Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Jean-Noël Guérini.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances. Il est disponible au bureau de la distribution.
3
Renvoi pour avis
M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi de finances rectificative pour 2010, adopté par l’Assemblée nationale (n° 276, 2009-2010), dont la commission des finances est saisie au fond, est envoyé pour avis, à leur demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
4
Violences au sein des couples
Renvoi à la commission d'une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste (proposition n° 118, rapport n° 228).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État à la justice, mes chers collègues, au mois d’avril 2006, le texte issu des propositions de loi nos 62 et 95, déposées respectivement sur notre initiative et sur celle du groupe CRC, après avoir été modifié par le Sénat et l’Assemblée nationale, était définitivement adopté, puis promulgué.
De l’avis de la plupart des associations, cette loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a constitué une avancée sans précédent. C’était, il faut le souligner, la première fois que le Parlement osait affronter ce sujet trop longtemps tabou, trop longtemps ignoré, en tout cas trop longtemps minimisé.
Je rappelle que cette loi comportait aussi bien des mesures préventives que des dispositions répressives, visant notamment quatre objectifs : la lutte contre les mariages forcés, avec le relèvement de l’âge du mariage à dix-huit ans pour les femmes ; l’accompagnement psychologique, sanitaire et social des auteurs de violences ; la lutte contre le tourisme sexuel ; la lutte contre les violences sur les mineurs.
Depuis sa mise en application, toujours selon les associations, « le voile du silence s’est enfin déchiré, la parole des victimes s’est enfin libérée » : les victimes osent enfin parler, osent enfin dénoncer, osent enfin porter plainte ; en tout cas, elles le font plus qu’auparavant.
Certes, la partie n’est pas gagnée, il s’en faut de beaucoup, hélas ! Nous devons encore agir de multiples façons pour renverser certains schémas profondément ancrés dans les mentalités.
Certes, la loi ne peut pas tout, elle n’est pas la seule voie pour éradiquer les violences conjugales, mais elle permet d’accélérer l’évolution des mentalités. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé, au mois de juin 2007, une deuxième proposition, portant le numéro 322, afin de compléter le dispositif précédent sur différents points : les violences psychologiques, la prévention, la formation des intervenants, l’aide aux victimes et la protection des enfants.
Malheureusement, plus de deux années plus tard, ce texte, jugé peut-être – qui sait ? – trop global, n’était toujours pas inscrit à l’ordre du jour de nos travaux. J’ai donc décidé, avec l’accord de mes collègues du groupe socialiste, d’alléger la proposition de loi sur certains points, de la compléter sur d’autres et d’en présenter une nouvelle version. Je remercie donc le groupe socialiste et son président, Jean-Pierre Bel, d’avoir bien voulu proposer de l’inscrire aujourd'hui à l'ordre du jour du Sénat.
Le contexte semble plutôt propice. D’abord, la lutte contre les violences conjugales a été déclarée « Grande cause nationale 2010 ». Ensuite, l’Espagne, dans le cadre de sa présidence de l’Union européenne, a voulu faire de l’élimination de ce fléau l’une de ses priorités pour l’Europe. Enfin, M. le Premier ministre a annoncé vouloir créer « un délit de violences psychologiques au sein du couple ».
C’est très exactement ce que nous proposons à l’article 1er du présent texte.
Bien sûr, je n’ignore pas que le repérage de ce type de violences peut, dans certains cas, être difficile dans la mesure où les violences psychologiques ne laissent pas toujours de traces aisément identifiables et médicalement « objectivables ».
Cependant, comme le note le psychiatre Roland Coutanceau, « le délabrement mental de la victime est évident et les psychiatres peuvent se porter garants de l’impact de la maltraitance ». Ainsi, précise-t-il, « à partir d’une certaine intensité, la violence psychologique peut être mesurée dans ses conséquences pour la victime ».
Dans ces conditions, et compte tenu de l’ampleur du phénomène, il nous paraît hautement souhaitable de faire reconnaître les violences conjugales à caractère psychologique, comme le harcèlement moral a fini par être reconnu dans le monde du travail.
Il s’agit d’un phénomène de société alarmant, qui frappe plus souvent les femmes que les hommes – même si un nombre non négligeable de ceux-ci en sont aussi victimes –, mais également les enfants, qui, souvent instrumentalisés, subissent indirectement cette emprise destructrice.
