M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, la remise du rapport public annuel est un moment toujours particulier dans les relations sans cesse plus étroites que le Sénat et la Cour ont nouées.
Vous le savez, ce rapport est l’occasion pour les juridictions financières de sélectionner des sujets illustrant non seulement les errements et les insuffisances, mais aussi les progrès qu’elles constatent dans la gestion publique. Toutefois, nos échanges ne se limitent pas au seul rapport public annuel, loin s’en faut ! Cette année encore, la Cour a porté à votre connaissance de nombreux rapports représentant plusieurs milliers de pages afin de vous assister dans l’exercice de vos missions constitutionnelles de contrôle du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.
En 2009, nous vous avons notamment adressé les cinq rapports prévus par la loi organique relative aux lois de finances et la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui sont destinés à nourrir vos grands débats budgétaires et financiers.
Conformément à ces deux lois organiques, nous avons effectué plusieurs enquêtes à la demande de vos commissions habilitées à nous saisir.
Ainsi, cinq communications ont été adressées à la commission des finances du Sénat, portant sur la gestion des centres de rétention administrative, sur le programme Copernic, sur l’Office national des forêts, sur l’articulation entre la politique de la ville et l’éducation nationale dans les quartiers sensibles et enfin sur la présidence française de l’Union européenne.
Votre commission des affaires sociales, quant à elle, a été destinataire de deux communications, l’une relative à la lutte contre le VIH/SIDA et l’autre à l’action sociale dans la branche famille.
Nous travaillons d’ores et déjà à satisfaire votre demande de cinq nouvelles communications, qui vous seront adressées dans le courant de l’année 2010.
En 2009, nos six rapports publics thématiques vous ont également été adressés. Ils ont porté sur la protection de l’enfance, France Télévisions, la décentralisation, les transports express régionaux et l’évolution des effectifs de l’État. Vous avez également été destinataires du rapport sur les concours publics accordés aux établissements de crédits affectés par la crise financière.
Enfin, nous vous avons communiqué six rapports relatifs au contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique, portant notamment sur les Restos du Cœur ou sur le Sidaction.
J’en viens maintenant à la présentation du rapport public annuel, dont le premier tome rassemble les résultats de vingt-cinq contrôles menés en 2008 et surtout en 2009.
J’évoquerai tout d’abord la situation générale de nos finances publiques, puis les insertions aux enjeux financiers les plus significatifs, en recettes comme en dépenses.
Chacun connaît les maux dont nos finances publiques sont affectées, mais ce n’est pas une raison pour ne pas les rappeler.
Le déficit public, selon les dernières prévisions du Gouvernement, devrait s’élever à 7,9 % du PIB en 2009, soit plus qu’un doublement en un an, et atteindrait 8,2 % en 2010.
L’essentiel de cette forte dégradation résulte indéniablement de la crise économique, qui a fait fondre les recettes fiscales et sociales et entraîné un surcroît de dépenses imputables au plan de relance et de soutien de l’économie.
La Cour considère toutefois – elle a sur ce point une divergence avec le Gouvernement qui transparaît dans sa réponse publiée dans le rapport – que le déficit structurel a augmenté de 0,6 point par rapport à 2008 et qu’il représente désormais la moitié du déficit pour 2009.
La dérive structurelle des comptes publics s’est donc poursuivie en 2009 sous l’effet de la persistance du dynamisme de la dépense publique et des allégements pérennes d’impôts consentis pour 2009 et 2010.
Nous assistons en conséquence à un emballement de la dette publique. Entre 2003 et 2009, la dette est passée de 1 000 milliards d’euros à près de 1 500 milliards d’euros, et cette tendance menace de s’accélérer encore.
Le Chef de l’État vient d’annoncer une série de mesures qui marquent une volonté de rupture avec les pratiques antérieures. C’est lors de notre rendez-vous de juin prochain et dans les rapports ultérieurs consacrés à la situation des finances publiques que nous pourrons analyser les décisions qui seront prises en ce début d’année et leurs premiers effets.
Elles devront conduire à un effort massif pour réduire les dépenses publiques et optimiser le rendement des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire des impôts existants, en commençant par la réduction rigoureuse et volontaire des dépenses et des niches fiscales et sociales.
