tout !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Merci !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je souhaite m’attaquer plutôt au fond, car, derrière cette question simple se pose une question fondamentale : pouvons-nous imaginer aujourd’hui un instrument juridique ad hoc pour répondre à l’arrivée importante de réfugiés afghans sur le territoire européen et leur apporter un soutien moral et matériel ? Il s’agit d’une question d’ordre humanitaire, tout simplement !
Il faut savoir que cette proposition de résolution s’inscrit dans un contexte très précis. L’Union européenne a entamé un processus d’harmonisation des règles régissant l’octroi et l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile, et je vous rappelle que ce n’est pas sous l’impulsion de notre pays. En effet, si la France a lancé le Pacte européen sur l’immigration et l’asile en 2008, alors qu’elle présidait l’Union européenne, cette politique européenne de l’immigration et de l’asile a été décidée à Tampere en 1999. J’y étais et je me souviens encore du débat ! Mais nous sommes en attente depuis plus de dix ans... Les « paquets asile » se succèdent, mais n’aboutissent pas. Nous en sommes au deuxième, lequel n’a malheureusement toujours rien apporté !
La double exigence qui est la nôtre est à la fois de prendre en compte la situation des Afghans et de favoriser une réforme ambitieuse du droit d’asile européen. En fait, ce sont les deux faces d’une même médaille ! On ne saurait, en effet, séparer les deux questions.
Je ferai, si vous le permettez, quelques commentaires sur le « paquet asile » européen, question dont je m’occupais déjà au Parlement européen et pour laquelle, au sein de la commission des affaires européennes du Sénat, je suis co-rapporteur, avec M. Robert del Picchia.
J’ose vous dire que j’étais optimiste au départ. La Commission européenne avait proposé un texte ambitieux. Malheureusement, il ne faut pas se leurrer. Ce texte fera certainement les frais d’un compromis bien en deçà de nos attentes, notamment sur la question des conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Il est aussi à craindre qu’il n’entre pas en vigueur avant 2012 au moins !
Que faire en attendant ? Dans ces circonstances, cette proposition de résolution européenne doit aujourd’hui être examinée en urgence. Si l’Union européenne souhaite se doter d’instruments juridiques plus adaptés à la réalité du phénomène de l’asile, elle reste, à ce jour, incapable de « gérer » des situations exceptionnelles nécessitant des solutions elles-mêmes exceptionnelles à un moment donné.
Ne perdons pas de vue que de nombreuses situations n’existaient ni en 2001, ni en 1999 lorsque ces paquets asile avaient été demandés. Ces questions, que l’on ne considérait pas comme pertinentes, sont aujourd’hui un enjeu majeur de la réforme ambitieuse et volontaire du droit d’asile européen.
L’échelle européenne est certainement la plus adaptée. Le droit d’asile ne peut pas être un droit à géométrie variable, chaque État adoptant une démarche isolée. Il s’agit d’une question à 100 % européenne !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Eh oui !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous devrons intégrer plusieurs exigences qui sont totalement absentes des projets proposés jusqu’à présent, en particulier la question des États de transit, dans lesquels les demandeurs d’asile ne font que passer et où ils ne souhaitent nullement s’installer.
Monsieur le ministre, pour ces populations en transit, il est impératif de trouver un outil juridique simple, en lieu et place de la solution radicale que vous proposez, à savoir le retour forcé !
Il faut aujourd’hui se pencher sur cette question, comme il faudra examiner celle qui concerne les réfugiés climatiques. Il convient en effet d’adapter le cadre général de la politique d’asile aux situations urgentes de nature nouvelle. Je pense en particulier à ce flux important de réfugiés. Dans de telles circonstances, seule une refonte complète et inclusive du droit d’asile est susceptible de répondre aux situations spécifiques, comme celle que connaissent les réfugiés afghans.
Cela étant dit, est-il raisonnable aujourd’hui de renoncer à appliquer, en faveur des Afghans, la directive relative à la protection temporaire ? Au cours d’un débat qui s’était tenu ici même sur la politique d’immigration, quelques jours après la première vague de reconduites d’Afghans vers leur pays, reconduites que je continue de qualifier de scandaleuses, j’avais évoqué la possibilité de recourir à cette directive, adoptée en 2001 pour protéger les personnes fuyant les conflits des Balkans. Une telle directive est, à nos yeux, un exemple de la solidarité européenne, dont nous devons nous féliciter.
Pourquoi, dans l’attente d’un second « paquet asile », ne pas appliquer cette directive ou rédiger un nouveau texte permettant d’apporter une réponse en la matière ? Nous serions tout à fait honorés de l’« impulser » en Europe !
Je ne souscris pas entièrement aux arguments développés par M. Fauchon ni, d’ailleurs, à ceux du HCR, concernant l’applicabilité aux Afghans des critères prévus par cette directive. J’estime en effet que l’attribution de la protection temporaire aux ressortissants afghans est possible, car les critères fixés par la directive de 2001 ne paraissent pas cumulatifs. Je me souviens encore du débat qui s’était tenu à l’époque au Parlement européen, puisque j’en ai été l’une des actrices. Je vous demande d’ailleurs, mes chers collègues, d’en relire le compte rendu, ce qui vous permettra de constater la véracité de mes propos.