La violence psychologique est insidieuse, la finalité étant, pour le manipulateur, d’exercer une domination totale sur sa victime, mettant en jeu son intégrité physique et morale. C’est lorsque le conjoint ou concubin parle de séparation que la violence devient paroxystique.
Voici ce qu’indique le docteur Israël Feldman à ce propos : « L’usage répété de comportements néfastes dans le but de contrôler une personne a autant d’impact – sinon plus – sur la santé et le bien-être de la victime, que la violence physique. Et même si les cicatrices sont invisibles, ses conséquences sont lourdes et difficilement éradiquables. »
Injures graves et répétées, brimades, comportements vexatoires, chantage, séquestration, menaces de tuer, d’enlever les enfants, isolement, dénigrement public ou privé, humiliation, dévalorisation : toutes ces formes de violence constituent un véritable harcèlement mental, une mise à sac de toute confiance et d’estime de soi, et aboutissent à une vraie démolition morale de la victime.
Ce sont autant d’agissements ou de paroles répétées qui dégradent les conditions de vies, portent atteinte à la dignité de la victime et altèrent sa santé mentale et physique. Pour le docteur Coutanceau, une gifle ou un coup de poing font certes mal, mais le plus difficile à supporter est le sentiment de mépris qui les a « propulsés ». Selon lui, « la maltraitance psychologique est tout aussi capable de faire disparaître l’élan vital, “l’envie de vivre”, sans pour autant laisser de traces visibles ».
Ce sont ces cas extrêmes, ces pressions gravissimes et réitérées sur une longue durée, aux effets dévastateurs, que nous voulons cibler aujourd'hui.
« Que reste-t-il à faire pour la victime ? », s’interroge le docteur Feldman. Rester, se soumettre, et donc aller, à plus ou moins brève échéance, vers la destruction ? Ou bien partir et se libérer, mais sans savoir ce que deviendront les enfants ? Est-il seulement possible, pour la victime, de partir lorsqu’elle sait que le bourreau ne la lâchera jamais ? Est-on seulement en état de partir lorsqu’on est détruit intérieurement ? En effet, par l’emprise psychologique qu’il exerce sur la victime, l’agresseur peut la dévaloriser au point d’anéantir chez elle toute velléité d’autonomie et de départ.
Autre technique d’usure, la menace itérative : « Si tu pars, tu le regretteras ! », « Si tu me quittes, je te tue ! », « Si tu t’en vas, tu ne verras plus tes enfants et je me tue après »... Selon certains psychologues, dans de tels cas, la séparation ne peut avoir lieu que si l’auteur des menaces est soumis à la justice. Il ne renoncera à ces violences que s’il sait quels risques il court sur le plan judiciaire.
Or, comme le soulignaient Yaël Mellul, avocate, et Eliette Abecassis, écrivain et philosophe, « lorsque la violence psychologique s’exerce à l’intérieur du couple, aujourd’hui, la justice reste à la porte ». Évoquant « la souffrance et les dégâts qui sont bien réels », elles indiquaient que « ce processus d’emprise entraîne chez la victime une saturation de ses capacités critiques et une abolition totale de sa capacité de jugement, qui la conduisent à accepter l’inacceptable, à tolérer l’intolérable ». Elles ajoutaient encore : « Puis, la violence augmente progressivement et la résistance de la victime diminue jusqu’à devenir simplement une lutte pour la survie. »
Voilà pourquoi nous voulons créer le délit de violences psychologiques au sein du couple tout en proposant que leurs auteurs puissent être condamnés à un suivi socio-judiciaire. Nous ne proposons pas de définir la violence psychologique, car toute énumération est en soi restrictive. De toute manière, il existe dans le droit français, plus précisément dans la jurisprudence, un arsenal suffisant pour les définir. Quant à la preuve, elle peut venir de témoignages ou de certificats de psychologues, de médecins ou même de psychiatres.
J’en viens à l’article 2 de la proposition de loi.
L’article 12 de la loi du 4 avril 2006 renforce, aussi bien dans le code de procédure pénale que dans le code pénal, les mesures d’éloignement du domicile commun de l’auteur des violences, qu’il soit conjoint, concubin, partenaire pacsé ou ancien conjoint, ancien concubin, ancien partenaire pacsé.