Ainsi, le coût de certains dispositifs d’allégement d’impôts prévus par la loi dite Girardin de 2003 apparaît particulièrement disproportionné. Nos contrôles en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna ont montré que ces dispositifs d’incitation à l’investissement privé conduisent l’État non seulement à rembourser aux investisseurs privés leur mise de fonds, mais aussi à les rémunérer très généreusement. Dans ces territoires, le rendement net d’impôt est de 18 % pour l’immobilier et le taux d’intérêt servi par l’État pour les investissements industriels à Wallis-et-Futuna peut atteindre 66 %.
Nous consacrons plusieurs insertions au contrôle et à la lutte contre la fraude dans plusieurs secteurs.
Les contrôles fiscaux des entreprises et des particuliers ont été réorientés sur les erreurs et fraudes les plus faciles à détecter et à sanctionner afin d’offrir le meilleur rendement budgétaire possible. La conséquence en est que les contribuables ne sont pas égaux face à ces contrôles ; les différents impôts ne font pas l’objet de la même attention ni de la même vigilance.
La lutte contre la fraude à l’indemnisation du chômage a mobilisé l’UNEDIC et les ASSEDIC au cours de la période récente, avec la création d’un corps d’auditeurs spécialisés et la modernisation des outils de contrôle.
Cependant, Pôle emploi reste largement démuni faute d’une coopération suffisante avec les autres services publics, à commencer par les services préfectoraux. Mais la Cour insiste sur la nécessité de faire converger les assiettes et règles de recouvrement des cotisations d’assurance chômage avec celles de la sécurité sociale, ce qui est loin d’être le cas actuellement.
Nous examinons également la gestion du produit des amendes de circulation routière, qui ont rapporté plus de 1,5 milliard d’euros au budget de l’État en 2008, notamment avec la mise en œuvre croissante et très productive des amendes-radars.
Leur gestion reste marquée par une grande opacité, ce qui favorise la perpétuation de pratiques d’annulation d’amendes pourtant interdites par les textes, les fameuses « indulgences ».
M. Roland du Luart. Pas très catholiques ! (Sourires.)
M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Cette pratique peu régulière a concerné près de 8 % des amendes forfaitaires à la préfecture de police de Paris en 2007, soit plus de 500 000 amendes.
Nous avons examiné le fonds d’épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations.
La loi de modernisation de l’économie de 2008 avait pour objectif de restaurer la viabilité financière de ce fonds. Malgré ces avancées et une très bonne collecte en 2008 et au début de 2009, l’équilibre du fonds d’épargne n’est toujours pas assuré. Le niveau des ressources du fonds dépend désormais largement de la politique commerciale des banques, tandis que le fonds a été fortement mobilisé par l’État pour soutenir les établissements de crédit et financer une partie du plan de relance.
L’État devra donc définir les conditions d’un nouvel équilibre dynamique entre les ressources et les dépenses du fonds afin de garantir le financement du logement social.
Les programmes d’armement, qui, avec 12 milliards d’euros en 2009, constituent la première dépense d’investissement de l’État, ont également retenu notre attention. Malgré quelques progrès permis par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, qui a été récemment adoptée, la conduite de ces programmes révèle la persistance d’insuffisances : non-maîtrise des coûts, retards, difficultés à organiser une programmation internationale. Le programme de l’A400M nous en donne une nouvelle illustration.
La Cour consacre ensuite de nombreuses insertions à la gestion des services de l’État et des organismes publics. Celles-ci visent non seulement à corriger les dérives constatées, mais également à identifier des gisements d’économie ou des réformes pouvant permettre d’accroître l’efficacité de l’action publique.
Avec le contrôle des systèmes de cartes d’assurance maladie, nous avons identifié des marges d’économies substantielles pour la branche, dont vous connaissez la situation structurellement déficitaire.
Près d’un milliard de feuilles de soins électroniques sont désormais transmises par cartes Vitale chaque année, ce qui permet à la sécurité sociale de réaliser une économie annuelle de 1,5 milliard d’euros. Voilà un dispositif qui marche et dont la France peut s’enorgueillir. Toutefois, l’assurance maladie reçoit encore 150 millions de feuilles de soins papier, soit une dépense de 200 millions d’euros, qui pourrait être aisément économisée. Pour cela, il faudra mettre en œuvre une approche plus contraignante à l’égard des médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, encore récalcitrants à l’utilisation de la carte Vitale.