Personne ne peut le nier, l’Afghanistan connaît une situation de guerre, ce qui entraîne un afflux important, certes moindre que celui que nous avons connu en 2000, de réfugiés afghans. Nous devons oublier un instant la question du droit, ou plutôt la dépasser, pour évoquer le fond du problème, à savoir le courage politique nécessaire pour répondre à la situation posée.
Monsieur le ministre, vous n’avez pas jugé bon de protéger ces personnes, alors que, au même moment, le site internet de l’ambassade de France en Afghanistan recommandait aux Français de ne pas se rendre dans ce pays. Ce cynisme, nous sommes nombreux à ne pas le partager !
Le décret du 10 août 2005, qui a transposé en droit français la directive du 20 juillet 2001, peut être modifié dans les plus brefs délais. Rien ne vous interdit d’assouplir les conditions requises. Rien ne vous interdit de créer un régime sui generis pour la protection effective des populations afghanes. Rien n’interdit de mettre un terme au scandale qui consiste à renvoyer des personnes vers un pays en guerre. Rien, si ce n’est le manque de courage politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Cointat, d'une motion n°1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire (n° 159, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Christian Cointat, auteur de la motion.
M. Christian Cointat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes propos liminaires ont pour objet de clarifier la situation.
Cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité n’a aucun lien direct ou indirect avec le contenu de la proposition de résolution présentée aujourd’hui, elle ne se fonde que sur le droit. Une telle caractéristique est d’ailleurs conforme au règlement de notre assemblée, et il serait bon que toutes les motions tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité s’en inspirent, certaines s’écartant largement, selon moi, de ce principe.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C’est vrai !
M. Christian Cointat. Messieurs Mermaz et Yung, vous avez fait référence à une proposition de résolution de Mme Keller, présentée par la commission des affaires européenne et adoptée par le Sénat. Or celle-ci ne s’inscrivait pas dans le même cadre. Elle faisait à juste titre référence à l’article 88-4 de la Constitution. En effet, la proposition de directive évoquée mentionnait que, avant le 30 juin de cette année, la Commission européenne devait présenter un règlement. La proposition de résolution de Mme Keller invitait par conséquent le Gouvernement à prendre en considération un certain nombre de propositions de la Haute Assemblée, afin que le futur règlement puisse tenir compte des observations formulées.
Dans un souci de cohérence, vous le savez très bien, il appartient à la commission des lois de veiller à établir une jurisprudence en la matière. Elle est dans son rôle. Il est normal qu’elle rappelle les règles, ce qui nous permettra, justement, d’être encore mieux entendus.
Je tiens aussi à le préciser, la procédure choisie, à savoir la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, avait pour but, mes chers collègues, de permettre le débat, pour bien montrer que nous sommes tous attachés au sort des réfugiés. Un débat de qualité, qui arrive maintenant à son terme, s’est tenu. Au lieu de voter contre cette proposition de résolution, j’espère que le Sénat votera pour la motion que je m’apprête à défendre.
Je serai bref, M. le rapporteur de la commission des lois ayant déjà largement exposé les arguments qui en justifient le dépôt.
Vous me permettrez néanmoins, mes chers collègues, d’insister sur deux points.
En premier lieu, je veux rappeler, afin d’éviter à l’avenir toute dérive, les termes exacts des deux premiers alinéas de l’article 88-4 de notre Constitution : « Le Gouvernement soumet à l’Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l’Union européenne, les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne.
« Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée – et cela est prévu dans notre règlement –, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions mentionnés au premier alinéa, ainsi que sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. »
Je salue à cet égard le travail de Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois lors de la révision constitutionnelle de 1999 préalable à la ratification du traité d’Amsterdam : c’est à cette occasion que l’article 88-4 a pris une forme proche de celle que nous connaissons aujourd’hui en matière de résolutions européennes. Ses travaux permettent de comprendre le sens précis de cet article.
Pour en revenir à la proposition de résolution déposée par nos collègues du groupe socialiste, elle ne repose, comme l’a indiqué notre rapporteur, ni sur un projet d’acte européen ni sur un document émanant d’une institution européenne, livre vert, livre blanc ou autre. Elle invoque deux directives en vigueur, et principalement celle du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire.
En second lieu, la proposition de résolution invite certes, de manière générale, à la réforme des instruments européens en matière d’asile et de protection internationale, mais elle demande surtout que la France sollicite de la Commission européenne qu’elle propose au Conseil d’attribuer aux ressortissants afghans le bénéfice de la protection temporaire. Nous sommes encore plus loin tant du texte que de l’esprit de l’article 88-4.
On peut d’ailleurs s’interroger sur l’intervention du Parlement dans une procédure de cette nature visant à solliciter la Commission.
Mes chers collègues, je l’ai rappelé d’entrée de jeu afin d’éviter tout malentendu, cette motion n’a pas pour objet d’escamoter le débat sur le fond, c’est-à-dire sur les conditions d’accueil des réfugiés afghans en France et en Europe. Ce débat vient d’ailleurs d’avoir lieu, et M. le ministre y a pleinement participé, de même que nos collègues de tous les groupes, et nous nous en félicitons.