En droit civil, la loi du 26 mai 2004, relative au divorce, a permis au juge aux affaires familiales, lorsque les violences exercées par l’un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, de statuer sur la résidence séparée des époux. Le juge se prononce également, s’il y a lieu, sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, les mesures prises étant caduques si, à l’expiration d’un délai de quatre mois, aucune requête en divorce ou en séparation de corps n’a été déposée.
On notera qu’aucune disposition n’est prévue en droit civil lorsque les violences mettent en danger le concubin ou le partenaire pacsé et donc, dans ce cas, le ou les enfants. Nous proposons par conséquent d’étendre la possibilité donnée au juge aux affaires familiales de statuer sur la résidence séparée des concubins ou des partenaires pacsés, en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement. Dans un tel cas, il appartient au juge de statuer sur la résidence dans le domicile familial et non de statuer sur la résidence dans le domicile conjugal, comme cela est précisé pour les conjoints à l’article 220-1 du code civil.
En fait, il s’agit surtout, dans les cas d’urgence et à titre provisoire, de donner un peu de répit à la victime non-propriétaire ou non-locataire en titre du logement, de lui laisser le temps nécessaire pour trouver un autre lieu d’habitation ou un hébergement social d’urgence.
Je signale au passage qu’une erreur s’est glissée dans la rédaction de la deuxième phrase de l’article 2 de notre proposition de loi. Il faut lire : « Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée à celui qui n’est pas l’auteur des violences ».
Les articles 3 et 4 de la proposition de loi traitent de la prévention.
À ce titre, nous proposons qu’une information soit dispensée dans les écoles, collèges et lycées, à raison d’une séance mensuelle, sur le respect mutuel entre les garçons et les filles et sur l’égalité entre les sexes.
L’école a un rôle primordial à jouer dans la prévention des violences entre les jeunes, bien entendu, mais aussi dans la lutte contre les comportements sexistes. Il s’agit d’éduquer au respect pour éviter que ne s’ancrent, à l’âge adulte, des comportements de domination.
Si nous voulons faire changer les mentalités, alors, commençons par agir au niveau de l’école, du collège et du lycée. « Tout commence sur les bancs de l’école», affirmait Romain Rolland. Et il avait raison !
Nous proposons également, toujours au titre de la prévention, d’instituer une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein du couple, qui pourrait être fixée le 25 novembre, en coordination avec la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Autre question majeure : la formation des professionnels de santé, des personnels de la police et de la gendarmerie, des travailleurs sociaux, des magistrats, des avocats... Nous proposons que l’ensemble de ces acteurs fassent l’objet d’une formation initiale et continue, propre à leur permettre de mieux détecter les violences, de mieux assister et accompagner les victimes.
Si les besoins sont évidents, les professionnels ne sont pas toujours sensibilisés à la problématique des violences conjugales. J’ai le sentiment que, à quelques exceptions près, ce terrain est encore en friche.
La qualité de l’accueil, dans une gendarmerie ou un commissariat, d’une personne bien souvent en état de choc est essentielle. Quant aux médecins, ils occupent une position clé pour dépister les violences intrafamiliales, conseiller, prévenir l’escalade, éviter les drames.
J’évoquerai enfin l’aide juridictionnelle qu’il conviendrait d’accorder, sans condition de ressources, aux victimes de violences conjugales ayant entraîné une interruption temporaire de travail.
Aujourd’hui, seules bénéficient de cette aide sans condition de ressources les victimes de tortures, d’actes de barbarie, les victimes de violences habituelles sur mineurs ou de viol, etc.
Je l’ai dit, les victimes de violences conjugales sont bien souvent en état de choc et il importe de leur faciliter la tâche, notamment dans les moments difficiles où elles se décident à réagir, où elles décident de ne plus accepter de subir. Or leur dépendance financière peut aussi constituer un frein dans leur décision d’engager des poursuites judiciaires, car elles ne peuvent évidemment pas compter sur le concours financier de l’auteur des faits…
Enfin, et d’une manière générale, nous ne ferons pas l’économie, à l’avenir, d’un débat sur le manque de places d’hébergement pour les victimes et de centres de soins pour les auteurs de violences.
Un vrai problème se pose aussi pour les Français de l’étranger. En effet, comme le faisait remarquer Claudine Lepage, sur ce point précis, nos consulats manquent de moyens.