S’agissant de l’efficacité de l’action publique, plusieurs de ces insertions portent sur la gestion des ressources humaines.
Nous traitons à nouveau de la gestion des personnels de la navigation aérienne, qui est principalement dictée par le souci d’éviter des conflits sociaux tant une grève du contrôle aérien a un effet immédiat sur le secteur et sur ses usagers.
Or l’organisation du travail ne permet toujours pas de faire prévaloir la productivité et l’impératif de sécurité, en l’absence d’une gestion transparente des personnels. C’est pourquoi la Cour est conduite aujourd’hui à remettre en cause le système des protocoles renégociés périodiquement avec les représentants syndicaux, ce qui appelle de la part de la direction générale de l’aviation civile un réexamen assez profond de la situation.
Malgré les efforts de la direction de la SNCF, la gestion de ses personnels demeure entravée par des rigidités qui pèsent sur les performances de l’entreprise publique.
La réforme du régime de retraite des cheminots a rapproché celui-ci de la situation générale de l’ensemble du secteur public et a permis d’apurer le bilan de l’entreprise, mais elle devrait se traduire par un surcoût de 380 millions d’euros sur la période 2010-2030, sans garantir un rééquilibrage durable de ce régime, qui est déjà subventionné à plus de 60% par l’État.
Les relations sociales ont également évolué à la SNCF avec la mise en œuvre des dispositions de la loi du 21 août 2007 sur le service et l’information des usagers. Les résultats sont meilleurs pour les grèves nationales d’une journée que pour les grèves localisées et tournantes, comme il s’en est produit à la gare Saint-Lazare ou à Nice.
En outre, la productivité n’a pas suffisamment progressé pour tirer parti de la réduction des effectifs et pour permettre à la SNCF de se confronter avec succès aux entreprises concurrentes dès lors que la concurrence est ouverte, notamment dans le domaine du fret.
Par ailleurs, nous avons contrôlé la RATP, dont le modèle économique est aussi remis en cause par les perspectives d’ouverture à la concurrence. La loi du 8 décembre 2009 a apparemment mis fin à un imbroglio juridique, comptable et financier sur la propriété et la gestion des infrastructures, désormais attribuées à la Régie autonome des transports parisiens, la RATP, tandis que le matériel roulant doit revenir au syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF.
En tout état de cause, les nouvelles conditions d’exploitation auront des conséquences comptables et financières auxquelles la Cour sera attentive. Il se pose également la question du portage par la RATP d’une dette de 4,3 milliards d’euros, que la Régie ne paraît pas en mesure de rembourser sur ses seules ressources.
Comme chaque année, la Cour examine l’efficacité de certaines politiques publiques. Je n’évoquerai pas toutes les politiques examinées dans ce rapport, limitant mon propos aux exemples les plus significatifs.
La lutte contre le surendettement des particuliers, qui a été mise en place par la loi Neiertz de 1989, n’a pu empêcher le doublement du nombre de dossiers déposés devant les commissions départementales de surendettement depuis cette date.
Le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation que vous avez adopté en première lecture en juin 2009 devrait apporter de meilleures garanties de protection aux consommateurs. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
La Cour considère néanmoins que de nouveaux progrès devraient être faits dans la gestion des commissions de surendettement par la Banque de France.
L’impulsion donnée à la politique en faveur des services à la personne n’a pas permis d’atteindre l’objectif ambitieux de 500 000 nouveaux emplois, puisque seuls 108 000 emplois équivalents temps plein ont été créés sur la période 2006-2008.
De plus, cette politique très coûteuse, qui s’est élevée à 6,6 milliards d’euros en 2009, a davantage profité aux ménages aisés,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui
M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. … par le biais d’exonérations fiscales et sociales, qu’aux personnes les plus vulnérables ou les plus démunies ; elle n’a pas permis non plus de professionnaliser de façon durable les salariés qui agissent dans ce secteur.
Mme Nicole Bricq. Il y a longtemps que nous le disons !