Il s’agit simplement de faire respecter les procédures prévues par notre Constitution. Comme le disait Lacordaire, entre le fort et le faible […], c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Si nous voulons être entendus, nous devons respecter le droit.
L’article 88-4 de la Constitution permet d’adopter des résolutions dans des cas précis. À l’article 34–1 de la Constitution figure désormais un droit général de résolution, instauré – je devrais dire restauré – par la révision constitutionnelle de juillet 2008. C’est sur cette base juridique qu’il convient de s’appuyer quand on veut présenter des résolutions qui ne peuvent se fonder sur l’article 88-4 de la Constitution.
Il existe donc deux régimes distincts. Celui qui est prévu à l’article 88-4 doit être utilisé conformément à son objet, qui est de prendre position sur un projet, au sens large, d’acte ou de réforme envisagé au niveau européen. L’existence de l’article 34–1 renforce d’ailleurs mon argumentation : puisque nous disposons d’un droit général permettant de déposer des propositions de résolution, lesquelles, je le rappelle, ne sont pas assujetties à un examen en commission, n’utilisons l’article 88-4 qu’à bon escient !
C’est important, parce que nous ne sommes pas seuls. N’oubliez pas qu’il s’agit non pas d’une interprétation du droit purement franco-française, mais d’une question touchant l’Europe et son fonctionnement. Nous devons donc être prudents et ne pas inciter nos partenaires à des interprétations dont les dérives pourraient être lourdes de conséquences pour l’avenir.
Vous le savez, certains de nos partenaires, particulièrement exigeants, sont réticents à aller de l’avant dans la construction européenne. Aussi, ne leur donnons pas des armes pour bloquer davantage l’avancée européenne, parce que nous ne nous montrerions pas dignes de confiance en interprétant d’une manière par trop audacieuse les textes adoptés avec peine.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Je le répète, celle-ci porte non pas sur le fond, mais sur la forme, c'est-à-dire sur le respect du droit, qui nous permet de renforcer nos positions.
Grâce à l’article 34-1 de la Constitution, nous disposons des outils nécessaires pour déposer des résolutions sur les sujets politiques qui nous paraissent de nature à être traités dans cette assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, contre la motion.
M. Richard Yung. Cher collègue Christian Cointat, nous sommes pleinement dans notre rôle de Parlement national en demandant au Gouvernement de transmettre à la Commission européenne notre position concernant la législation européenne ou ses éventuelles modifications.
Vous dites qu’il faut veiller à ne pas modifier un texte adopté avec peine, en l’occurrence la directive de 2001. Mais force est de constater qu’elle n’est pas opérationnelle et ne sert à rien et, dès lors, il faut tirer les conclusions qui s’imposent.
Sur le recours à l’article 88-4 de la Constitution, je reviens brièvement au précédent que j’ai évoqué tout à l’heure, puisque aucune réponse ne m’a été donnée.
La proposition de résolution relative aux quotas de CO2, qui visait une directive existante, a été déposée sur le fondement de l’article 88-4 de la Constitution. Le texte que nous proposons aujourd’hui s’inscrit dans le même cadre, personne n’a réussi à démontrer le contraire.
M. Christian Cointat. J’ai apporté la réponse : un projet de règlement était en cours !
M. Richard Yung. Même si celui-ci n’est pas approprié, il existe une jurisprudence en la matière.
Mes chers collègues, nous avons voulu soulever un problème lourd, clairement identifié, un vrai problème de conscience.
Nous avons proposé au moins deux solutions : l’adoption d’une clause de non-renvoi et, si on est ambitieux, l’ouverture d’un débat avec nos partenaires sur la façon de mieux partager la charge des réfugiés, en particulier afghans.
C’est notre rôle d’ouvrir un débat sur ces questions. Monsieur le rapporteur, vous avez abordé cette question à la fin de votre intervention, par le biais d’un concept qui vous est cher, que je partage d’ailleurs, celui de coopération renforcée, laquelle a pour objet de réunir ceux qui ont la volonté d’avancer.
Pour notre part, nous avons souhaité, dans un premier temps, instaurer un dialogue dans le cadre de l’Union européenne, c'est-à-dire en réunissant les Vingt-Sept. En cas d’échec, nous sommes tout à fait prêts à vous emboîter le pas, en prônant un dialogue entre les douze, treize, quatorze ou quinze pays intéressés.
Je ne comprends donc pas pourquoi vous repoussez notre proposition avec une certaine superbe !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur les termes de ce débat, qui fut assez complet. Pour ma part, je suis favorable à l’adoption de la motion. Le vote de cette proposition de résolution européenne serait un mauvais signal quant au fonctionnement des institutions européennes. Nous souhaitons que l’Europe progresse. Aussi, il faut se garder de se livrer à une interprétation fantaisiste des textes, sinon nous barrerions la route à de nouveaux progrès.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. La position du Gouvernement est identique à celle qui a été adoptée par M. le rapporteur, au terme d’une démonstration extrêmement claire.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.