J’ai pu dire à diverses reprises que le Sénat pouvait être fier d’avoir joué, dès 2006, un rôle de précurseur dans un domaine qui nous mobilise aujourd’hui encore. « Encore ! », s’exclameront peut-être certains. Eh bien oui, encore !
Sans aller jusqu’à reprendre la fameuse formule Boileau, « Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse et le repolissez », je prétends que les dispositions que nous proposons aujourd'hui d’apporter en complément de la loi du 4 avril 2006 sont hautement nécessaires.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me permettrai de vous lire quelques extraits d’une lettre que j’ai reçue hier – et j’en ai, hélas ! reçu de très nombreuses rapportant des faits similaires –, émanant d’une jeune femme de vingt-huit ans, prénommée Jessica.
« Il a suffi d’un an pour que les agissements de cet homme avec qui je vivais détruisent tout en moi. […] Les violences psychologiques, les vraies, hors disputes de couple, sont reconnaissables par l’entourage, par les amis, par les professionnels. […] Aujourd’hui, je dis merci à ma famille, je dis merci à mes amis, je dis merci aux médecins. Depuis quelques jours, en effet, j’ai décidé de me libérer et j’ai décidé de porter plainte.
« Je ne pensais pas que ce que j’ai vécu aurait autant de répercussions sur ma vie personnelle et même professionnelle. Aujourd’hui, j’ai peur. Aujourd’hui, je suis suivie par un psychiatre. Aujourd’hui, je suis en dépression et j’ai perdu mon travail. […] Aujourd’hui, j’ai tellement de souffrances en moi ! Alors, avec vos collègues sénateurs, aidez les femmes qui vivent de telles situations. Prenez les bonnes décisions. » On ne saurait mieux dire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par notre collègue Roland Courteau et les membres du groupe socialiste du Sénat.
Longtemps considérées comme un tabou, les violences conjugales, tout en demeurant une réalité difficile à évaluer, sont désormais reconnues comme un fléau majeur, que les pouvoirs publics doivent endiguer.
La politique volontariste menée par ces derniers depuis plusieurs années a cherché à mieux prévenir et, surtout, à mieux détecter ces violences, à améliorer l’accompagnement des victimes et à prendre en charge de façon plus ciblée les conjoints violents, afin de lutter contre la récidive.
La lutte contre les violences conjugales a ainsi constitué l’un des axes essentiels du plan global de lutte contre les violences faites aux femmes lancé en 2005. Un second plan triennal lui a succédé en 2008. Enfin, la lutte contre les violences faites aux femmes, qui incluent les violences conjugales, a été déclarée « Grande cause nationale 2010 ».
De fait, un certain nombre de progrès peuvent être relevés, notamment en matière de sensibilisation des professions concernées et du public en général. Des référents locaux ont été progressivement mis en place dans les départements. L’accueil dans les commissariats et les locaux de gendarmerie a été peu à peu adapté au traitement des violences conjugales et près des trois quarts des parquets mènent désormais une action ciblée sur le traitement judiciaire des violences faites aux femmes.
Les efforts doivent néanmoins être poursuivis et complétés, notamment en ce qui concerne l’hébergement des victimes ou l’implication des personnels de santé dans le repérage et la prise en charge des victimes, comme des auteurs de violences conjugales.
Par ailleurs, le législateur est venu progressivement adapter le droit pénal et le droit civil afin de mieux protéger les victimes et de punir plus sévèrement les auteurs de ces actes. Ainsi, le nouveau code de procédure pénale prévoit, depuis le 1er mars 1994, que les peines encourues par les auteurs de violences seraient aggravées lorsqu’elles sont infligées par le conjoint ou par le concubin de la victime.
La loi du 4 avril 2006, votée sur l’initiative de nos collègues Roland Courteau et Nicole Borvo Cohen-Seat, a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou celles commises contre les mineurs. Cette loi reconnaît explicitement la notion de viol et d’agression sexuelle au sein du couple, ainsi que celle du vol entre époux lorsque celui-ci porte sur des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime.
Cette loi du 4 avril 2006 a en outre élargi la circonstance aggravante que j’ai mentionnée aux partenaires liés à la victime par un PACS, ainsi qu’aux anciens conjoints, anciens concubins et anciens partenaires liés à la victime par un PACS lorsque les violences ont été infligées en raison des relations qui ont existé entre l’auteur des faits et cette dernière.