M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Nous dressons également un bilan de la formation professionnelle en alternance financée par les entreprises, qui a été réformée par la loi du 4 mai 2004. Si les contrats de professionnalisation semblent répondre aux besoins des entreprises, ils restent encore insuffisamment développés.
Les périodes de professionnalisation sont à l’évidence un échec. Ces contrats sont trop concentrés sur certains secteurs et sur les plus grandes entreprises ; de plus, ils ne touchent pas les publics prioritaires. À défaut d’un meilleur ciblage sur certains publics, ce dispositif devrait être fortement rénové, voire supprimé.
Ces enquêtes relatives aux politiques publiques préfigurent la mission d’assistance que nous a confiée la Constitution en matière d’évaluation des politiques publiques.
Toutefois, la pleine et entière mise en œuvre de la Constitution rend nécessaire l’adoption par le Parlement du projet de loi portant réforme des juridictions financières. Nous pourrons ainsi mieux répondre à vos demandes d’assistance, en particulier pour l’évaluation des politiques partagées entre l’État et les collectivités territoriales, auxquelles je vous sais particulièrement sensibles.
Si nous nous intéressons à l’efficacité de l’action publique, soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons également le souci d’évaluer celle de nos interventions.
Les vingt enquêtes de suivi présentées dans le second tome montrent que nos recommandations trouvent fréquemment un écho et une réponse dans les projets et propositions de loi que vous examinez et que vous adoptez, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Je pourrais citer ainsi la suppression récente du droit à l’image collective des sportifs professionnels.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet !
M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Plus globalement, sur les 688 recommandations formulées dans nos publications et dans nos référés pour les années 2006, 2007 et 2008, 502 ont donné lieu à des réformes, complètes ou partielles, parfois encore en cours. Le ratio de presque trois quarts de recommandations suivies d’effet atteste de notre contribution à l’amélioration de la gestion publique. C’est pour la Cour un changement de culture que je me plais à souligner et que nous accompagnons chaque jour.
Cette approche statistique présente toutefois des limites évidentes, car elle ne permet pas de nuancer la portée des suites données à nos recommandations. C’est l’objet du second tome de notre rapport qui détaille le suivi de vingt sujets.
Le bilan est globalement positif, notamment pour les suites données à nos recommandations sur l’exécution du budget de l’État, sur les comptes de l’État et sur les normes comptables.
Je ne citerai pas l’ensemble des organismes contrôlés, mais je voudrais insister sur les plus emblématiques. Nombre d’entre eux ont fait des progrès importants et mis en œuvre l’essentiel des recommandations de la Cour : c’est le cas de la Française des jeux et du Médiateur de la République.
En matière de politiques publiques, les résultats sont un peu plus contrastés.
Ils sont très inégaux pour la politique du logement, à laquelle nous consacrons trois insertions de suivi. Si le Gouvernement et les acteurs du 1 % logement ont remédié aux plus graves dysfonctionnements que nous avions identifiés, les avancées permises par la loi du 25 mars 2009 en matière de gestion du parc locatif social restent encore partielles, et nous n’avons guère été entendus sur le recentrage des aides personnelles au logement.
Les résultats sont en revanche un peu plus encourageants pour les ports français, qui avaient fait l’objet d’un rapport public thématique en 2007, pour lesquels la loi du 4 juillet 2008 et ses textes d’application ont repris en grande partie les recommandations préconisées par la Cour à cette époque.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, telles étaient les principales observations sur lesquelles je souhaitais appeler plus particulièrement votre attention et je vous remercie de votre écoute.
Mme la présidente. Monsieur le doyen des présidents de chambre, le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le doyen des présidents de chambre, mes chers collègues, la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes au Parlement est un rendez-vous important, un rendez-vous attendu, et c’est avec beaucoup d’attention, comme il se doit, que nous venons d’écouter les observations de la Cour sur la situation générale des finances publiques, observations dont nous devrons nous saisir pour entretenir avec le Gouvernement une relation exigeante afin de mettre un terme aux dysfonctionnements de la sphère publique.
Nous ne manquerons pas, croyez-le bien, spécialement la commission des finances, d’analyser comme toujours avec le plus grand soin le contenu de ce rapport public.
Il est difficile de ne pas avoir à l’esprit, en cet instant, la disparition brutale du président Philippe Séguin, et nous gardons en mémoire la grande autorité dont il savait accompagner les recommandations et les mises en garde de la Cour des comptes. Son ambition était clairement de promouvoir une gestion publique lucide et responsable. Qu’il me soit permis de rendre hommage à son combat pour populariser le contrôle afin que nos concitoyens se saisissent des observations formulées par la Cour, de saluer son intransigeance pour défendre l’indépendance de la Cour, de souligner son opiniâtreté en faveur de la transparence et de la sincérité des comptes publics.
Je ne doute pas que l’institution qui lui doit beaucoup saura maintenir, collégialement et par l’intermédiaire de son futur Premier président, son influence, influence qu’elle a renforcée au cours des années en exploitant aussi bien les nouvelles procédures de collaboration avec le Parlement que l’outil médiatique.
Si nous devions apprécier le bilan de ces six dernières années de relations entre le Parlement, et plus particulièrement le Sénat, et la Cour des comptes, chacun d’entre nous soulignerait leur considérable développement et leur extrême qualité.
Au premier rang de nos échanges figurent les enquêtes que nous demandons à la Cour de réaliser, pour notre compte, en application de l’article 58, alinéa 2°, de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Au rythme maintenant bien établi de cinq enquêtes par année, nous organisons, sur la base des travaux de la Cour des comptes, orientés par les rapporteurs spéciaux à l’origine du choix des sujets, des auditions pour suite à donner réunissant, autour des commissaires de la commission des finances, les magistrats de la Cour des comptes ayant conduit les enquêtes ainsi que les représentants des organismes contrôlés et, le cas échéant, le ou les ministres de tutelle.
Ces auditions, que nous ouvrons à tous nos collègues des commissions intéressées et à la presse, sont toujours instructives. Elles sont, pour l’administration, un aiguillon pour l’inciter à se réformer et à améliorer ses performances. Elles sont aussi et très souvent de véritables succès médiatiques, c’est-à-dire de grands moments de pédagogie sur la nécessité, voire sur l’urgence, des réformes à conduire.
Ce fut le cas l’année dernière du rapport d’enquête relatif aux crédits de la présidence française de l’Union européenne.
Pour 2010, nous avons demandé à la Cour des comptes de se pencher sur les cinq sujets suivants : le coût des titres sécurisés, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, ou ADEME, le Centre des monuments nationaux, le Centre français pour l’accueil et les échanges internationaux, l’EGIDE, enfin, les participations de la Caisse des dépôts et consignations dans l’économie mixte locale.
Les relations entre le Sénat et la Cour des comptes passent aussi par les missions d’assistance, prévues par l’article 58, alinéa 1°, de la LOLF. Cette forme de collaboration est plus lente à se mettre en place, mais elle présente une souplesse d’utilisation très avantageuse. La commission des finances l’a utilisée, en 2009, à l’occasion d’un contrôle sur les chambres de métiers et de l’artisanat dont le rapport vient de paraître.
Au-delà de ces « grands moments », nous avons établi des relations quotidiennes avec la Cour.
Sans méconnaître les principes de collégialité et de contradiction, indispensables au fonctionnement de la Cour des comptes, le président Séguin, grâce à son action déterminée, a favorisé l’ouverture de la Cour sur l’extérieur et l’assouplissement de certaines rigidités sans doute héritées du passé. Il a donc permis que s’instaure un climat de confiance et de collaboration de tous les instants, dont le Sénat comme la Cour des comptes ont, je le crois, profité.
Les rencontres régulières et peu formalisées entre rapporteurs spéciaux et magistrats de la Cour se sont banalisées, en particulier dans les travaux préparatoires à l’examen de la loi de règlement, travaux pour lesquels la transmission des notes d’exécution budgétaires de la Cour sur chacune des missions que nous examinons est, je tiens à le souligner, un atout précieux.
Les rapporteurs ont de fréquents contacts avec les fonctionnaires du secrétariat de la commission des finances.
Par ailleurs, depuis deux ans, nous avons le plaisir d’accueillir en stage pendant la période budgétaire de jeunes auditeurs qui débutent dans la carrière. Cette heureuse expérience doit permettre une meilleure compréhension des contraintes de chacune de nos institutions et de nos attentes respectives.