Enfin, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a prévu que les personnes reconnues coupables de violences conjugales pouvaient être également condamnées à un suivi socio-judiciaire.
Néanmoins, en dépit des progrès notables que ces lois ont permis, de réelles difficultés subsistent, comme le révèlent les chiffres constatés par les services de police et de gendarmerie, qui paraissent toutefois bien en deçà des violences conjugales réellement subies. En effet, selon les estimations réalisées par l’Observatoire national de la délinquance, le nombre de plaintes déposées par les victimes de violences conjugales représenterait moins de 9 % des violences conjugales réellement subies.
En outre, le nombre d’homicides au sein du couple constatés n’inclut pas les suicides consécutifs aux violences physiques ou psychologiques infligées par un conjoint.
Selon les termes employés par notre collègue Roland Courteau, la proposition de loi qui nous est soumise vise à « aborder une nouvelle étape » dans la prévention et la répression des violences commises au sein du couple.
Pour répondre à cet objectif, ce texte précise d’abord que les violences peuvent être « physiques ou psychologiques ».
S’agissant des auteurs de ces violences, il prévoit de les punir plus sévèrement lorsqu’elles sont commises de façon habituelle, rappelle que les personnes condamnées dans ces conditions peuvent également se voir imposer un suivi socio-judiciaire et permet au juge aux affaires familiales d’évincer du domicile commun le concubin ou le partenaire pacsé auteur des violences.
Ce texte vise également à permettre aux victimes d’accéder à l’aide juridictionnelle sans condition de ressources.
Pour ce qui est de la mise en œuvre de ces dispositions, la proposition de loi prévoit, dans le cadre des mesures de sensibilisation du public à la problématique des violences au sein du couple, d’une part, de rendre obligatoire la tenue mensuelle d’une information sur le respect mutuel et l’égalité entre les sexes dans les établissements scolaires, d’autre part, d’instituer une journée nationale de sensibilisation à ce type de violences.
Elle prévoit aussi la mise en place d’une formation initiale et continue, propre à permettre aux professions concernées par la problématique des violences commises au sein du couple d’assister les victimes de ces violences et de prendre les mesures nécessaires de prévention et de protection qu’elles appellent.
Enfin, elle gage les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de son application par la création d’une taxe additionnelle sur les tabacs.
Les préoccupations exprimées par les auteurs de cette proposition de loi sont pleinement partagées par les députés. Le 2 décembre 2008, ces derniers ont créé au sein de leur assemblée une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, laquelle s’est donnée pour tâche d’évaluer l’ensemble des violences infligées aux femmes au sein du foyer, mais aussi dans l’espace public et sur les lieux de travail, ainsi que d’apprécier la réponse qui leur était apportée. Les violences conjugales ont, naturellement, constitué un de ses axes de réflexion.
À l’issue de ses travaux, cette mission a formulé dans son rapport d’information, publié en juillet 2009, soixante-cinq propositions, dont une partie a été transposée dans une proposition de loi cosignée par Danielle Bousquet, Guy Geoffroy et plusieurs de leurs collègues députés.
Cette proposition de loi, composée de vingt et un articles, recoupe en partie les principaux thèmes abordés par la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau. Ainsi, son article 17 prévoit de créer un délit de violences psychologiques au sein du couple. Son article 9 tend à étendre aux partenaires liés par un PACS et aux concubins les dispositions relatives à l’éviction du conjoint violent du domicile commun. Quant à son article 11, il aborde la question de la formation des professions appelées à connaître de faits de violences conjugales.
La proposition de loi des députés comporte également un certain nombre de dispositions complémentaires, comme la mise en place d’une ordonnance de protection des victimes, une protection accrue des personnes étrangères victimes de violences conjugales ou encore la reconnaissance de la notion de mariage forcé.
C’est pourquoi la commission des lois estime souhaitable, avant de se prononcer sur le fond, d’étudier ces deux propositions de loi concomitamment afin de parvenir à l’établissement d’un texte unique.
Cet avis est évidemment renforcé par le fait que la proposition de loi des députés a été adoptée hier en commission et sera examinée par l’Assemblée nationale en séance publique le 25 février.
Je vous propose en conséquence, mes chers collègues, de ne pas établir de texte à ce stade et d’adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi, en attendant la transmission par l’Assemblée nationale de la proposition de loi de Mme Bousquet et M. Geoffroy. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.