Si notre collaboration s’exprime dans le développement de la mission de contrôle, elle est également mise à profit à l’occasion de l’exercice, par la Cour des comptes, de sa mission de certification des comptes de l’État et de contrôle de gestion.
De ce point de vue, la commission des finances sait pouvoir trouver dans la Cour des comptes un allié de poids dans sa croisade pour le respect de l’exigence de sincérité des comptes publics. Nous devons unir nos efforts en ce sens, à un moment où se pose de façon si cruciale la question de la dette et de sa « soutenabilité ».
Enfin, je voudrais évoquer le sujet, qui tenait à cœur à Philippe Séguin, de la réforme de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes.
Plusieurs pistes de réforme ont été mises en chantier. Il conviendra de les mener à leur terme.
La première est l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales, qui permettrait de renforcer la sincérité et la transparence des budgets locaux.
La deuxième piste, c’est le renforcement des mécanismes permettant de responsabiliser les gestionnaires publics devant la Cour des comptes et les chambres régionales en premier ressort, la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF, devenant l’instance d’appel.
La troisième concerne les chambres régionales des comptes : il convient à la fois de renforcer leur mission en matière d’audit et d’évaluation des politiques publiques et de faire évoluer leur maillage territorial en visant une plus forte mutualisation.
Sur ce point, nous avons éprouvé, à l’occasion de plusieurs demandes d’enquêtes, par exemple sur l’éducation nationale dans les quartiers concernés par la politique de la ville en 2009 ou sur les participations de la Caisse des dépôts et consignations dans l’économie mixte locale en 2010, les limites de la séparation stricte entre la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes. Souvent, nous aurions souhaité pouvoir plus facilement appuyer les enquêtes sur des réalités de terrain, ce qui n’a pas été possible dans les délais stricts imposés par la procédure de l’article 58, alinéa 2°, de la loi organique relative aux lois de finances et en raison de la séparation fonctionnelle des deux niveaux de juridictions.
Cette réforme de la juridiction financière, formalisée dans le projet de loi qui a été adopté en conseil des ministres le 28 octobre 2009, nous en espérons l’inscription à l’ordre du jour du Parlement, car elle nous semble nécessaire. Elle va bien au-delà de la disposition utile, mais partiellement contenue dans la proposition de loi déposée par le président Accoyer et adoptée par l’Assemblée nationale, concernant les modalités de la contribution de la Cour des comptes à l’évaluation des politiques publiques.
En conclusion, monsieur le doyen des présidents de chambre, je souhaite que l’année 2010 nous apporte les mêmes satisfactions dans les excellentes relations que nous entretenons avec la Cour des comptes et que nous continuions de progresser de concert dans la défense de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le doyen des présidents de chambre, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais profiter de l’occasion du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes pour, d’abord, rendre hommage à Philippe Séguin.
Comme ceux qui l’ont précédé, ce rapport porte clairement sa marque. Vous nous l’avez dit, monsieur le doyen, il a été préparé sous son autorité vigilante. Nous y retrouvons son regard exigeant de républicain et d’homme d’expérience.
En donnant une appréciation circonstanciée sur la mise en œuvre d’un certain nombre de politiques publiques, en mettant en lumière aussi bien les difficultés rencontrées que les succès obtenus, il traduit parfaitement le souci constant de Philippe Séguin, et bien entendu de la Cour des comptes dans son ensemble, de servir avant tout l’intérêt général, d’apporter une contribution utile au débat public et à la modernisation de notre État.
En incarnant aussi bien les valeurs d’indépendance et de rigueur de la Cour, Philippe Séguin a donné une dimension inédite à ses travaux, ce dont les parlementaires que nous sommes n’ont pu que se féliciter.
Notre commission avait tissé des liens très étroits avec lui. Chacune de ses auditions était un moment particulier, attendu même, et toujours apprécié. Ces derniers temps, nous avions d’ailleurs constaté une réelle convergence de vues entre ses positions et celles de la commission, par exemple sur la nécessité de faire face aux déficits sociaux sans en reporter la charge sur les générations futures, ou sur l’importance d’améliorer la gestion de l’hôpital.
C’est donc de façon très sincère que je veux une nouvelle fois saluer ici la qualité des travaux réalisés par la Cour.
La synthèse des travaux que vous venez de nous présenter, monsieur le doyen, est, à cet égard, je l’avoue, impressionnante. Elle confirme le rôle éminent de la Cour, déployé dans tous les domaines de l’action publique, au service d’une meilleure gestion des deniers publics.
Nous examinerons le contenu de ce nouveau rapport avec attention. Il comporte de nombreuses insertions sur les domaines sanitaires et sociaux. Je perçois déjà que nos observations vont sans doute se rejoindre sur plusieurs sujets chers à la commission des affaires sociales, à savoir la formation professionnelle, l’indemnisation du chômage ou la gestion des cartes d’assurance maladie.
L’objectif que vous poursuivez de l’amélioration de la gestion des deniers publics est également le nôtre, monsieur le doyen. C’est pourquoi il me semble essentiel que les liens de très grande qualité que la commission des affaires sociales et, au sein de celle-ci, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, ont pu nouer avec les magistrats et les chambres de la Cour qui suivent les sujets de notre compétence puissent perdurer. Ces relations étroites et fructueuses sont la preuve que la Cour remplit pleinement son rôle d’assistance au Parlement dans le cadre de ses missions de contrôle et d’évaluation.
Des rendez-vous réguliers permettent d’entretenir ces relations, en particulier la publication au mois de septembre du rapport de la Cour sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale.
Cette année encore, il proposait un éclairage détaillé sur nombre de sujets d’importance. À cet égard, je ne citerai que la réforme hospitalière, sujet sur lequel la MECSS a également travaillé. L’enquête de la Cour a relevé de très grandes disparités dans l’organisation des hôpitaux et de véritables défaillances dans la conduite du programme d’investissement « Hôpital 2007 », ainsi que dans la mise en œuvre de la T2A, la tarification à l’activité. Ces constats appellent, dans certains cas, des correctifs de l’action publique. Ils doivent aussi servir de leçon pour les prochaines réformes afin d’éviter les erreurs et les gaspillages. La commission des affaires sociales est bien décidée à poursuivre son contrôle de l’hôpital, en s’appuyant sur les analyses et les éclairages très pertinents de la Cour.
De la même façon, ses conclusions sur l’évaluation de la réforme des retraites de 2003 nous ont permis, dès la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, de faire adopter le principe du non-cumul de la majoration de durée d’assurance pour interruption d’activité, dont peuvent bénéficier les fonctionnaires, avec l’assurance vieillesse des parents au foyer. C’est une source de réelle satisfaction pour nous de constater le poids que peuvent avoir nos efforts respectifs lorsqu’ils sont orientés dans la même direction.
Un second rendez-vous régulier est désormais institué, celui du mois de juin, avec la publication du rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale.
Le troisième rapport de certification a été publié au mois de juin dernier, en application de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005. Comme les deux précédents rapports, il s’est révélé extrêmement constructif et porteur de réelles possibilités de progrès en matière de gestion des organismes concernés. La commission des affaires sociales s’est d’ailleurs emparée de cette question en exerçant un contrôle attentif et régulier sur les moyens mis en œuvre par les caisses pour répondre aux observations de la Cour ; je pense en particulier à la branche famille et à la CNAF, la caisse nationale des allocations familiales.
D’autres occasions de rencontres sont fournies par la remise des travaux que nous vous commandons. Cette année, la Cour nous a remis une enquête sur la politique de lutte contre le Sida en France. Elle fera l’objet d’une très prochaine audition par la commission des affaires sociales.
Nous sommes certains que les prochaines demandes d’enquête adressées à la Cour sur le financement de la pandémie grippale H1N1 et sur la tarification des établissements médico-sociaux, publics et privés, seront tout aussi riches d’enseignements.
Ce dernier thème fait écho aux travaux menés au Sénat sur la question de la prise en charge de la dépendance. Il nous est permis de vous en saisir grâce à l’extension, introduite par le Sénat dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, du champ de compétences de la Cour.
Je formule le vœu que 2010 soit une année tout aussi fructueuse pour la Cour des comptes que les précédentes et que nous puissions continuer à développer nos travaux communs pour le meilleur profit de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes.
(M. le doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes est reconduit selon le cérémonial d’usage.)